Les espèces généralistes et spécialistes face à la fragmentation des habitats

Les espèces généralistes et spécialistes face à la fragmentation des habitats

Comme énoncé précédemment, les conditions changeantes de l’environnement et notamment la fragmentation des habitats sont susceptibles d’impacter fortement la viabilité des populations. Certains éléments indiquent que les espèces généralistes peuvent subir plus fortement ces effets que les espèces spécialistes (Habel and Schmitt, 2018). Ce constat s’appuie sur des différences génétiques entre ces deux types d’espèces. Les espèces spécialistes ont généralement une diversité génétique plus faible que les espèces généralistes (e.g. Habel, Rödder, Lens and Schmitt, 2013). Ce phénomène s’explique par le fait que les espèces spécialistes se répartissent en petites populations souvent isolées au sein des paysages (Thomas, 2016). De fortes pressions de sélection contre les individus homozygotes possédant des allèles délétères entretiennent ainsi cette faible diversité génétique (Reed and Frankham, 2003 ; Habel and Schmitt, 2018). Au contraire, les populations d’espèces généralistes sont plus répandues dans les paysages et sont moins sensibles aux éventuelles pressions de sélection locales. Par conséquent, tant que la connectivité est maintenue, les populations d’espèces généralistes jouissent d’une plus forte diversité génétique que les populations d’espèces spécialistes. On admet ainsi couramment que les espèces spécialistes présentant des comportements sédentaires sont plus sensibles à la perte d’habitats que les espèces généralistes car elles manquent de ressources pour s’adapter (faible diversité génétique) ou pour disperser (faible capacité de se déplacer). Cependant, il est à noter que les espèces spécialistes se maintiennent depuis longtemps sous forme de populations démographiquement isolées et génétiquement appauvries. Elles sont donc, sans doute, moins sensibles à l’accélération actuelle de la fragmentation que des espèces généralistes qui formaient au préalable de larges réseaux de populations bien connectés. Les espèces généralistes subissent soudain, de plein fouet, la perte de diversité génétique associée à la perte d’habitat et de connectivité fonctionnelle (Habel and Schmitt, 2018). De ce fait, la préservation de la connectivité entre fragments d’habitat semble plus importante pour les espèces à tendances généralistes que pour les espèces spécialistes (Habel and Schmitt, 2018). Cette tendance a d’autant plus d’importance en matière de conservation puisque les espèces généralistes possèdent généralement des espaces vitaux vastes et leurs niches écologiques incluent celles de nombreuses autres espèces. Les espèces généralistes coïncident donc souvent avec les espèces “parapluies”, dont la protection bénéficiera à de nombreuses autres espèces partageant le même type d’habitat (Noss, 1990 ; Barua, 2011).

⇒ Cette thèse se focalise donc sur des espèces “parapluies”, à tendances généralistes. 

Les infrastructures linéaires de transport 

De manière générale, les Infrastructures Linéaires de Transport terrestre (ILT) participent fortement à la fragmentation des habitats (Forman and Alexander, 1998 ; Trombulak and Frissell, 2000 ; Balkenhol and Waits, 2009). Dans les régions les plus développées, les réseaux denses d’ILT ont de profonds impacts sur les écosystèmes (Dulac, 2013 ; Laurance et al., 2014) (Fig. B).

Les ILT ont pour rôle le transport de personnes, de marchandises ou d’énergies. Elles permettent une mobilité accrue et un développement économique notoire des zones qu’elles relient. Les ILT les plus communes sont les routes, autoroutes et voies ferrées ; les canaux, gazoducs, lignes électriques et pipelines constituent des ILT moins répandues. Le réseau routier est le plus développé. On compte environ 37 millions de km de routes sur Terre (CIA The World Factbook, extrait le 16 Janvier 2018), ce qui est suffisant pour faire 50 fois l’aller-retour jusqu’à la Lune ! Il existe peu d’endroits sur Terre qui ne subissent pas les effets de la fragmentation due aux routes (Ibisch et al., 2016) (Fig. C).

En Europe, le réseau formé par les ILT s’est fortement développé depuis les années 70, et a des conséquences importantes sur les milieux où elles sont implantées (Girardet, 2013). En France, on compte environ 11 599 km d’autoroutes, 28 987 km de voies ferrées et 1 074 619 km de routes (Eurostat, 2015). Les directives européennes exigent l’estimation des effets que les ILT engendrent sur la biodiversité. Cependant, les études d’impacts se limitent essentiellement aux effets directs des ILT, notamment en se basant sur des estimations de mortalité d’individus par collision. Pourtant, les effets peuvent être plus subtils et dépendent étroitement du contexte paysager et de l’écologie des espèces. L’effet direct le plus évident et visible des ILT est la mortalité par collision (Trombulak and Frissell, 2000) (Fig. D). La plupart des organismes terrestres est affectée quel que soit le taxon considéré (Forman and Alexander, 1998 ; Trombulak and Frissell, 2000 ; Balkenhol and Waits, 2009 ; Fahrig and Rytwinski, 2009 ; Borda-de Agua et al., 2017).

Des effets indirects peuvent également empêcher les organismes de franchir les ILT, notamment via l’utilisation de structures d’exclusions comme des grillages le long de certaines infrastructures. Par ailleurs, l’évitement comportemental est courant (Ascensao et al., 2016). Il peut être le résultat d’une perception du danger, de nuisances sonores et visuelles, d’une modification de l’habitat naturel, de la perturbation du succès reproducteur ou de l’altération de processus physiologiques (Trombulak and Frissell, 2000). Les amphibiens par exemple peuvent être fortement affectés par la mortalité routière (Beebee, 2013) (effet direct) tout en évitant les zones à proximité des ILT à cause du bruit du trafic qui interfère avec le chant des mâles (Bee and Swanson, 2007) (effet indirect).

Ces effets directs et indirects induisent une réduction des événements de franchissement des ILT et limitent donc la dispersion à l’échelle d’un paysage. Cependant, toutes les infrastructures ne sont pas nécessairement des barrières à la dispersion. Certaines n’affectent pas la mobilité des organismes ou peuvent même favoriser la connectivité. Les routes (et autoroutes) sont de loin les infrastructures les plus étudiées. Dans une revue de la littérature publiée par Fahrig and Rytwinski (2009), la grande majorité des études montre que les routes sont des éléments limitant les flux de gènes. Il existe toutefois quelques exceptions. A titre d’exemple, Prunier et al. (2014) identifient une autoroute comme un potentiel corridor longitudinal pour la dispersion du Triton alpestre (Ichthyosaura alpestris). De la même manière, la connectivité de l’escargot Petit-gris (Cornu aspersum) semble favorisée par les routes à l’échelle du paysage (Balbi et al., 2018). Bien que ce ne soit pas l’asphalte en elle-même qui entraine ces effets positifs sur la dispersion, les emprises longeant ces infrastructures comme les bandes enherbées sont souvent impliquées. Les voies ferrées sont responsables d’effets très variés selon les espèces considérées. En effet, elles peuvent constituer des barrières fortes (Whittington et al., 2004 ; Bartoszek and Greenwald, 2009 ; Breyne et al., 2014 ; Yu et al., 2017) ou bien créer des corridors de dispersion utilisables par la faune ; c’est le cas de serpents (Graitson, 2006) ou de loups (Paquet and Callagan, 1996). Ce type d’ILT peut également améliorer la richesse spécifique et les abondances des populations proches des rails (Li et al., 2010). Enfin, certaines espèces ne semblent pas impactées par des lignes à grande vitesse (e.g. papillon Pyronia tithonus, Vandevelde et al., 2012). Par leur effet d’ouverture du milieu, les lignes électriques sont souvent décrites comme des infrastructures permettant la création de corridors, notamment pour certaines plantes (Lampinen et al., 2015), des abeilles (Russell et al., 2005) ou des loups (Paquet and Callagan, 1996). Elles peuvent également favoriser certains rapaces en fournissant de bons perchoirs pour les activités de chasse (Morelli et al., 2014). Les oiseaux peuvent cependant être négativement affectés en cas d’électrocution avec les lignes (Loss et al., 2014, 2015). La plupart des études cherchant à identifier les effets barrières des lignes électriques trouve une absence d’effet (Latch et al., 2011 ; Bartzke et al., 2015 ; Jahner et al., 2016) à l’exception de Pruett et al. (2009) qui mettent en évidence un impact négatif sur deux espèces de Tétras. Ces oiseaux franchissent moins souvent les lignes électriques comparativement à un mouvement aléatoire. Les barrages hydroélectriques représentent des barrières importantes pour la faune aquatique (e.g. Meldgaard et al., 2003 ; Hansen et al., 2014) mais également pour certains grands carnivores terrestres (Kaya Özdemirel et al., 2016). Enfin, les canaux ont été identifiés comme pouvant limiter la connectivité des cerfs (Coulon et al., 2006 ; Breyne et al., 2014).

Les infrastructures ne sont pas localisées aléatoirement. Elles sont souvent construites aux endroits les plus logiques en termes de contraintes économiques et typologiques (fonds de vallées, bords de mer). De ce fait, lors de la construction d’une nouvelle ILT, elle est souvent placée à proximité immédiate d’une infrastructure déjà existante. Si ces ILT ont des effets barrières, ceux-ci peuvent se cumuler et rendre impossible tout franchissement (Bélisle and St. Clair, 2001 ; Connelly, 2011). Alternativement, les infrastructures en situation de cumul peuvent avoir des effets antagonistes ; certaines favorisant la dispersion tandis que d’autres limitent la connectivité (Bartzke et al., 2015). Dans un paysage fragmenté par de multiples ILT, il est donc nécessaire d’estimer les effets de chaque infrastructure indépendamment (Balkenhol, Gugerli, Cushman, Waits, Coulon, Arntzen, Holderegger, Wagner, Arens, Campagne, Dale, Nicieza, Smulders, Tedesco, Wang and Wasserman, 2009). La question clef réside dans la manière d’estimer la capacité de franchissement de ces infrastructures pour différentes espèces.

⇒ Cette thèse vise donc à étudier les effets de plusieurs types d’ILT dans une situation de cumul via une approche multi-spécifique. 

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Table des matières

Introduction
Les espèces généralistes et spécialistes face à la fragmentation des habitats
Les infrastructures linéaires de transport
Estimation de la connectivité fonctionnelle
Génétique du paysage
Capture-Marquage-Recapture
Objectifs et organisation du manuscrit
Cadre de l’étude
Organisation du manuscrit
Aspects Méthodologiques
Zone d’étude
Espèces étudiées
1 Multi-specific gene flow in a fragmented environment
1.1 Introduction
1.2 Material and methods
1.3 Results
1.4 Discussion
2 Estimating the permeability of linear infrastructures using recapture data
2.1 Introduction
2.2 Material and methods
2.3 Results
2.4 Discussion
3 Low genetic diversity associated with fitness cost because of road proximity: an amphibian case study
3.1 Introduction
3.2 Material and methods
3.3 Results
3.4 Discussion
Discussion et perspectives
Apport des données génétiques pour estimer la connectivité fonctionnelle
Apport des données de CMR pour estimer la connectivité fonctionnelle
Couplage des données génétiques et démographiques en écologie du paysage
Application pour les gestionnaires
Conclusion
Bibliographie

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