Les enjeux de la modélisation aérodynamique instationnaire des éoliennes
L’éolienne est, par définition, un dispositif mécanique utilisant la force motrice du vent. Cette force peut être utilisée mécaniquement (dans le cas d’une éolienne de pompage), ou produire de l’électricité (dans le cas d’un aérogénérateur). La limite de Betz prouve qu’une partie seulement de la puissance cinétique du vent peut être transformée en puissance mécanique via le rotor éolien. Par ailleurs, la plupart des codes actuels de calcul des efforts aérodynamiques reposent sur des simplifications susceptibles de nuire à la précision des résultats. Afin de proposer des éoliennes fiables et performantes, et de les dimensionner correctement, les constructeurs doivent donc disposer d’outils capables de calculer rapidement les efforts en service. Les enjeux actuels de la modélisation aérodynamique du rotor éolien peuvent être classifiés en trois niveaux :
Aérodynamique du rotor éolien
L’estimation du champ de vitesses et des angles d’incidence par rapport aux profils des pales est un élément fondamental de prédiction de la charge dynamique sur le rotor ainsi que de la puissance produite par l’éolienne [70, 40]. En effet, les paramètres régissant les forces aérodynamiques (portance, trainée) sur chaque section transversale de la pale sont : la vitesse relative, l’angle d’incidence, les propriétés physiques du fluide en écoulement et la géométrie de la pale. Le sillage induit une vitesse sur chaque section de pale. Cette vitesse induite est à l’origine d’une évolution de la charge aérodynamique supportée par les pales, car elle engendre une modification de la valeur de l’angle d’incidence sur chaque section transversale de la pale.
Sillage éolien
L’expérience prouve qu’une aile fixe sans rotation, installée dans un écoulement, produit à ses extrémités des tourbillons dits marginaux, advectés par l’écoulement. Par ses effets induits, cette vorticité influence la charge aérodynamique sur l’aile. Néanmoins, les effets induits n’ont plus d’influence sur la charge à une distance supérieure et à une valeur équivalente à quelque corde. Dans le cas d’un rotor d’éolienne, les tourbillons marginaux prennent une forme hélicoïdale. Par conséquent, cette influence limitée n’est pas observée. Au contraire, ce phénomène doit être pris en compte de façon complète afin de permettre le calcul de la charge du rotor de l’éolienne. La structure du sillage dépend fortement des conditions de fonctionnement de l’éolienne. Dans ce sillage, la nappe tourbillonnaire, issue du bord de fuite de la pale, s’enroule rapidement avec les tourbillons marginaux issus de l’extrémité des pales (figure1.1). Après une certaine distance, la forme hélicoïdale du sillage commence à disparaître et les tourbillons s’entrelacent et se désorganisent (figure1.2). Chaque changement de la forme du sillage s’accompagne d’un changement des valeurs des vitesses induites et donc de la charge sur le rotor. Lors d’un fonctionnement en dérapage au face au vent, les tourbillons marginaux sont à l’origine d’effets tels que la génération de bruit et la vibration des pales. Quand les tourbillons marginaux sont dans une zone voisine du rotor, les vitesses induites locales au rotor modifient l’angle d’incidence, qui produit à son tour des fluctuations temporelles de la charge. L’exploration de la structure du sillage du rotor éolien, indispensable au calcul des charges sur les pales et de la puissance utile, constitue un défi dans leur prédiction.
Elle présente en effet des difficultés à deux niveaux : sur le plan des mesures expérimentales (mesures non intrusives comme le LDV, le PIV) ainsi que sur le plan des outils de simulation actuels, car ces derniers ne permettent pas encore de prédire le sillage et la puissance de manière satisfaisante.
Sources d’instationnarité
Les éoliennes fonctionnent généralement au sein d’un écoulement instationnaire. La figure 1.3 résume les sources en apparence prédominantes, des charges aérodynamiques instationnaires sur le rotor éolien. En effet, la charge sur chaque élément de pale varie dans le temps à cause de divers effets. Les sources spécifiques prises ici en considération pour l’éolienne, sont les suivantes [41, 28, 34, 20] :
1. Vitesse et direction du vent : le vent souffle généralement à une vitesse rarement constante. Cet effet peut produire un changement significatif de l’angle d’incidence aux profils des pales. Ce changement est considérable dès lors qu’il s’accompagne d’une modification de la vitesse induite produite par le sillage, celui-ci changeant de forme en fonction de la vitesse du vent. Il en résulte donc un changement permanent des forces locales appliquées au rotor et une puissance variable en fonction du temps.
2. Couche limite terrestre : lors du fonctionnement de l’éolienne (surtout pour une éolienne de grande taille), la partie inférieure est alimentée par une vitesse de vent plus faible que sa partie supérieure (figure.1.4). Cela correspond à l’effet de la couche limite terrestre, qui freine l’écoulement de l’air en raison de la rugosité de la surface du sol, du relief ou des vagues où l’éolienne a été installée.
3. Rafales de vent : les rafales de vent peuvent engendrer, sur plus d’une seconde, des pics de vitesse de vent supérieurs à la vitesse du vent moyennée en cours de fonctionnement de l’éolienne. Ces variations soudaines dégradent de manière significative les composants mécaniques et électriques. Les charges mécaniques subissent aussi les effets de ces pics, facteurs d’importants couples dans le rotor de l’éolienne et engendrent des échauffements anormaux, voire de bris dans l’arbre de transmission.
4. Fonctionnement en dérapage : quand l’éolienne fonctionne dans une position où la direction du vent n’est pas perpendiculaire au plan du rotor, des variations instationnaires importantes des vitesses locales appliquées sur les pales peuvent se produire [36, 75, 55]. En effet, l’éolienne fonctionne souvent en dérapage, le mécanisme de contrôle du positionnement du rotor face au vent ne pouvant assurer une position idéale du rotor à tout moment. Dans le cas d’un fonctionnement de l’éolienne à une vitesse spécifique faible, une grande déviation de l’écoulement axial est susceptible de se produire, amplifiant ainsi ces effets instationnaires, malgré le vrillage des pales.
5. Effet du mât : le mât influe indiscutablement sur l’état des charges aérodynamiques au moment du passage des pales dans son sillage [58, 19, 45]. En effet, à chaque passage au voisinage du mât, les pales rencontrent une zone où la vitesse du vent est plus faible. L’écoulement est alors bloqué par la production d’une zone de réduction de la vitesse du vent à l’amont et à l’aval du mât. La chute de vitesse dans cette zone dépend du type de mât (tubulaire en acier, en treillis, mât haubané) et de ses dimensions. Un changement transitoire de l’angle d’incidence de chaque élément de pale se produit à chaque tour de pale, modifiant ainsi les charges appliquées par l’écoulement.
6. Turbulence : la turbulence atmosphérique est un phénomène majeur et un facteur important. Elle est généralement provoquée par des déplacements d’air de températures inégales [10], dans des régions présentant une surface de terrain très accidentée ou des obstacles. Les turbulences rendent plus difficile la récupération de l’énergie cinétique et augmentent les charges aérodynamiques appliquées aux composants mécaniques de l’éolienne. En général, on essaye donc d’augmenter la hauteur de la tour afin d’éviter que la turbulence engendrée près du sol influe sur la surface balayée par le rotor.
7. L’induction instationnaire du sillage : la variation temporelle des conditions aérodynamiques (vitesse, incidence, circulation) au rotor produit un effet sur la force et les positions des tourbillons émis et advectés dans le sillage à l’aval de l’éolienne. Ce processus d’évolution a un effet héréditaire dans le temps car il continue à se reproduire dans le développement du sillage.
8. Les effets tridimensionnels autours des profils des pales : L’existence d’une composante radiale d’écoulement engendre le développement d’une couche limite 3 − D sur la pale, ce qui complique un peu plus le comportement aérodynamique théoriquement prévu en 2 − D.
L’asymétrie des efforts de ces sources instationnaires se traduit par la présence de couples parasites. Ces couples augmentent les vibrations engendrées par le couple axial instationnaire sur l’ensemble rotor-ligne d’arbre, dangereuses pour la tenue mécanique des pales du rotor, elles mêmes soumises alors à une fatigue sous contraintes cycliques. Ces facteurs (couples parasites, vibrations et contraintes cycliques) sont en partie transmis par voie solide à l’ensemble du système (ligne d’arbre, génératrice), et au-delà, à la structure elle-même, au travers des paliers, de la butée et du berceau de la génératrice. Ce phénomène, à transmission purement solide, est directement relié aux fluctuations de charges aérodynamiques, ou portance instationnaire, de chacune des sections de pales.
Méthodes de modélisation aérodynamique d’une éolienne
Habituellement, les modèles d’écoulement autour du rotor éolien, supposent un fluide parfait et incompressible [21]. Parmi les méthodes les plus utilisées, on distingue :
Théorie de Froude-Rankine
Dans la théorie de Froude-Rankine [15], le rotor est considéré tel un appareil modifiant l’énergie cinétique du fluide qui le traverse. Cette théorie suppose un écoulement monodimensionnel et un fluide parfait et incompressible à travers le rotor. La surface balayée par les pales du rotor est remplacée par un disque perméable facteur d’une discontinuité de pression. Dans le cas d’une éolienne, ce disque extrait l’énergie cinétique du vent et provoque un ralentissement de l’air. Selon l’équation de continuité, le tube de courant enveloppant le disque augmentera son diamètre de l’amont à l’aval en traversant le rotor.
Afin d’exprimer la puissance du rotor P en fonction du coefficient de vitesse axiale induite, on utilise la théorie de quantité de mouvement et l’équation de Bernoulli. Grâce à cette méthode, il est possible de formuler la puissance du rotor en fonction du coefficient de vitesse axiale induite. Il est de même possible de démontrer que la puissance maximum extraite par le rotor n’excède pas 16/27 de la puissance disponible (loi de Betz), pour une vitesse induite égale à un tiers de la vitesse à l’infini amont [48]. Cette méthode ne tenant pas compte de la présence des pales est souvent, pour cette raison, simultanément utilisée avec la théorie de l’élément de pale.
Théorie de l’élément de pale
Cette théorie repose sur le découpage de la pale en plusieurs tranches à l’aide de surfaces cylindriques et sur une étude de l’écoulement menée tranche par tranche (figure 1.6). On suppose que l’écoulement dans un anneau est indépendant des autres anneaux. En conséquence, si on obtient les forces de traînée et de portance pour chaque tranche, on peut évaluer les caractéristiques intégrales du rotor. Pour obtenir les forces élémentaires, chaque tranche de la pale est présentée comme une aile cylindrique soumise au vent relatif créé par la vitesse du vent à l’infini et par la rotation. Les forces aérodynamiques sont calculées à partir des coefficients de traînée et de portance du profil dépendants de l’angle d’incidence [15, 29]. Les coefficients aérodynamiques sont obtenus à partir des essais et prennent en compte les effets de viscosité. L’intégration des forces aérodynamiques le long de la pale permet d’obtenir la force axiale, le couple et la puissance du rotor. La théorie de l’élément de pale donne des résultats satisfaisants à condition que les vitesses induites soient faibles. Or ce n’est pas le cas des éoliennes, qui fonctionnent souvent à une vitesse induite relativement grande, voisine d’un tiers de la vitesse à l’infini, afin d’approcher le point maximum d’énergie récupérable.
Théorie de l’élément de pale-quantité de mouvement
Cette approche est basée sur la théorie de l’élément de pale, mais la vitesse relative au profil est corrigée par les vitesses induites. Ici, la vitesse induite axiale est calculée pour chaque anneau élémentaire en appliquant le théorème de quantité de mouvement dans la direction axiale (figure 1.7). La vitesse induite tangentielle est calculée à l’aide du théorème de quantité de mouvement angulaire. On tient ainsi compte du champ de vitesses perturbé par le rotor. Contrairement à la théorie monodimensionnelle de Froude-Rankine, les vitesses induites varient le long de la pale [15, 66, 29]. Par contre, elles sont moyennées dans la direction azimutale. Cette théorie est actuellement améliorée à l’aide de différentes corrections prenant en compte le nombre fini de pales [71]. La prise en compte des effets tridimensionnels nécessite le recours aux polaires 2D corrigés ou aux polaires des profils tournants. Il existe également des corrections pour le fonctionnement de l’éolienne en dérapage (cas non axisymétriques), aux résultats satisfaisants et à faibles angles de désalignement. En raison de son calcul rapide et fiable, cette théorie est fréquemment utilisée par les fabricants d’éoliennes pour la conception et les études préliminaires et cela, en vue d’obtenir des résultats initiaux propices à lancer d’autres méthodes plus précises comme la méthode de sillage libre.
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Table des matières
Introduction
1 Méthodes de calcul d’un rotor éolien
1.1 Introduction
1.2 Les enjeux de la modélisation aérodynamique instationnaire des éoliennes
1.2.1 Aérodynamique du rotor éolien
1.2.2 Sillage éolien
1.2.3 Sources d’instationnarité
1.3 Méthodes de modélisation aérodynamique d’une éolienne
1.3.1 Théorie de Froude-Rankine
1.3.2 Théorie de l’élément de pale
1.3.3 Théorie de l’élément de pale-quantité de mouvement
1.3.4 Méthodes « Dynamic Inflow »
1.3.5 Méthodes basées sur la résolution des équations de Navier-Stokes (CFD)
1.3.6 Méthodes tourbillonnaires
1.4 Choix de la méthode de calcul
1.5 Conclusion
2 Développement d’un modèle de calcul des charges aérodynamiques utilisant l’approche de sillage libre
2.1 Introduction
2.2 Systèmes de coordonnées
2.3 Modèle aérodynamique de la pale
2.4 Mise en œuvre de la méthode de sillage libre
2.5 Résolution de l’équation du mouvement des marqueurs
2.5.1 Discrétisation de l’équation gouvernant le sillage
2.5.2 Calcul de la vitesse induite
2.5.3 L’avancement dans le temps avec le schéma prédicteur-correcteur
2.5.4 Traitement de la croissance du noyau du tourbillon marginal
2.6 Calcul de la charge aérodynamique
2.6.1 Algorithme de calcul
2.6.2 Application du code de sillage libre à différents cas d’écoulement
2.7 Conclusion
3 Validation à l’aide de solutions analytiques connues
3.1 Introduction
3.2 Validation du calcul de la vitesse induite
3.2.1 Filament tourbillonnaire rectiligne infini
3.2.2 Anneau tourbillonnaire
3.2.3 Tourbillon hélicoïdal
3.3 Validation du calcul de la vitesse auto-induite
3.3.1 Tourbillon parabolique
3.4 Influence du nombre de divisions et du rayon du noyau tourbillonnaire sur l’évolution de la vitesse induite et auto-induite
3.4.1 Influence du nombre de divisions de l’anneau tourbillonnaire
3.4.2 Influence du rayon du noyau tourbillonnaire
3.5 Conclusion
4 Application du modèle de sillage libre pour le fonctionnement d’une éolienne face au vent
4.1 Introduction
4.2 Description du dispositif expérimental
4.2.1 Rotor éolien testé
4.2.2 Soufflerie d’Arts et Métiers ParisTech
4.3 Vélocimétrie par image de particules PIV
4.4 Déroulement des essais
4.5 Application du modèle de sillage libre pour l’éolienne Rutland
4.5.1 Répartition de la circulation et de la vitesse axiale le long de la pale
4.5.2 Les positions des centres des tourbillons marginaux
4.5.3 Calcul de la puissance de l’éolienne testée
4.6 Conclusion
5 Conclusion générale
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