Les énoncés nominaux en français au regard du japonais

Notre intérêt porte sur le phénomène en français écrit où une séquence nominale apparaît seule en dehors des énoncés verbaux et où elle est cependant munie d’une référence au monde. Il s’agit d’une unité de dire nominale. L’existence de telles unités de dire présente « certaines anomalies par rapport aux modèles canoniques des phrases » . Les séquences nominales ont en effet, selon la tradition de grammaire française, la vocation à être intégrées à une phrase où elles jouent un rôle syntaxique selon la valence des verbes, mais non à composer seules une unité syntaxique autonome. Ainsi, comment reconnaître le statut des séquences nominales formellement non intégrées à une unité plus grande, donc syntaxiquement indépendantes, constitue le problème majeur dès la reconnaissance dans MEILLET (1906) des phrases nominales, où elles n’obtiennent que le statut secondaire comme ellipse des phrases verbales avec le verbe « être » au présent à la troisième personne. Après, les unités de dire nominales en français, voire dans les langues occidentales, sont traitées dans le cadre de phrase et appelées traditionnellement phrases nominales (BENVENISTE, 1966 : 151-167, HJELMSLEV, 1948, etc.), plus récemment phrases sans verbe (LE GOFFIC, 1994 : 509-523), et même phrases averbales (LEFEUVRE, 1999). Cette appellation par phrase indique que les analyses sont basées surtout sur le plan sémantico-syntaxique . Les phrases nominales correspondent en effet plus ou moins à des unités de dire nominales analysables sur le plan sémantico-syntaxique en termes de relation prédicative entre deux termes : thème-rhème en sémantique et sujet-prédicat en syntaxe. Or les unités de dire nominales ne se limitent pas aux phrases nominales ; certaines séquences nominales syntaxiquement indépendantes considérables comme des énoncés thématiques, des énoncés thétiques voire comme des étiquettes, trouvent difficilement leur place dans le cadre de la phrase lié étroitement à la notion d’une relation prédicative entre deux termes , mais elles sont aussi des unités de dire nominales, parce qu’elles sont nominales et qu’elles réfèrent à une situation particulière dans leur site d’emploi. Comme nous nous intéressons à l’unité d’un dire nominal dans sa totalité, nous renonçons à parler de phrase, ce qui peut orienter l’analyse vers des recherches de type syntaxique, et nous préférons nous donner comme objet l’énoncé nominal ; c’est-à-dire une structure sémantico-syntaxique de forme nominale dotée des propriétés énonciatives qui la constituent en énoncé. Ainsi nous parlons de la phrase dans sa complétude énonciative. Cela implique de s’interroger sur les propriétés proprement énonciatives de ce qu’on définit souvent comme une simple forme nominale de phrase. Nous choisissons le terme d’énoncé nominal pour nommer ces séquences superficiellement paradoxales : leur structure morphosyntaxique de séquences nominales semble par nature leur interdire un statut d’énoncé alors que certains contextes en font des énonçables.

Regards croisés franco-japonais sur l’énonciation nominale

L’emploi syntaxiquement autonome d’une séquence nominale fait l’objet de controverses. D’un côté, d’après les faits grammaticaux traditionnellement connus en français, le nom constitue plutôt un membre de la phrase ‘verbale’, et non une unité d’un dire. Mais des séquences nominales en emploi syntaxiquement autonome, même si elles sont moins nombreuses que les phrases ‘verbales’, peuvent s’observer sans trop de difficulté, surtout lorsqu’on s’intéresse à la communication écrite publique et affichée comme comme celle des panneaux, des étiquettes de produits commercialisés, etc. ou aux ‘petits’ textes tels que les notices d’utilisation, les flashs d’information, les didascalies. Il ne s’agit pas du fruit d’une rédaction négligée, mais il s’agit bien d’un emploi. D’un autre côté, parmi ceux qui s’intéressent à un tel emploi de séquence nominale, le statut et le fonctionnement de ces séquences ne sont pas toujours clairs. Les cas attestés sont variés, à tel point que la structure d’une unité d’un dire traditionnellement connue, i.e. la structure binaire thème-rhème et/ou sujet-prédicat, ne peut pas s’appliquer telle quelle à tous les cas. Dans cette première partie, en apportant une perspective issue de la grammaire japonaise, différente de celle de la linguistique française, voire occidentale, et sur la notion de l’unité d’un dire et sur l’emploi autonome d’une séquence nominale, nous essaierons de saisir les séquences nominales employées seules en français écrit comme constituant de manière homogène une unité d’un dire.

Définition de l’unité de traitement

Notre objet d’étude est une séquence nominale qui s’emploie de façon autonome, en dehors des énoncés verbaux et fonctionnant par soi seule en tant qu’énoncé. Pour « traiter tout ce que [l’on] trouve, sans exclusion préalable » comme le dit CULIOLI (1999 : 12), nous ne définissons pas les séquences en question par leur structure intérieure, qu’elle soit sémantique ou syntaxique. Nous voulons partir du simple constat que certaines séquences nominales (y compris des noms nus) peuvent s’employer seules en français écrit sans qu’aucune marque n’indique leur intégration à une autre structure , et qu’elles ne se présentent pas, malgré tout, comme de simples indicateurs de concepts mais bien comme porteurs d’un message particulier. Dans cette étude, nous traitons de telles séquences nominales dans le cadre de l’énoncé.

Cas de figures 

Les énoncés nominaux s’observent dans un texte suivi ainsi que dans un texte affiché. Par texte suivi, nous entendons un texte composé de plusieurs énoncés de façon que la lecture se déroule temporellement / chronologiquement comme on suit un fil, à la différence d’un texte affiché où la disposition d’un ou de plusieurs énoncés se fait plutôt sur un plan spatial et n’induit pas nécessairement une lecture de type linéaire .

Analyses des énoncés nominaux en Occident, notamment en France 

En Occident où la forme de phrase est traditionnellement reconnue comme binaire, l’emploi d’une séquence nominale seule en dehors d’une proposition est d’emblée problématique. Quel est son statut et quel acte effectue-t-elle ? Plusieurs études traitent de ces questions. Mais la réponse dépend de l’intérêt de l’étude, et en premier lieu, l’intérêt est notamment de savoir comment intégrer les séquences nominales employés seules dans un cadre de phrase déjà établi. C’est ce que fait MEILLET (1906). Les séquences nominales en emploi autonome sont d’abord traitées dans MEILLET (1906) dans un cadre de la phrase traditionnellement établi, à savoir celui de la phrase verbale. Elles y sont définies comme ellipses de phrases verbales au présent de l’indicatif à la troisième personne.

Trois perspectives d’analyse des énoncés nominaux 

Après MEILLET, la question se pose de savoir si ces séquences constituent à elles seules de vraies phrases. C’est à partir de là que surgissent les problèmes de définition concernant la phrase en général, celle de la phrase nominale ou de la phrase averbale, voire de l’énoncé. Nous avons d’une part des approches qui définissent la phrase nominale (ou l’énoncé nominal) comme la même unité d’un dire que la phrase verbale (ou énoncé verbal) , et de l’autre celles qui postulent l’unité d’un dire plus générale à partir de laquelle il serait possible de traiter différemment les énoncés nominaux et les énoncés verbaux.  Il y a aussi des approches toutes différentes qui traitent certaines séquences nominales en emploi autonome comme des actes de langage spécifiques .

Enoncés nominaux dans la tradition occidentale

Après MEILLET, beaucoup d’auteurs se sont intéressés à la phrase nominale appelée aussi phrase averbale, tels que BENVENISTE (1966) et HJELMSLEV (1948) en indo-européen et en français MAHMOUDIAN (1970), LE GOFFIC (1994), ou LEFEUVRE (1999 et al.) qui préfère la dénomination « phrase averbale » pour inclure des phrases à groupe prépositionnel, à groupe adjectival, etc. Dans ces études, on s’intéresse surtout au statut de « vraies phrases » à propos de certaines séquences nominales ou averbales. Pour cela, on revisite la définition de la phrase déjà établie, i.e. celle de la phrase verbale, pour qu’elle couvre des séquences non verbales. Les séquences nominales et les séquences à verbe conjugué y sont alors analysées comme constituant une même unité d’un dire.

BENVENISTE (1969 : 151-167) parle ainsi de phrases à prédicat nominal où est assumée la double fonction verbale, fonction cohésive et assertive, pareillement aux phrases à prédicat verbal. On retrouve un point de vue analogue dans HJELMSLEV (1948) où la fonction verbale qui est la conjonction joue de façon identique jouée dans les phrases nominales et verbales. MAHMOUDIAN (1970) définit la phrase par la présence d’un prédicat qui est le « monème qui porte plus spécifiquement le message » par rapport au sujet et, comme élément pas nécessairement indispensable, d’un sujet qui sert à « l’actualisation » du prédicat. Ainsi, tant qu’elles ont un « monème qui porte plus spécifiquement le message », les séquences nominales ainsi que les séquences à verbe conjugué constituent une phrase. Chez LEFEUVRE, « La phrase est une structure syntaxique constituée d’un prédicat et d’une modalité », donc « [la] phrase nominale est une structure syntaxique constituée d’un prédicat averbal et d’une modalité ».

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE Regards croisés franco-japonais sur l’énonciation nominale
INTRODUCTION
CHAPITRE I : Objet d’étude
1. Définition de l’unité de traitement
2. Cas de figures
CHAPITRE II : Analyses des énoncés nominaux en Occident, notamment en France
1. Trois perspectives d’analyse des énoncés nominaux
1.1. Enoncés nominaux dans la tradition occidentale
1.2. Enoncés nominaux comme type différent des énoncés verbaux
1.3. Enoncés nominaux comme acte de langage particulier
2. Problèmes posés par ces analyses
CHAPITRE III : Enoncés nominaux et grammaire japonaise
1. Introduction à la grammaire japonaise
1.1. Définition de l’unité d’un dire en japonais
1.2. Définition du contenu sémantique d’une unité d’un dire en japonais
2. Jutsu-tai (énoncés verbaux) / Kan-tai (énoncés nominaux) : YAMADA (1936)
2.1. Jutsu-tai («述体», forme prédicative, composée d’une proposition à verbe régissant)
2.2. Kan-tai (« 換体 », forme évocatrice, composée d’une séquence nominale)
CHAPITRE IV : Désignation in situ ou Kan-tai (énoncés nominaux)
1. Objet de la désignation in situ
2. Acte de la désignation in situ
3. Cas où l’objet désigné est (reconnu) présent sous les yeux du sujet
4. Sujet-énonciateur de la désignation in situ
CHAPITRE V : Concision de l’énonciation nominale
-Différences entre énoncés nominaux et énoncés verbaux-
1. Concision au plan structurel
1.1. Fonctionnement au plan énonciatif
1.2. « Immédiation »
1.3. Indifférenciation de l’aspect représentatif et l’aspect opérationnel dans les énoncés nominaux
1.4. Enoncés au « plan locutoire »
2. Concision au plan sémantique
CHAPITRE VI : Désignation in situ et énoncés nominaux en français écrit
1. Désignation in situ dans le discours affiché
1.1. Désignation in situ avec étiquetage
1.2. Désignation in situ avec dispositif de présentation thématique
1.3. Désignation in situ avec dispositif de présentation cadre
2. Désignation in situ dans le contexte à émetteur particulier
2.1. Désignation in situ avec perception
2.2. Désignation in situ avec modalisation
2.3. Désignation in situ avec script
2.4. Désignation in situ dans l’espace perceptif imaginaire
2.4.1. Sujet de la désignation in situ dans l’espace perceptif imaginaire
2.4.2. Description d’une perception et désignation in situ
2.4.3. Nominalisation et désignation in situ
2.5. Désignation in situ avec complément en tête
3. Synthèse du chapitre VI
CONCLUSION
DEUXIÈME PARTIE Contraintes pragmatiques et linguistiques sur la formation de l’énoncé nominal
INTRODUCTION
CHAPITRE VII Contraintes pragmatiques et énonciatives
1. Contrainte pragmatique selon le mode de désignation in situ
2. Contraintes énonciatives de la relation intersubjective sur le mode de désignation in situ
2.1. Relations entre le point de vue de l’énonciateur et celui du récepteur visé
2.2. Corrélation entre chaque relation et chaque désignation in situ
2.2.1. Désignation in situ avec perception et relation intersubjective
2.2.2. Désignation in situ avec modalisation et relation intersubjective
2.2.3. Désignation in situ avec script et relation intersubjective
2.2.4. Désignation in situ dans la partie descriptive et relation intersubjective
2.2.5. Désignation in situ au moyen d’un complément en tête et relation intersubjective
2.2.6. Désignation in situ dans le discours affiché et relation intersubjective
3. Synthèse du chapitre VII
CHAPITRE VIII : Facteurs non linguistiques et composants linguistiques servant à la désignation in situ
1. Facteurs non linguistiques servant à la désignation in situ
2. Composants de l’énoncé nominal servant à la désignation in situ
2.1. Composants nécessaires pour la désignation in situ avec modalisation
2.1.1. Terme affectif ou axiologique
2.1.2. Modalisateur
2.1.3. Modalité d’énonciation marquée par une ponctuation
2.1.4. Terme exprimant une valeur subjective déontique
2.1.5. Terme évaluatif non axiologique
2.1.6. Relativisation de la subjectivité
2.1.6.1. Objectivation du jugement subjectif
2.1.6.2. Distanciation du jugement subjectif
2.2. Composants nécessaires pour la désignation in situ avec complément spatio-temporel en tête
2.3. Composants nécessaires pour la désignation in situ avec nominalisation
2.3.1. Détermination et localisation d’une occurrence dans le cas des énoncés nominaux composés d’une nominalisation
2.3.1.1. Cas des nominalisations dénotant un procès intrinsèquement délimité
2.3.1.2. Cas des nominalisations dénotant un procès non délimité
2.3.2. Synthèse de 2.3
2.4. Enumération en tant que forme qui oriente la désignation in situ
CONCLUSION
TROISIEME PARTIE Configuration des énoncés nominaux en français écrit
INTRODUCTION
CHAPITRE IX : Définition des composants des énoncés nominaux
1. Classement des composants des énoncés nominaux selon leur fonction pour l’identification de l’entité désignée
1.1. Déterminant
1.1.1. Déterminants autres que les articles
1.1.2. Articles
1.1.3. Déterminant zéro
1.1.3.1. Déterminant zéro remplaçable
1.1.3.2. Déterminant zéro non remplaçable
1.1.3.2.1. Rapport univoque entre l’extension et l’extensité évidente
1.1.3.2.2. Rapport entre l’extension et l’extensité obligatoirement univoque
1.2. Modificateurs
1.2.1. Dichotomie traditionnellement connue des modificateurs du nom : déterminatif et explicatif
1.2.2. Modificateurs du nom n’entrant pas dans la dichotomie traditionnelle
1.3. Complément adverbial
1.3.1. Adverbiaux portant sur l’ensemble de l’énoncé
1.3.2. Adverbiaux portant sur une partie de l’énoncé
CHAPITRE X : Etudes de cas
1. Procédure
2. Enoncés nominaux pour soi à l’oral représenté
2.1. Enoncés nominaux pour soi : désignation in situ avec perception
2.1.1. Configuration de base
2.1.2. Ajustements intersubjectifs spécifiques
2.1.3. Remarques : continuum avec la désignation in situ avec modalisation
2.2. Enoncés nominaux pour soi : désignation in situ avec modalisation
2.2.1. Configuration de base
2.2.2. Ajustements intersubjectifs spécifiques
2.3. Enoncés nominaux pour soi : désignation in situ avec nominalisation ou énumération
3. Enoncés nominaux à l’écrit dans une situation de coïncidence
3.1. Enoncés nominaux à l’écrit dans une situation de coïncidence : désignation in situ avec script
3.1.1. Configuration de base
3.1.2. Composants pseudo-subjectifs à valeur spécifiante
3.2. Enoncés nominaux à l’écrit dans une situation de coïncidence : désignation in situ avec perception
3.2.1. Configurations de base
3.2.2. Ajustements intersubjectifs : pas de marqueurs de la divergence
4. Enoncés nominaux à l’écrit dans une situation de divergence
4.1. Enoncés nominaux à l’écrit dans une situation de divergence : désignation in situ avec perception décrite
4.1.1. Configuration de base
4.1.2. Modélisations spécifiques de la perception
4.1.3. Remarques : adverbiaux, composants facultativement admis
4.1.3.1. Les compléments spatio-temporels en tête
4.1.3.2. Les adverbiaux à valeur subjective
4.2. Enoncés nominaux à l’écrit dans une situation de divergence : désignation in situ avec modalisation
4.2.1. Configuration de base
4.2.2. Non programmation du repérage en tête
4.2.3. Remarque : différence par rapport à la désignation in situ avec modalisation dans la situation de « pas de divergence »
4.2.3.1. Composants nécessaires à la désignation in situ particuliers à la situation de divergence des points de vue
4.2.3.2. Composants nécessaires à l’identification de l’entité désignée par le nom particuliers à la situation de divergence des points de vue
4.2.3.3. Composants accessoires
4.3. Enoncés nominaux à l’écrit dans une situation de divergence : désignation in situ avec nominalisation
4.3.1. Configuration de base
4.3.2. Contraintes spécifiques sur la détermination
4.4. Enoncés nominaux à l’écrit dans une situation de divergence : désignation in situ avec énumération
4.4.1. Configuration de base
4.4.2. Contraintes par un principe de cohésion
4.4.3. Remarque : présence ou absence de déterminant
4.5. Enoncés nominaux à l’écrit dans une situation de divergence : désignation in situ avec complément spatio-temporel en tête
4.5.1. Configuration de base
4.5.2. Composants incompatibles
5. Enoncés nominaux à l’écrit dans le discours affiché
5.1. Enoncés nominaux à l’écrit dans le discours affiché : désignation in situ avec étiquetage, avec dispositif de présentation thématique et avec dispositif de présentation cadre
5.1.1. Configuration de base
5.1.2. Déplacement contraint des circonstants spatio-temporels
CONCLUSION
CONCLUSION GÉNÉRALE

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