Le diagnostic médical est défini selon Emile Littré comme « l’art de reconnaître les maladies par leurs symptômes et de les distinguer les unes des autres ». Il est fondamentalement élaboré par un médecin selon au moins deux phases. D’une part à partir de l’amnèse (ou histoire de la maladie) qui, permet de connaître les antécédents du patient, les symptômes ressentis, l’ancienneté de la maladie et son évolution, d’autre part, le médecin pratique l’examen physique qui sert quant à lui à rechercher des signes physiques liés à la maladie et ainsi apporter des preuves pour confirmer un diagnostic. Néanmoins, le diagnostic seul du médecin n’est pas toujours suffisant, il peut être complété par des examens complémentaires. Deux types de diagnostic peuvent ainsi être distingués, à savoir le diagnostic in vivo, réalisé sur le patient directement comme l’imagerie médicale et le diagnostic in vitro (DIV), réalisé à partir d’un échantillon de fluide corporel (sang, urine, salive…) ou tissus. L’avènement du diagnostic in vitro et plus particulièrement de la biochimie et biologie moléculaire a modifié progressivement mais radicalement la conception du diagnostic en médecine. Aujourd’hui, 60 à 70 % des décisions médicales font intervenir le résultat d’un test de diagnostic in vitro .
Dans l’exemple du diagnostic dédié à l’identification d’agents pathogènes, les méthodes de détection sont très variées et diffèrentes selon la nature de la « biomolécule » à identifier. La microbiologie permet un diagnostic « phénotypique » de microorganismes cultivables. Cette technique est la plus utilisée aujourd’hui par sa facilité d’utilisation et son faible coût de revient. Néanmoins, elle ne permet pas d’identifier les organismes non cultivables et le délai d’obtention du diagnostic est long (compris en 24 h et 72 h). D’autres méthodes de diagnostic sont basées sur les interactions entre un anticorps et une protéine comme la méthode ELISA ainsi que l’ensemble des tests de sérologie. Les délais d’obtention des résultats sont là aussi en général de 24 heures à 48 heures. Depuis l’avènement de la biologie moléculaire et tout particulièrement de la PCR (« Polymerase Chain Reaction ») en 1985, le diagnostic « génotypique » est en plein essor. En effet, les tests PCR permettent une détection en un peu plus de 24 h après une phase d’enrichissement. Malgré l’avantage réel en termes de rapidité, cette technique est encore trop peu utilisée en routine car elle nécessite un aménagement minimum des locaux et son coût reste élevé. De plus, elle ne cible qu’un seul pathogène à la fois. Ces limites poussent à la multiplication des analyses par échantillons conduisant à l’augmentation des coûts et du temps pour l’obtention d’un diagnostic.
Les étapes indispensables de la fabrication d’une biopuce à ADN
La fabrication des biopuces à ADN est un travail multidisciplinaire. On distingue la conception sur le plan de la biologie moléculaire (sélection des sondes, préparation de l’échantillon…). Cette partie désigne l’application ciblée et la conception matérielle de l’outil. Cette dernière implique le choix du support, de la chimie de surface, ainsi que la méthode de production et l’adressage des oligonucléotides sondes et un système de détection de l’hybridation.
Sélection des oligonucléotides sondes
La sélection des oligonucléotides sondes constitue le cœur de la biopuce. Cette étape cruciale a pour but de sélectionner les sondes reconnaissant spécifiquement les entités biologiques à identifier et dépend du type d’application souhaité. Les sondes peuvent être choisies pour reconnaitre un gène, un transcrit ou une portion d’un transcrit d’un organisme. Ces séquences nucléiques sondes sont des oligonucléotides courts (quelques dizaines de nucléotides) simple brin, synthétisés chimiquement et dont la séquence est choisie précisément pour être complémentaire à une partie du gène ciblé. Il est nécessaire de connaitre les séquences cibles pour déterminer les séquences des sondes.
La pertinence dans le choix des oligonucléotides sondes est un point décisif dans la conception d’une biopuce à ADN. Les principaux critères que doit satisfaire l’oligonucléotide sonde sont :
• La spécificité de la séquence ;
• La température de fusion ;
• La composition en bases de la séquence ;
• Les structures secondaires ;
• La position de l’appariement de l’oligonucléotide sonde dans la séquence cible. (préférentiellement dans la partie 5’ de la cible).
Spécificité de la séquence
La spécificité de la séquence représente la complémentarité de la séquence de la sonde envers la séquence ciblée (Adénine complémentaire de Thymine et Cytosine complémentaire de Guanine). Cette complémentarité permet à la sonde de s’hybrider avec sa cible complémentaire dans un échantillon donné sans s’hybrider avec les autres séquences cibles contenues dans l’échantillon. S’il y a hybridation avec des cibles non complémentaires, on parle de « cross hybridation».
En 2000 Kane et al., ont défini deux conditions pour qu’une sonde soit spécifique. Les résultats sont issus d’une étude sur la spécificité d’oligonucléotides de 50 bases :
1. La séquence de l’oligonucléotide sonde ne doit pas présenter plus de 75% de similarités avec une séquence non ciblée présente dans le mélange de l’hybridation.
2. La séquence de l’oligonucléotide ne doit pas contenir une sous-séquence de plus de 15 bases consécutives strictement identiques à une séquence non ciblée présente dans le mélange de l’hybridation.
Température de fusion
Les liaisons hydrogènes entre les deux brins de la double hélice de l’ADN sont sensibles à la température. La température de fusion (Melting Temperature ou Tm en anglais) représente la température pour laquelle la moitié des oligonucléotides est sous forme simple brin et l’autre moitié sous forme double brin. Ce passage d’une forme à l’autre peut être visualisé en mesurant l’absorbance d’une solution d’ADN (absorbance, DO) à 260 nm en fonction de la température car l’absorbance à 260 nm augmente au cours du désappariement .
Dans le cas des biopuces à ADN, l’ensemble des réactions d’hybridation entre la multitude de sondes constituant la biopuce et leurs cibles complémentaires, se déroule en même temps et dans le même milieu réactionnel (même température, même concentration en Na+). C’est pourquoi, tous les couples sondes-cibles doivent avoir une température de fusion proche pour s’assurer que toutes les réactions d’hybridation puissent avoir lieu de façon optimale dans les conditions fixes de l’hybridation. Parfois, tous les couples sondes-cibles ne peuvent pas avoir un Tm identique dans ces conditions, il est possible d’ajouter du formamide ou du dithiothreitol pour que l’hybridation ait lieu.
La composition en bases de la séquence
Pour rappel, l’appariement Guanine-Cytosine (G-C) implique 3 liaisons hydrogènes contre 2 pour l’appariement Adénine-Thymine (A-T). La paire G-C possède donc une énergie de dissociation plus grande : 5.5 kcal/paire contre 3.5 kcal/paire pour l’appariement A-T. C’est pourquoi plus le pourcentage de paires G-C est élevé entre les sondes et leurs cibles, plus il faudra fournir d’énergie pour dissocier les deux brins. Il est recommandé de limiter les séquences dites de faible complexité comme les répétitions de motifs simples (TTTT…, AAA…, …). Ces régions auront une plus faible spécificité et plus de chances de favoriser les « cross hybridation ».
Les structures secondaires
Un fragment d’ADN (ou d’ARN) simple brin peut se replier sur lui-même et s’hybrider avec ses propres bases en fonction de sa séquence. On parle de structure secondaire d’une séquence nucléique. Dans le cas des biopuces à ADN, il est préférable de limiter les sondes qui posséderaient une structure secondaire stable dans la condition d’hybridation de la biopuce. Dans le cas contraire, la sonde repliée perdrait la capacité de s’hybrider avec sa cible complémentaire.
En conclusion, la sélection des sondes répond à un ensemble de critères thermodynamiques précis. La spécificité des sondes est un point essentiel dans la conception d’une biopuce à ADN. L’identification spécifique des séquences cibles d’un échantillon sera liée en grande partie à leur spécificité. Il existe de nombreux outils informatiques disponibles sur internet comme ArrayOligoSelector ou ProbeSelect pour la sélection des sondes. Néanmoins, les outils bioinformatiques ne sont que prédictifs. Les sondes choisies doivent impérativement être confrontées à la réalité biologique de l’hybridation pour démontrer leur pertinence et spécificité.
Choix du support
Les biopuces à ADN sont constituées d’un support solide sur lequel sont immobilisées les sondes oligonucléotidiques. Le choix du support dépend principalement du mode de détection et de l’application visée. Pour des capteurs optiques, le verre et le silicium sont des substrats de choix largement utilisés. Dans le cas d’une détection par voie électrochimique ou bien par résonance plasmonique de surface, on préfèrera des surfaces recouvertes d’or. D’une manière générale, les critères pris en compte seront l’homogénéité chimique, la stabilité du support, les propriétés de surface (polarité, mouillabilité…), mais aussi l’étendue des chimies de surface connues, leur facilité de mise en œuvre et leur reproductibilité.
Les supports à deux dimensions
❖ Le verre
Le verre est une surface de référence pour l’immobilisation de biomolécules, en particulier les séquences d’ADN. Les avantages du verre sont nombreux. Ce matériau est inerte, peu onéreux, non polaire et mécaniquement stable. Il peut supporter de hautes températures et ses propriétés de surface restent stables en milieu aqueux. Sa transparence et sa faible fluorescence intrinsèque le rendent particulièrement attrayant pour le développement de capteurs optiques. De plus, un large panel de fonctionnalisation de surface est connu et maîtrisé pour ce matériau. Dans la littérature, le verre est aussi bien utilisé pour des synthèses in situ d’oligonucléotides sondes que pour des fixations d’oligonucléotides présynthétisés.
❖ Le silicium
Le silicium est très utilisé dans l’industrie des semi-conducteurs pour ses propriétés électriques mais aussi pour son excellente résistance aux solvants et sa bonne stabilité mécanique. Sa faible fluorescence intrinsèque est également un atout pour la fabrication de biopuces à détection optique. Les différentes voies d’activation du silicium comme le plasma oxygène permettent de créer des fonctions Si-OH ouvrant la voie aux fonctionnalisations décrites pour le verre.
❖ Les polymères
Le développement de la microfluidique et des systèmes miniaturisés a généré un engouement pour de nouveaux matériaux comme les supports plastiques et les polymères. Par exemple dans le domaine biomédical, les polymères et notamment les matériaux thermoplastiques sont très utilisés pour la fabrication de microsystèmes. Simple d’utilisation, ils sont adaptés à la production à bas coût. Les techniques issues de l’industrie des polymères (moulage par injection) ou bien de l’industrie des semi-conducteurs (lithographie, gravure) ont ainsi été adaptées aux systèmes miniaturisés. Les polymères les plus utilisés sont les plastiques (polymères avec additifs) à base de poly-(méthyl méthacrylate) (PMMA) et polycarbonate (PC).20 Cependant, ils ont une mauvaise résistance aux solvants. Les polymères et copolymères d’oléfines cycliques (COP et COC) présentent quant à eux, une bonne résistance au solvant. Enfin, les supports de polystyrène (PS), largement employés pour l’immobilisation de biomolécules pour les tests ELISA, très résistants aux solvants, ont également été utilisés comme supports de dépôt de protéines ou d’oligonucléotides.
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Table des matières
INTRODUCTION
INTRODUCTION BIBLIOGRAPHIQUE
A. De la structure de l’ADN aux biopuces
B. Les étapes indispensables de la fabrication d’une biopuce à ADN
B.1. Sélection des oligonucléotides sondes
B.1.a. Spécificité de la séquence
B.1.b. Température de fusion
B.1.c. La composition en bases de la séquence
B.1.d. Les structures secondaires
B.2. Choix du support
B.2.a. Les supports à deux dimensions
B.2.b. Les supports à trois dimensions
B.3. Adressage et immobilisation des molécules sondes
B.3.a. Synthèse in situ d’oligonucléotides
B.3.b. Adressage et immobilisation d’oligonucléotides sondes
B.4. Hybridation des acides nucléiques cibles
B.4.a. Conditions d’hybridation
B.4.b. Lavage de la biopuce après hybridation
B.5. Méthode de lecture
B.5.a. Les méthodes de détection avec marquage
B.5.b. Les méthodes de détection sans marquage
C. Les principales applications des biopuces à ADN
C.1. Etudes du transcriptome
C.2. L’étude des réarrangements génomiques : CGH-array
C.3. La détection des SNP
C.4. La méthode du « ChIP-on-Chip »
D. Comment rendre la technologie des biopuces à ADN accessible au diagnostic in vitro?
D.1. Etat de l’art sur le diagnostic in vitro
D.2. Les contraintes et attentes du marché du DIV
D.3. Les biopuces commercialisées par domaines
D.4. Verrous technologiques de la technologie biopuce à ADN pour le diagnostic in vitro
E. Positionnement des travaux de thèse
E.1. La chimie des dendrimères pour la conception de biopuces à ADN
E.2. La technologie du microcontact printing pour l’adressage des biomolécules sondes
E.3. Intégration du procédé d’adressage des molécules sondes pour la détection par diffraction
CHAPITRE 1 : NOUVEAUX PROCEDES DE LITHOGRAPHIE DOUCE POUR LA STRUCTURATION DE SURFACE
A. Nouvelle technique de structuration de surface par des dendrimères pour l’augmentation des signaux de fluorescence
A.1. Le procédé de structuration de surface par « confinement »
A.1.a. Description du procédé
A.1.b. Exemple de motifs micrométriques de dendrimères obtenus par confinement
A.1.c. Quels sont les principes mis en jeu dans le procédé de « confinement » ?
A.2. Un procédé de fonctionnalisation de surface pour l’augmentation des signaux de l’hybridation
B. Le « tout en un » pour la simplification du procédé de fonctionnalisation et l’augmentation des signaux de fluorescence
B.1. Description du procédé du « tout en un »
B.2. Un procédé compatible avec la production de biopuces à ADN
C. Conclusion
CHAPITRE 2 : DEVELOPPEMENT D’UN AUTOMATE DE MICROCONTACT PRINTING POUR LA CONCEPTION DE BIOPUCES A ADN
A. Adressage de biomolécules par µCP avec l’Innostamp 40
A.1. Différences entre le µCP manuel et le µCP avec l’Innostamp 40
A.2. Analyse des conditions d’encrage et de dépôt d’oligonucléotides sondes sur dendrilames
A.2.a. Quelle est la force de contact optimale entre le macrotimbre et la lame ?
A.2.b. Etude de la contamination croisée
A.2.c. Lavage du macrotimbre
A.2.d. Durée de vie du macrotimbre
A.2.e. Reproductibilité du dépôt pour un même macrotimbre
A.2.f. Reproductibilité entre les macrotimbres
A.2.g. Bilan des conditions idéales pour le dépôt d’oligonucléotides
A.3. Améliorations du procédé de dépôt par macrotimbre
A.3.a. L’encrage dynamique du PDMS
A.3.b. La maitrise du contact: un point clé!
B. Comparaison de l’Innostamp 40 au robot à aiguilles pour la production de biopuces à ADN
C. Conclusion
CHAPITRE 3 : NANOSTRUCTURATION DE RESEAUX MOLECULAIRES DIFFRACTANTS EN VUE D’UNE BIODETECTION SANS MARQUAGE
A. Réalisation de moules nanostructurés de réseaux diffractants
A.1. Enduction du silicium, lithographie et développement
A.2. Gravure et délaquage
A.3. Traitement anti-adhésif
A.4. Duplication de moules nanostructurés
A.4.a. Comparaison des moules répliqués avec le moule mère en silicium
B. Nanostructuration par microcontact printing
B.1. Lecture au scanner de diffraction des réseaux moléculaires
B.2. Robustesse des réseaux moléculaires aux étapes de l’hybridation
C. Nanostructuration de réseaux diffractants de dendrimères
C.1. Fabrication des réseaux de lignes de dendrimères par microtansfert molding
C.2. Fabrication des réseaux de lignes de dendrimères par le procédé de « confinement »
C.3. Adressage des oligonucléotides sondes sur les lignes des réseaux de dendrimères
D. Le procédé « tout en un » pour la fabrication de réseaux diffractants de lignes fonctionnalisées avec des oligonucléotides
E. Fabrication multiplexée des réseaux de lignes de dendrimères fonctionnalisées
F. Conclusion
CHAPITRE 4 : INTEGRATION DES TECHNIQUES D’ADRESSAGE ET DE STRUCTURATION DE SURFACE POUR LA BIODETECTION SANS MARQUAGE
A. Principe de la biodétection sans marquage basé sur la diffraction optique de réseaux moléculaires
A.1. Résultats des simulations théoriques de l’impact d’une hybridation sur le signal de diffraction d’un réseau
B. Simulation de réponse d’une hybridation se rapprochant de la réalité expérimentale et stratégie de validation de la détection
C. Validation expérimentale des techniques de nanostructuration de surface pour la détection par diffrapuce
C.1. Validation de la preuve de conception de biodétection par diffrapuce
C.2. Caractéristiques des réseaux après l’hybridation
C.3. Effet de la concentration en sondes sur le gain en diffraction après hybridation
C.4. Points clés pour la biodétection optique par diffrapuce
D. Intégration des techniques de structuration de surface pour la biodétection d’une bactérie environnementale
D.1. Le modèle de détection de bactéries environnementales: DendrisChipLégio ©
D.2. Transposition du modèle de biopuce à fluorescence en diffrapuce
D.3. Adaptation du protocole expérimental à la détection par diffrapuce de Legionella pneumophila
E. Conclusion
CONCLUSIONS GENERALES