Les épiclèses de Zeus. Inventaire raisonné

En dépit de l’attention assidue qu’y ont consacrée des générations d’historiens, la question de l’intelligibilité du polythéisme hellénique se pose avec une acuité tenace, aujourd’hui encore. Il y a quelques années, dans un mouvement synchrone probablement involontaire, P. Brulé et R. Parker y apportaient en effet des réponses opposées . Il faut sans doute voir dans cette simultanéité le révélateur du moment historiographique que les études consacrées à la « religion grecque » traversent actuellement : celui-ci se caractérise notamment par une complexification, ainsi que par une incertitude du positionnement des chercheurs contemporains vis-à-vis de l’héritage des grands travaux engagés lors des décennies précédentes – notamment ceux de l’École de Paris, grâce auxquels on pensait avoir trouvé la clé. La statue n’est pas à terre, mais quelques boulons ont déjà été ôtés. Reste que l’on y voit toujours plus clairement, et plus loin, en s’y hissant, quitte à ne pas regarder dans la même direction. Plus concrètement, il y a sans doute davantage à perdre qu’à gagner en s’inscrivant dans une approche unique – qu’elle soit structuraliste, anthropologique, philologique, évolutionniste – ou en cherchant à établir un nouveau paradigme (y en a-t-il seulement en Histoire?) ; mieux vaut sans doute tenter de multiplier les grilles de lectures  et sedemander, face à chaque problème abordé, lesquelles sont les plus appropriéeset donnent lesmeilleurs résultats. C’est avec cet état d’esprit que je mepropose d’apporter cette modeste contribution à l’étude du polythéisme hellénique.

Définitions

Bien que celles de Zeus seront analysées individuellement et que l’étude de leur fonctionnement sera sous-jacent, les épiclèses ne constitueront pas à proprement parler l’objet de cette enquête, mais plutôt son vecteur, l’objectif étant, à terme, de faire la lumière sur le dieu et, in fine, sur le polythéisme athénien. Néanmoins, pour la bonne intelligibilité du propos qui suivra, on ne peut faire l’impasse sur quelques définitions : on précisera donc brièvement ce que l’on entend par épiclèse ; autrement dit, on explicitera les critères permettant de discriminer le matériau qui sera traité dans cette étude de celui qui en sera exclu .

Il est d’autant plus justifié d’envisager les épiclèses comme un phénomène à part entière qu’il a été déjà appréhendé comme tel par les Anciens eux-mêmes. Les listes d’épithètes que l’on retrouve chez des rhéteurs ou dans des lexiques, qui sont certes des compositions savantes détachées de panthéons « réels », reflètent assez bien cet état de fait. Toutefois, on n’a conservé que de très maigres fragments de la littérature exégétique antique ; et bien que l’on trouve parfois des remarques théoriques ponctuelles sur les différentes catégories d’appellations divines , on n’a sans doute que peu à gagner à se lancer dans une démarche taxinomiste qui tenterait d’exploiter les différences entre epônumiai et epiklèseis, qui sont du reste surtout chronologiques (si l’on schématise, on trouve ces deux termes respectivement employés dans la littérature d’époque classique et chez Pausanias) : les deux termes peuvent en effet être employés indifféremment pour désigner tout type de dénomination divine. Surtout, les épiclèses apparaissent le plus souvent dans les sources de façon directe, sans tambour ni trompette, sauf parfois dans l’œuvre du Périégète qui est coutumier de formules du type « telle est l’épiclèse du dieu… ». C’est donc le contexte dans lequel elle est énoncée qui permet de déterminer la portée cultuelle d’une épithète, autrement dit de la définir comme épiclèse.

Les épiclèses athéniennes de Zeus

La première finalité des pages qui suivent consiste à dresser un inventaire complet des épiclèses athéniennes de Zeus, autrement dit à répertorier l’ensemble de leurs attestations en Attique, depuis la période archaïque jusqu’au Haut-Empire. Cette entreprise trouve sa légitimité dans son intérêt documentaire ; elle constitue surtout le socle nécessaire à une étude synthétique de la figure jovienne à travers ses épiclèses athéniennes, qui fera l’objet d’un bilan à l’issue de cette étude. Par conséquent, l’objectif de cette entreprise sera double. On s’efforcera tout d’abord de délimiter le cadre de vie de chaque épiclèse, autrement dit l’amplitude chronologique et spatiale de ses attestations. À travers l’examen de ces dernières et donc des contextes d’énonciation des différentes épiclèses, on tentera de déterminer le sens à donner à chacune d’entre elles, qui n’est pas pas toujours, et le plus souvent pas totalement, ou imparfaitement, recouvert par sa signification littérale. Autrement dit, on s’interrogera sur les facteurs contextuels (temps, espace, profil sociopolitique des fidèles, contexte d’énonciation) permettant d’expliquer le choix de telle dénomination pour mobiliser telle part du divin. On l’a dit en introduction, Zeus est le dieu qui a été le plus abondamment épiclésé par les

Athéniens, et, très probablement, le plus tôt. Depuis les dédicaces qui lui ont été adressées aux VIIIe-VIIe s. sur les sommets du Parnès et de l’Hymette jusqu’aux inscriptions du IIIe s. ap. J.-C, on dénombre en effet 51 épiclèses associées à son nom , auxquelles il faut ajouter 6 cas incertains ou ambigus (« cas limites »). La question se pose donc de savoir si Zeus, en ce qu’il était mobilisé par les dénominations les plus variées, les plus nombreuses, n’était pas le dieu qui intervenait le plus souvent dans la vie des habitants de l’Attique, ou du moins à des occasions plus nombreuses et dans des contextes plus divers que les autres. Par conséquent, c’est aussi le problème de la cohérence de cette figure divine, au-delà de ses multiples hypostases – certaines importantes (sans jamais lui conférer la position d’un dieu tutélaire), d’autres plus modestes – que l’on s’efforcera, in fine, de résoudre.

On pourra s’étonner de l’apparente absence de cohérence de cet inventaire : les épiclèses n’y sont classées selon aucune logique systématique, possiblement chronologique, spatiale, thématique, numérique (par importance en termes d’occurrences dans les sources), typologique, ou même alphabétique (en l’espèce peu utile). En effet, les sources sur lesquelles il se fonde interdisent de traiter certaines épiclèses séparément et impliquent donc de les étudier par « dossiers », dont la cohérence peut être tantôt documentaire, tantôt géographique, tantôt chronologique, tantôt thématique, ces différentes logiques pouvant aussi se combiner. Après un aperçu des épithètes à écarter de l’inventaire, un point typologique en amont permettra cependant d’atténuer cet apparent désordre. Le bilan qui suivra cet inventaire permettra de remédier à cet inconvénient.

Épithètes à écarter, épiclèses fantômes et cas limites

Épithètes écartées de l’étude

Avant de dresser l’inventaire des épiclèses de Zeus en Attique, il convient de faire le point sur les dénominations qui ne peuvent être retenues dans le cadre de cette étude. Doivent évidemment en être écartées les épithètes poétiques, i.e. qui ne sont attestées que dans les textes versifiés et dont l’emploi s’explique essentiellement par des motivations esthétiques et non cultuelles. On pense ici notamment à aigiochos ou à euruopa, d’inspiration homérique, qui agrémentent lesdédicaces archaïques de l’Acropole et encore les épigrammes funéraires au BasEmpire . Il faut sans doute ranger le megas des dédicaces métriques à Athéna dans la même catégorie : si l’épithète peut avoir valeur d’épiclèse pour d’autres dieux et dans d’autres contextes, et si elle peut dire quelque chose de la conception que les dédicants avaient de Zeus, elle tient surtout, elle aussi, du stéréotype poétique . Pour des raisons analogues, mais surtout parce que le seul texte qui le mentionne est rien moins qu’assuré, le Zeus archègetès (?) auquel on a peut-être dédié un kouros retrouvé au Sounion ne peut raisonnablement constituer un objet d’étude valide . Le Zeus anax auquel a été consacré un vase retrouvé dans le sanctuaire du mont Hymette n’est pas propre à la langue poétique : il est en effet pris à témoin chez le pseudo-Démosthène . Mais, comme le megistos présent en contexte analogue dans un autre plaidoyer du corpus démosthénien , l’absence de parallèle en contexte cultuel empêche de le tenir pour une épiclèse certaine.

Patrôios constitue un dernier cas de figure : les Tragiques mettent parfois en scène des sacrifices au dieu sous cette dénomination, mais dans un contexte qui doit être considéré comme fictif . En effet, dans le célèbre dialogue de l’Euthydème de Platon (ApoPat1), Socrate affirme que c’est Apollon, et non Zeus, que ses concitoyens appellent ainsi – ce que les autres sources confirment : en contexte cultuel « réel », l’épiclèse est toujours attribuée au fils, et non au père (ApoPat1-31 et Apo4a-b). Du point de vue des Athéniens, cette appellation était donc concevable pour Zeus, mais, de fait, elle ne semble jamais avoir été activée cultuellement.

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Table des matières

Introduction
Définitions
Les sources
Les épiclèses de Zeus. Inventaire raisonné
1. épithètes à écarter, épiclèses fantômes et cas limites
1.1. Épithètes écartées de l’étude
1.2. Épiclèses fantômes
1.3. Incerta et cas limites
1.3.1. Zeus Zeus Hellanios – Hellènios
1.3.2. Zeus Sounieus
1.3.3. : Zeus em Palladiôi – epi Palladiou
2. Typologie des épiclèses joviennes
2.1. Épiclèses toponymiques
2.1.1. Épiclèses dérivant de toponymes attiques : Zeus Hekaleios
2.1.1. Épiclèses dérivant de toponymes extra-attiques
2.2. Épiclèses topographiques
2.3. Épiclèses obscures : Zeus Anthaleus/ès
3. Zeus sur ses monts
3.1. Sur le Parnès
3.2. Sur l’Hymette
3.3. Les Zeus montagnards dans l’asty
3.4. D’autres Zeus montagnards en Attique ?
3.4.1. Zeus Anchesmios
3.4.2. Zeus Epôpetès
3.4.3. Zeus Hupatos
3.5. Zeus par monts et par vaux : essai de synthèse diachronique
3.5.1. À l’époque archaïque
3.5.2. Retour sur Zeus Hikesios
3.5.3. De l’époque classique au Haut-Empire
4. Zeus maître des mouvements météorologiques
4.1. Zeus faiseur de pluie et de sécheresse
4.1.1. Zeus Auantèr
4.1.2. Un Zeus Huetios en Attique ?
4.2. Zeus des vents et des tempêtes : Zeus Maimaktès
4.3. Zeus foudroyant
4.3.1. Zeus Kataibatès
4.3.2. Zeus Morios, double du Kataibatès
5. Zeus de la végétation et de l’agriculture
5.1. Zeus Mèlôsios
5.2. Zeus Geôrgos
6. Zeus préside aux relations sociales
6.1. Zeus Meilichios
6.1.1. Les cadres du culte : sanctuaires, fêtes et offrandes
6.1.1.1. Les Diasia à Agrai
6.1.1.2. Autres sanctuaires des abords de l’asty
6.1.1.3. Le sanctuaire du Pirée
6.1.1.4. Un sanctuaire de Zeus Meilichios dans l’asty ?
6.1.1.5. Autres offrandes et cérémonies
6.1.2. Acteurs et finalités du culte : Le Meilichios, un Zeus parmi d’autres ?
6.2. Zeus Philios
6.3. Zeus Hèraios et Teleios
6.4. Zeus Xenios
6.5. Chacun chez soi : Zeus Horios et Enchôrios
7. Zeus, de l’oikos à la cité
7.1. Zeus Ktèsios
7.2. Zeus Herkeios
7.3. Le Zeus des phratries
7.3.1. Zeus Phratrios, les phratries et les Apatouries
7.3.2. Un Zeus Apatourios aux Apatouries ?
7.3.3. Zeus Phratrios et Athéna (Phratria)
7.3.4. La dédicace Xénophôn de Myrrhinonte à Zeus Phratrios
7.5. Zeus Geleôn
8. Zeus politique, Zeus de la cité
8.1. Le Polieus est-il un Zeus politique ?
8.1.1. Préliminaires
8.1.2. Dipolies et Bouphonies
8.1.3. Le Polieus sur l’Acropole
8.1.4. Le Polieus en-dehors de l’Acropole
8.1.5. Le Polieus dans l’ombre de la Polias ?
8.2. Zeus au cœur de la vie politique
8.2.1. Zeus Agoraios
8.2.2. Zeus Boulaios
8.2.2.1. Zeus Boulaios seul
8.2.2.2. Zeus Boulaios avec Athéna Boulaia et/ou Hestia (Boulaia)
8.3. Zeus sauve Athènes: le Sôtèr et l’Eleutherios
8.3.1. Zeus Sôtèr et Zeus Eleutherios : le même et l’autre
8.3.2. Quand les Athéniens ont-ils sacrifié à Zeus Eleutherios ?
8.3.3. Quand Zeus Sôtèr est-il apparu à Athènes ?
8.3.4. Un culte important au IVe s
8.3.5. Un « moment » Zeus Sôtèr à l’époque de Lycurgue ?
8.3.6. À l’époque hellénistique : le Sôtèr tous azimuts
8.3.7. Zeus Sôtèr en retrait à l’époque romaine ?
8.3.8. Zeus Sôtèr est ici présent
8.4. Zeus Tropaios
9. Zeus souverain
9.1. Zeus Olumpios
9.1.1. Préliminaires
9.1.2. De Pisitrate à l’époque hellénistique
9.1.3. Zeus Olumpios et Panellènios sous l’impulsion d’Hadrien : et après ?
9.2. Zeus Moiragetès
9.3. Zeus Basileus
9.4. Zeus Pankratès
9.5. Zeus toujours plus haut ? L’Hupsistos
10. Zeus ailleurs – Zeus d’ailleurs
10.1. Les Zeus « étrangers » des Athéniens : Kènaios, Nemeios, Naios
10.2. Zeus « étrangers », Zeus des étrangers ? Labraundos, Stratios, Kasios
10.3. Un cas singulier ? Le Zeus Karios
Bilan. Le Zeus Athénien et ses épiclèses
1. Fonctions et domaines d’intervention
2. Société et jeux d’échelle
2.1. Une sociologie impossible ?
2.2. Jeux d’échelle
3. Histoire
4. Logiques panthéoniques. Zeus et les autres
4.1. Athéna fille de son père ou Zeus père de sa fille ?
4.2. Zeus sans Athéna
Conclusion
Annexes

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