Les entreprises sociales : une étude sur leurs sources potentielles d’avantage compétitif à travers l’expérience touristique générée

Depuis plusieurs décennies, l’industrie du tourisme s’est révélée être l’un des secteurs économiques mondiaux dont la croissance exponentielle est la plus conséquente (World Tourism Organization (UNWTO), 2016b, p. 2). De plus en plus de régions considèrent désormais le tourisme comme un acteur majeur dans leur croissance économique et leur progrès sociaux (ibid., p.2). Ceci ayant pour effet un investissement accru dans ce secteur en développant, notamment, de nouvelles infrastructures et en contribuant à l’implantation de nouvelles entreprises touristiques qui créent, par la suite, des emplois supplémentaires pour la destination (ibid., p.3). Actuellement, le tourisme international représente environ 7% des exportations mondiales en biens et services et se positionne en troisième place dans le classement des secteurs d’exportations mondiaux (après les carburants et les produits chimiques) (ibid., p.2). Par ailleurs, dans certains pays en voie de développement, le tourisme représente le secteur d’exportation principal (ibid., p.2).

Même si le tourisme peut être un vecteur économique conséquent pour une destination, il peut aussi se révéler être une source d’impacts négatifs notamment dans l’exploitation abusive des ressources naturelles, des communautés locales et de leur culture (HigginsDesbiolles, 2006, p. 1195). La vision actuelle des entreprises traditionnelles, dont leur objectif premier est la maximisation du profit, est de plus en plus remise en question par certains économistes et analystes politiques en raison de leurs effets néfastes sur la société et leur environnement (UNWTO, 2016b, p. 17). Dans le Global Report on the Transformative Power of Tourism publié cette année par l’OMT (2016a, p.18), ce rapport encourage les entreprises touristiques à désormais repenser leur système de gestion et retrouver une nouvelle « raison d’être». L’OMT expose, par ailleurs, le besoin de passer d’un modèle économique, où le profit prédomine la raison de l’entreprise, à un modèle intégrant de façon synergique des objectifs sociétaux, environnementaux et économiques.

L’entrepreneuriat social émerge progressivement au sein des discussions politiques de même qu’en pratique (UNWTO, 2016b, p. 71). Ce nouveau modèle entrepreneurial représente une approche innovante pour les entreprises de se confronter aux problématiques sociales (Peredo & McLean, 2006, p. 56). Une entreprise sociale tente de pourvoir à un vide généré par l’incapacité du marché capitaliste de même que par les institutions publics et organisations non lucratives à réconcilier les démarches économiques avec des développements sociétaux et environnementaux durables (Beccheti & Borzaga, 2010, p. 5). Cette approche entrepreneuriale valorise la cohésion entre la création de valeur financière et sociétale d’une entreprise dans son environnement.

Depuis la crise financière de 2008, l’entreprenariat social est de plus en plus considéré comme un modèle de gestion alternatif, prenant en compte à la fois l’aspect économique mais aussi les impacts sociaux et environnementaux qu’une entreprise génère. L’entreprenariat social serait « une nouvelle approche innovatrice permettant de se confronter à des besoins sociaux complexes » (Peredo & McLean, 2006, p. 56) pas encore suffisamment appréhendé par les entreprises privées, les institutions publiques et les organisations à but non lucratif (Ormiston & Seymour, 2011, p. 125-126). Ce qui discerne fondamentalement une entreprise traditionnelle à but lucratif d’une entreprise sociale réside dans la primauté de leur stratégie (Depedri, 2010, p. 37). Une entreprise sociale, à travers ses activités économiques, tente d’atteindre des objectifs sociétaux et a pour motivation première de créer de la valeur sociale dans l’environnement dans lequel elle opère (Zur, 2014, p. 59). Au contraire, une entreprise traditionnelle a pour objectif central la maximisation du profit et la création de valeur économique et financière sur le marché (ibid., p.59).

Le tourisme s’est dernièrement présenté comme l’un des secteurs économiques mondiaux avec l’un des plus grands potentiels économiques grâce à son taux de croissance exponentiel continu et à une diversification plus intense de ses offres sur le marché (UNWTO, 2016b, p. 10). L’OMT prévoit une augmentation de 3.3% du nombre d’arrivées internationales de touristes (1.8 milliards d’arrivées en 2030) et d’un passage de 5 à 6 milliards de touristes domestiques d’ici 2016 (2016b, p. 3). Il est aussi prévu, d’ici 2026, que le secteur du tourisme génère un total de 1,35 milliards d’emplois, soit 4% des emplois totaux dans le monde (World Travel & Tourism Council, 2016, p. 1). Actuellement, le pourcentage d’emplois générés par le tourisme s’élève, entre autre, jusqu’à 83% aux Maldives, 34% en Jamaïque et 30% en Gambie (UNEP, 2016). Le tourisme peut être un levier économique important  dans certaines destinations étant donné qu’il est considéré comme l’un des plus grands secteurs d’exportation au monde. Outre ses bénéfices économiques, le tourisme peut aussi être un vecteur de valeur sociale, culturelle et environnementale (Higgins-Desbiolles, 2006, p. 1192).

Les entreprises sociales

Le manque d’accord au sein de la littérature sur une définition universellement acceptée des entreprises sociales a amené de nombreuses recherches à tenter de clarifier ce concept entrepreneurial (Peredo & McLean, 2006, p.56 ; Kerlin, 2010, p.5). Selon Kerlin, les entreprises sociales sont rarement assimilées et appréhendées comme un phénomène global (2010, p. 4). Leur conception peut varier d’une région géographique à une autre suivant leur contexte socio économique et la manière dont celles-ci s’y sont développées (ibid., p.4). Cette approche de Kerlin démontre la difficulté de délimiter les caractéristiques propres des entreprises sociales. En Europe, par exemple, les entreprises sociales sont considérées comme appartenant à l’économie sociale et solidaire (ESS) dont leur but principal est la création de bénéfice social au sein de la communauté dans laquelle elles opèrent.

Leur position par rapport aux trois secteurs économiques demeure cependant un point de divergence (Kerlin, 2006, p. 249). Nyssens (2006) explique que celles-ci font office de lien entre les secteurs public et privé (cité dans Marcionetti, 2016, p.11) alors que Borzaga et Tortia (2010, p. 26) les évaluent comme complémentaires à ces deux secteurs. Finalement, Ridley-Duff et Bull (2011) incluent le troisième secteur dans leur approche et positionnent les entreprises sociales entre ces trois secteurs économiques (cité dans Marcionetti, 2016, p.11). Elles s’imprègnent ainsi de certains éléments de ces secteurs afin de développer du capital social (ibid., p.11).

En revanche, le concept d’ESS n’existe pas aux Etats-Unis. En effet, les entreprises sociales sont perçues comme appartenant au secteur à but non lucratif et entreprennent des activités commerciales afin de répondre à leurs objectifs sociétaux (Kerlin, 2006, p. 249). Toutefois, les recherches en lien avec les entreprises sociales se rejoignent sur le fait que celles-ci sont une réaction à un système économique considéré comme en déclin ainsi que du manque d’interventions et de moyens des Etats dans le développement social, comme par exemple le domaine de la santé et de l’éducation (Austin et al., 2006, p. 3 ; Kerlin, 2010, p. 5 ; Depedri, 2010, p. 34 ; Ormiston & Seymour, 2011, p. 125). Ceci est notamment l’opinion de Borzaga et Beccheti: The emergence of social enterprises, however, has been prompted by the incapacity of the market-state model to reconcile economic development with social and environmental sustainability due to the limits both of the invisible hand and state institutions ridden by conflicts of interests, problems of misrepresentation, and lack of resources. (2010, p. 5) . Les manquements des entreprises traditionnelles et des Etats peuvent donc représenter une opportunité pour les entreprises sociales de s’établir sur le marché et d’être une nouvelle manière de répondre à des besoins sociaux complexes (Austin et al., 2006, p. 3 ; Peredo & McLean, 2006, p. 56). Comme le démontre le tableau 1, ci-dessous, récapitulant brièvement l’apparition des entreprises sociales dans diverses régions, l’essor de ces entreprises est souvent une conséquence de crises économiques, de plan de restructurations des Etats ou de changements de régime politique.

Dans un marché à la recherche de justice sociale et d’innovation au niveau de la stratégie des entreprises, les entrepreneurs sociaux sont de plus en plus assimilés à des acteurs permettant de résoudre les problèmes sociaux et environnementaux actuels (Ormiston & Seymour, 2011, p. 125). En effet, ces problèmes ne peuvent pas toujours être surmontés par les services publics, les organisations à but non lucratif ainsi que les programmes de responsabilité sociétale (RSE) des entreprises traditionnelles. Les entreprises sociales représentent une nouvelle approche entrepreneuriale pour subvenir aux vides provoqués dans certains secteurs sociétaux tout en étant à la recherche d’une prospérité économique durable (Ernst & Young, 2014, p. 2). En plus d’aborder des problématiques que les secteurs privé et public ne parviennent pas à résoudre tels que le chômage, l’isolation sociale et l’inégalité (Bull, 2008, p. 268), les entreprises sociales ont également un rôle à jouer dans le développement, à l’échelle locale, des conditions de vie de communautés défavorisées dans certaines régions (Weerawardena & Sullivan Mort, 2006, p. 22).

Caractéristiques des entreprises sociales

Afin d’appréhender ce concept complexe de manière synthétique et de déceler les caractéristiques communes parmi la littérature sur l’entrepreneuriat social, la suite de ce chapitre se basera sur le tableau en Annexe I. Ce tableau met en évidence les traits principaux des entreprises sociales abordés dans diverses sources (recherches scientifiques, programmes de recherche, rapport de ministères, Commission Européenne, etc.).

Les dimensions sociales et économiques 

La littérature sur les entreprises sociales s’accordent sur la primauté de la dimension sociale au sein de leur stratégie et de leurs activités économiques (Ormiston & Seymour, 2011, p. 127 ; Teasdale, 2011, p. 112). Comme l’explique Crivelli, Bracci et Aviles (2011), « la coexistence des deux dimensions économique et sociale est une condition nécessaire pour qu’une société soit considérée comme une entreprise sociale » (cité dans Marcionetti, 2016, p. 17). Une entreprise sociale souhaite donc répondre à des problématiques sociales et environnementales mais ne peut y arriver qu’à travers ses activités économiques. Il est primordial que la valeur sociale produite par l’entreprise soit au bénéfice des communautés locales ou d’un groupe spécifique de personnes, promouvant ainsi un sens de responsabilité sociétale à un degré local (Defourney & Nyssens, 2012, p. 14). Les définitions des entreprises sociales au sein de la littérature ne semblent pas placer de limite quant à l’importance qu’occupe l’activité économique au sein de leur stratégie. L’activité commerciale peut ainsi être au cœur du fonctionnement de l’entreprise sociale, tout comme être un facteur secondaire mis en place pour atteindre sa finalité sociale et assurer sa pérennité (Peattie & Morley, 2008, p. 8 ; Marcionetti, 2016, p. 17). Contrairement aux entreprises traditionnelles, qui basent leur stratégie sur le gain de profit, et les institutions publiques, financées par les Etats, les entreprises sociales dépendent de leurs membres et collaborateurs afin de déployer les ressources nécessaires à leur viabilité (Defourney & Nyssens, 2012, p. 13), encourant ainsi un niveau de risques économiques plus élevé. Il est essentiel pour ces entreprises de conserver l’équilibre visé entre leurs dimensions sociales et économiques pour ne pas perdre leur particularité et avoir comme seul objectif la poursuite du profit (Altinay et al., 2016, pp. 3-7).

Gouvernance

L’indépendance et l’autonomie du processus de prise de décisions sont l’une des caractéristiques propres aux entreprises sociales selon Borzaga et Defourney (2004) (cité dans Marcionnetti, 2016, p. 12). Pour ces auteurs, ce processus accorde de l’importance à une dynamique participative offrant un poids décisionnel identique à chaque membre impliqué dans l’entreprise sociale (Defourney & Nyssens, 2012, p. 15). Les décisions prises par l’entreprise sociale ne sont donc pas uniquement faites en fonction de la part de capital détenue par ses actionnaires (ibid, p. 15). L’European Research Network (EMES ) a développé plusieurs caractéristiques propres aux entreprises sociales, dont une est leur gouvernance participative. L’EMES insiste notamment sur le haut degré d’indépendance des entreprises sociales créées, généralement, par un groupe de personnes qui ne sont pas des actionnaires (Defourney & Nyssens, 2012, p. 14). Même s’il arrive que ces entreprises dépendent de subventions, elles ne sont ni gérées par les autorités publiques, ni dirigées par d’autres organisations (ibid., p. 14). La représentation ainsi que la participation des consommateurs, des collaborateurs et des autres parties prenantes dans la gestion et les prises de décisions constituent une caractéristique essentielle aux entreprises sociales sur leur principe démocratique (ibid., p. 15). Dans certains cas de figure, l’un des objectifs de ces firmes est de cultiver des valeurs démocratiques au sein de leur structure (Defourney & Nyssens, 2012, p. 15). C’est ce qui ressort notamment sur la page internet de la Commission Européenne qui liste les caractéristiques des entreprises sociales (2016): « Those [social enterprises] where the method of organisation or ownership system reflects their mission, using democratic or participatory principles or focusing on social justice ». De plus, la structure peu bureaucratique de ces entreprises leur permet de gérer efficacement le transfert d’informations ainsi que de stimuler le développement de connaissances et de compétences internes (Beccheti & Borzaga, 2010, pp. 25-26).

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Table des matières

Introduction
1. Contexte de recherche
1.1. La problématique
1.2. Cadre d’analyse
1.3. Résultats escomptés
2. Les entreprises sociales
2.1. Caractéristiques des entreprises sociales
2.1.1. Les dimensions sociales et économiques
2.1.2. Gouvernance
2.1.3. Sources de financement
2.1.4. Distribution de profit
2.1.5. Forme légale
2.2. Les entreprises sociales dans le tourisme
2.3. Entreprise sociale et organisation caritative : avantages et inconvénients
3. L’avantage compétitif
3.1. L’avantage compétitif fondé sur la performance
3.2. L’avantage fondé sur les ressources internes
3.3. Le concept de valeur partagée
3.4. Choix de l’approche de ce travail
4. Entreprises sociales : leurs sources potentielles d’avantage
4.1. La mission sociale
4.2. Les ressources de l’entreprise
4.3. Les réseaux de contacts
5. L’expérience
5.1. Les caractéristiques d’une expérience touristique
5.2. Les composantes et les dimensions d’une expérience
6. Méthodologie
6.1. Collecte de données auprès d’experts
6.2. Collecte de données par une étude de cas
7. Etude de cas
7.1. Présentation d’Adventure Alternative Ltd
7.1.1. Mission
7.1.2. Structure
7.1.3. Adventure Alternative Nepal
7.2. Présentation des résultats des entrevues
7.2.1. Une mission responsable et durable
7.2.2. Un modèle de gestion équitable
7.2.3. Des ressources humaines locales
7.2.4. Un système de partenariat local
7.2.5. Une redistribution financière transparente
7.2.6. L’expérience recherchée
7.3. Analyse et interprétation des résultats des entrevues
7.3.1. L’infrastructure de la firme
7.3.2. La gestion des ressources humaines
7.3.3. Divergences avec d’autres recherches
7.3.4. L’expérience touristique générée
8. Outil d’analyse d’avantage compétitif
8.1. L’approche VRIO
8.2. Application de l’approche VRIO sur l’étude de cas
8.2.1. Le système de partenariat local
8.2.2. Les ressources humaines locales
8.2.3. La redistribution financière transparente
9. Cadre de recommandations
Conclusion

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