Les entreprises familiales : un ensemble hétérogène difficile à définir

Les entreprises familiales : un ensemble hétérogène difficile à définir

Un foisonnement de définitions, qualifié de dilemme par la littérature

Le premier constat, important, est donc que la définition des entreprises familiales se heurte à de grandes difficultés. Du côté de la famille, la question reste posée (et généralement non tranchée) de savoir où doivent s’arrêter les bornes de la famille. Faut-il inclure les conjoints ? Le lien de sang doit-il prévaloir sur les liens juridiques? A partir de quel degré de dilution (confédération de cousins) peut-on considérer que l’entreprise n’est plus familiale, surtout si elle est cotée en Bourse ? Autant de questions qui sont généralement résolues par les familles elles-mêmes, en fonction de leur histoire, de leur culture, et de l’importance (positive ou négative) qu’elles accordent au lien familial, mais qui ne sont traitées dans aucune définition.

Du côté de l’entreprise, la très grande hétérogénéité des situations capitalistiques soulève aussi de nombreuses questions. A partir de quand une entreprise peut-elle être considérée comme familiale ? Une entreprise qui appartient à son fondateur peut-elle être considérée comme familiale ? Certains pensent qu’il suffit que le fondateur ait l’intention de transmettre l’entreprise au sein de sa famille, d’autres pensent qu’il faut que l’entreprise ait déjà été transmise au moins une fois, surpondérant ainsi le critère transgénérationnel.

Une catégorie non recensée statistiquement et transcendant les critères habituels

Bien que les entreprises familiales ne soient donc pas recensées en tant que telles, faute de définition opérationnelle, un large consensus se dégage pour considérer qu’elles représentent en France 90 % des PME, 80 % des entreprises de taille intermédiaire (ETI), et environ 30 % des Grandes Entreprises.

L’INSEE dénombrait 5 800 ETI en France en 2016 , employant au total 3,3 millions de salariés en équivalent temps plein, représentant 26 % de l’emploi. Les ETI fournissent donc autant d’emplois que les 292 grandes entreprises dénombrées à la même date sur le territoire national . Selon les statistiques publiées par le METI (Mouvement des Entreprises de Taille Intermédiaire ), les ETI fournissent 27% du chiffre d’affaires national, 34% des exportations françaises, 61% des entreprises cotées, et 100 leaders mondiaux dans leur domaine d’activité.

Or, (toujours selon le METI) 80% des ETI ont un actionnariat familial de 3ème, 4ème, voire 5ème génération. Il est donc possible d’appréhender les caractéristiques des entreprises familiales par l’observation des ETI et les publications du METI. Toutes les données statistiques rappelées ciaprès proviennent de ce syndicat professionnel . Les ETI forment l’ossature économique des territoires, avec 2/3 de leurs sièges sociaux en province, où elles fournissent 75% de l’emploi total et représentent 85% des unités de production, avec un demi million d’emplois industriels. Elles irriguent un tissu de sous-traitants et de fournisseurs, de logisticiens : chaque emploi dans une ETI génère 3,5 emplois indirects en moyenne.

Elles sont aussi plus résistantes en période de crise, notamment vis-à-vis de l’emploi. C’est ainsi que de 2009 à 2015, les ETI ont créé 110 000 emplois nets, là où les grands groupes en ont détruit près de 80 000. Pour autant, les entreprises familiales ne se confondent pas avec, et ne se limitent pas aux ETI. En effet, la ligne de partage utilisée par l’INSEE aux fins de recensement statistique des entreprises (PME, ETI, Grands Groupes) n’est pas pertinente au regard des critères qui définissent les entreprises familiales.

Les entreprises familiales ne sont donc définies ni par leur taille, ni par leur forme. Elles ne peuvent pas non plus être définies par leur niveau de développement technologique ou d’adaptation à une économie nouvelle, à l’inverse d’autres catégories d’entreprises, comme, par exemple, celles que l’on appelle aujourd’hui les « Tec Share ». Elles ne peuvent pas non plus être désignées par référence à leur stade de développement, comme peuvent l’être les « Startup ».

L’insuffisance de la définition de la Commission européenne, fondée sur le contrôle

Les typologies que nous venons de passer en revue tentent d’approcher la notion d’entreprise familiale par des classifications, mais n’offrent pas de définition. Pour pallier ce manque, la Commission européenne a travaillé avec plusieurs groupements professionnels, parmi lesquels le Groupement Européen des Entreprises Familiales , pour parvenir en 2009 à la définition reproduite ci-après.

« Une entreprise est une entreprise familiale si :
– La majorité des votes est dans la possession de la personne physique qui a fondé l’entreprise, dans la possession de la (des) personne(s) physique(s) qui ont acquis leur part de capital ou dans la possession de leurs époux, parents, enfants ou descendants de leurs enfants.
– La majorité des votes peut être directe ou indirecte.
– Au moins un représentant de la famille est impliqué dans le management ou l’administration de l’entreprise. Les entreprises cotées entrent dans la définition de l’entreprise familiale si la personne qui a fondé ou acquis l’entreprise ou leur famille ou leurs descendants possèdent 25% des droits de vote. » .

Observons tout d’abord qu’il est à la fois remarquable et regrettable que cette définition ne prenne pas en compte la notion de variabilité de l’influence familiale, dont nous venons de souligner qu’elle nous paraît essentielle.

En second lieu, soulignons que cette définition vise aussi bien les entreprises à capitaux privés que les sociétés cotées. Notons, sur ce sujet, que la définition proposée par la commission repose sur l’idée qu’un pourcentage de détention des droits de vote à hauteur de 25 % suffit à caractériser le caractère familial d’une société cotée. Enfin, nous pouvons observer que la définition de la Commission européenne ne retient que les deux premiers des trois types de critères recensées par le Professeur Joseph ASTRACHAN , i.e. (i) la propriété (du capital), aussi appelée contrôle, (ii) l’implication de la famille dans le management, et (iii) la transmission intergénérationnelle :

– Selon la Commission, le contrôle est défini, non pas en termes de quote-part du capital détenue, mais en droits de vote. Cette manière de concevoir le contrôle n’est pas sans rappeler la notion d’action de concert définie en droit boursier, dont notre éminent confrère et juriste Frank MARTIN LAPRADE a fait le sujet de sa thèse . Cet auteur plaide pour faire de l’action de concert un concept organisateur du droit des sociétés, qui viendrait palier à l’absence de définition de la notion de « groupe », une des raisons pour lesquelles le droit des sociétés est impuissant à appréhender la réalité économique des entreprises. Nous reviendrons sur cette question de la définition du contrôle, car elle est complexe et centrale dans la recherche d’une définition des entreprises familiales.
– Quant à l’implication dans le « management », le terme est ici entendu au sens large, puisqu’il englobe « l’administration » de la société, dont il faut, à notre avis, comprendre qu’elle renvoie à la fois à l’exercice du pouvoir de direction opérationnel et à une participation à l’organe de gouvernance investi du pouvoir de surveillance des actionnaires sur la direction opérationnelle de la société .

Le troisième critère, celui de la transmission intergénérationnelle, est donc absent. De ce point de vue, la définition proposée nous paraît inadéquate, car elle ne prend pas en compte l’orientation long terme et la recherche de pérennité, qui sont pourtant des caractéristiques essentielles des entreprises familiales. Cette faiblesse a d’ailleurs été relevée par Agnès RYOHON KOH, auteure d’une des rares thèses de droit réalisée sur les entreprises familiales, qui commente la définition adoptée par la Commission européenne dans les termes reproduits cidessous :

« Cette définition nous paraît insuffisante pour caractériser la société familiale, car elle ne permet pas d’appréhender pleinement la dimension familiale des sociétés. En effet, ce qui distingue fondamentalement une société familiale d’une société non familiale est la vision patrimoniale de la société par les membres familiaux. Cette idée a été théorisée par certains auteurs sous les termes « affectio familiae».

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE I – ANALYSE DU CONCEPT DE « FAMILINESS » AU MOYEN D’UNE REVUE DE LITTERATURE
Chapitre 1. Les entreprises familiales : un ensemble hétérogène difficile à définir
1.1.1. Un foisonnement de définitions, qualifié de dilemme par la littérature
1.1.2. Une catégorie non recensée statistiquement et transcendant les critères habituels
1.1.3. L’insuffisance de la définition de la Commission européenne, fondée sur le contrôle
1.1.4. Nécessité d’inclure la notion d’« affectio familiae » et ses fondements théoriques
1.1.5. Nécessité de prendre en compte la dimension transgénérationnelle
1.2.1. L’orientation vers le long terme et la pérennité
1.2.2. L’importance du capital humain, composante clé du capital social
1.2.3. L’ancrage local et ses conséquences pour les parties prenantes
1.2.4. La capacité d’innovation, facilitée par l’orientation long terme
1.2.5. La volonté d’indépendance et de contrôle du capital
Chapitre 2. Une surperformance des entreprises familiales plutôt sociétale que financière
2.1.1. Au niveau macroéconomique : une contribution incontestable malgré des disparités nationales
2.1.2. Au niveau micro économique : impact positif du contrôle du capital sur la performance, conformément à la théorie de l’agence
2.1.3. Risque d’enracinement négatif en cas d’usage opportuniste du contrôle
2.1.4. Des modes de financement marqués par la volonté de contrôle du capital
2.2.1. Persistance de stéréotypes négatifs impactant la perception de la performance
2.2.2. Des études empiriques aux résultats contradictoires
2.2.3. Des contradictions non résolues par les méta-analyses
2.2.4. Deux concepts unificateurs récents : résilience et ambidextrie
Chapitre 3. Présentation du concept de « familiness » et proposition du modèle des trois « C »
3.1.1. Le « familiness », une ressource idiosyncratique résultant de l’influence de la famille
3.1.2. Le « familiness », un surcroît de capital social organisationnel, appelé capital social familial
3.2.1. Le triptyque d’indicateurs de l’échelle F-PEC : Power, Experience, Culture
3.2.2. Proposition de définition des entreprises familiales selon le modèle des trois « C »
PARTIE II – TRANSPOSITION DU CONCEPT DE « FAMILINESS » DANS LE CADRE THEORIQUE DU DROIT
Chapitre 1. Le capital légal défini comme la composante matérielle du concept transdisciplinaire de capital social
1.1.1. La notion de capital : un concept protéiforme à forte charge idéologique
1.1.2. Proposition d’une vision unificatrice et holistique du concept de capital social, incluant le capital légal
1.1.3. Impact de l’écoulement du temps sur le capital : accroissement du risque de perte, rémunéré par le taux d’intérêt
1.1.4. Lien entre la création de richesse et la fixité du capital, aux niveaux macro et micro économique
1.2.1. Le lien indissociable entre le capital légal et le concept juridique de société-personne morale
1.2.2. La dimension paradoxale du capital légal : une dette de la société-personne morale caractérisée par son intangibilité et sa fixité
1.2.3. Une difficulté à tracer les contours exacts de la notion de capital légal reflétée par la frontière floue entre fonds propres et dette
1.2.4. Proposition du concept de « dépossession » de l’actionnaire pour traduire cette dimension paradoxale du capital légal
Chapitre 2. Transposition du modèle des trois « C » dans le cadre théorique du droit français
2.1.1. Le contrôle en droit des sociétés : caractérisé par l’influence dominante
2.1.2. Le contrôle en droit boursier : étroitement lié à la notion d’action de concert, traduisant une interdépendance entre actionnaires
2.1.3. Une notion de groupe prise en compte de façon embryonnaire par les autres branches du droit des affaires
2.2.1. Prise en compte du caractère durable du contrôle à travers la notion de holding animatrice
2.2.2. Le report des plus-values de cession admis en cas de maintien du contrôle sur le capital
2.2.3. L’allégement des droits de succession des pactes Dutreil conditionné au maintien du contrôle dans la durée
2.3.1. Un surcroît de capital social correspondant à la valeur partagée avec les parties prenantes, qualifiée d’« utilité sociétale »
2.3.2. Les indicateurs juridiques aptes à mesurer l’utilité sociétale « u »
2.3.3. La transposition du modèle des trois « C » dans le champ théorique du droit français, pour représenter la contribution sociétale du capital
PARTIE III – INTERET ET VALIDATION DU MODELE PROPOSE
Chapitre 1. Les deux niveaux d’application possibles du modèle des trois « C » ainsi transposé
1.1.1. L’indice « u », un indice gestionnaire de droit souple pour les entreprises
1.1.2. Combinaison de « u » avec « d », offrant un modèle innovant de représentation de la variabilité de la condition d’actionnaire
1.2.1. Les critères proposés déjà implicitement pris en compte par la fiscalité du capital en France
1.2.2. Proposition d’utilisation du modèle pour créer une exonération de la fiscalité du capital légal proportionnelle à sa contribution sociétale
1.3.1. L’évaluation de la force normative comme moyen de validation d’une norme juridique dans le cadre théorique du droit
1.3.2. Un niveau de juridicité des normes proposées variable en fonction du niveau d’application micro ou macro-juridique envisagé
Chapitre 2. Intérêt du modèle : l’explicitation de principes d’évolution du droit déjà implicitement actifs
2.1.1. La conciliation de deux conceptions du rôle de l’entreprise habituellement opposées
2.1.2. Un cadre conceptuel utile pour les innovations juridiques de la loi Pacte : raison d’être et entreprise à mission
2.2.1. Erosion du traditionnel monopole de l’Etat sur l’intérêt général et montée en puissance de la RSE et de l’entrepreneuriat social
2.2.2. Introduction d’une définition juridique de l’utilité sociale créant implicitement une « dépossession » légale de l’actionnaire
2.3.1. La fondation actionnaire pour sanctuariser irrévocablement le contrôle d’une partie du capital
2.3.2. Le fonds de pérennité économique : un nouveau type d’actionnaire de contrôle de long terme
Chapitre 3. Un modèle intéressant selon les entretiens qualitatifs, mais difficile à mettre en œuvre
3.1.1. Une perception des entreprises familiales souvent floue
3.1.2. Long terme et performance souvent associés aux entreprises familiales
3.1.3. Des faiblesses des entreprises familiales parfois évoquées
3.2.1. L’intérêt d’un indice d’utilité sociétale très souvent confirmé
3.2.2. Avis divergents sur la qualité de l’organisme émetteur de l’indice
3.2.3. L’intérêt de l’outil de cartographie du positionnement stratégique de l’actionnaire : perçu, mais pas toujours bien compris
3.3.1. Opinion plus favorable à l’actionnariat de long terme qu’aux fondations actionnaires
3.3.2. Meilleure acceptation de l’incitation fiscale liée à la durée plutôt qu’à l’utilité sociétale
3.3.3. Des répondants incertains de l’efficacité de l’incitation fiscale proposée concernant l’objectif de fléchage de l’épargne
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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