Les enquêtes stylistiques sur l’écriture bossuétiste dans les Sermons du Carême du Louvre

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Afin de situer notre sujet dans un champ d’étude, nous proposons un panorama bibliographique résumant de la manière la plus complète possible – dans la mesure où notre support nous le permet – les nombreux travaux consacrés à l’œuvre de Bossuet. Notre première partie fait la synthèse des travaux d’histoire littéraire sur le genre du sermon à l’époque de Bossuet, des études thématiques sur le contenu théologique des sermons de Bossuet, des enquêtes stylistiques sur l’écriture bossuétiste dans les Sermons du Carême du Louvre et des investigations rhétoriques sur les techniques de persuasion sermonnaires.

Les travaux d’histoire littéraire sur le genre du sermon à l’époque de Bossuet

Le genre sermonnaire fait l’objet de nombreux travaux d’histoire littéraire, du fait de sa position sujette à débat entre production oratoire et œuvre littéraire. Jacques-Bénigne Bossuet s’imposant comme modèle de l’éloquence sacrée, il est souvent pris en exemple par les théoriciens, qui étudient ses textes afin d’en déterminer la nature. Sont rassemblés ici tous les travaux consacrés à l’éloquence sacrée et à l’œuvre de Bossuet, produit d’une vie dédiée à l’évangélisation. Dans le cas particulier de la station du Carême du Louvre de 1662, nous nous intéresserons à l’auditoire de mondains, de libertins et de dirigeants auquel Bossuet doit adapter son discours. Nous étudierons également les travaux consacrés à l’état de l’Église catholique à l’époque de Bossuet, qui se situe alors au début d’une nouvelle ère introduite par le Concile de Trente un siècle auparavant. Nous nous attarderons également sur les études tendant à rapprocher les sermons de Bossuet de l’univers littéraire, ou des Belles -Lettres comme on l’appelait alors. Bossuet étant un prédicateur engagé dans divers domaines, imprégné notamment de ses lectures philosophiques, nous traiterons les travaux de théoriciens faisant de Bossuet un prêtre humaniste.

L’auditoire de Bossuet

Si l’on peut considérer que l’étude des sermons de Bossuet doit se faire en tant que pure analyse d’un discours extrait de son contexte, certains se sont néanmoins intéressés à l’atmosphère historiquement et socialement significative dans laquelle les sermons du Carême du Louvre ont été prononcés. C’est en effet devant le jeune Louis XIV qu’a prêché Bossuet, et les déboires politiques et sentimentaux du souverain ne sont pas sans résonnance dans l’œuvre de Bossuet. L’auditoire mondain du Louvre oblige Bossuet à adapter son discours à ces esprits forts ; la vie privée du roi joue également un rôle d’importance dans la carrière de prédicateur de Bossuet.
Si le roi et son entourage proche constituent un intérêt particulier pour des raisons évidentes, ils ne suffisent pas à représenter l’auditoire de Bossuet lorsqu’il prêche le Carême du Louvre. En effet, le prédicateur s’adresse essentiellement à un auditoire de mondains, avec des préoccupations toutes particulières auxquelles Bossuet doit s’adapter.
Constance Cagnat, dans sa préface, aborde le sujet de l’auditoire de Bossuet lors du Carême, et de ce qu’elle appelle – tout comme le fait Bossuet dans ses sermons –, les mondains.
Elle parle même du « métier de courtisan ». La mission de Bossuet à leur égard, selon elle, est de leur enseigner « un bon usage de la grandeur », notamment en leur rappelant leur devoir envers les plus démunis.
Bossuet utilise un langage ouvertement culpabilisant, ce que Constance Cagnat considère comme tout à fait normal pour un prédicateur de cette époque : « les prédicateurs brandissaient aisément la menace du Jugement pour obtenir par la peur ce qu’aujourd’hui on demanderait par amour ». Constance Cagnat établit néanmoins une différenciation nécessaire entre le mondain et le libertin, que Bossuet aborde d’une manière encore différente dans ses sermons, où il tente progressivement d’établir un dialogue entre les « esprits forts » et lui. Les libertins refusent la foi au nom de la raison, et Bossuet tente de les rallier à la pensée chrétienne en faisant justement de la raison un chemin vers la foi.
D’autres auteurs se penchent sur la question, et parmi eux François Raviez . Pour lui, Bossuet dépeint dans le Carême du Louvre un certain portrait du mondain, qui représente de manière très large l’homme de cour qui l’écoute durant sa prédication. Ce portrait ne vise personne en particulier, mais chacun peut se reconnaître dans cette description, par fragments choisis. Bossuet montre, par les différentes facettes de son autorité, les problèmes spirituels qui se posent dans la vie des hommes. Il s’inclut lui-même dans ce raisonnement. Joseph Doucet, quant à lui, insiste sur le fait que le prédicateur agit tel un caméléon au contact de son auditoire :« parce que la parole est au service des chrétiens et ne doit viser que leur utilité, Bossuet adapte sa prédication et son exégèse aux besoins de son auditoire ». Bossuet dénonce deux espèces d’athées : les railleurs – ceux-ci ne débattent pas – et les indifférents – qui ont tendance à suivre l’inconduite affichée du roi. Ce public de plus en plus présent le pousse à se durcir lors de ses discours, et cette dureté se propage progressivement dans son œuvre, qui après 1662 est empreinte de beaucoup plus d’une espèce d’agressivité oratoire.
Emmanuel Bury soulève lui aussi le problème du public auquel Bossuet fait face lors du Carême du Louvre. S’adapter à son public implique également l’usage, ou du moins la maîtrise, des références culturelles qui parlent à l’auditoire. Emmanuel Bury parle notamment des références païennes, des philosophes grecs qui nourrissent profondément la culture de la cour. L’un des défis de Bossuet est de « rappeler à l’auditoire les vérités qu’il doit considérer comme reçues », et de contrer ses arguments sans pour autant citer explicitement les sources païennes qu’il tend à décrédibiliser.
Dans la préface de son édition des sermons du Carême du Louvre, Constance CagnatDeboeuf précise le contexte particulier en 1662 à la cour du Louvre : le jeune Louis XIV, qui règne seul depuis l’année précédente, inquiète le clan des dévots par son attitude, tant en politique que dans sa vie privée. La reine-mère, Anne d’Autriche, fait appel à Bossuet, en qui elle a toute confiance, pour remettre de l’ordre dans les affaires de l’État et dans le cœur du roi. « [Bossuet] a incontestablement choisi de faire porter une partie de ses efforts sur la liaison du roi et de La Vallière, d’obtenir la rupture. ». C’est une périlleuse mission qui lui incombe, que Bossuet affronte avec détermination et une grande habileté. Au cœur des préoccupations politiques se trouve évidemment le procès de Nicolas Fouquet, qui a fait couler beaucoup d’encre. Si Bossuet ne prend pas partie dans son discours qui se contente d’être chrétien, le thème de la justice revient fréquemment dans le Carême du Louvre, ainsi que des allusions sans équivoque, qui positionnent Bossuet en faveur de Fouquet. « Ainsi […] la géniale trouvaille de Bossuet dans les Sermons du Carême du Louvre est d’avoir porté très loin l’art de l’allusion et du sous-entendu ». Constance Cagnat définit le Carême de Bossuet de « demi-défaite ». En effet, le roi n’a pas apprécié la confiance apparente de Bossuet, qui ne sera plus convié à la cour avant 1665.
Dans un ouvrage dédié à l’analyse littéraire des sermons du Carême du Louvre, JeanPierre Landry, s’intéresse également à ces questions de politique dans les sermons de Bossuet.
Il considère que « rien ne prouve qu’il faille chercher dans les sermons des allusions à Fouquet ou à Mlle de La Vallière. ». Bossuet ne se serait pas permis de pousser si loin le privilège de la chaire. Selon lui, « ses sermons ne sont en aucun cas des chroniques de la vie scandaleuse de Louis XIV. ». Bossuet se contenterait en revanche d’exposer tout au long du Carême son idée de la fonction royale et du roi idéal. En effet, en tant que roi, Louis XIV est « lieutenant » de Dieu, celui qui tient lieu de Dieu sur Terre. Bossuet ne prône pourtant pas la théocratie, mais il pense que le roi doit de son plein gré défendre les intérêts de Dieu – bien qu’au XVIIème siècle l’immense majorité des français adhère à l’idée d’une monarchie de droit divin. Lors du Carême du Louvre, Bossuet profite de la chaire pour affirmer la supériorité des Évangiles et de la Parole de Dieu sur tout symbole de la monarchie – la suprématie du spirituel sur le temporel. Bossuet n’exclut pas non plus le devoir des rois envers le peuple. En contexte, Bossuet était plus préoccupé par la disette qui frappait l’année 1662 que par les scandales politiques.

L’Église catholique

La préface des Sermons du Carême du Louvre par Constance Cagnat-Deboeuf commence par une remise en contexte.
Elle situe l’ère de Bossuet juste après la réforme de la prédication, qui bannit les termes trop techniques, l’humour et les références profanes au profit d’une rhétorique de la simplicité. Le sermon qu’elle appelle « classique », celui de la seconde moitié du XVIIème siècle – celui de Bossuet – doit « enseigner [au] public une vérité évangélique et en tirer une conséquence pratique pour sa vie quotidienne ». Elle souligne également l’importance de la prestation orale, de l’apprentissage des sermons et de l’actio : « le maintien de la personne, le port de la tête, les gestes, la voix offraient à l’orateur autant de possibilités expressives».
Le terme « l’École française », inventé par H. Bremond pour désigner, à l’intérieur de la réforme catholique, le mouvement spirituel qui marque le XVIIème siècle, est également employé par Jean-Pierre Landry.
L’accent n’est plus mis sur les rites et les dévotions, mais sur la prédication, car sous l’influence du protestantisme, l’Église catholique réalise que le peuple ne connaît pas les Saintes Écritures. Le contexte spirituel de l’époque de Bossuet intéresse également Jacques Le Brun.
C’est le Concile de Trente qui amène l’Église catholique à revaloriser le sermon, et à lui donner l’enseignement comme but premier. C’est quelque chose d’important pour Bossuet, qui cite le Saint Concile à trois reprises dans le Carême du Louvre . Il y a une orientation didactique et
pédagogique évidente dans les sermons de Bossuet. Jacques Le Brun, dans cet article, traite également de l’importance du lexique de la vision dans les sermons de Bossuet, qui est étroitement lié au domaine de l’enseignement, car dit-il, « il « fait voir » pour « faire connaître » », et cette thématique et liée tant à la spiritualité des sermons de Bossuet qu’à leur style – c’est pour cette raison que nous reviendrons plus tard sur le sujet. Bossuet établit dans ses sermons des portraits psychologiques des personnages bibliques, qu’il utilise dans un but pédagogique en les appliquant au contexte dans lequel il prêche. Il montre tout au long des sermons du Carême du Louvre une aspiration à la félicité éternelle qui sera plus tard à l’origine de débats théologiques. Il loue la pureté de ces attraits qui se fondent sur l’amour divin, et qui, malgré ce que l’on a pu lui reprocher, sont dénués d’intérêt personnel corrompu. Par ailleurs, la majesté des discours de Bossuet, la grandeur de son style et le travail de son argumentation lui devront de se faire reprocher la place d’importance de sa propre personne dans l’exécution de ses sermons, et soulever la question de la place du prédicateur, qui n’est qu’un homme, dans son rôle de médiateur entre Dieu et l’humanité. Jacques Le Brun traite plus en détails de la spiritualité de Bossuet dans un autre ouvrage . Selon la définition qu’il en donne, le spirituel s’oppose au charnel : « [Le mot « spirituel »] renvoie à toutes les réalités invisibles qui ont un rapport avec Dieu et avec l’action divine dans le monde et en l’homme ». Le projet de son ouvrage est de faire une étude de la spiritualité de Bossuet : « Étudier la spiritualité de Bossuet consisterait à déterminer quelles furent les attitudes religieuses de Bossuet, ses pratiques, ses dévotions, etc.».
Gilles Drouin s’intéresse plus précisément à la liturgie de Bossuet dans son contexte spirituel. Bossuet fait partie de la seconde génération d’évêques après la réforme catholique du concile de Trente : il n’est pas un pionnier, mais il est de ceux dont le rôle est d’institutionnaliser cette réforme, et notamment la nouvelle liturgie. Bossuet a pour mission d’expliquer à ses ouailles les rituels liturgiques, qu’il associe à une question doctrinale. La question récurrente à l’époque est celle de la traduction ou non des textes liturgiques en français, afin qu’ils soient accessibles à tous, et Bossuet se situe du côté de la traduction quasi-systématique. Il prend position dans plusieurs débats qui opposent les protestants des catholiques, et prend soin, certainement dans un souci de diplomatie, de toujours souligner les points communs entre les deux. Il s’affirme donc du côté de la traduction des textes, mais défend en revanche la transsubstantiation de l’Eucharistie, rejetée par les protestants. Dans la liturgie de ses messes, Bossuet met un point d’honneur à commenter les textes bibliques, et à les expliquer.

Les études thématiques sur le contenu théologique des sermons de Bossuet

Les thèmes abordés par Bossuet dans ses sermons sont aussi nombreux que l’imposent les textes auxquels il fait référence, les circonstances dans lesquelles il prêche et le but qu’il cherche à atteindre. Selon Jacques Truchet , Bossuet aborde à travers ses sermons des thèmes imposés par la tradition en fonction de l’occasion – par exemple, la Passion pour le Vendredi Saint . Il se conforme en général à la tradition liturgique. Jacques Truchet note une abondance de certains thèmes, comme celui fort récurrent de la Sainte Vierge, ou encore certaines occasions qui semblent inspirer particulièrement Bossuet, comme Pâques, qui se voit consacrer bon nombre de sermons. Se pose également la question de l’organisation des séries de sermons, comme les Avents et les Carêmes prêchés par Bossuet. Jacques Truchet note une unité de ton dans ces stations, qui regroupent un certain nombre de thèmes autour de centres d’intérêt fixes.
Il énumère ces intérêts : « la théorie de la prédication ; les menaces aux pécheurs ; la pénitence ; comme correctif à ces sévérités, une évocation du bonheur du chrétien qui s’épanouit dans la charité du Christ ; le rappel des grands mystères de l’Incarnation et de la Rédemption ; quelques points de la morale essentiels comme l’ambition et les plaisirs des sens ; enfin, dans les carêmes royaux, le traditionnel sermon politique. ». Truchet résume son inventaire en affirmant que «Tout, chez [Bossuet], rayonne autour de la doctrine, de la vérité révélée ». Les sermons de Bossuet révèlent certaines vérités théologiques – l’identité de Dieu, ses attributs, son incarnation en Jésus, le péché, le salut –, ainsi que des vérités morales sur la vie chrétienne – l’homme, l’âme, les désirs, la charité. Jacques Truchet étudie ces thèmes en les classant et en revenant sur les différentes œuvres de Bossuet, qui en traitent de manière différente en fonction du contexte et de l’auditoire.
Certains des thèmes abordés dans les sermons, plus récurrents et plus significatifs sur le plan théologique, ont fait l’objet d’études plus poussées par certains théoriciens. Parmi ces thèmes se distinguent ceux de la mort et de ses implications selon l’optique chrétienne, de la voix de Dieu s’exprimant à travers la voix du prédicateur, et de la démarche et du processus de conversion comme préoccupation essentielle de l’orateur sacré.

Mort, Jugement dernier et Rédemption

Bossuet est connu comme le poète de la mort, en raison de ses fameuses oraisons funèbres. Toutefois, Karine Lanini soutient que la mort n’est pas le propos de Bossuet : elle est secondaire, en conformité avec la doctrine chrétienne, qui fait de la mort une fatalité qu’il faut préparer au mieux durant notre vie terrestre. C’est la mort qui donne la vie. Jésus est mort pour nous, il n’y a donc plus aucune raison de craindre la mort, qu’il est même nécessaire de relativiser. Bossuet incite au mépris de la créature terrestre en elle-même, en comparaison de la vie éternelle qui attend le chrétien après la mort : « La chair n’est qu’un instrument de notre pénitence ». Le Jugement Dernier prend le pas sur la mort. Il est le seul événement qui compte. Cela amène également le thème de Jésus-Christ comme victime expiatoire, que Gérard Remy analyse dans l’un de ses articles . Le thème du Christ en croix, prenant sur lui le péché de tous les hommes, est un thème récurrent dans les sermons de Bossuet. Jésus est présenté comme un bouc émissaire, une victime de substitution.
En retraçant le parcours du Sermon sur la Mort dans un autre article , Karine Lanini se penche plus intensément sur le thème de la mort chez Bossuet. Pour elle, l’efficacité du Sermon sur la Mort réside dans la logique du texte, dans les images de la mort et dans la mise en scène qui en est faite. La logique du texte est celle d’une simple énonciation de faits : « Le sermon est une simple démonstration de ce qui est reconnu de toute l’assemblée, il ne met en place aucune argumentation réelle. ». La structure du sermon est volontairement apparente, pour laisser une place d’importance à l’argument logique dans sa prédication. Quant aux images de la mort, Karine Lanini parle d’« euphémisation ». Elle affirme que « la mort sera présentée comme la libération d’une vie pesante et l’accès à l’éternité, la réalité du cadavre ne viendra pas s’interposer entre le chrétien et les saints désirs de la mort».
L’idée que se fait Karine Lanini de la mort chez Bossuet est en corrélation avec ce qu’en dit Cécile Joulin . Elle examine en effet la vision de la mort selon Bossuet sous un jour théologique. Le plus souvent, c’est la mort de l’impie qui est mise en scène par les prédicateurs : l’impie qui meurt dans d’atroces souffrances physiques permet de susciter chez l’auditoire une crainte censée le pousser à la piété. Mais Bossuet, lui, ne traite que rapidement cet aspect dans le Sermon du Mauvais Riche. Il s’agit plus d’une souffrance morale provoquée par les remords, qui donne dans le sermon lieu à une description de la scène, presque théâtralisée. La mort reste un mystère pour ceux qui y assistent, puisqu’ils ne voient pas les personnages célestes qui prennent part à l’événement . Elle est allégorisée par un ange. Mais dans tous les autres sermons où il est question de la mort (celle de Jésus dans le Sermon sur la Passion, en ce qui concerne le Carême du Louvre), elle n’est jamais évoquée concrètement, en cela qu’elle n’est pas donnée à voir à l’auditeur. Ce sont les souffrances qui la précèdent qui sont évoquées en des termes qui peuvent aujourd’hui paraître durs, mais qui étaient communs à l’époque de Bossuet dans le contexte sermonnaire. L’image du sang, par exemple, avait une valeur théologique puissante – et c’est encore le cas, même si l’image est moins fréquemment utilisée.
Le sang est porteur d’une double signification, qui incarne les deux facettes de Jésus en croix : l’homme qui souffre en son corps, et le Dieu qui meurt pour les hommes.

Le processus de conversion

On retrouve chez Bossuet une dimension autoréflexive sur son travail, sur l’éloquence sacrée – réflexion apparente dans le Carême du Louvre, notamment dans le Sermon sur la Prédication Évangélique. Mais il s’agit plutôt d’un engagement contre la morale mon daine.
Selon Jean-Pierre Landry , c’est tout au long du Carême du Louvre que se développe une réflexion sur la théorie de la prédication, ainsi que sur la pratique. C’est à la fois « un exercice mondain et un exercice religieux », puisque le prédicateur fait face au clan des dévots et à celui des mondains dans un même temps. Jean-Pierre Landry explique qu’il existait alors une règle selon laquelle les prédicateurs en chaire avaient, plus que le droit, le devoir d’exprimer haut et fort les vérités les plus rudes. L’indulgence envers le public, parce qu’il s’agit d’un public issu des hautes sphères de la société, est extrêmement grave. Bossuet doit donc déployer des trésors de rhétorique afin d’affronter le monde par son discours. La tension principale est toujours la même : « l’opposition entre la parole de Dieu et la parole des hommes ». Le devoir du prédicateur est unique : « Le prédicateur doit donc annoncer l’Évangile aux auditeurs, leur expliquer le sens des Écritures », partant du principe que l’orateur ne fait que répéter un message déjà connu des auditeurs : « Le devoir des orateurs est de redonner vie aux vérités oubliées […], de revivifier la foi des auditeurs », quitte à choquer ou à gêner l’auditoire par l’expression de vérités brutales . Les auditeurs du sermon doivent quant à eux « accorder toute leur attention et tous leurs efforts à la recherche de la vérité».
En pratique, la prédication énonce la parole de Dieu, rappelle le dogme et expose la morale . Jean-Pierre Landry parle du concept de kérygme, qui est la proclamation de la foi.
De manière concrète, le prédicateur doit proclamer sa foi lors de la prédication en veillant à ne pas affaiblir la puissance de la parole de Dieu, de rendre justice à sa force de frappe par la vivacité du sermon. Toutefois, le seul moyen pour le sermon de toucher l’auditoire assez intensément est sa capacité à donner à voir, ce que Bossuet met en pratique dans chacun de ses sermons par l’usage systématique du lexique de la vision . Pour être efficace, donc, le sermon ne doit pas seulement amener à l’auditoire de la réflexion, mais également de l’émotion. JeanPierre Landry analyse le Carême du Louvre dans son ensemble, et en retire un thème principal et fédérateur, celui du sacrifice, sorte de fil rouge, à analyser dans son sens étymologique « faire du sacré », et donc synonyme de conversion. « Le motif du cœur à convertir par la pensée et par le spectacle de la croix est présent dans chaque discours. » Jean-Pierre Landry insiste sur l’importance de la prédication dans la vie d’un chrétien, et sur « la portée essentielle de la mission confiée au prédicateur ». Il s’agit d’un « combat contre le monde et ses fausses valeurs».
Le même auteur, dans un autre ouvrage, considère que le sermon, sans être un traité de théologie, est un moyen de vulgarisation des enseignements théologiques. Il considère le Carême du Louvre comme un témoignage de la maîtrise de la théologie de Bossuet. Il fonde ses enseignements doctrinaux sur d’autres théologiens, notamment Saint Vincent de Paul et Saint Augustin. Jean-Pierre Landry souligne certaines thématiques théologiques récurrentes dans le Carême : la topique du sacrifice, celle de la justice divine, du péché, ou encore le thème de la mort.

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Table des matières
Introduction
1 ère partie : Panorama bibliographique
1. Les travaux d’histoire littéraire sur le genre du sermon à l’époque de Bossuet
1.1. L’auditoire de Bossuet
1.2. L’Église catholique
1.3. Le champ des Belles-Lettres
1.4. Les débats philosophiques
2. Les études thématiques sur le contenu théologique des sermons de Bossuet
2.1. Mort, Jugement dernier et Rédemption
2.2. Voix humaine, voix divine
2.3. Le processus de conversion
3. Les enquêtes stylistiques sur l’écriture bossuétiste dans les Sermons du Carême du Louvre
3.1. L’énonciation
3.2. La syntaxe
3.3. Les figures
3.4. Le lexique
4. Les investigations rhétoriques sur les techniques de persuasion sermonnaires
4.1. L’éloquence sacrée : formation d’un orateur
4.2. L’ethos bossuétiste
4.3. La dispositio du sermon
2 ème partie : Constitution du corpus
1. Définition rhétorique du discours d’exhortation
2. Formes et fonctions des transitions dans les Sermons du Carême du Louvre
3. Repérage des péroraisons intermédiaires

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