Situation et motivations par Loriana Bartar
Lors de ma première formation pratique effectuée dans un établissement scolaire spécialisé pour des enfants en situation d’handicap, j’ai été confrontée à la problématique des résonances. En effet, le titulaire de la classe, un ancien psychologue, usait d’un comportement que je traduisais comme maltraitant et malveillant à l’égard des enfants et de moi-même. Cette situation m’a mise dans une posture inconfortable, car elle faisait écho à ma propre enfance. Je n’ai pas adopté la posture de victime comme à l’époque lorsque j’étais enfant. Face à la détresse de ces élèves qui réanimait en quelque sorte ma propre souffrance, j’avais besoin de compenser les carences et les souffrances que j’avais subies jeune en étant protectrice, pleine d’amour et de bonté envers eux. J’ai d’ailleurs tissé des liens très forts avec les élèves et je ne les considérais plus comme des enfants dont je devais m’occuper. Malgré mes alertes répétées tout au long du stage, aucune démarche n’a été entreprise. J’ai donc achevé ma formation pratique en dénonçant ces actes auprès du comité directionnel pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, j’imagine qu’à la place de ces enfants, j’aurais également voulu au fond de moi que quelqu’un dénonce la maltraitance que j’avais subie. Je l’ai donc fait pour eux, mais également pour moi, comme un acte de guérison, de compensation à ce que j’avais vécu antérieurement. Ensuite, je culpabilisais et je m’inquiétais de les laisser entre les mains de ce « professionnel ». Je ne faisais pas confiance à la stagiaire suivante et je ne pouvais pas concevoir de les abandonner. C’est la représentation que j’avais de la situation à l’époque. Même si ce terme est très fort, c’est ainsi que je l’ai ressenti. Enfin, c’est véritablement dans un processus de changement que j’ai agi. Tout au long de ma vie, je n’ai jamais osé me positionner et affirmer mes opinions. C’est avec le recul que j’ai compris que cette situation m’avait aidée à grandir et à m’écouter. Selon moi, le processus était totalement inconscient lorsque j’ai agi, c’est simplement par la suite que j’ai pu identifier ce processus et le traduire ainsi. La prise en charge des enfants était alors parfois faussée, car j’agissais en tant que « sauveuse ». Je devais veiller à leur bien-être, car ces actes étaient condamnables pénalement. Cette situation a malheureusement contaminé mon stage. Je ne parvenais pas à gérer mes émotions et à rester objective dans la situation. Avec le recul, j’ai réalisé qu’elles me bouleversaient et que je n’avais plus aucune maîtrise de moi-même, car la souffrance était beaucoup trop forte.
Grâce aux supervisions, j’ai également compris que j’avais effectué un transfert lors de ce stage. En effet, j’avais projeté les sentiments que j’éprouvais pour la personne qui m’avait maltraitée durant mon enfance sur le professeur de la classe. C’est pour cette raison que j’ai relevé mon manque d’objectivité auparavant. Ces actes sont, certes, intolérables, mais la haine que je ressentais pour lui était totalement démesurée. C’est pourquoi j’ai également fait un contre-transfert. Chaque parole, chaque acte venait éveiller en moi des réactions inconscientes en lien avec ma vie personnelle. En analysant la situation, j’ai alors saisi que j’avais essayé de réparer mon histoire personnelle en étant le «porte-parole» des enfants. Depuis ces événements marquants, une question de fond me passionne, à savoir dans quelle mesure le vécu des travailleuses sociales et des travailleurs sociaux se mobilise dans l’accompagnement d’une personne à travers le phénomène de la résonance. En tant que professionnelle, je reconnais l’importance de travailler sur mon passé, car je risque à nouveau de me retrouver face à des personnes dont l’histoire de vie pourrait faire résonance chez moi. C’est pour cette raison que je souhaite étudier cette problématique dans le cadre du Travail de Bachelor. La question de la résonance constitue un concept qui m’intéresse puisque je me sens concernée. Etant donné que cette notion est liée à mon vécu personnel et professionnel, il me paraît important de l’étudier et de l’approfondir pour la suite de mon parcours.
Motivations professionnelles
Nous avons compris, lors de notre formation, que l’ES constitue son propre outil de travail. En d’autres termes, l’ES agit et réfléchit selon ses expériences et ses ressentis et cherche en elle ou en lui afin de gérer différentes situations. Par ailleurs, dans le but d’accompagner convenablement des bénéficiaires, il est essentiel que l’aidant∙e soit disposé∙e à le faire. Selon nous, c’est dans son devoir de prendre soin de sa personne, de traiter de ses blessures afin de permettre une disponibilité totale face aux bénéficiaires et d’être préparé∙e à tout entendre. En d’autres termes, si l’aidant∙e ne se sent pas à l’aise avec ses propres émotions, comment envisager un accompagnement de l’autre ? Sans doute, les personnes aidantes doivent avoir un certain recul pour pouvoir se mettre à la place de l’autre, en laissant de côté leur propre expérience, et être empathiques tout en ne basculant pas dans « une extrême » sympathie. De plus, les professionnelles et professionnels du social doivent travailleur leur subjectivité de manière à pouvoir mobiliser leur histoire de façon consciente et réfléchie. Il semblerait que les résonances aient des impacts sur la relation d’aide et nous souhaitons savoir lesquels afin d’en prendre conscience et d’y rester attentive au cours de notre carrière.
Entre 1960 et 1990, les psychanalystes Didier Anzieu, René Kaës et Alberto Eiguer ont d’abord évoqué le terme des résonances dans les interactions d’individus au sein du même groupe dans lequel un phénomène inconscient se produit. Ensuite ce concept a été utilisé dans les sciences humaines signifiant l’écho d’une information circulant entre des membres en pleine interaction. (Mossier, 2009) Nous nous questionnons sur les résonances qui peuvent surgir et de ce qu’il advient de notre mission. Selon nous, les résonances peuvent réellement provoquer des situations de crises. Comment conserver notre humanité dans ses situations tout en respectant autrui et nous-mêmes. Au commencement de ce travail, nous avons réalisé combien de préjugés et de questions nous avions. Plus précisément, l’une était persuadée que le phénomène de résonance était un frein dans la relation, ce qui entraîne une prise en charge ou un accompagnement moins adéquat. L’autre pensait que c’était un moteur et qu’il favorise l’échange et le changement de manière positive. Nous voulions concrètement cerner ce qu’est une résonance.
Origine et définition du mot « résonance » Selon le dictionnaire de la langue française Larousse en ligne (consulté le 12 juin 2015), le mot « résonance » vient du latin « resonantia » qui se traduit par « écho ». Selon le même dictionnaire, voici une définition qui semble en lien avec notre sujet : « Ce qui provoque une réponse chez quelqu’un, ce qui l’émeut : « Son discours a eu une très grande résonance dans le milieu enseignant. » (Larousse en ligne, consulté le 12 juin 2015) Il est impossible, dans ce présent travail, de recueillir toutes les définitions, car elles sont principalement issues de la physique et de la chimie, ainsi que de divers domaines tels que la musique, la mécanique automobile, le génie civil, la navigation, l’acoustique, l’électricité, l’optique, la médecine, etc. Cependant, nous constatons une ressemblance entre la résonance en physique et la résonance en psychologie. Au 19ème siècle déjà, l’armée napoléonienne faisait l’expérience d’une résonance physique. En effet, le pont suspendu de Basse-Chaîne à Angers s’est écroulé après le passage d’un bataillon marchant en cadence. (Musée du génie, 2013)
Afin de mieux comprendre ce phénomène, nous avons visionné un reportage. Premièrement, un pont, comme tout autre objet, possède ce qu’on appelle une fréquence propre. Si cette fréquence propre est reproduite (comme une marche régulière, appelée aussi cadence), l’objet entre en résonance, puis vibre et termine par se rompre. Certes une petite excitation, mais régulière, peut provoquer de fortes oscillations jusqu’à la rupture. (France 5, 2012) Par ailleurs, voici une définition au sens physique qui permet de croire en une métaphore avec celle de la psychologie : « Le phénomène de résonance concerne les systèmes oscillants. Ce qualificatif s’applique à un système qui, lorsqu’on le déplace hors de sa position d’équilibre, est soumis à une force (dite « de rappel » parce qu’elle tend à le ramener vers cette position) proportionnelle à l’écart par rapport à l’équilibre. Dans ces conditions, le système est animé d’un mouvement oscillant de part et d’autre de sa position d’équilibre ; ce mouvement est caractérisé par sa période, temps qui sépare deux passages successifs (dans le même sens) du système en un même point.
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Table des matières
Remerciements
Déclarations
Résumé
1 Introduction
2 Situations et motivations
2.1 Situation et motivations par Loriana Bartar
2.2 Motivations professionnelles
2.3 Question de recherche
3 Description de la problématique
3.1 Objectifs
3.2 Objectifs théoriques
3.2.1 Objectifs de terrain
3.2.2 Objectifs d’action
3.2.3 Résonance
4 Origine et définition du mot « résonance »
4.1 Les résonances selon Mony Elkaïm
4.2Portrait
4.2.2 Sa théorie
4.2.3 L’équipe éducative face aux résonances
4.2.4 Risques des résonances
Résumé
4.3 Concepts avoisinants
4.4 Le transfert
4.4.1 Le contre-transfert
4.4.2 Le télé
4.4.3 Le co-conscient
4.4.4 L’empathie
4.4.5 La projection
4.4.6 La relation d’aide en entretiens
5 Portrait des auteurs
5.1 Ouverture et non-jugement
5.2 Vécu personnel
5.3 Limites de la relation d’aide
5.4 Résumé
5.5HES∙SO// Valais Bachelor of Arts in Travail social
6.Les émotions Essai de définition des émotions
6.1 Posture empathique
6.2 Implication, investissement et gestion
6.3 La gestion des émotions
6.3.1 Résumé
6.4 Ressources et compétences
7 Compétences
7.1Ressources
7.2 Ressources pour comprendre
7.2.1 Ressources pour agir sur mesure
7.2.2 Ressources pour opérer et persévérer
7.2.3 Ressources pour coopérer
7.2.4 Ressources pour progresser
7.2.5 Ressources de guidage
7.2.6 Lien avec notre travail
7.3 Hypothèses
8 Méthodologie
9 Terrain de recherche
9.1 Echantillon
9.2 Entretien semi-directif
9.3 Ethique de notre recherche
9.4 Déroulement des entretiens
9.5 Brève description des personnes interviewées
9.5.1 Vérification des hypothèses
10 Hypothèse 1
10.1 L’ES a conscience de sa résonance
10.1.1 L’ES cherche la nature de sa résonance
10.1.2 L’ES poursuit l’entretien
10.1.3 Récapitulatif
10.1.4 Hypothèse 2
10.2 L’agacement, la colère
10.2.1 La peur
10.2.2 L’empathie
10.2.3 La tristesse
10.2.4 La résonance comme moteur
10.2.5 Les degrés de résonance
10.2.6 L’ES interrompt le suivi
10.2.7 Récapitulatif
10.2.8 Hypothèse 3
10.3HES∙SO// Valais Bachelor of Arts in Travail social
10.3.1 Difficulté à créer le lien
10.3.2 La projection
10.3.3 La co-construction
10.3.4 Récapitulatif
10.4Hypothèse 4
10.4.1 Assumer ses ressentis
10.4.2 Acquérir plusieurs années d’expérience
10.4.3 Savoir manipuler la résonance
10.4.4 Travailler sur soi
10.4.5 Récapitulatif
11 Conclusion
11.1Synthèse
11.1.1 Les ES face à leurs résonances
11.1.2 Considérer la résonance comme une ressource
11.2 Limite de la recherche
11.3 Ouverture
11.4Processus d’apprentissage
11.4.1 Notre collaboration
11.4.2 Nos apprentissages
12 Annexes
12.1 Annexe 1 : grille d’entretiens
12.2Annexe 2 : grille analyse d’entretiens
13 Bibliographie
13.1 Livres
13.2 Mémoires de fin d’études
13.3 Documents PDF
Sites internet
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