Les erreurs de priorisation en aéronautique

Les erreurs de priorisation en aéronautique

L’erreur humaine en aéronautique

La plus grande part des accidents survenus dans le domaine du transport aérien est aujourd’hui attribuée à l’erreur humaine – principalement celle des pilotes et, plus occasionnellement, celle des opérateurs de maintenance ou des contrôleurs. Malgré une diminution continue du nombre d’accidents mortels, recensés durant ces dernières décennies, on estime que plus de la moitié des accidents impliquent principalement une erreur humaine (Figure 1.1). Par exemple, entre 1996 et 2005, 55 % des accidents mortels qui ont été recensés dans l’aviation commerciale, ont été attribués à l’équipage de bord (Boeing Airplane Safety, 2006). Ce taux est encore plus élevé lorsque l’on considère l’aviation générale, regroupant les vols privés et commerciaux. Par exemple, aux États-Unis, en 2006, 79 % des accidents mortels, survenus dans le domaine de l’aviation générale, ont été attribués à des erreurs de pilotage (Krey, 2007). Pour autant, le transport aérien demeure le moyen de transport le plus sûr. En effet, le risque moyen de périr lors d’un vol commercial est de 1/12 500 000, soit 65 fois moins que l’est celui de perdre la vie à bord de sa voiture, pour des distances de parcours équivalentes (Sivak et Flannagan,2003). Autrement dit, alors même que la sécurité aérienne atteint des sommets – uniques dans l’histoire de l’industrie –, la contribution de l’erreur humaine à ces risques semble ne pas diminuer, au point même d’apparaître comme une donnée incompressible. Au-delà des risques humains, la prévention des incidents/accidents comporte un enjeu financier considérable. Il n’existe pas, à ce jour, d’étude systématique évaluant le coût financier de l’erreur humaine. Néanmoins, certains exemples sont éloquents. Ainsi, on estime que 92 % des collisions au sol, entre avions et véhicules de sol, sont attribuables à des erreurs de la part des opérateurs, et que ces collisions représentent un coût annuel total de 10 milliards de dollars, pour les compagnies aériennes (Lacagnina, 2007). En outre, le domaine aérien est en pleine expansion. Le volume du transport aérien s’accroît régulièrement, et devrait même doubler lors des deux prochaines décennies (Dismukes, 2017). Cette évolution devrait s’accompagner d’une densification du trafic, tant au sol que dans les airs, et donc d’une augmentation des probabilités de collisions. Par ailleurs, et contrairement à un raisonnement intuitif, cette augmentation ne devrait pas être proportionnelle (c.-à-d. deux fois plus de risques pour deux fois plus de trafic), mais plutôt exponentielle à celle du trafic.

Qu’est-ce qu’une erreur humaine ? 

Mais avant de poursuivre, il convient de préciser ce que nous entendons par «erreur». Ces dernières années, un consensus très fort a émergé dans la communauté des Facteurs Humains, selon laquelle les erreurs commises par des opérateurs qualifiés, tels que des pilotes professionnels, des contrôleurs ou des mécaniciens, ne doivent pas être considérées comme des causes premières, mais plutôt comme symptômes (1) des défauts et limitations inhérents aux systèmes sociotechniques dans lesquels ils travaillent, et (2) des compromis qu’ils doivent réaliser entre sécurité et production des systèmes (Amalberti, 1996; Rasmussen et al., 1990; Reason, 1990; Woods et al., 1994). En d’autres termes, c’est l’ensemble des propriétés du système qui concourent à en préserver la sécurité : non seulement le comportement des opérateurs, mais aussi les influences organisationnelles ou les conditions environnementales qui pèsent sur leur activité. Cette conception de l’erreur est très bien illustrée par le modèle de Reason (1990, Figure 1.2), qui avance que tout accident provient, en fait, d’une conjonction de vulnérabilités (des différents niveaux du système), qui deviennent effectives simultanément.

L’émergence des erreurs de priorisation

Pour améliorer la sécurité des vols, et répondre à la densification du trafic que nous avons évoquée, l’industrie a depuis une cinquantaine d’années développé de nouvelles technologies d’aide et d’assistance, qui ont métamorphosé le cockpit. De nouveaux dispositifs ont fait progressivement leur apparition, parmi lesquels le pilote automatique (autopilot), l’automanette (auto-throttle), des systèmes pour favoriser l’anti-collision (CDTI), les communications (Datalink), la gestion générale du vol (FMS) ou encore le diagnostic de pannes (ECAM). Ces nouveaux dispositifs, s’ils se sont accompagnés d’une réduction drastique du nombre d’accidents/incidents aériens (Liu, 1997), ont en même temps profondément modifié les rôles et fonctions des opérateurs humains, et de nouveaux types d’erreur humaine sont apparus. En particulier, compte tenu de l’augmentation du nombre de systèmes de contrôle à bord, les processus de gestion des tâches et d’allocation des ressources attentionnelles sont devenus centraux (Chou et al., 1996; Shappell et Wiegmann, 2000). Dans un rapport de 2014, la Flight Safety Foundation reconnaissait que les phénomènes de surveillance étaient impliqués dans un nombre important d’accidents aériens. Le crash du Colgan Air Flight 3407, survenue en 2009, et ayant amené la mort de 49 personnes, en est un exemple tragique. Dans son rapport, le National Transportation Safety Board (2010) relevait « un échec de l’équipage à surveiller la vitesse de l’appareil, en relation avec l’apparition d’un indicateur de faible-vitesse ». Parmi les facteurs qui ont été identifiés comme pouvant contribuer à une surveillance inappropriée des systèmes, certains auteurs ont avancé des erreurs de priorisation (Jonsson et Ricks, 1995; Wilson, 1998). En général, on parle d’erreur de priorisation lorsqu’une tâche à faible priorité se voit allouer une quantité substantielle de ressources, au détriment d’une tâche à priorité élevée. Par exemple, dans le domaine du pilotage, il existe une règle simple de priorisation, que tout pilote novice doit apprendre : il s’agit de la règle ANCS (pour Aviate > Navigate > Communicate > Manage Systems). Cette règle simple spécifie une hiérarchie à visée normative, selon laquelle toute tâche appartenant à une catégorie (p.ex., piloter) doit avoir la priorité sur les tâches de catégorie inférieure (p.ex., communiquer). Par exemple, il tombe sous le sens que le maintien de l’avion dans les airs (Aviate) comporte une priorité plus grande que son orientation (Navigate). Cette règle est très bien connue des pilotes. Toutefois, comme le relèvent Colvin et al. (2005) et Funk (1991), nombreux sont les cas d’accidents ou d’incidents, où ce schéma n’est pas respecté.

Exemple d’incident lié à une erreur de priorisation. L’incident d’un Learjet 40, Stockholm (2008) 

La description de l’incident s’appuie sur un rapport publié en 2010 par Rosvall et Karlsson, membres du SHK (Statens haverikommission), le bureau d’investigation des accidents aériens Suédois.

Le vol auquel nous nous intéressons ici était un vol purement logistique entre Paris et Stockholm : il n’y avait pas de passagers à bord. Au moment de l’incident, le vol était guidé par radar et allait entreprendre une approche ILS de l’aéroport de Bromma (Stockholm). Le co-pilote était le PF (Pilot Flying) et manœuvrait par le biais du pilote automatique (ci-après PA), conformément aux instructions données par le contrôle aérien. Lorsqu’un nouveau cap – de 330° à gauche – a été donné, le PF a entré la nouvelle valeur de cap dans le PA. Toutefois, dans les faits, l’avion n’a pas changé de cap. Dans le même temps, l’équipage a été autorisé à débuter l’approche ILS et le mode d’atterrissage automatique (APPR) était actif. Les deux pilotes se sont alors affairés à la préparation de l’atterrissage (checklist). Lorsqu’ils ont réalisé qu’ils traversaient le circuit d’approche, le PNF (Pilot Not Flying ; ici le commandant de bord), a repris le contrôle de l’appareil, désactivé le PA, et réalisé un virage abrupt à gauche, pour rejoindre le bon circuit. Pendant cette manœuvre, l’avion a entamé une descente très prononcée et involontaire. Deux antennes se trouvaient non loin, à une altitude de 1171 pieds, tandis qu’à son niveau le plus bas, l’avion avait atteint une altitude de 650 pieds. L’ATC a commencé à transmettre des avertissements à l’équipage, assortis d’un nouveau cap à suivre, et de l’ordre de remonter immédiatement – ce que les pilotes ont confirmé oralement. Malgré cela, l’avion continuait de descendre et l’alarme de proximité avec le sol (GPWS pour Ground Proximity Warning System) s’est alors déclenchée, menant le PNF à prendre informellement (sans utiliser la phraséologie standard) le contrôle du vol, et à initier un go-around vers la gauche. Après un retour à 2500 pieds, la procédure a pu recommencer, sans encombre jusqu’à l’atterrissage.

Le rapport a fait ressortir, dans ses conclusions « une erreur de priorisation et de répartition de la charge de travail entre les deux pilotes » (p.23). En particulier, le rapport a pointé que les pilotes, occupés à des procédures de préparation de l’atterrissage, n’ont pas pris le temps de vérifier le comportement de l’appareil après le changement (théorique) de cap. Or, le PA était en mode basique – ce que les deux pilotes n’avaient pas remarqué ; le cap était donc verrouillé, ce qui expliquait le comportement de l’avion. Pour finir, notons que le rapport a aussi pointé un manque potentiel de « programmes d’entraînement des pilotes à la compréhension et la gestion du PA et du FMS » (p.24), comme facteur pouvant expliquer ce défaut de priorisation.

Les différents visages de l’erreur de priorisation

L’exemple précédent illustre à la fois le rôle central de la priorisation dans la bonne tenue d’un système aussi complexe que le cockpit, mais aussi l’intrication manifeste entre la priorisation humaine et certaines des conséquences de l’interaction homme automatisme. En effet, dans le cas du Learjet 40, le défaut de priorisation peut se voir rapproché d’un phénomène de complaisance envers les automatismes (complacency ; Parasuraman et al., 1993; Wiener, 1981), puisque c’est bien un manque de surveillance de ces derniers qui a été mis en cause. Mais il n’y a pas que la complaisance qui puisse menacer la priorisation. D’autres phénomènes, tels que la tunnélisation attentionnelle, la persévération, la surdité inattentionnelle, ou encore l’entropie visuelle, peuvent, en fait, se voir interprétés en termes de priorisation. Ainsi, après avoir défini succinctement tous ces phénomènes, nous montrerons que tous ont, en commun, un défaut de priorisation.

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Table des matières

INTRODUCTION
1 Les erreurs de priorisation en aéronautique
1 L’erreur humaine en aéronautique
1.1 Qu’est-ce qu’une erreur humaine ?
1.2 L’émergence des erreurs de priorisation
2 Les exigences cognitives des systèmes dynamiques
2.1 Situation dynamique et dédoublement du contrôle cognitif
2.2 Le contrôle des ressources en situation multitâche
3 Conclusion
2 La performance humaine en situation multitâche
1 Les limites architecturales de l’opérateur humain
1.1 L’hypothèse d’un canal unique
1.2 La théorie d’une ressource unitaire
1.3 La théorie des ressources multiples
1.4 Les modèles computationnels de la performance multitâche
2 Le contrôle en situation multitâche
2.1 Mises en évidence du contrôle
2.2 Unité et diversité du contrôle
3 La priorisation comme dimension évaluative du contrôle
4 Conclusion
3 Les fondements de la priorisation
1 La priorisation comme réponse adaptative à la simultanéité
2 Les manifestations empiriques de la priorisation
2.1 Priorisation et planification des tâches
2.2 Priorisation et allocation des ressources
3 Les modèles de la priorisation
3.1 La priorité attentionnelle des stimuli
3.2 La priorité des stratégies computationnelles
3.3 Des attributs des tâches à leur priorité
3.4 Un mécanisme métacognitif ?
4 Conclusion
4 L’oculométrie pour l’étude de la priorisation
1 L’essor des mesures neurophysiologiques
2 Le regard et l’attention
3 Les mesures oculométriques
3.1 Les quatre mouvements de l’œil
3.2 Les saccades et les fixations
3.3 Analyses sémantiques des mouvements oculaires
3.4 Analyses non-sémantiques des mouvements oculaires
4 Des usages de l’oculométrie dans le cockpit
4.1 Études du comportement oculaire nominal
4.2 L’allocation des ressources dans le cockpit automatisé
4.3 Étude des situations de pilotage dégradé
5 Conclusion
5 Problématique
CONCLUSION

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