Les espaces protégés au titre du patrimoine urbain

Le 29 novembre 2017, la Cité de l’architecture et du patrimoine organisait une journée d’études intitulée : « La Ville en héritage : des secteurs sauvegardés aux sites patrimoniaux remarquables. » Son objectif était de dresser un bilan de la loi dite « Malraux » du 4 août 1962, à l’aune de la nouvelle loi relative à la Liberté de création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP) du 7 juillet 2016. Réunissant élus des collectivités, architectes du patrimoine et directeurs d’école d’architecture, chercheurs en sciences humaines et sociales et associations de la société civile, ce colloque s’est essayé à la définition des principes qui doivent présider à la conservation des villes anciennes.

Bien que la prise de conscience d’un héritage urbain paraisse évidente, le bilan de la loi de 1962 est aujourd’hui relativisé par le nombre inférieur de dispositifs de protection mis en place par rapport au nombre souhaité par André Malraux. Un peu plus d’une centaine de secteurs sauvegardés ont aujourd’hui vu le jour, au lieu des quatre cents voulus par le ministre des Affaires Culturelles. La satisfaction des collectivités est mesurée. Certains secteurs sauvegardés étant en effet « à la peine», estime le sénateur Jean-Pierre Leleux. La conservation de la ville ancienne serait elle sujette à désaccord ? Pourquoi conserver la Ville héritée ? Quels enjeux sont associés à la protection de certains morceaux de territoire ? Quels enjeux s’y opposent ?

Identité – Un premier enjeu pour la conservation est celui d’abord de l’identité territoriale. Pour l’UNESCO déjà, à Nairobi en 1976, à l’occasion de la rédaction de la Recommandation concernant la sauvegarde des ensembles historiques ou traditionnels et leur rôle dans la vie contemporaine, la conservation des ensembles anciens constituait « un moyen de lutter contre la banalisation et la normalisation de la société ». L’espace historique propose en effet une lecture de la stratification de la construction, maintient matériellement le parcours et l’établissement des populations antérieures, et justifie les textes par les exemples construits, empreints de l’évolution des styles artistiques. En constituant une mémoire bâtie, cette enclave est unique par les liens qu’elle tisse avec le lieu et le temps. Nicolas Détry, architecte du patrimoine, formé à l’école italienne, échangeant avec l’architecte en chef des monuments historiques Pierre Prunet, fait écho à ce propos : « Privée de son centre ancien, une ville serait profondément mutilée dans son essence même. » (Detry et al., 2000) Le propos de Lorenzo Diez, directeur de l’école nationale supérieure d’architecture de Nancy et responsable de l’enseignement Ville et Territoire à l’École de Chaillot, au colloque de la Cité, qualifie l’héritage urbain d’un caractère d’exception et de distinction. De nombreuses instances locales, nationales et internationales, s’accordent donc sur cette valeur identitaire, permettant de qualifier et de distinguer un territoire d’un autre, à l’heure de la conception globale de la planification urbaine.

Attractivité – En valorisant son identité, le territoire devient attractif pour les populations qui souhaitent bénéficier d’un cadre de vie de qualité. C’est là un second enjeu. L’économie locale peut être redynamisée, à l’image de la commune de Lectoure, qu’évoque Martin Malvy, président de l’association Sites et Cités remarquables de France, qui aurait développé son activité industrielle sur ces dix dernières années en marge de la requalification de son centre-ville, et dont l’image embellie aurait séduit les investisseurs. La qualité du bâti accroît par ailleurs sa valeur économique : le patrimoine de l’habitant est valorisé. Par sa qualité, le bien patrimonialisé peut inciter l’habitant à une certaine fierté, ce que soulèvent Catherine Paquette et Clara Salazar quant « au rapport au quartier » et à « la conjonction de la possession d’un objet et de la reconnaissance de cet objet comme signe » (in Gravari-Barbas, 2005, paragr. 9). La ville, par la qualité de son décor, devient aussi objet culturel et objet de tourisme, autre forme de rayonnement et d’attractivité économique. Là, l’identité territoriale définit le propos touristique. Aujourd’hui synonyme de marketing territorial, l’image de la ville ancienne, associée à une période florissante de l’histoire locale, est motrice du tourisme urbain.

Exemplarité – Un troisième enjeu de la conservation des centres anciens est la formation des professionnels du cadre de vie. La Charte de Venise en 1975 comparait déjà la ville ancienne à une ressource de l’enseignement : « Le patrimoine architectural a une valeur éducative déterminante. Il offre une matière privilégiée d’explications et de comparaisons du sens des formes, et une mine d’exemples de leurs utilisations. » (Conseil de l’Europe, 1975) Jean-Paul Midant, professeur HDR à l’école d’architecture de Paris Belleville et responsable du Diplôme supérieur d’architecture (DSA) à l’École de Chaillot, lors de ces rencontres, propose de considérer l’héritage urbain et plus particulièrement l’héritage bâti, l’architecture donc, comme vecteur d’éducation générale, et le tissu urbain comme source d’enseignement. Il invite à envisager les sites patrimoniaux remarquables comme des secteurs de projets remarquables d’architecture, des secteurs d’expérimentation.

De la définition des concepts à la caractérisation du conflit

Après avoir exposé le cadre dans lequel s’inscrit notre recherche, il apparaît utile de définir les termes de notre sujet. Si nous rappelons ici le titre de la thèse, « Les espaces protégés au titre du patrimoine urbain : analyse des conflits à l’occasion des demandes d’autorisation d’urbanisme, transmission et appropriation des politiques publiques par les différents acteurs», les concepts y sont nombreux.

Nous souhaitons nous intéresser à la question du patrimoine, question qui donne lieu à une littérature croissante depuis plus de trente ans. Depuis 1980, année du patrimoine pour le ministère de la Culture, le champ n’a cessé de s’accroître, au point d’englober petite cuillère et cathédrale (Heinich, 2009b), puis, en 2003, le concept d’immatérialité, avec sa reconnaissance par la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, « qui rassemble “les expressions vivantes, les traditions que d’innombrables groupes et communautés du monde entier ont reçues de leurs ancêtres et transmettent à leurs descendants, souvent oralement” » (Benhamou, 2010, p. 118). Ainsi matériel et immatériel se rejoignent dans l’« esprit du lieu » (Ronchi et Destaing, 2011). Au sein de cette floraison, nous entendons examiner le concept de « patrimoine urbain » et apporter un éclairage sur les différentes valeurs qui peuvent lui être associées. Pour les espaces protégés que nous étudions, il est en effet question de patrimoine, urbain et protégé. À partir de l’étude du champ lexical et des définitions expertes du patrimoine recueillies, nous tenterons de dessiner l’identité du patrimoine urbain telle que nous l’analyserons. Ensuite, nous attachant à une analyse du conflit dans le cadre de l’autorisation d’urbanisme, nous définirons la question de la propriété, concept essentiel qu’il convient de prendre en compte. Si le patrimoine est considéré comme une notion élargie, il renvoie dès son sens étymologique, patrimonium, au concept de propriété du bien patrimonial. Propriété privée d’un patrimoine engageant responsabilité et choix des acteurs « usagers », propriété collective définie par une reconnaissance ou par la protection, sous la vigilance des acteurs en charge de l’application de la règle, ce thème est central dès lors qu’on observe la situation de conflit entre l’habitant et l’instructeur du service urbanisme, ou entre le maire et l’architecte des bâtiments de France (ABF). Patrimoine et propriété sont des concepts qu’il nous faut explorer pour une meilleure analyse du sujet.

De la caractérisation d’un patrimoine urbain protégé

Le patrimoine urbain en regard de la notion de patrimoine 

Le patrimoine urbain pourrait être qualifié de notion floue, sans véritable signification sensible. Au point qu’Annick Germain s’interroge : « L’élargissement des perspectives est tel – entre monument historique et urbain – qu’on ne sait plus très bien où placer la limite entre ce qui est patrimonial et ce qui ne l’est pas. » (Germain, 1992) Le qualificatif d’urbain renvoie bien évidemment à la ville. Il est à la fois élément constitutif du « tout patrimoine », au côté des récents patrimoines paysager, maritime, ou industriel, tout en étant admis, depuis plusieurs années, comme à part entière, tant par les collectivités dans leur documentation d’urbanisme, que par plusieurs chercheurs et experts.

Au regard de l’ensemble complexe que constitue le patrimoine et du nombre d’acteurs qui s’en attribuent la paternité, nous pouvons en retenir trois définitions que semblent se partager experts et intellectuels et que nous confiait M. J. . La première, nous l’évoquions plus haut, « patrimonium, le bien qui nous vient du père, le patrimoine, c’est l’héritage ». Sur ce sens premier, les acteurs semblent atteindre un consensus, reconnaissant la patrimonialité d’un fait social, concrétisé ou non sous la forme d’un objet, par le fait qu’il en précède le dépositaire et qu’il a été transmis. Il a, pour une part, été choisi par le légataire, et pour l’autre part, été reconnu par le dépositaire. Cette approche rejoint celle de Daniel Fabre, ethnologue, qui donne, à ceux qu’il appelle « concepteur » et « récepteur », un rôle dans le culte dédié aux trois catégories de monuments d’Aloïs Riegl (Heinich, 2009b). Pour lui, le monument destiné à commémorer naît de la responsabilité du légataire ou du concepteur. Celui qui renvoie à l’histoire des hommes est le fruit d’un accord entre le concepteur et le récepteur sachant. Le monument qualifié d’ancien, enfin, est un crédit porté à l’unique récepteur. À la lecture de cette première acception, s’il est évident que l’objet « patrimoine urbain protégé » est qualifié par les récepteurs, de par son caractère délimité dans le temps et dans l’espace, au travers des documents d’urbanisme spécifiques, ou non spécifiques, il est moins perceptible d’y voir la marque d’une volonté d’un concepteur, qui aurait pensé l’objet « ville » comme destiné à être patrimonialisé. Le patrimoine urbain répondrait ainsi à la définition qu’Aloïs Riegl appliquait au monument : « Le monument historique n’est pas initialement voulu ou créé comme tel, il est constitué a posteriori par les regards convergents de l’historien et de l’amateur qui le sélectionnent dans la masse des édifices existants. » (Riegl et Choay, 2013) Ce que M. J. proposait d’ailleurs comme seconde définition pour le patrimoine, et auquel le patrimoine urbain peut prétendre : « tout objet que le regard croisé de la société, c’est-à-dire de tous les membres de la société, reconnait comme un référent global pour cette société ». Si on suit le raisonnement d’Aloïs Riegl, le patrimoine urbain aurait donc une valeur d’ancienneté, pouvant être évaluée par les seuls récepteurs, ainsi que le propose Daniel Fabre. Il n’est cependant pas dépourvu d’une valeur historique, puisqu’il est le fruit d’un accord entre le concepteur – contemporain certes – et le récepteur.

Parcours d’une notion : de l’expertise à la recherche

Dans son Allégorie du patrimoine, Françoise Choay nous expose une certaine historicité du concept de patrimoine urbain. Elle date la prise en compte des ensembles urbains – « héritage historique à préserver » selon les termes de John Ruskin, de 1860. La valeur d’histoire préside donc aux prémices de la notion. Elle évoque Camillo Sitte, qui conçoit, nous l’avons vu, la ville patrimoniale comme ayant perdu son usage d’habitation : « seule leur beauté demeure ». Elle nous renvoie à Gustavo Giovannoni qui fait lui, en 1931, du patrimoine urbain une sous-discipline de l’urbanisme. Pour lui, la « vie d’habitation » doit pouvoir conserver sa place, tout autant que la « vie en mouvement ». Le rapport à l’usage divise les deux théoriciens.

Considérant la place première des ingénieurs et des architectes en tant que praticiens de la ville, François Choay voit la naissance du patrimoine urbain comme le fruit d’une confrontation : « Que l’urbanisme s’attache à détruire les ensembles urbains anciens, ou qu’il tente de les préserver, c’est bien en devenant un obstacle au libre déploiement de nouvelles modalités d’organisation de l’espace urbain que les formations anciennes ont acquis leur identité conceptuelle. » (Choay, 1996, p. 134) Le patrimoine urbain serait-il né du conflit ou bien le conflit serait-il inhérent au concept de patrimoine urbain ? Vision à laquelle ne souscrit pas Alexandre Melissinos, qui note dès 1937 à Lyon avec Paul Gélis, et en 1939 à Paris avec Robert Auzelle, que les ensembles urbains faisaient l’objet d’une prise de conscience: « [Ils] dressent des plans visant à conserver la ville tout en répondant aux légitimes exigences d’un habitat décent. » (2012, p. 9) Auteur et expert s’accordent cependant sur une position de conservation, de protection par rapport à une autre forme d’urbanisme.

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Table des matières

Introduction
Partie 1 – Le patrimoine urbain et le conflit associé : concepts, chronologie, terrains et méthodes
Sous-partie 1-A : Contextes
Chapitre 1 : De la définition des concepts à la caractérisation du conflit
Chapitre 2 : Le patrimoine urbain entre propriété privée et appropriation collective, naissance d’un état de contrainte
Sous-partie 1-B : Choix
Chapitre 3 : De l’incidence de l’identité territoriale : nos terrains d’études, Montpellier, Tours et Lyon
Chapitre 4 : Choix méthodologiques, entre immersion et discours d’acteurs
Conclusion Partie I
Partie 2 : Analyse des données et résultats
Sous-partie 2-A : Un conflit de valeurs culturelles à l’origine du conflit urbain
Chapitre 5 : De l’analyse documentaire, quelles valeurs transmises par les écrits officiels ?
Chapitre 6 : Le propos du demandeur : quelles valeurs transcrites comme argument de projet ?
Chapitre 7 : Les entretiens, diagnostiquer la présence de valeurs dans les éléments de discours
Conclusion sous-partie 2-A
Sous-partie 2-B : L’administration de l’urbanisme patrimonial, une gouvernance complexe, un rapport de pouvoir
Chapitre 8 : L’étude documentaire, apports sur le conflit disciplinaire et réglementaire
Chapitre 9 : L’étude immersive, l’administration en conflit
Chapitre 10 : Les entretiens, définir les rapports de la gouvernance administrative
Conclusion Sous-partie 2-B
Sous-partie 2-C : Entre propriété et intérêt général, de la responsabilité économique du patrimoine urbain
Chapitre 11 : L’étude documentaire, révélation sur une prescription non réglementaire
Chapitre 12 : L’analyse immersive, l’exigence de qualité entre matériaux et maîtrise d’œuvre.
Chapitre 13 : L’entretien, de l’économie au capital culturel…
Conclusion Sous-Partie 2-C
Conclusion Partie II
Conclusion
Bibliographie

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