Les espaces de soins dans la psychiatrie

Evolution des conceptions et des espaces de soins en France en marge du modèle asilaire

Comme exemple de décorticage d’un contexte et de l’évolution des visions et des espaces de soins propres à une nation, nous nous penchons sur la France parce qu’elle influencera largement la psychiatrie vaudoise. Cet exemple nous permet de révéler nombre de «problèmes» et de positions possibles sur le sujet de la psychiatrie mais aussi l’annonce à cette époque asilaire des formes alternatives que les soins en santé mentale peuvent prendre.

Il révèle les tensions déjà existantes entre visions et espaces de soins et la volonté de certains de développer – en marge du modèle dominant de l’asile – d’autres modes de prise en charge.

Les structures asilaires sont apparues en Europe, en Amérique du Nord et dans certaines colonies au XVIIIe et XIXe siècle (Philo, 2005). En France, c’est sous Pinel et Esquirol dès 1800 que les premiers asiles furent créés. Dans sa conception initiale, l’asile est un pas en avant pour traiter les «aliénés» de manière spécifique et dans un espace qui leur est dédié en les séparant des miséreux et des criminels avec lesquels ils étaient sinon jusqu’ici mélangés dans les hospices, les dépôts de mendicité ou les prisons (Metais, s.d.). Les techniques de traitement barbares employées jusqu’alors sont remplacées par «le traitement moral», basé sur des préjugés éducatifs fondés sur les bienfaits d’une soumission de l’aliéné à la seule autorité du médecin qui devient ainsi gardien de la raison (Hochmann, 2015). Dans l’idéal de ses fondateurs, les asiles avaient donc une valeur thérapeutique : être utilisés comme un instrument de guérison, avec une valeur de refuge (Grasset, Orita, Veillon, & Cucchia, 2004), valeur qui est encore défendue aujourd’hui selon les modèles, les écoles et les positions des professionnels.

L’asile : un modèle dominant quand même

Si les idées et projets alternatifs sont nombreux, ils sont toutefois en marge. En effet, le modèle asilaire reste dominant dans cette ère pour nombre de nations. Il est caractérisé par un type d’espace spécifique : l’asile. Ces structures sont grandes, fermées et pour la plupart placées hors des villes, avec une claire séparation des résidents du reste de la société (Moon, 2000; Parr, 2008; Philo, 2005). On concentrera jusqu’à plusieurs milliers de personnes dans ces établissements selon les pays. La forme générale qui en ressort est celle d’un pôle. En effet, tout y est concentré : les patients, les «soins» et les soignants. Les patients y restent dans la majorité des cas à vie et leurs droits seront révélés comme inexistants. Pour certains, le rôle de l’institution psychiatrique se réduit à une mise à disposition de lits (Müller, 1982), d’où la notion de résident utilisée ci-dessus. Ceci révèle une vision spécifique à cette ère, celle de penser les maladies mentales incurables (McGorry et al., 2008; Müller, 1982). Aussi, stigmatisation et peur des « fous » s’illustrent dans cette norme de l’exclusion spatiale et sociale (Dear & Wolch, 1987; Garcia-Gonzalez de Ara & Bonsack, 2015; Hochmann, 1971, 2015; Molodynski & Burns, 2008; Organisation Mondiale de la Santé, 2001; Parr, 2008). En effet, la conception de ce qui est normal et «anormal» s’incarne dans la mise à l’écart de ceux qui sont différents. Les asiles sont donc caractérisés par la concentration, le confinement et la dissimulation (Moon, 2000; Parr, 2008; Pinfold, 2000). Aussi, malgré diverses réformes tentées ici et là, cette institution psychiatrique est restée «un pur instrument de garde et de ségrégation» (Hochmann, 1971, p. 92).

Un premier modèle alternatif : la communauté thérapeutique d’Angleterre

Basée sur la critique du système traditionnel asilaire, un modèle novateur est développé de manière pionnière en Grande-Bretagne pendant la seconde guerre mondiale : la communauté thérapeutique «anglaise», aussi appelée la thérapie par le milieu. On crée alors des communautés au sein des hôpitaux psychiatriques comme alternative à l’asile avec la considération que les rapports interpersonnels à l’œuvre dans l’institution ont un impact sur l’état des malades. Elles résultent d’un effort idéologique conscient de créer un milieu social thérapeutique particulier (Spandler, 2009). Cette approche s’applique entre les années 1950 et 1980. A cette époque, ces communautés thérapeutiques sont perçues comme le système de santé mentale le plus progressiste et le moins coercitif (Spandler, 2009). Dans cette vision de soins, il s’agit d’inclure les patients dans la vie quotidienne du groupe et de l’institution et ce dans un rythme cadrant via des réunions régulières et la discussion des problèmes de tous les jours à résoudre collectivement (Fussinger, 2010; Hochmann, 2015). En supprimant au maximum les signes et les rapports hiérarchiques entre tous, le modèle implique une transformation radicale de l’organisation hiérarchique des institutions psychiatriques. Le personnel soignant n’a plus cette position autoritaire et le patient est invité à être actif, via ce droit à la parole entre autres (Fussinger, 2010). En bref, on tente de démocratiser la psychiatrie en créant des espaces où tout peut être questionné, discuté et mis au défi (Spandler, 2009). La mise en œuvre de ce modèle fut essentiellement locale, sans mobilisation d’ampleur nationale parce qu’elle nécessitait un intense travail de négociation avec les différentes parties prenantes (Fussinger, 2010).

La communauté thérapeutique explore donc et anticipe ces nouvelles relations sociales auxquelles les mouvements sociaux de l’époque aspirent. Née dans les idéologies d’égalité, de liberté et de libération en résonnance avec la contre-culture anglo-saxonne, elle va avoir un impact dans plusieurs contextes. En effet, le modèle va servir de source d’inspiration aux Etats-Unis pour leur transformation de l’institution asilaire.

DE LA DECENTRALISATION A DES ESPACES ET SOINS EN RESEAU

De manière générale, le mouvement de désinstitutionnalisation marque la transition d’une géographie asilaire à une géographie post-asilaire (Dear, 2000). En effet, il a induit des changements idéologiques quant au traitement «des fous» mais aussi des bouleversements spatiaux. Ce basculement dans les modes et espaces de prises en charge s’opèrent à des moments différents et via des modèles de soins différents, comme nous l’avons présenté pour les Etats-Unis et la France, avec leurs résultats spécifiques. Toutefois, on note des similarités dans les visions de soins. En effet, le community care comme le secteur visent l’intégration du patient dans la communauté. Ensuite, ACT et secteur fonctionnent dans l’idée de soignants mobiles, flexibles et qui assurent la continuité des soins entre espaces (Petitjean & Leguay,2002). Spatialement, c’est un changement d’échelle qui s’opère, pour des soins offerts à des petits groupes de patients dans des petites structures et jusque dans le milieu naturel du patient. Cela a pour but de favoriser l’autonomie du patient, de réduire l’hospitalisation et d’améliorer les relations sociales du patient (Dixon, 2000). L’éclatement des espaces s’oppose à la permanence et la concentration asilaires.

Toutefois, la multiplication des partenaires rend le système complexe pour les patients atteints de troubles psychiques sévères, leur limitant en résultat l’accès aux soins (Mueser et al.,1998). La continuité des soins trouve ses limites dans cette complexité. Aussi, la rupture du suivi lors des passages d’une institution à l’autre est possible et fréquente. En parallèle, la nouvelle approche “aiming to support people with mental illness living in the community as far as possible, rather than in institutions” (Curtis, Gesler, Fabian, Francis, & Priebe, 2007, p. 592) s’accentue. L’OMS soutient cette vision et prône depuis 2001 un changement de modèle en psychiatrie, demandant de «passer d’une politique de structures accueillant un patient, à une politique de services accompagnant un usager à son domicile et avec son entourage» (Roelandt & Desmons, 2001, cités par Dugravier et al., 2009, p. 43).

L’EVOLUTION DES ESPACES ET DES VISIONS DE SOINS EN BREF

Dans cet état de l’art, nous avons retracé les modèles et politiques de soins des pays qui ont eu une influence sur la psychiatrie vaudoise. A travers leurs analyses, nous avons vu qu’ils se sont développés de manière spécifique à leur contexte et situation et qu’ils se traduisent en paysages de soins particuliers, avec leurs conséquences sur la population ciblée. Toutefois, ces modèles et politiques évoluent, des visions nouvelles voire pionnières sont introduites, et, couplées à des changements dans un contexte plus large que le simple domaine sanitaire, elles peuvent donner lieu à des mutations profondes du paysage de soins.

Un mouvement global a donc marqué la sortie de l’asilaire pour des soins décentralisés, dans une vision de soins plus proches des patients, plus « sociaux», plus humains. En effet, visions et espaces de soins sont tout à fait liés. Dans l’ère asilaire, une vision polarisée exclut les patients dans des structures de masse, coupées et dissimulées du reste de la société. La décentralisation visée par la désinstitutionnalisation a pour vision d’intégrer les patients dans la communauté et de leur offrir des soins personnalisés. Cette période s’adresse avant tout aux patients aux troubles sévères, ceux qui avaient ou auraient été institutionnalisés dans l’ère asilaire et que l’on cherche à réhabiliter (Bonsack et al., 2011; Dixon, 2000; Mueser et al., 1998). Enfin, le réseau, dans les régions où il s’applique, met le patient au centre et le replace dans son propre milieu, accompagné d’un soignant qui assure la continuité des soins et l’aide dans la coordination des soins. Il a aussi pour but d’agir de manière précoce dans l’apparition des troubles, dans un but de prévention en opposition à la vision jusque-là en cours de traitement une fois les troubles chronicisés. Ainsi, les différents paysages de soins reflètent les préoccupations majeures d’une époque et d’une société sur comment la maladie et le patient sont pensés et traités. D’ailleurs, les cas présentés nous ont montré les résultats en termes d’intégration de la population ciblée. Ainsi, l’on peut affirmer que la détermination de «où» sont traités les patients a une influence certaine sur leur intégration dans la communauté sous toutes ses formes (Yanos, 2007), autant spatiale que sociale.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

PREMIERE PARTIE :INTRODUCTION 
1. Introduction
1.1. Complémentarité à un projet du Fonds National Suisse de la Recherche
1.2. Sujet de ce mémoire
1.3. Intérêts de notre recherche
1.4. Structure du travail
DEUXIEME PARTIE :PROBLEMATIQUE 
2. Etat de l’art de l’évolution des espaces de soins dans la psychiatrie américaine et française 
2.1. Le pôle asilaire
2.1.1 Evolution des conceptions et des espaces de soins en France en marge du modèle asilaire
2.1.2 L’asile : un modèle dominant quand même
2.1.3 Sortir de l’asilaire : exemple du contexte des Etats-Unis
2.2. La désinstitutionnalisation pour des espaces décentralisés
2.2.1 Un premier modèle alternatif : la communauté thérapeutique d’Angleterre
2.2.2 Des soins dans la communauté aux Etats-Unis
2.2.2.1 Le community care aux Etats-Unis
2.2.2.2 L’« ACT », un modèle de case management
2.2.3 La psychothérapie institutionnelle et le secteur français
2.2.3.1 La psychothérapie institutionnelle, cadre du modèle de secteur
2.2.3.2 Le secteur français
2.3. De la décentralisation à des espaces et soins en réseau
2.3.1 Intervention précoce
2.4. L’évolution des espaces et des visions de soins en bref
3. Un couple de concepts : normes et formes
3.1. Une approche interdisciplinaire
3.2. Des normes et des formes pour réguler une population spécifique
3.3. Le rôle prépondérant des experts
3.4. Logique de production des normes et formes
3.5. Des normes et des formes en constante mutation
3.6. Caractérisation des paysages de soins
4. Mise en situation : notre cas d’étude
4.1. La Suisse : une organisation cantonale
4.2. Le canton de Vaud et son secteur Centre
4.3. Le programme TIPP en quelques mots
5. Question de recherche et axes d’analyse
TROISIEME PARTIE  :METHODOLOGIE
6. Méthodologie 
6.1. Une approche qualitative
6.2. Méthodes de récolte des données
6.2.1 Recherche documentaire et travail d’archive
6.2.2 Entretiens semis-directifs
6.2.2.1 Panel des répondants
6.2.2.2 Limites de ce panel
6.2.3 Discussions informelles avec des experts du projet FNS
6.2.4 Utilisation d’un système d’information géographique (SIG)
6.3. Analyse des données
6.4. Limites de la méthodologie
QUATRIEME PARTIE :ANALYSE
7. Analyse des données
7.1. Axe I : un paysage en mutation
7.1.1 Le pôle asilaire
7.1.1.1 Cery : un pôle unique pour tout le canton de Vaud
7.1.1.2 Les prémices d’un changement de modèle
7.1.2 La décentralisation des soins
7.1.2.1 Les secteurs vaudois
7.1.2.2 Intégration à l’échelle d’une ville
7.1.2.2.1 Un modèle hospitalo-ambulatoire avant tout
7.1.2.2.2 Des hôpitaux « à temps partiel »
7.1.2.2.3 Des espaces de soins intermédiaires pour compléter le dispositif
7.1.2.2.4 L’Institut Maïeutique : une alternative à l’asile « à part »
7.1.2.3 Le paysage de soins de la désinstitutionnalisation lausannoise
7.1.2.4 Les prémices du réseau
7.1.3 Un réseau de soins
7.1.3.1 Contexte et point de rupture
7.1.3.2 La psychiatrie mobile ou l’espace de soins dématérialisé
7.1.3.3 Le programme TIPP ou la mise en réseau des espaces et des partenaires
7.1.3.3.1 Un programme préventif en soi
7.1.3.3.2 Une spatialité mixte : entre espaces fixes et espaces mobiles
7.1.3.3.3 Le case manager TIPP : partenaire et coordinateur central
7.1.3.4 D’autres modèles similaires d’intégration dans le réseau
7.1.3.5 Paysage de soins en réseau : ses visions et espaces de soins
7.1.4 Conclusion
7.2. Axe II : le programme TIPP, une vision complexe et plurielle des soins de santé mentale
7.2.1 Les espaces de soins actuels
7.2.1.1 Liste des espaces établie
7.2.1.1.1 Commentaires complémentaires
7.2.2 Le paysage de santé mentale lausannois actuel
7.2.2.1 Restes du secteur et évolution
7.2.2.2 Un ensemble aujourd’hui en réseau
7.2.2.3 Le programme TIPP : incarnation du réseau
7.2.2.3.1 Mise en réseau de visions de soins différentes
7.2.2.3.2 Un lien particulier à l’Institut Maïeutique
7.2.3 Conclusion
CINQUIÈME PARTIE :CONCLUSION
8. Conclusion
SIXIÈME PARTIE :BIBLIOGRAPHIE
9. Bibliographie

Les espaces de soins dans la psychiatrieTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *