Une collecte d’informations lors d’entretiens et d’observations
Les données collectées pour ce travail de recherches l’ont été en grande majorité, outre les recherches documentaires et bibliographiques, par des entretiens, des rencontres avec les habitants des projets d’habitat groupé et des observations sur le terrain. L’entretien permet de rencontrer des gens qui vivent le phénomène étudié, de les interroger dans leur contexte social, à l’opposé du questionnaire qui se contente de donner des réponses plus quantitatives que qualitatives, d’engager une relation presque de confiance, qui serait plutôt anonyme lors d’un questionnaire. On pourrait donner comme définition de l’entretien de recherche la définition suivante : « […] c’est un entretien principalement entre deux personnes (il peut être étendu à un groupe), un interviewer et un interviewé, conduit et enregistré par l’interviewer. Celui-ci a pour objectif de favoriser la production d’un discours de l’interviewé sur un thème défini dans le cadre d’une recherche. » L’entretien permet ainsi de directement s’adresser aux acteurs qui nous intéressent, ici les habitants des projets d’habitat groupé, de leur montrer que l’on est volontaire et engagé dans notre travail car on est prêt à se déplacer et à les rencontrer pour obtenir de nouvelles informations, de nouvelles données. L’entretien permet de plus de vraiment se rendre compte des pensées, des valeurs, des réflexions des personnes par leur façon de parler, leurs tics de langage, … La méthode d’entretien qui a été choisie pour ce travail de recherche est un entretien semi-directif, c’est-à-dire que ce n’est ni un entretien directif, un questionnaire où le chercheur suit son guide d’entretien qu’il a préparé minutieusement, ni un entretien libre qui se passe plus comme une discussion naturelle entre l’interviewé et le chercheur. L’entretien semi-directif suit un certain nombre de thèmes ou quelques questions générales qui ne sont pas forcément posées dans l’ordre où elles ont été établies, qui ne sont pas systématiquement posées si de lui-même l’interviewé y répond, etc.8 La grille d’entretien a été élaborée en fonction des thématiques que l’interviewer souhaitait aborder et les thématiques qui pouvaient être des réponses aux questions de la problématique. Les entretiens réalisés pour ce travail de recherche ont été des entretiens de groupe, c’est-à-dire que les étudiants se sont rendus sur le lieu de projets d’habitat groupé pour rencontrer un groupe d’habitants et lui poser ses questions. Ce mode d’entretien permet de se rendre compte de la complicité, des éventuelles tensions, qui ont pu ou peuvent exister au sein du groupe, mais il ne permet pas d’aborder les « sujets qui fâchent », en effet, les gens étant en groupe, ils n’osent pas dire vraiment s’ils ont des soucis avec les autres membres du groupe. Le fait que des entretiens au sein de l’habitat groupé aient lieu entraine la possibilité d’un travail d’observation sur le terrain, à savoir que l’on peut par soi-même voir comment est installé le groupe, comment les logements sont agencés, vivre l’accès au projet, se rendre compte réellement de l’environnement du lieu, de son atmosphère. En effet savoir qu’un groupe partage une salle commune est un savoir nécessaire pour ce travail mais insuffisant, dire qu’ils partage une salle commune ne donne des informations que sur sa fonction mais pas sur ses usages réels, la présence de nombreuses chaises ou d’une petite cuisine peut nous faire dire que les habitants s’y rassemblent souvent ou qu’ils s’y retrouvent pour cuisiner et manger ensemble. Ce travail d’observation est donc très important, car plus que des mots, des paroles d’habitants, il donne une expérience du lieu, de l’habitat groupé.
Le partage comme valeur commune
La motivation première des membres d’un groupe d’habitat groupé est souvent la volonté de trouver un nouveau mode d’habiter, une nouvelle forme d’habitat, qui convient à un groupe, à une vie en collectivité. Les membres de ces groupes sont généralement des gens qui ne reconnaissent plus dans le mode d’habiter de notre société. Comme nous l’a précisé un habitant de Habitat Différent lors de notre visite, les membres du groupe initial, dont il ne faisait pas partie, avaient une « idée de renouveler ou en tout cas d’inventer une nouvelle façon de vivre ensemble » (Romain14, Habitat Différent – HD –). Ils voulaient « faire évoluer la façon dont ils vivent » (Romain, HD). A La Bosse les membres du groupe souhaitaient se rassembler pour « faire quelque chose de collectif sans se contenter, se braquer sur un logement individuel » (Jean, La Bosse – LB –), partager des « surfaces d’activité, une certaine communauté d’idées » (Bertrand, LB). Leur nouvelle forme d’habiter, ces groupes la voient à travers la notion de partage, celle de mutualiser certaines parties de leurs espaces de vie avec leurs voisins. Ne se sentant plus à l’aise dans un mode de vie plutôt individuel ils se sont naturellement penchés vers un mode d’habiter qui se base sur les relations avec les voisins, une façon de développer des relations de voisinage plus poussées. « Et d’entrée de jeu cette idée qu’on va repousser les voitures à l’extérieur et que les garages on ne va pas les utiliser comme garages mais qu’on va en faire des espaces partagés » (Romain, HD). Certains des membres du groupe de La Bosse étaient au Parti Socialiste Unifié (PSU) qui prônait le fonctionnement collectif à l’instar du fonctionnement individuel. Le PSU était un parti politique français de gauche fondé en avril 1960 et qui se situait politiquement entre le mouvement socialdémocrate du SFIO (Section française de l’Internationale Ouvrière), ancêtre du Parti Socialiste, et le Parti Communiste Français (PCF). Il s’est créé en opposition à la guerre d’Algérie et à l’arrivée du général De Gaulle au pouvoir en France. Le PSU s’est auto-dissous en novembre 1989. Il défendait dans les années 70 l’expérience autogestionnaire. C’est donc cette idéologie autogestionnaire que l’on retrouve dans de nombreux membres de groupes d’habitat groupé. Ces personnes ont de fortes convictions en faveur de l’autogestion, d’une nouvelle forme de gérer sa vie, son habitat, …, de façon collective et non plus individuelle. Cette adhésion au PSU est l’une des raisons de la volonté de partager des espaces, des moyens, pour faire des économies et ainsi faciliter la vie de l’ensemble du groupe, gérer soi-même son habitat, et c’est de cette façon que l’une des habitantes de La Bosse, ancienne membre du PSU, nous a déclaré : « C’est aussi le côté matériel, à savoir que chacun avait sa machine à laver, matériel de jardin, que finalement ce n’était pas plus mal aussi de partager » (Julie, LB). Ainsi on se rend compte que pour vivre différemment, ces groupes se tournent vers le partage d’espaces avec des gens qui partagent les mêmes idées, à savoir qu’ils recherchent un nouveau mode d’habiter et que ce mode d’habiter est basé sur le partage, leur principe de vie commun, le partage de la gestion de leur habitat, faire eux-mêmes, pas jusqu’à l’auto-construction totale mais au moins gérer soi-même son quotidien, son habitat. Ces groupes d’habitat groupé sont des formes d’économie sociale et solidaire. L’économie sociale et solidaire est souvent sous la forme d’une coopérative, comme La Bosse, d’une association, comme Habitat Différent, qui vise à expérimenter des nouveaux modèles d’économie car les modèles actuels ne leur conviennent pas. Ces groupes font preuve de solidarité entre membres et d’indépendance économique. On se rend compte ici que les groupes d’habitat groupé sont des formes d’économie solidaire, ils sont des collectifs qui ne reconnaissent plus dans les modes d’habiter actuel et qui se rassemble pour créer leur propre habitat. Ces groupes ont la volonté de construire le logement de chaque membre en répondant à ses besoins personnels tout en répondant à des valeurs de groupe, des convictions, qu’elles soient économiques, sociales ou encore écologiques. Il peut être intéressant de citer l’exemple du groupe Les Z’écobâtisseurs dont les premiers habitants ont emménagé pendant l’année 2011 à Louvigné, près de Caen. Ce groupe s’est rassemblé autour de valeurs écologiques et une volonté de faire des économies, ils ont choisi de construire des maisons en bande dans un matériau écologique, la paille.
Le partage, oui, mais en protégeant la cellule familiale
Cette nouvelle forme d’habitat est donc impulsée par une volonté de partager, de gérer soi-même son propre habitat, de créer une nouvelle forme d’habiter, mais ces groupes se différencient des communautés qui se sont dévellopées dans les années 70 et les années 80 : ils souhaitent tout de même préserver la cellule familiale de chaque ménage. C’est ainsi que la devise d’Habitat Groupé est « Vivre ensemble chacun chez soi ». Chaque famille a son logement, son petit jardin devant sa maison, a le droit de ne pas vouloir voir ses voisins si elle le souhaite. Les habitants de ce groupe ont beaucoup insisté sur le fait qu’ils ont une vie d’une normalité absolue, qu’ils vivent de façon « normale » (Nicolas, HD) et que pour eux ce sont les gens qui ne vivent pas comme eux qui les interrogent. En effet, il ne s’agit pas là d’une communauté mais d’un collectif composé de plusieurs familles qui décident de vivre près les uns des autres et de partager des espaces et des moments de convivialité. L’une des habitantes, l’une des pionnières du projet, nous a dit qu’avant de vivre à Habitat Différent elle avait déjà expérimenté le fait de vivre en communauté, ils avaient loué une grande maison à quatre familles, mais qu’elle avait déploré cette expérience car même si c’était très sympathique de vivre tous ensemble, il y avait toujours de la visite à la maison, ils étaient trop souvent tous ensemble et que cela empiétait sur la vie familiale. Elle nous a bien précisé que garder une forte cellule familiale était nécessaire pour la réussite d’un tel mode de vie. De la même façon à La Bosse « il a bien été convenu que chacun avait sa cellule – Sa cellule familiale » (Bertrand et Julie, LB) et que les espaces partagés étaient là pour rencontrer les autres « quand on le souhaitait, quand on le pouvait, quand on le voulait » (Bertrand, LB). On voit donc bien à travers ces extraits d’entretiens avec les habitants que chaque projet ne voit pas la vie en groupe sans qu’elle ne soit précédée par la vie familiale. Le groupe ne doit pas prendre l’ascendant sur la famille. Chaque famille a son propre cocon, sa sphère que les autres ne peuvent pas franchir, et c’est seulement lorsqu’ils se sentent bien dans cette sphère familiale qu’ils peuvent se tourner vers les autres et ainsi partager avec eux. Ainsi, chaque famille peut avoir ses propres valeurs (éducation des enfants, organisation de la vie familiale, …), son intimité, son autonomie, et chaque famille peut faire le choix des moments qu’elle partage avec les autres. Les valeurs individuelles, familiales, précèdent donc les valeurs du groupe, ce qui n’est pas présent dans une communauté où les gens vivent ensemble tout le temps, où ils n’ont pas ou moins d’intimité familiale.
Description des statuts de ces deux groupes : entre copropriété classique et logements sociaux
Les deux groupes ont beau partager des valeurs communes, ils ne les ont pas traduit de la même façon, en effet à La Bosse ils ont créé une copropriété et à Habitat Différent ils ont demandé des logements sociaux avec l’ensemble des logements en locatif social. Bien qu’à l’origine les fondateurs de La Bosse ne souhaitaient pas devenir propriétaires, face à leurs déboires juridiques et au sein du groupe, ils se sont tournés vers une copropriété classique. Les travaux ont été menés par une Société Coopérative Immobilière Classique à qui chaque ménage a acheté son logement dont il est donc propriétaire. Ce qui différencie cette copropriété des autres copropriétés que l’on peut rencontrer est le fait que la proportion des espaces communs y soit beaucoup plus importante, 30% du bâtiment si l’on compte les coursives, mais aussi que les habitants ne font pas appel à un syndic de copropriété extérieur au groupe, ils font eux-mêmes partie de leur propre syndic dont la gérance est assurée par l’un d’eux et qu’elle change tous les deux ans, et enfin que les réunions de copropriétés sont beaucoup plus fréquentes qu’en tant normal, réunions mensuelles contre réunions annuelles. Le groupe originel de Habitat Différent s’est dès le début tourné vers un bailleur social, le Toit Angevin, pour la réalisation de leur projet, étant un groupe n’ayant pas les moyens de devenir propriétaire ils souhaitaient tous impulser la création de leurs logements sociaux par le bailleur social, ainsi ils sont les locataires du bailleur social. Leur habitat est pourtant différent de logements sociaux classiques, en effet une association d’habitants est en charge de gérer les espaces partagés, environ 13 de la SHON des habitations, et la vie du groupe. Le bureau de l’association, composé d’habitants et changeant tous les deux ans lors de l’assemblé générale, se réunit tous les mois. A l’heure actuelle, des habitants ont pu acheter leurs logements au bailleur social, sept logements sur les dix-sept au total, mais à la différence de La Bosse, les propriétaires ne le sont pas des murs de leur logement qui reste la propriété du Toit Angevin. Une association des copropriétaires a alors été créée et elle fait appel à un syndic extérieur qu’il leur faut financer.
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Table des matières
Introduction
Les modes de vie et d’habiter
L’habitat groupé
Le partage et le partage dans les projets d’habitat groupé
La question de la fonction et des usages des espaces partagés
La démarche de travail
Une méthode de travail collaborative
Une collecte d’informations lors d’entretiens et d’observations
Les études de cas
La Bosse, Saint-Nazaire (44)
Habitat Différent, Angers (49)
Partie 1 : Des groupes aux valeurs proches mais des projets différents
1. Une même volonté de trouver une nouvelle forme d’habiter
10. Le partage comme valeur commune
11. Le partage, oui, mais en protégeant la cellule familiale
12. Les différentes formes de partage
13. Un partage entre les habitants du projet mais également avec les autres
2. Une vision différente des espaces partagés : entre une propriété collective inaliénable et des espaces partagés appropriables par les habitants
20. Deux perceptions différentes des espaces partagés
21. Une vision différente mais un point commun dans les espaces partagés des deux groupes : les potagers
22. Des fonctionnements différents mais des échecs attribués à des mêmes raisons : des gens qui ne jouent pas le jeu du partage
3. Des statuts différents mais des principes communs
30. Description des statuts de ces deux groupes : entre copropriété classique et logements sociaux
31. La recherche de consensus et la gouvernance tournante : le partage du pouvoir dans ces groupes
32. Des avis différents sur la transmission des logements et des idées
Partie 2 : L’influence des cycles de vie et trajectoires sociales sur les espaces partagés
1. Des espaces partagés vécus et utilisés différemment en fonction du statut professionnel
10. La Bosse : des retraités qui ont de plus en plus de temps pour profiter des espaces partagés
11. Habitat Différent : des retraités qui se demandent s’ils ont encore leur place au sein du groupe
2. Les enfants source de modifications et adaptations des espaces partagés
20. Des espaces partagés pensés en partie pour les enfants
21. Les conséquences de la présence et de l’absence d’enfants sur les espaces partagés
3. Les autres modifications d’espaces partagés
30. La salle jaune et la salle commune d’Habitat Différent modifiées au gré des préoccupations des habitants
31. A La Bosse, plus de disparitions d’espaces partagés que de réelles modifications d’utilisation et d’usages
Partie 3 : L’habitat groupé comme catalyseur de sociabilités
1. Les espaces partagés : lieux de vie du groupe
10. Les espaces partagés : des lieux de rencontre
11. Les espaces partagés : des lieux de réunion et de rassemblement
12. Les travaux de co-construction des espaces
2. Des groupes ouverts vers l’extérieur
20. La participation des groupe à des réseaux
21. Les relations avec d’autres associations
Conclusion
Bibliographie
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