Indépendamment de son utilisation par l’Homme depuis plus de 2000 ans, le champ magnétique terrestre est d’une aide précieuse à plusieurs espèces animales pour se repérer, et la vie sur Terre serait sans doute beaucoup plus difficile sans la présence de ce champ qui la protège des effets néfastes du Soleil. Si on sait (ou soupçonne) depuis déjà longtemps que le champ magnétique est créé par les mouvements internes de la Terre, le phénomène reste difficile à prévoir et expliquer. En effet, les premiers modèles ayant tenté d’expliquer le phénomène, s’ils avaient été réalistes, auraient abouti à la disparition rapide du champ magnétique terrestre, ce qui n’est évidemment pas le cas !
On parle d’effet dynamo lorsqu’un fluide conducteur en mouvement engendre une croissance du champ magnétique malgré les effets résistifs lui faisant perdre de l’énergie. C’est par exemple le cas du fer liquide dans le noyau terrestre. Ce champ modifie en retour le mouvement du fluide (saturation non-linéaire), ce qui crée une interaction entre le champ de vitesse du fluide et le champ magnétique. Une telle interaction est loin d’être triviale et les mécanismes de génération d’un champ magnétique stable sont encore mal compris.
La Terre, et plus généralement les planètes, ne sont pas les seuls corps célestes concernés par l’existence d’un champ magnétique : on trouve aussi des champs magnétiques émanant des étoiles ou des galaxies. On sait maintenant mettre en équations la génération de ces champs magnétiques. On a également reproduit à l’échelle de laboratoire certains phénomènes que l’on observe dans les corps célestes, par exemple les inversions (irrégulières, en moyenne toutes les centaines de milliers d’années pour la Terre, ou de manière plus régulière tous les onze ans pour le Soleil) du pôle Nord et du pôle Sud magnétiques. Cependant, simuler numériquement ce qui se passe dans une planète, ou dans une étoile, reste encore hors de portée des ressources informatiques actuelles. En effet, dans les étoiles, le nombre de Reynolds magnétique, paramètre décrivant l’importance du terme advectif (temps caractéristique de déplacement du fluide) par rapport à celui du terme diffusif dans le fluide conducteur au cœur des étoiles, est de l’ordre de 10¹⁰, bien au delà de ce qui est atteignable avec des simulations numériques ou même des expériences, qui dépassent difficilement 10⁴ – plus le paramètre est grand, plus la complexité dans le calcul augmente. Un autre enjeu associé à ces valeurs extrêmes des nombres de Reynolds magnétiques concerne ce qu’on appelle les dynamos “rapides”, c’est-à-dire amplifiant le champ sur le temps advectif. En effet, si l’on est capable actuellement de trouver des exemples numériques et expérimentaux de dynamos, la plupart des croissances observées se font sur le temps caractéristique diffusif du système. Pour les étoiles, ce temps magnétique est de l’ordre de l’âge de l’Univers, ce qui n’est évidemment pas en accord avec les observations. Une meilleure compréhension de la magnétohydrodynamique répondrait également à un enjeu de vie quotidienne. Le premier est la perspective d’un moteur à propulsion n’utilisant pas de pièces solides, et permettant ainsi d’éviter l’usure des matériaux. L’utilisation comme générateur de courant permettrait aussi de profiter de températures beaucoup plus élevées que celles autorisées par l’utilisation de pièces solides. En médecine, le guidage précis de médicaments dans le corps des patients pourrait aussi faire partie des applications possibles de la magnétohydrodynamique.
Conditions aux limites et géométrie
Si l’espace dans lequel nous vivons peut être assimilé à R3 (au moins dans une bonne approximation), l’étude dans cet espace n’est pas aisé, aussi bien d’un point de vue numérique que mathématique, car non borné. Plusieurs aménagements sont possibles, en utilisant par exemple la géométrie des objets que l’on veut considérer (par exemple en profitant de la géométrie sphérique pour les planètes et étoiles). Dans cette thèse, on s’intéressera spécifiquement à des domaines périodiques de la forme T3 ou R/T1Z × R/T2Z × R/T3Z, du point de vue numérique et mathématique. Si cette configuration a l’inconvénient de ne pas avoir d’application directe d’un point de vue physique, elle a cependant deux avantages :
– La configuration périodique a l’avantage d’avoir des conditions aux limites “simples” à exprimer, et de correspondre à un domaine borné, ce qui rend l’étude beaucoup plus abordable d’un point de vue mathématique (et numérique !).
– Les résultats obtenus en configuration périodique sont en pratique assez proches de ceux obtenus en géométrie sphérique : bien souvent des résultats démontrés dans le cas périodique sont adaptables aux cas sphériques. En revanche, un peu d’attention doit être portée au fait qu’un champ magnétique uniforme est une solution stationnaire dans cette configuration, avec une énergie finie (contrairement au cas R3 où l’énergie est infinie et cette solution est donc physiquement non valide).
Ainsi, ces deux théorèmes suggèrent que la représentation du champ magnétique telle qu’on l’imagine dans la Terre est doublement fausse :
– Le champ magnétique ne peut pas être à symétrie axiale (cf. Figure 1.1) comme pour un aimant classique.
– Le noyau liquide de la Terre ne peut pas avoir un simple mouvement de rotation autour de l’axe Nord-Sud. Ainsi, ces deux théorèmes suggèrent que le mouvement du noyau des planètes (ou au centre des étoiles) est beaucoup plus complexe qu’un simple mouvement de rotation, et que le champ magnétique est beaucoup moins régulier qu’on ne le penserait au premier abord. D’un point de vue plus expérimental, on a expliqué par exemple que les taches visibles au télescope à proximité de l’équateur sur Jupiter sont dues à la forte variabilité spatiale du champ magnétique dans cette zone, avec beaucoup plus d’effets sur une planète gazeuse que sur une planète tellurique comme la Terre.
Un mécanisme dynamo : l’effet alpha
Pour compenser les résultats négatifs, des mécanismes permettant un effet dynamo ont été cherchés, de façon théorique et expérimentale. Le plus connu de ces mécanismes est l’“effet alpha”, qui a été introduit initialement par Parker en 1955 [Par55].
L’effet alpha
L’effet alpha est un effet dynamo basé sur une séparation d’échelles spatiales. Le champ fluctue à l’échelle spatiale du fluide (“échelle courte”). Les fluctuations du champ et du fluide interagissent ensuite à plus grande échelle, créant la croissance. L’interaction des fluctuations est permise par la présence du terme non linéaire dans l’équation d’induction, u × B (terme appelé force électromotrice, en référence à la génération de courant dans une boucle conductrice à travers laquelle passe un champ B variable, et origine du terme en question), qui doit compenser la diffusion du champ magnétique (due au laplacien). Cet effet fera l’objet de façon théorique de la première partie de cette thèse. Cet effet de champ moyen a été observé expérimentalement en 2001 par Stieglitz [SM01], en utilisant un écoulement de sodium liquide ressemblant à celui de G.O. Roberts [Rob72], et en mesurant la force électromotrice générée. De nombreux exemples numériques d’écoulements ont également été donnés, mettant en évidence l’effet alpha. L’étude faite dans cette thèse donne un résultat générique d’existence de dynamo grâce à l’effet alpha.
Les écoulements intégrables
Un écoulement est dit intégrable s’il est intégrable au sens de Liouville, c’est-à-dire “qu’il possède suffisamment (3) de constantes du mouvement indépendantes”. Dans le cas d’un écoulement d’Euler, une des constantes du mouvement d’une particule est son énergie. En pratique, un écoulement est intégrable dès lors qu’on peut exprimer la trajectoire d’une particule en fonction du temps pour n’importe quelle position initiale, et il est chaotique sinon. Les résultats donnés précédemment impliquent qu’un écoulement intégrable ne donnera pas une dynamo rapide, c’est-à-dire qu’un écoulement pour lequel les trajectoires sont connues ne pourra pas créer un effet dynamo rapide (ce qui ne l’empêche pas d’être tout de même une dynamo).
Écoulement dynamo rapide non stationnaire
Grâce au résultat de Vishik sur les dynamos rapides, on a pu imaginer des écoulements dépendant du temps qui satisfont la condition de divergence exponentielle des lignes de champ à l’infini, et ainsi trouver des prototypes de dynamo rapide. Ces écoulements, périodiques en temps, utilisent de façon appropriée le mécanisme de chaos lagrangien : L’idée est que le champ magnétique augmente de façon significative sur une période de l’écoulement et se retrouve ensuite à la position où il était initialement. Plus précisément, on cherche à ce que le flux à travers une surface donnée soit multiplié par un facteur λ > 1 à la fin de la période. Le problème dans le cas d’une dynamo nonidéale est d’éviter l’amortissement du champ par diffusion magnétique : cette diffusion est en particulier forte lorsque le champ magnétique est cisaillé par l’écoulement.
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Table des matières
1 Introduction
1.1 Les équations de la magnétohydrodynamique (MHD)
1.1.1 L’équation d’induction
1.1.2 L’équation de Navier-Stokes
1.1.3 Adimensionnement, système complet
1.1.4 Conditions aux limites et géométrie
1.2 Les théorèmes anti-dynamo
1.3 Un mécanisme dynamo : l’effet alpha
1.3.1 L’effet alpha
1.3.2 Saturation de la dynamo
1.4 Les dynamos rapides
1.4.1 Explication physique
1.4.2 Formulation mathématique
1.4.3 Condition nécessaire pour une dynamo rapide
1.4.4 Écoulement dynamo rapide non stationnaire
1.5 Méthodes numériques
1.5.1 Schémas spectraux
1.5.2 Schémas spatiaux
1.6 Présentation des travaux réalisés pendant la thèse
1.6.1 Étude théorique
1.6.2 Étude numérique
I Théorie : Instabilités dynamos à différents régimes de Reynolds magnétiques
2 Instability of the forced magnetohydrodynamics system at moderate Reynolds number
2.1 Introduction
2.2 Linear instability
2.2.1 Linearized equation
2.2.2 Study of the first term in the development
2.2.3 Simplification of the equation
2.2.4 Case ε = 0
2.2.5 Study of the matrix α
2.2.6 Conclusion to the linear case
2.3 Nonlinear instability
2.3.1 Proof of the nonlinear instability
2.3.2 Estimation of the growing time
3 Instability of the magnetohydrodynamics system at vanishing Reynolds number
3.1 The induction equation
3.2 Case ε = 0
3.2.1 An eigenvalue problem
3.3 Existence of growing mode for ε > 0
3.4 Implicit function theorem
3.5 Nonlinear instability
3.5.1 Proof of the nonlinear instability
II Calcul numérique : Étude de dynamo rapide
4 Revisiting the ABC flow dynamo
4.1 Introduction
4.2 Numerical method
4.3 Modes crossing
4.4 Oscillatory dynamics
4.5 Eigenvalues coalescence
4.6 Asymptotic behaviour
4.7 Conclusion
5 Écoulement ABC pulsé
5.1 Comparaison entre l’écoulement pulsé et l’écoulement non-pulsé
5.2 Poches d’instabilités
5.2.1 Équation de Mathieu
5.2.2 Équation d’induction
5.3 Coupure en epsilon
Perspectives et conclusion
Bibliographie