Les modes de vie et d’habiter
Les modes de vie et les modes d’habiter sont liés : un mode de vie est lié au fait de vivre un lieu, une chose, et un mode d’habiter à la façon « de rester dans un lieu donné et d’occuper une demeure ». Habiter serait plus qu’un fait, ce serait une action, celle de se créer, de se constituer une habitation, de quoi se protéger des aléas climatiques et des dangers extérieurs, de quoi se créer son propre univers pour être bien chez soi et s’ouvrir sur le monde. Constituer son habitation, sa façon d’inviter, est donc un acte personnel qui permet de rendre le monde habitable. Ainsi, le fait de constituer son habitat, de le réfléchir, seul ou à plusieurs, dans l’optique de la famille ou alors dans celle de partager des valeurs et des réflexions sur les modes de vie, est un acte d’engagement, de définition de l’individu mais surtout de sa façon de penser l’habitat, ses rapports à la famille, aux autres. Les modes de vie ne sont plus les mêmes aujourd’hui qu’il y a cinquante ans, en effet on est passé d’une habitation qui regroupait une famille élargie avant les années 50, avec un couple, ses enfants, les grands parents, …, à une cellule plus restreinte dans les années 50 à savoir un couple et ses enfants, puis dans les années 70 des modes de vies plus indépendants, plus solitaire, avec ou sans enfant, en couple non marié, en famille recomposée, … Ces évolutions des modes de vie sont liées aux évolutions de la famille de ces cinquante dernières années. Effectivement, l’espérance de vie a augmenté, douze ans de gagnés pour les hommes et quinze pour les femmes, le nombre d’enfants par femme a diminué et le nombre d’enfants hors mariage a augmenté. La décohabitation est aujourd’hui très forte, le nombre de ménages constitués de personnes seules est en forte augmentation, que ce soit des personnes âgées veuves, des jeunes qui entrent dans la vie professionnelle ou des résultats de divorces et de familles monoparentales. Mais ces évolutions des modes de vie sont également liées aux évolutions économiques et urbaines, l’urbanisation est une des explications que l’on peut donner au desserrement des ménages, en effet le nombre de logements proposés étant plus important, les possibilités de créer un nouveau ménage le sont également. Même si les ménages qui occupent les habitations ont tendance à se resserrer, à diminuer en taille, l’habitat reste tout de même un lieu de partage, de rencontre, avec l’entourage. Ainsi l’individualisation de l’habitat n’empêche pas l’ouverture aux autres, et une grande attente vis-à-vis de l’extérieur.
Une collecte d’informations lors d’entretiens et d’observations
Les données collectées pour ce travail de recherches l’ont été en grande majorité, outre les recherches documentaires et bibliographiques, par des entretiens, des rencontres avec les habitants des projets d’habitat groupé et des observations sur le terrain. L’entretien permet de rencontrer des gens qui vivent le phénomène étudié, de les interroger dans leur contexte social, à l’opposé du questionnaire qui se contente de donner des réponses plus quantitatives que qualitatives, d’engager une relation presque de confiance, qui serait plutôt anonyme lors d’un questionnaire. On pourrait donner comme définition de l’entretien de recherche la définition suivante : « […] c’est un entretien principalement entre deux personnes (il peut être étendu à un groupe), un interviewer et un interviewé, conduit et enregistré par l’interviewer. Celui-ci a pour objectif de favoriser la production d’un discours de l’interviewé sur un thème défini dans le cadre d’une recherche. » L’entretien permet ainsi de directement s’adresser aux acteurs qui nous intéressent, ici les habitants des projets d’habitat groupé, de leur montrer que l’on est volontaire et engagé dans notre travail car on est prêt à se déplacer et à les rencontrer pour obtenir de nouvelles informations, de nouvelles données. L’entretien permet de plus de vraiment se rendre compte des pensées, des valeurs, des réflexions des personnes par leur façon de parler, leurs tics de langage, … La méthode d’entretien qui a été choisie pour ce travail de recherche est un entretien semi-directif, c’est-à-dire que ce n’est ni un entretien directif, un questionnaire où le chercheur suit son guide d’entretien qu’il a préparé minutieusement, ni un entretien libre qui se passe plus comme une discussion naturelle entre l’interviewé et le chercheur. L’entretien semi-directif suit un certain nombre de thèmes ou quelques questions générales qui ne sont pas forcément posées dans l’ordre où elles ont été établies, qui ne sont pas systématiquement posées si de lui-même l’interviewé y répond, etc. La grille d’entretien a été élaborée en fonction des thématiques que l’interviewer souhaitait aborder et les thématiques qui pouvaient être des réponses aux questions de la problématique. Les entretiens réalisés pour ce travail de recherche ont été des entretiens de groupe, c’est-à-dire que les étudiants se sont rendus sur le lieu de projets d’habitat groupé pour rencontrer un groupe d’habitants et lui poser ses questions. Ce mode d’entretien permet de se rendre compte de la complicité, des éventuelles tensions, qui ont pu ou peuvent exister au sein du groupe, mais il ne permet pas d’aborder les « sujets qui fâchent », en effet, les gens étant en groupe, ils n’osent pas dire vraiment s’ils ont des soucis avec les autres membres du groupe. Le fait que des entretiens au sein de l’habitat groupé aient lieu entraine la possibilité d’un travail d’observation sur le terrain, à savoir que l’on peut par soi-même voir comment est installé le groupe, comment les logements sont agencés, vivre l’accès au projet, se rendre compte réellement de l’environnement du lieu, de son atmosphère. En effet savoir qu’un groupe partage une salle commune est un savoir nécessaire pour ce travail mais insuffisant, dire qu’ils partage une salle commune ne donne des informations que sur sa fonction mais pas sur ses usages réels, la présence de nombreuses chaises ou d’une petite cuisine peut nous faire dire que les habitants s’y rassemblent souvent ou qu’ils s’y retrouvent pour cuisiner et manger ensemble.
Le partage comme valeur commune
La motivation première des membres d’un groupe d’habitat groupé est souvent la volonté de trouver un nouveau mode d’habiter, une nouvelle forme d’habitat, qui convient à un groupe, à une vie en collectivité. Les membres de ces groupes sont généralement des gens qui ne reconnaissent plus dans le mode d’habiter de notre société. Comme nous l’a précisé un habitant de Habitat Différent lors de notre visite, les membres du groupe initial, dont il ne faisait pas partie, avaient une « idée de renouveler ou en tout cas d’inventer une nouvelle façon de vivre ensemble » (Romain14, Habitat Différent – HD –). Ils voulaient « faire évoluer la façon dont ils vivent » (Romain, HD). A La Bosse les membres du groupe souhaitaient se rassembler pour « faire quelque chose de collectif sans se contenter, se braquer sur un logement individuel » (Jean, La Bosse – LB –), partager des « surfaces d’activité, une certaine communauté d’idées » (Bertrand, LB). Leur nouvelle forme d’habiter, ces groupes la voient à travers la notion de partage, celle de mutualiser certaines parties de leurs espaces de vie avec leurs voisins. Ne se sentant plus à l’aise dans un mode de vie plutôt individuel ils se sont naturellement penchés vers un mode d’habiter qui se base sur les relations avec les voisins, une façon de développer des relations de voisinage plus poussées. « Et d’entrée de jeu cette idée qu’on va repousser les voitures à l’extérieur et que les garages on ne va pas les utiliser comme garages mais qu’on va en faire des espaces partagés » (Romain, HD). Certains des membres du groupe de La Bosse étaient au Parti Socialiste Unifié (PSU) qui prônait le fonctionnement collectif à l’instar du fonctionnement individuel. Le PSU était un parti politique français de gauche fondé en avril 1960 et qui se situait politiquement entre le mouvement socialdémocrate du SFIO (Section française de l’Internationale Ouvrière), ancêtre du Parti Socialiste, et le Parti Communiste Français (PCF). Il s’est créé en opposition à la guerre d’Algérie et à l’arrivée du général De Gaulle au pouvoir en France. Le PSU s’est auto-dissous en novembre 1989. Il défendait dans les années 70 l’expérience autogestionnaire. C’est donc cette idéologie autogestionnaire que l’on retrouve dans de nombreux membres de groupes d’habitat groupé. Ces personnes ont de fortes convictions en faveur de l’autogestion, d’une nouvelle forme de gérer sa vie, son habitat, …, de façon collective et non plus individuelle. Cette adhésion au PSU est l’une des raisons de la volonté de partager des espaces, des moyens, pour faire des économies et ainsi faciliter la vie de l’ensemble du groupe, gérer soi-même son habitat, et c’est de cette façon que l’une des habitantes de La Bosse, ancienne membre du PSU, nous a déclaré : « C’est aussi le côté matériel, à savoir que chacun avait sa machine à laver, matériel de jardin, que finalement ce n’était pas plus mal aussi de partager » (Julie, LB). Ainsi on se rend compte que pour vivre différemment, ces groupes se tournent vers le partage d’espaces avec des gens qui partagent les mêmes idées, à savoir qu’ils recherchent un nouveau mode d’habiter et que ce mode d’habiter est basé sur le partage, leur principe de vie commun, le partage de la gestion de leur habitat, faire eux-mêmes, pas jusqu’à l’auto-construction totale mais au moins gérer soi-même son quotidien, son habitat. Ces groupes d’habitat groupé sont des formes d’économie sociale et solidaire. L’économie sociale et solidaire est souvent sous la forme d’une coopérative, comme La Bosse, d’une association, comme Habitat Différent, qui vise à expérimenter des nouveaux modèles d’économie car les modèles actuels ne leur conviennent pas. Ces groupes font preuve de solidarité entre membres et d’indépendance économique. On se rend compte ici que les groupes d’habitat groupé sont des formes d’économie solidaire, ils sont des collectifs qui ne reconnaissent plus dans les modes d’habiter actuel et qui se rassemble pour créer leur propre habitat. Ces groupes ont la volonté de construire le logement de chaque membre en répondant à ses besoins personnels tout en répondant à des valeurs de groupe, des convictions, qu’elles soient économiques, sociales ou encore écologiques. Il peut être intéressant de citer l’exemple du groupe Les Z’écobâtisseurs dont les premiers habitants ont emménagé pendant l’année 2011 à Louvigné, près de Caen. Ce groupe s’est rassemblé autour de valeurs écologiques et une volonté de faire des économies, ils ont choisi de construire des maisons en bande dans un matériau écologique, la paille.
Des avis différents sur la transmission des logements et des idées
En plus d’avoir des statuts différents et malgré leurs principes semblables, les groupes de Habitat Différent et de La Bosse ont des idées différentes à la fois sur la transmission d’un logement et sur la communication à propos de leur mode de vie. Les deux groupes étudiés se basent sur deux principes différents pour recruter une nouvelle famille en cas de départ : Habitat Différent favorise la cooptation où chaque famille communique à ses proches, ses amis, qu’un logement est libre, alors qu’à La Bosse, un propriétaire souhaitant vendre son appartement le fait selon une méthode d’annonce à diffusion large notamment dans les agences immobilières. Lorsqu’une famille souhaite quitter Habitat Différent, le Toit Angevin donne à l’association un mois pour trouver une nouvelle famille candidate. Pour cela, chaque habitant parle dans son entourage du logement vacant et les familles intéressées postulent auprès de l’association. Ensuite, chaque membre du groupe rencontre chaque famille candidate lors de réunions ou de moments conviviaux pour se faire une idée de la famille, de sa vision du projet et de sa possible intégration au groupe, puis les membres du groupe classent les familles candidates de celle qu’ils souhaitent le plus voir rejoindre le groupe à celle qu’ils souhaitent le moins. A ce moment du choix le bailleur social a un droit de regard sur la famille choisie et le valide si elle correspond à certains critères sociaux. Si la famille ne convient pas au bailleur social, celui-ci étudie le dossier de la famille qui suit dans la liste d’attente et ainsi de suite. Si aucune famille ne convient ou si aucune famille ne postule, le bailleur social choisit luimême la famille qui intègrera le projet. A La Bosse le fonctionnement est différent, comme il s’agit d’une copropriété, seul le propriétaire de l’appartement en vente a un droit de regard sur l’acheteur : c’est à lui de choisir la façon dont il souhaite vendre son appartement, recours à une agence immobilière, vente de particulier à particulier, … Il n’est pas obligatoire pour le vendeur d’informer les potentiels acheteurs du fonctionnement particulier du bâtiment mais selon les habitants la simple lecture du règlement de copropriété et la visite de l’appartement et des parties communes suffisent à décourager les personnes qui ne se reconnaitraient pas dans ce type d’habitat. Chacun des deux groupes n’hésite pas à ouvrir les portes de son habitat si quelqu’un s’intéresse à leur mode de vie. Cependant les deux collectifs n’ont pas la même façon de voir leur rôle par rapport à des groupes souhaitant mettre en place leur propre habitat groupé. Quand le groupe de La Bosse voit difficilement ce qu’ils peuvent apporter à cause des nouvelles procédures et des nouvelles règlementations qu’ils ignorent, le groupe de Habitat Différent se sent investit d’une mission de communication à propos de son fonctionnement et de son parcours. « Les statuts de notre association font que nous sommes sensé faire un peu de prosélytisme de cet habitat, on est sensé en faire la promotion » nous a confié un des habitants, ainsi ils accueillent au sein de leur habitat tous les groupes qui le demandent afin de leur montrer comment ils vivent, comment ils s’organisent et pour leur parler des difficultés qu’ils ont eues. Ils prêtent même leur salle commune à un groupe en cours de formation pour ses réunions.
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Table des matières
Introduction
Les modes de vie et d’habiter
L’habitat groupé
Le partage et le partage dans les projets d’habitat groupé
La question de la fonction et des usages des espaces partagés
La démarche de travail
Une méthode de travail collaborative
Une collecte d’informations lors d’entretiens et d’observations
Les études de cas
La Bosse, Saint-Nazaire (44)
Habitat Différent, Angers (49)
Partie 1 : Des groupes aux valeurs proches mais des projets différents
1. Une même volonté de trouver une nouvelle forme d’habiter
10. Le partage comme valeur commune
11. Le partage, oui, mais en protégeant la cellule familiale
12. Les différentes formes de partage
13. Un partage entre les habitants du projet mais également avec les autres
2. Une vision différente des espaces partagés : entre une propriété collective inaliénable et des espaces partagés appropriables par les habitants
20. Deux perceptions différentes des espaces partagés
21. Une vision différente mais un point commun dans les espaces partagés des deux groupes : les potagers
22. Des fonctionnements différents mais des échecs attribués à des mêmes raisons : des gens qui ne jouent pas le jeu du partage
3. Des statuts différents mais des principes communs
30. Description des statuts de ces deux groupes : entre copropriété classique et logements sociaux
31. La recherche de consensus et la gouvernance tournante : le partage du pouvoir dans ces groupes
32. Des avis différents sur la transmission des logements et des idées
Partie 2 : L’influence des cycles de vie et trajectoires sociales sur les espaces partagés
1. Des espaces partagés vécus et utilisés différemment en fonction du statut professionnel
10. La Bosse : des retraités qui ont de plus en plus de temps pour profiter des espaces partagés
11. Habitat Différent : des retraités qui se demandent s’ils ont encore leur place au sein du groupe
2. Les enfants source de modifications et adaptations des espaces partagés
20. Des espaces partagés pensés en partie pour les enfants
21. Les conséquences de la présence et de l’absence d’enfants sur les espaces partagés
3. Les autres modifications d’espaces partagés
30. La salle jaune et la salle commune d’Habitat Différent modifiées au gré des préoccupations des habitants
31. A La Bosse, plus de disparitions d’espaces partagés que de réelles modifications d’utilisation et d’usages
Partie 3 : L’habitat groupé comme catalyseur de sociabilités
1. Les espaces partagés : lieux de vie du groupe
10. Les espaces partagés : des lieux de rencontre
11. Les espaces partagés : des lieux de réunion et de rassemblement
12. Les travaux de co-construction des espaces
2. Des groupes ouverts vers l’extérieur
20. La participation des groupe à des réseaux
21. Les relations avec d’autres associations
Conclusion
Bibliographie
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