Tรฉlรฉcharger le fichier pdf d’un mรฉmoire de fin d’รฉtudes
SOINS QUOTIDIENS, PRECAUTIONS, PROTECTIONS
Les soins quotidiennement apportรฉs aux jeunes enfants, au-delร de leur visรฉe pragmatique, intรจgrent un certain nombre de protections et prรฉcautions contre les maladies, en particulier celles causรฉes par les jinneeji. Ces protections tรฉmoignent de vives craintes sโagissant de la survie des enfants (Erny, 1972 ; Lallemand, 1991), dans des contextes oรน la mortalitรฉ des enfants en bas รขge reste une rรฉalitรฉ tangible. Comprendre ces pratiques prรฉventives, cโest comprendre les dissonances qui sรฉparent les prรฉoccupations des mรจres de celles dรฉterminรฉes par la biomรฉdecine (Jaffrรฉ, 1996). Pour se protรฉger au quotidien, la rรฉcitation de versets coraniques tient une grande place. Elle ponctue les activitรฉs courantes, notamment celles qui sont susceptibles dโรชtre risquรฉes (voyage), celles qui exposent aux attaques de gรฉnies (dรฉplacements en brousse, sommeil, douche), ou celles qui nรฉcessitent une purification (rapports sexuels). La prononciation de la basmala, ยซ Bismillah ar-rahmรขn ar-rahรฎm21 ยป, qui remet lโaction au nom de Dieu, permet notamment de se prรฉmunir du mal au quotidien. ร lโenfant qui ne peut pas se protรฉger lui-mรชme, lโentourage adresse des รฉvocations dโAllah, des versets coraniques ou formules conjuratoires ร diverses occasions : au moment de la toilette, du repas ou de lโendormissement, pour calmer ses pleurs, pour soulager ses ยซ bobos ยป. Lorsquโun enfant prรฉsente des signes dโinconfort ou de douleur, il est fort probable quโun membre de sa famille, ou simple visiteur, notamment parmi les hommes รขgรฉs ayant reรงu un enseignement coranique, lui rรฉcite des versets, en dehors de toute demande de ses parents. La connaissance approfondie du Coran est rรฉservรฉe aux hommes, mais les femmes, notamment de castes maraboutiques, reรงoivent รฉgalement un enseignement coranique, leur permettant de rรฉciter leurs priรจres quotidiennes mais aussi de connaรฎtre les versets qui les protรจgent, elles et leurs enfants. De la grossesse au sevrage, les prรฉcautions et protections ร prendre envers lโenfant sont particuliรจrement denses.
Protรฉger le foetus des gรฉnies : espaces et moments critiques
La premiรจre grossesse (dikkuru) est souvent considรฉrรฉe comme la plus risquรฉe, et les prรฉcautions devant รชtre prises par la mรจre pour รฉviter gรฉnies (jinneeji) et sorciers (sukรฑo22) sont plus impรฉratives. La future mรจre ne doit pas marcher pieds nus, ne pas saluer les personnes de certaines castes ร la tombรฉe de la nuit, รฉviter les espaces pรฉriphรฉriques et les cimetiรจres (Diallo, 2004). Elle doit รฉviter de se rendre en brousse (Epelboin, 1982 ; Tall, 1984) et de sortir la nuit, interdit que lโon retrouve dans diverses traditions populaires (Loux, 1978 ; Lestrange & Passot-Guevara, 1981). Ces interdits correspondent aux lieux et aux moments dangereux, car exposant ร la rencontre avec les gรฉnies et les sorciers.
ยซ Le sukuรฑo attaque le plus souvent, pendant la saison froide et aux heures de repos: au zรฉnith, au crรฉpuscule, au petit matin en passant par la nuit. ร ce sujet, d’ailleurs, le haal pulaar normal (qui n’est pas sukuรฑo) ne manque pas de se souvenir qu’il lui a รฉtรฉ dรฉfendu de se promener dans les rues pendant que le sukuรฑo est supposรฉ รชtre aux aguets. ยป (Wane, 1991 : 45)
Ces lieux et moments risquรฉs, ยซ oรน lโon risque dโenfreindre la rรจgle de sรฉparation des deux mondes ยป (Gibbal, 1984 : 195) le sont tout particuliรจrement pour les personnes jugรฉes vulnรฉrables, telles que les femmes enceintes et les enfants en bas-รขge. Le moment de la priรจre du crรฉpuscule โ heure des jinneeji – est probablement le plus critique. Par crainte ou habitude, tous ou presque restent ร lโintรฉrieur des maisons, et mรชme les rues de Nouakchott se vident pour quelques instants. Les mรจres se rapprochent de leurs enfants, et gardent contact avec ceux qui se sont endormis. Le sommeil est un รฉtat de particuliรจre vulnรฉrabilitรฉ puisque lโombre de lโindividu (mbeelu) se dรฉtache lรฉgรจrement de lโรขme (fittaandu), et survole le corps (ษanndu), laissant plus facilement prise aux attaques (Wane, 1991). Les gรฉnies du fleuve (munuuji maayo) sont rรฉputรฉs รชtre parmi les plus puissants des jinneeji, dont seuls les subalษe (pรชcheurs) ont la maรฎtrise (Sow, 1982). Il est particuliรจrement risquรฉ, pour une femme enceinte, de traverser le fleuve. Le foetus pourrait รชtre changรฉ par les gรฉnies et la femme accoucher dโun de ces enfants impotents comme des poissons, dit biษษe maayo (enfants du fleuve). Les femmes enceintes doivent aussi รฉviter de croiser le chemin des pรชcheurs (subalษe), car ceux-ci, pour maรฎtriser les gรฉnies du fleuve, possรจdent des gris-gris puissants pouvant provoquer des fausses couches.
Protections et vie quotidienne
Pour se prรฉmunir des lieux et moments critiques, les femmes enceintes doivent utiliser des formules protectrices. Ces formules peuvent correspondre ร des versets coraniques รฉcrits puis diluรฉs dans lโeau (aaye), ou รชtre des incantations magiques et secrรจtes (cefi) transmises au sein de la parentรจle. Elles peuvent aussi utiliser, en talisman, des formes รฉcrites du coran (binndi). Nombreux guรฉrisseurs proposent aux femmes enceintes dโattacher autour de leur taille des gris-gris qui les protรฉgeront durant cette pรฉriode risquรฉe.
ยซ Jโai des protections que je donne aux femmes quand elles sont en รฉtat de grossesse. Et quand je leur donne cela, elles lโattachent et elles le gardent jusquโร la naissance. Et lorsquโelles arrivent ร lโhรดpital, le jour de la naissance, elles lโenlรจvent. Et le jour oรน elles lโenlรจvent, elles vont accoucher, mais tranquillement, et elles vont reprendre le gri-gri, et le mettre sous la tรชte du bรฉbรฉ. ยป (La mรจre des enfants, guรฉrisseuse wolof)
Contrairement aux femmes maures, qui sont considรฉrรฉes malades (Fortier, 2006) et ยซ sโallongent ยป, les femmes haalpulaaren, comme leurs homologues wolofs et soninkรฉs, poursuivent leurs activitรฉs au cours de leurs grossesses, bien quโelles les ralentissent (Landry Faye, 2013). Il semble exister relativement peu dโinterdits alimentaires sโexerรงant chez les femmes enceintes : les grand-mรจres rencontrรฉes nโont pas รฉtรฉ prolixes sur la question. Selon une enquรชte rรฉalisรฉe auprรจs des ยซ accoucheuses traditionnelles ยป, ces interdits seraient variables selon les rรฉgions, seuls le thรฉ, le sel et le beurre รฉtant frรฉquemment dรฉconseillรฉs (Sanwogou & Gnambodoue, 1984). Faisant le mรชme constat en pays soninkรฉ au Mali, Elodie Razzy (2007) fait lโhypothรจse que lโaccent est aujourdโhui davantage mis sur les aliments ร favoriser, plutรดt que sur les interdits alimentaires. Il est dโailleurs reconnu que lors de sa grossesse, la femme peut avoir des envies alimentaires particuliรจres (sayo). Selon nos interlocuteurs, il est important que ces envies soient satisfaites, sinon lโenfant risquerait des problรจmes de santรฉ, de souffrir de maux dโoreilles, ou de prรฉsenter des tรขches sur le corps. En fin de grossesse, et notamment en perspective de leur premier accouchement, les femmes haalpulaaren, comme leurs homologues maures, vont se rรฉfugier chez leur mรจre (reentoyahde) pour y trouver leur protection (Diallo, 2004 ; Landry Faye, 2013). Il nโest pas rare que ces dรฉplacements les รฉloignent dโun offre sanitaire plus qualifiรฉe, sachant que rejoindre les mรจres en question peut signifier se rendre au village. Dans ces situations, le sentiment de sรฉcuritรฉ et dโintimitรฉ recherchรฉ au travers de la familiaritรฉ entre en contradiction avec lโaccรจs ร une offre de soin qualifiรฉe.
Alimentation du nouveau-nรฉ
Les grand-mรจres sont particuliรจrement loquaces sur lโalimentation ร donner aux nouveau-nรฉs et aux nourrissons. Elles dรฉfendent vivement leurs savoirs ร ce propos, qui sont contredits par les recommandations de lโOMS relayรฉes par les professionnels de santรฉ. En Mauritanie, ces recommandations sont peu respectรฉes. Au niveau national, le taux dโallaitement maternel exclusif jusquโร six mois est estimรฉ ร 26,9% (MICS 2011). Selon une รฉtude rรฉalisรฉe ร Nouakchott, seules 18,4% des mรจres pratiquaient un allaitement exclusif jusquโร six mois, et 28% utilisaient des substituts de lait maternel (Diagana, 2010). Parfois, ces substituts sont particuliรจrement inadaptรฉs (laits animaux, gloria, laits en poudre non maternisรฉs,โฆ) ; ils sont donnรฉs ร la tasse, au biberon, ou ร lโaide dโun petit sachet appelรฉ ยซ zazou ยป. La malnutrition reste importante, les taux de la malnutrition aiguรซ globale (MAG) et de malnutrition aigรผe sรฉvรจre (MAS) ayant atteint respectivement 13,1% et 2,3% en 2013 (UNICEF, 2013). ร Nouakchott, les pratiques de nutritions inadaptรฉes constitueraient un des facteurs majeurs de cette malnutrition (Diagana, 2010).
Lโinfluence des grand-mรจres dans la poursuite de pratiques alimentaires dรฉfavorables a รฉtรฉ plusieurs fois mentionnรฉe pour la Mauritanie (Keith et Dedah, 2009 ; Diagana, 2010). Lโimportance de leur rรดle dans les soins de lโenfant est bien connue, mais leurs savoirs sont peu documentรฉs.
Lโingestion de graisses chez le nouveau-nรฉ
Bios Diallo (2004) dรฉcrit que le nouveau-nรฉ, jugรฉ faible pour rรฉussir ร tรฉter, est nourri, les premiers temps, avec du beurre de lait. Les femmes รขgรฉes rencontrรฉes considรจrent que lโenfant qui naรฎt a des ยซ saletรฉs ยป dans le ventre (fuketi), quโil lui faut rapidement excrรฉter. Ces ยซ saletรฉs ยป sont notamment associรฉes au ยซ mรฉconium ยป que le nouveau-nรฉ excrรจte peu aprรจs sa naissance. Afin que le ventre ยซ se nettoie bien ยป, les femmes รขgรฉes haalpulaaren recommandent de donner ร lโenfant de la ยซ graisse ยป (nebam), parfois dโautres aliments, facilitant lโรฉvacuation des selles. Une recommandation relevรฉe par dโautres enquรชtes (Sanwogou & Gnambodoue, 1984 ; Keith et Dedah, 2009). La consommation de ยซ graisses ยป a pour effet de provoquer une sorte de diarrhรฉe considรฉrรฉe comme une purge bรฉnรฉfique.
ยซ Il faut prรฉparer la graisse animale, on met dans un morceau propre, tu lui donnes ร manger matin et soir. Pendant un mois, si cela dure cโest mieux. Ensuite, quand lโenfant va ร la selle, il a les selles noires, comme lโencre que lโon utilise pour รฉcrire sur les planches coraniques, รงa ce sont toutes les maladies qui sortent, et ensuite lโenfant il peut grandir sans jamais avoir de maladies. [โฆ] La graisse animale si tu donnes cela au bรฉbรฉ, cela nettoie bien, รงa soigne les maladies, รงa enlรจve la constipation. [โฆ] Mรชme aprรจs, lorsque lโenfant grandira, il aura moins de maux de ventre. Cโest bon pour les enfants ! Cโest bon ! ยป (Neene L.)
Sโil nโingรจre pas de graisses, lโenfant souffrira de maux de ventre persistants, les ยซ saletรฉs ยป restรฉes dans son ventre pouvant constiper et รชtre ร lโorigine dโautres maladies. En milieu pulaar, les usages de la ยซ graisse ยป (nebam) sont nombreux dans les soins domestiques, pour le traitement de diverses maladies, en ingestion ou sous forme de massages. Le terme nebam peut dรฉsigner du beurre, de lโhuile ou de la graisse. Traditionnellement, cโest le beurre obtenu par barattage du lait de vache que lโon utilise ร des fins thรฉrapeutiques : ยซ Pour les maux de ventre, chez les nouveau-nรฉs, il faut prendre le beurre du lait, le presser dans un tissu pour extraire le meilleur ยป (Neene H). Ce beurre est aujourdโhui remplacรฉ par des huiles ou de la margarine industrielle, du beurre de karitรฉ, ou encore, des produits cosmรฉtiques. Mais les grand-mรจres racontent quโautrefois, le beurre utilisรฉ pour lโalimentation des nouveau-nรฉs รฉtait un beurre filtrรฉ pour รชtre le plus fin et pur possible. En milieu maure, le premier aliment donnรฉ ร lโenfant est une datte mรขchรฉe par une femme au comportement irrรฉprochable (Sanwogou & Gnambodoue, 1984). La ยซ purge ยป du ventre du nouveau-nรฉ est รฉgalement pratiquรฉe, en donnant notamment, les premiers jours suivant la naissance, du miel, des dattes. Selon Corinne Fortier (1991), il sโagit traditionnellement dโun mรฉlange de crรจme, de jarosite et dโargile ferrifรจre ou de khรดl, censรฉ ยซ ouvrir la voie ยป. De leur cรดtรฉ, les guรฉrisseurs encouragent la prise de matiรจres grasses ou de miel chez le nourrisson, quโils considรจrent favorable ร leur santรฉ : ยซ Pour la prรฉvention des maladies, il ne faut pas donner de biberon. On peut donner de lโhuile dโolive ou du miel. ยป (Guรฉrisseur maure) Les pleurs des nourrissons sont souvent interprรฉtรฉs comme pleurs liรฉs aux maux de ventre et aux constipations, ce qui tend ร appuyer les recommandations des grand-mรจres sโagissant de la consommation de graisses.
ยซ Quand lโenfant naรฎt, sโil passe la nuit en pleurant, sโil pleure la nuit, le matin, la premiรจre des choses ร faire cโest de voir sโil nโa pas de maux de ventre. ยป (Neene R.) Lorsquโun nourrisson pleure, les grand-mรจres vont avoir tendance ร considรฉrer quโil est constipรฉ, et reprocher aux mรจres de ne pas lui avoir donnรฉ les ยซ graisses ยป nรฉcessaires. La crainte de la constipation est aussi trรจs prรฉsente en milieu maure, oรน des plantes purgatives, notamment le hennรฉ, sont utilisรฉs en cas de pleurs du nourrisson sans raison apparente (Tauzin, 1998). Mรชme si les jeunes mรจres sont rรฉticentes au dรฉpart, il leur faudra encore rรฉsister face aux tensions suscitรฉes par les pleurs de lโenfant.
ยซ Mon petit-fils, le jour de son baptรชme, il a eu des maux de ventre aigus, son ventre รฉtait enflรฉ. Jโai demandรฉ ร ma belle-fille de lui donner des huiles vรฉgรฉtales, elle nโa pas voulu, et du lait, elle nโa pas voulu, et lโenfant continuait ร pleurer. Nous avons pris du savon, nous lui en avons mis comme suppositoire, et aprรจs cโest parti, lโenfant allait mieux. [โฆ] Quand lโenfant est nouveau-nรฉ, on a remarquรฉ que quand on met des huiles et tout cela, quand lโenfant il a des selles bleues ou jaunesโฆ, mettre les huiles animales cela permettait de ne pas avoir des maux de ventre aigus, dโavoir une bonne digestion, de ne pas avoir de constipation. Mais maintenant les mรฉdecins ils disent quโil ne faut pas. ยป (Neene R.)
Les pleurs des nouveau-nรฉs, mal supportรฉs, ne sont pas perรงus comme anodins. Si les jeunes mรจres souhaitent รฉviter de donner des graisses ร leur nouveau-nรฉ, il nโen demeure pas moins quโelles craignent que celui-ci soit constipรฉ : aussi vont-elles consulter si leur enfant ne fait pas de selles quotidiennes, ou sโil leur semble quโil pleure car il nโarrive pas ร excrรฉter.
Donner de lโeau ร boire aux nourrissons
Lโinterdiction de donner de lโeau ร boire aux nouveau-nรฉs est probablement une de celles les plus incomprises, mรชme chez les personnes ayant atteint un haut niveau de scolarisation. En 2007, la proportion dโenfants recevant de lโeau avant leur 6 mois รฉtait estimรฉe ร 87% (MICS, 2007). Il sโagit probablement dโune habitude de maternage ancrรฉe dans le quotidien, ailleurs observรฉe en milieu peul (Epelboin, 1982 ; Querre, 2002). La recommandation mรฉdicale de ne pas donner de lโeau aux nouveau-nรฉs est bien connue. Mais les grand-mรจres considรจrent cette proscription exagรฉrรฉe. ยซ Cโest maintenant que tu vois un enfant, il reste six mois sans boire ! On lui donnait de lโeau et lโenfant il avait les os solides ! Il ne mangeait pas, mais lโeau quand mรชmeโฆ ยป (Neene L.) Les grand-mรจres ne voient pas en quoi lโeau pourrait รชtre nocive aux nouveau-nรฉs : elles nโont, dโailleurs, pas reรงu dโexplications concernant cette recommandation. Elles craignent que lโenfant ait soif, et se demandent si cette recommandation est vraiment appropriรฉe dans un pays chaud comme la Mauritanie.
ยซ Ah nous en tout cas on donnait de lโeau. Mais maintenant, les sages-femmes elles disent quโil faut attendre six mois pour prendre de lโeau, mais moi, cela ne mโempรชche pas de donner de lโeau. Surtout quand il fait chaud. ยป (Neene S.)
De mรชme, chez de nombreuses mรจres, lโimpression que lโenfant souffre de la soif est plus grande que lโadhรฉsion ร la recommandation mรฉdicale. ยซ Je sais que je ne dois pas lui donner de lโeau mais je lui en donne, car jโai pitiรฉ de lui. ยป (Note de discussion, mรจre dโun enfant hospitalisรฉ, Hรดpital national). Au-delร de la soif supposรฉe de lโenfant, certaines grand-mรจres rencontrรฉes รฉvoquent lโintรฉrรชt de lโeau, pour la duretรฉ des os ou pour la fluiditรฉ de la digestion.
ยซ Les enfants sont fatiguรฉs de ne pas boire de lโeau. Les mรฉdecins disent de ne pas donner de lโeau, mais jusquโalors, on donnait de lโeau, lโeau est bonne pour les bรฉbรฉs.
Lโalimentation du nourrisson : confrontations de savoirs
Autour des questions relatives ร lโalimentation du nouveau-nรฉ, les savoirs des grand-mรจres entrent en contradiction avec les recommandations mรฉdicales. Celles-ci sont unanimes dans leur opposition aux recommandations des mรฉdecins sโagissant de ne donner ni beurre, ni eau, ni tout autre aliment avant six mois.
ยซ Mais aprรจs ils ont dit quโil faut faire cela doucement, รงa gรขte le ventre tout cela, รงa donne des problรจmes. Maintenant il y a beaucoup de maladies, et les pรฉdiatres ils disent que cโest ร cause du beurre. Surtout le beurre en paquet, ce nโest pas bon. Avant les petits on leur donne du sucre avec de lโeau, beaucoup de sucre aussi. Si tu veux quโil dorme, tu lui donnes du sucre avec un peu dโeau. Maintenant les pรฉdiatres ont dit que non, pas de sucre, pas de beurre. ยป (Neene B.) Partagรฉes sur les aliments ร intรฉgrer โ ou non – elles jugent en tout รฉtat de cause excessive lโemprise des recommandations mรฉdicales sur lโalimentation des nouveau-nรฉs, qui interdisent, pour ainsi dire, tout autre aliment que le lait maternel avant six mois. ยซ Mais maintenant les mรฉdecins interdisent les graisses animales, interdisent lโeau, ils interdisent, plein, plein de choses. ยป (Neene R.) Selon certaines dโentre elles, les nouveau-nรฉs dโaujourdโhui sont moins solides, car leurs mรจres, sous lโinfluence des mรฉdecins, ne leur donnent plus ni beurre ni eau.
ยซ Mais lโhuile, รงa aide lโenfant ร รชtre bien rassasiรฉ et ร nettoyer le ventre. Cโest alimentaire et cela aide aussi. Mais maintenant, les nouvelles gรฉnรฉrations, les nouvelles femmes, elles nโacceptent pas de donner cela ร leurs enfants. [โฆ] Les enfants avant รฉtaient plus solides, plus costauds, plus complets. Au bout dโun mois, on arrรชtait lโhuile animale, la graisse cela prend un mois seulement. ยป (Neene H.)
Le lait maternel nโest pas perรงu suffisant ร lโalimentation des nouveau-nรฉs, soit quโil ne suffise pas ร รฉtancher la soif et la faim, soit quโil soit jugรฉ trop collant. Une conception que lโon retrouve dans de nombreuses sociรฉtรฉs ouest-africaines recommandant dโy adjoindre divers aliments (Erny, 1988). Chez les Lobi du Burkina Faso, Michelle Cros (1991) analyse notamment que le lait maternel nโest pas perรงu ร lui seul suffisant, lโalimentation du nouveau-nรฉ รฉtant complรฉtรฉe par un mรฉdicament amer prรฉparรฉ par le patriclan du pรจre : une substance masculine qui tend ร supplanter, symboliquement, le rรดle nourricier du lait maternel. En milieu peul burkinabรฉ, la valeur nourriciรจre et identitaire du lait maternel apparaรฎt fortement marquรฉe : ยซ lโenfant devient Peul parce quโil boit ce lait ยป (Querre, 2002 : 111). Les grand-mรจres haalpulaaren valorisent elles aussi le lait maternel, mais considรจrent la nรฉcessitรฉ dโintรฉgrer dโautres aliments (graisse, dattes, sucre, biscuits, lait dโorigine animaleโฆ), pour que lโenfant soit plus fort (tiiษa). La recommandation de lโallaitement exclusif, faisant de la mรจre la seule nourriciรจre, revient ร รดter tout rรดle de nutrition aux grand-mรจres. Ceci heurte conception et organisation familiales, puisque quโen principe les grand-mรจres, en pรฉriode pรฉrinatale, sโoccupent des enfants et leur apportent des complรฉments alimentaires jugรฉs favorables ร leur croissance.
REPRESENTATIONS DES PRINCIPALES MALADIES DE LโENFANCE EN MILIEU HAAL PULAAR
Cette partie aborde, avec la nosologie pulaar des maladies de lโenfance, les logiques interprรฉtatives intervenant dans les trajectoires dโenfants malades. ร lโappui dโentretiens avec des grand-mรจres haalpulaaren, nous prรฉsentons les principales ยซ entitรฉs nosologiques populaires ยป (Olivier de Sardan, 1999) associรฉes ร lโenfance. Bien souvent les catรฉgories populaires ne correspondent pas avec les catรฉgories mรฉdicales : ยซ un non-isomorphisme des champs sรฉmantiques ยป (Jaffrรฉ, 1999) qui exige un travail ethnographique attentif. Les entitรฉs nosologiques ne sont pas non plus un substrat de traditions : nous analyserons comment elles accompagnent lโรฉvolution de lโenvironnement thรฉrapeutique, intรจgrent des termes mรฉdicaux ou des messages de santรฉ publique. Il faut รฉgalement se garder dโethniciser ces entitรฉs nosologiques (Le Marcis, 2001), et envisager, selon une approche comparative, comment elles mettent en jeu des reprรฉsentations partagรฉes avec dโautres sociรฉtรฉs plus ou moins proches culturellement.
Les modรจles explicatifs fournis par ces reprรฉsentations nโinterviennent pas de maniรจre linรฉaire et univoque dans lโรฉlaboration des trajectoires de maladie. Elles sont confrontรฉes ร lโรฉvolution des symptรดmes, aux explications des professionnels de santรฉ et guรฉrisseurs, au succรจs des traitements. Quelques rรฉcits de trajectoires sont rapportรฉs pour illustrer lโenchรขssement des interprรฉtations en contexte de maladie, et la mobilisation des entitรฉs nosologiques dรฉcrites par les grand-mรจres.
Came et tekko : ces maladies qui ยซ prennent ยป les enfants
Came et tekko correspondent respectivement ร la rougeole et ร la coqueluche. Ces deux maladies sont bien identifiรฉes par les populations (Jaffrรฉ, 1999), qui savent en reconnaรฎtre les symptรดmes. Bien que la prรฉvalence de ces deux maladies ait diminuรฉ avec la couverture vaccinale, ce sont les maladies des enfants les plus รฉvoquรฉes par les grand-mรจres, avant le paludisme, les diarrhรฉes et les infections respiratoires qui sont statistiquement les maladies aujourdโhui les plus meurtriรจres. Ces maladies sont redoutรฉes en tant que maladies mortelles, qui ยซ prennent ยป les enfants. Les grand-mรจres demeurent marquรฉes par les รฉpidรฉmies qui sรฉvissaient dans les villages, dont elles gardent un souvenir anxieux. Elles soulignent leur dangerositรฉ, y compris chez les adultes: ยซ Avant cela tuait, non seulement cela tuait les enfants mais cela tuait les grandes personnes. ยป (Neene R)
|
Table des matiรจres
Chapitre I : Inscriptions thรฉoriques et choix mรฉthodologiques
I-1 Rรฉfรฉrences conceptuelles dans le champ de lโanthropologie
I-1-1 De lโanthropologie de lโenfance ร lโanthropologie de la pรฉdiatrie
I-1-2 Dรฉcrire et caractรฉriser lโoffre de soin
I-1-3 Etudier les itinรฉraires thรฉrapeutiques
I-2 La mรฉthodologie mise en oeuvre : restituer le travail anthropologique
I-2-1 Les conditions dโenquรชte et son dรฉroulement
I-2-2 Rassemblement, analyse et synthรจse des donnรฉes
I-2-3 Autour dโune trajectoire de maladie : pistes de travail
Chapitre II : Les enfants en milieu haal pulaar, soins quotidiens et maladies
II-1 Les enfants haalpulaaren en famille
II-1-1 Enfants et systรจme de parentรฉ
II-1-2 รges, catรฉgories de lโenfance et sociabilitรฉs infantiles
II-2 Soins quotidiens, prรฉcautions, protections
II-2-1 Protรฉger lโenfant ร naรฎtre
II-2-2 Soins et protections du nouveau-nรฉ
II-2-3 Alimentation du nouveau-nรฉ
II-3 Reprรฉsentations des principales maladies de lโenfance en milieu haal pulaar
II-3-1 Came et tekko : ces maladies qui ยซ prennent ยป les enfants
II-3-2 Maladies du ventre et de la peau
II-3-3 Addo : maux des poussรฉes dentaires
II-3-4 Sooynabo : une maladie que les docteurs ne savent pas soigner
II-3-5 Fiรจvres et terminologie multiple du paludisme
II-3-6 รaw-รฑawto : lโenfant faible et maladif
II-3-7 ยซ รaw ษaleeษe ยป : maladies des gรฉnies et des sorciers
II-4 Interprรฉtations et nominations de la maladie
II-4-1 Des entitรฉs nosologiques aux interprรฉtations en situation
II-4-2 Nominations et rรฉcits en partage
II-4-3 Statuts sociaux des locuteurs et poids de la parole
II-4-4 Nominations et recours thรฉrapeutiques
II-4-5 Etre dรฉsignรฉ ยซ malade ยป : consรฉquences sur le statut des enfants
Chapitre III : Pluralisme thรฉrapeutique des guรฉrisseurs
III-1 Les pratiques des guรฉrisseurs urbains : รฉlรฉments de description
III-1-1 Islam et pratiques thรฉrapeutiques
III-1-2 Des pratiques thรฉrapeutiques se rรฉfรฉrant ร des ยซ traditions ยป plurielles
III-2 Statuts des guรฉrisseurs : positionnements thรฉrapeutiques et sociaux
III-2-1 Les guรฉrisseurs et la ยซ revalorisation de la mรฉdecine traditionnelle ยป
III-2-2 Les guรฉrisseurs face ร la biomรฉdecine : adaptations et stratรฉgies de lรฉgitimation
III-2-3 Traiter les maladies des enfants, une question qui divise les guรฉrisseurs
III-2-4 Implantation spatiale des guรฉrisseurs ร Nouakchott
III-3 Perceptions de lโoffre de soin des guรฉrisseurs
III-3-1 Terminologie pulaar de lโoffre de soin : ษileejo, cerno et daษotoodo
III-3-2 Perceptions des guรฉrisseurs en milieu maure
Chapitre IV : Systรจme de santรฉ et espaces thรฉrapeutiques
IV-1 Lโoffre de soin biomรฉdicale : aspects historiques et actuels dรฉveloppements
IV-1-1 Systรจme de santรฉ ร lโรฉpoque coloniale
IV-1-2 Evolution du systรจme de santรฉ et situation actuelle
IV-2 Perceptions du systรจme de santรฉ par les Mauritaniens
IV-2-1 Un rapport au systรจme de santรฉ marquรฉ par la mรฉfiance
IV-2-2 Le systรจme de santรฉ comme espace de coรปts et de profits
IV-2-3 ยซ Cโest la Mauritanie ! ยป : lโoffre publique dรฉprรฉciรฉe
IV-3 Les ยซ espaces thรฉrapeutiques ยป : variations socioculturelles et intrafamiliales
IV-3-1 ยซ Familiaritรฉ ยป rรฉsidentielle et construction des espaces thรฉrapeutiques
IV-3-2 Des espaces thรฉrapeutiques infantiles
IV-3-3 Diffรฉrences ethniques dans les espaces thรฉrapeutiques
IV-3-4 Des espaces thรฉrapeutiques diffรฉrenciรฉs par le genre
IV-3-5 Lโinfluence de lโรขge : des gรฉnรฉrations charniรจres dans les espaces thรฉrapeutiques
Chapitre V : Entre les murs de la pรฉdiatrie, soins et parcours de soins
V-1 Lโaccรจs aux soins hospitaliers : admissions et qualitรฉs des prises en charge
V-1-1 Lโadmission ร lโhรดpital : des moments denses et rรฉvรฉlateurs
V-1-2 Des admissions aux prises en charge : รฉlรฉments problรฉmatiques
V-1-3 La qualitรฉ des soins : focus sur lโhygiรจne et la douleur
V-1-4 Informer dans la relation thรฉrapeutique
V-2 Parcours de soins : des parents nรฉgociant a lโhรดpital
V-2-1 Des trajectoires de maladie diversement nรฉgociรฉes
V-2-2 Des parents acteurs des parcours hospitaliers
V-2-3 Lโidรฉal de protection familiale de lโenfant malade
Conclusion : Les configurations dโenfances canevas de lโaccessibilitรฉ des soins
Bibliographie
Tรฉlรฉcharger le rapport complet