L’école élémentaire : vers la « copie experte »
L’entrée au CP est un palier important, qui s’accompagne de changements profonds pour les élèves qui doivent continuer à « devenir élèves ». Si la transition entre Grande Section et CP est une préoccupation majeure des équipes éducatives, il n’en reste pas moins que les objectifs du cycle 2 induisent de nouvelles modalités d’apprentissage. L’écriture n’échappe pas à cette logique : des « essais d’écriture » valorisés et corrigés a posteriori, les élèves passent à l’apprentissage de gestes graphiques guidés en amont puis reproduits dans un espace d’écriture très contraignant (lignage double d’abord, puis marges et réglure Seyès des cahiers). Au c ycle 1, l’apprentissage de l’écriture cursive n’est pas approché de façon systématique ; au CP, les élèves réinvestissent les compétences acquises en motricité fine, à travers les activités de graphisme notamment, dans l’apprentissage des gestes graphiques spécifiques à l’écriture cursive : formation des lettres et des chiffres avec les«« bouclesboucles », «», « cannescannes » et «» et « coupescoupes », régulation de la taille des différents éléments (jambages, », régulation de la taille des différents éléments (jambages, étrécies, harmonisation des lettres) et gestion de l’espace d’écriture (resétrécies, harmonisation des lettres) et gestion de l’espace d’écriture (respect des lignes et interlignes, pect des lignes et interlignes, espacement des mots). espacement des mots).
Ainsi, au CP, les élèves doivent savoir «au CP, les élèves doivent savoir « copier un texte très courtcopier un texte très court dans une écriture cursive lisible, sur des dans une écriture cursive lisible, sur des lignes, non lettre à lettre mais mot par motlignes, non lettre à lettre mais mot par mot […] en respectant les liaisons entre les lettres, les […] en respectant les liaisons entre les lettres, les accents, les espaces entre les mots, les signes de ponctuation, les majuscules.accents, les espaces entre les mots, les signes de ponctuation, les majuscules. ». Cet objectif est ». Cet objectif est complété par complété par la mention «produire un travail écrit soigné ; maîtriser son attitude et son geste pour la mention «produire un travail écrit soigné ; maîtriser son attitude et son geste pour écrire avec aisance ; prendre soin des outils du travail scolaireécrire avec aisance ; prendre soin des outils du travail scolaire3 »» : le geste graphique semble alors : le geste graphique semble alors lié à la notion de «lié à la notion de « soinsoin » prise dans son ensemble, et non comme» prise dans son ensemble, et non comme une compétence spécifique. Par la une compétence spécifique. Par la suite, du CE1 au CE2, les compétences liées à l’écriture sont toujours pensées en termes de suite, du CE1 au CE2, les compétences liées à l’écriture sont toujours pensées en termes de «« copiecopie », les exigences de maîtrise graphique étant graduellement remplacées par la correction », les exigences de maîtrise graphique étant graduellement remplacées par la correction orthographique, semblant de fait orthographique, semblant de fait limiter l’exercice du geste graphique aux deux premières années du limiter l’exercice du geste graphique aux deux premières années du cycle 2, avec pour objectif principal la copie aisée, fluide et efficace de textes de plus en plus longs. cycle 2, avec pour objectif principal la copie aisée, fluide et efficace de textes de plus en plus longs.
Cependant, comme pour le cycle 1, les programmes de 2015 s’attardent davantage sur la maîtrise du la maîtrise du geste graphique. geste graphique. UneUne précision peut être retenueprécision peut être retenue : le cycle 2 s’attache à «: le cycle 2 s’attache à « complétercompléter » » l’apprentissage de l’écriture initié en maternelle, avec le «l’apprentissage de l’écriture initié en maternelle, avec le « guidage [du professeur] aussi longtemps guidage [du professeur] aussi longtemps que nécessaireque nécessaire ». Cette formulation semble réaffir». Cette formulation semble réaffirmer la nécessité d’accorder à l’apprentissage de mer la nécessité d’accorder à l’apprentissage de l’écriture un temps long, et variable d’un élève à l’autre. La mention de «l’écriture un temps long, et variable d’un élève à l’autre. La mention de « vitesse [et de] sûreté vitesse [et de] sûreté croissantescroissantes » renvoie aux compétences de copie experte que l’on attend en cycle 3. Le geste » renvoie aux compétences de copie experte que l’on attend en cycle 3. Le geste graphique, dans graphique, dans les programmes de 2008, était essentiellement lié à ces activités de copieles programmes de 2008, était essentiellement lié à ces activités de copie ; ceux de ; ceux de 2015 continuent d’affirmer l’importance de ces activités dans l’acquisition et le perfectionnement 2015 continuent d’affirmer l’importance de ces activités dans l’acquisition et le perfectionnement du geste graphique. du geste graphique.
Il y a dans les programmes d’enseignement deux persistances dans le traitement du geste sistances dans le traitement du geste d’écriture. Premier constat d’écriture. Premier constat : il appartient surtout aux cycles des apprentissages premiers et : il appartient surtout aux cycles des apprentissages premiers et fondamentaux. La maternelle est le lieu de la découverte de l’écriture et de l’entraînement fondamentaux. La maternelle est le lieu de la découverte de l’écriture et de l’entraînement graphomoteur via des activités dgraphomoteur via des activités de graphismee graphisme ; le cycle 2 est le temps d’un apprentissage guidé, où ; le cycle 2 est le temps d’un apprentissage guidé, où l’on exige des élèves une adéquation aux normes de notre système d’écriture. L’objectif de cet apprentissage est la maîtrise de l’écriture cursive, vecteur majoritaire des productions écrit es à l’école. Deuxième constat : malgré la place qu’occupe le geste d’écriture au quotidien dans les activités scolaires, il est somme toute « évacué » des programmes dès la fin du cycle 2 ; hormis les mentions de « copie » (et, dans les programmes les plu s récents, l’appel à la remédiation pour les élèves dysgraphiques), les attendus de cycle 3 ne contiennent pas de référence au geste graphique.
L’écrit comme support de travail (réflexion, brouillon, prise de notes) est pensé termes de « rédaction » : tout se passe comme le geste graphique pouvait être considéré comme acquis à la fin du cycle 2, et par conséquent devenir un outil fonctionnel, maîtrisé, au service de la réflexion au cycle 3.
Les programmes tels qu’ils ont été conçus au cours des dernières années soulèvent plusieurs questions : quelles sont les finalités de l’apprentissage du geste graphique ? La simple lecture des attendus de fin de cycle du premier degré laisse à penser que l’objectif cet apprentissage est la maîtrise de techniques de copie s et, à plus long terme, de prise de notes efficace. Comment repenser ces objectifs, en lien avec l’évolution des techniques d’information et de communication.
Enseigner l’écriture : une évidence
Les programmes d’enseignement ne donnent finalement que très peu d’informations quant au geste graphique. Ils définissent en creux ce qui est attendu à la fin de la maternelle : une motricité « entraînée » aux gestes spécifiques de l’écriture, afin d’aborder l’écriture cursive en fin de grande section évent uellement, mais surtout au cours de l’année de CP. Si l’apprentissage de l’écriture cursive tient dans ce niveau ainsi qu’au CE1 une place importante en termes de contenu et de volume horaire, il n’est pas spécifiquement mentionné dans les « horaires d u cycle des apprentissages fondamentaux » 4 . Cette tension théorique entre le caractère fondamental de l’apprentissage de l’écriture et sa relative discrétion dans les programmes soulève une interrogation sur les pratiques : comment enseigner l’écriture d ans une continuité, les objectifs et attendus délivrés par les programmes ne donnant que peu d’éléments pour construire et évaluer des progressions ? A cette interrogation s’ajoute celle, plus large, de l’avenir de l’écriture dans un monde où les nouvelles technologies informent et bouleversent notre relation à l’écrit : quelle place le geste graphique tiendra t il dans la vie de nos élèves ?
Le « paradoxe de l’écriture »
La liberté pédagogique s’applique à l’enseignement de l’écriture comme aux autres champs disciplinaires, et chaque enseignant de cycle 2 est libre de choisir les situations d’apprentissage qui lui paraissent le plus appropriées. Il reste cependant que le rapport à la norme, au code, y est plus prégnant que dans d’autres domaines ; apprentissage de l’écriture à l’école convoque l’image de l’alphabet cursif et ses lettres calibrées, que l’on trouve dans toutes les salles de classe du cycle 2.
En classe, l’enseignant s’efforce d’écrire le plus conformément possible à cette norme qui constitue, finalement, la principale ligne directrice dans l’enseignement de l’écriture ; cette écriture en classe n’est pas nécessairement celle qui est la sienne en dehors de la classe . L’écriture qui est enseignée en classe est un étalon que peu de script eurs parviennent à atteindre ou à conserver en dehors du contexte scolaire.
C’est à ce propos qu’Adeline Gavazzi Eloy évoque le « paradoxe de l’écriture enseignée » 5, une écriture très éloignée de celle que les enseignants pratiquent au quotidien en dehors du temps d’enseignement. Cherchant à expliquer ce décalage entre écriture enseignée et pratique usuelle, Adeline Gavazzi Eloy avance l’idée que l‘écriture usuelle n’est pas conçue comme un objet d’apprentissage mais comme une acquisition spontanée ; « o n apprendrait à écrire comme on apprend à marcher, naturellement ». En d’autres termes, une fois la capacité motrice acquise et après un guidage formel sur un temps limité, l’enseignement de l’écriture « prend fin » soit, si l’on se réfère aux attendus d es programmes, à la fin du cycle 2. Dès lors, il semble que l’on considère acquis l’ensemble des techniques nécessaires à la maîtrise du geste graphique : tenue du stylo, coordination des articulations épaule coude poignet doigts, forme et taille des lettres, gestion de l’espace sur la feuille. Mais la maîtrise de ces gestes techniques, si elles sont suffisantes pour satisfaire aux exigences de l’écriture calligraphiques, peuvent elles garantir l’aisance dans la pratique usuelle de l’écriture ? Un élève de CP ou de CE1 qui complète des lignes d’écriture avec soin, en respectant la taille des lettres et en s’approchant du modèle calligraphique, sera t il capable de faire de l’écriture un outil de travail, au service de sa mémoire, de sa réflexion ? A priori, rien ne l’indique.
Cette distinction entre écriture enseignée, « calligraphique », et écriture fonctionnelle, « pratique », soulève des questions quant aux objectifs de l’enseignement de l’écriture. Qu’enseigne t on lorsque l’on cherche à amener les élève s vers la maîtrise du geste graphique ? Qu’est ce que « bien écrire »pour un élève ? La clarification des objectifs, sur laquelle nous reviendrons par la suite, est essentielle pour évaluer les élèves, et surtout construire des progressions allant au delà des deux premiers cycles d’enseignement et au delà de l’enseignement primaire.
Enseigner l’écriture à l’ère du numérique
Un autre questionnement imprègne et modifie profondément la question de l’apprentissage de l’écriture dans l’enseignement privé : celui de sa validité même, alors que les nouvelles technologies de la communication et de l’information semblent éliminer progressivement le manuscrit. Il faut envisager, sans doute, la progression du numérique non seulement dans l’enseignement scolaire et universitaire, mais dans toutes les instances du quotidien. Comment, alors, enseigner l’écriture ? Et dans quel but ?
La remise en question de l’apprentissage du geste d’écriture face aux nouvelles technologies peut paraître excessive, ou prématurée. Pourtant, elle se pose aux États Unis depuis quelques années déjà, et a abouti à la décision d’éliminer l’écriture cursive du tronc commun de connaissances dans 45 états, au profit du traitement de texte dans la plupart des cas. A la rentrée 2016, la Finla nde annonce à son tour l’évacuation progressive de l’écriture cursive des programmes d’enseignement, puis le passage progressif à l’apprentissage de l’écriture au clavier clavier6 Il ne s’agit certes pas d’abandonner tout enseignement du geste graphique : c’est bi en de la « disparition » de la cursive dont il est question dans un premier temps. Le script, qui restait jusqu’alors l’écriture des premières années de scolarité, devient le mode d’écriture privilégié par les pays qui prennent la décision de refonder l’en seignement de l’écriture. L’argument avancé par l’institution finlandaise est celui de la plus grande adéquation du script aux matériaux écrits rencontrés à l’heure actuelle, alors que la communication manuscrite s’est très largement effacée derrière les m ails, messages textes, espaces de discussion sur internet.
La prévalence du numérique dans le domaine de l’information et de la communication, l’évolution rapide de la technologie, ont conduit à une profonde remise en question de l’enseignement de l’écrit ure. Sans le numérique et ses supports modifiables à l’envi, sans les possibilités de reprographie actuelles, le quotidien, à l’école avait un autre visage : l’écriture était nécessaire, permanente, inévitable, tant pour les élèves que pour les enseignant s. Aujourd’hui, le recours au matériel photocopié est fréquent et les moments de copie se raréfient : l’écriture perd de sa nécessité à l’école même, en quelque sorte. Parallèlement à ce constat, des études ont pu montrer le coût et cognitif important de l’apprentissage conjoint du script et du cursif et remettre en question le bien fondé de la maîtrise de ces deux graphies.
Un autre argument émerge, fondé sur un souci d’égalité dans les pratiques évaluatives : il s’agit de privilégier l’écriture au clavier, afin de ne pas pénaliser les élèves dont la graphie ne correspondrait pas aux attentes de l’institution scolaire.
Le débat est ouvert ; il a suscité études et réactions qui tendent à montrer sa validité. De l’abandon de l’écriture cursive au passage à l’écriture au clavier, les écoles s’interrogent : faut il continuer à enseigner l’écriture ? Si oui, comment, et à quelles fins ? Si, en France, l’abandon de l’écriture cursive ne semble pas à l’ordre du jour, il convient de s’interroger sur la façon dont l’école d’aujourd’hui doit aborder la maîtrise de l’écriture.
La maîtrise du geste graphique : quelles finalités
Il n’existe pas de réponse tranchée aux questions multiples soulevées par le débat sur la place de l’apprentissage de l’écriture dans les programmes scolaires. D’une part, ce débat est relativement nouveau; d’autre part, il a suscité de nombreux travaux de recherche sur lesquels le recul est encore insuffisant de même, les mesures prises aux États Unis ou en Finlande sont trop récentes pou r en tirer des conclusions définitives.
Face à ces mesures, de nombreuses voix se sont élevées pour réaffirmer l’importance de l’écriture dans les processus d’apprentissages chez les jeunes et moins jeunes enfants : enseignants, pédagogues, spécialist es du développement s’entendent sur le rôle central que joue l’apprentissage de l’écriture dans le développement psychomoteur. L’école française n’est pas prête à délaisser l’écriture et continue de l’inclure dans ses programmes d’enseignement les programmes de 2015 le montrent. Cependant, il convient de continuer à interroger la finalité de l’apprentissage du geste graphique, afin d’adapter son enseignement au monde dans lequel les élèves grandiront et évolueront.
Écrire, lire, mémoriser
Réagiss ant à la disparition programmée de l’écriture manuscrite dans les écoles finlandaises,Alain Bentolila affirmait que « si l’on perd l’écriture manuscrite, c’est l’apprentissage de la lecture qui est mis à mal » 9. Ce qui entre en jeu dans l’apprentissage du geste graphique dépasse très largement les objectifs apparents en termes de motricité fine et de réponse à des exigences normées.
Les neurosciences montrent l’impact du geste d’écriture sur le développement non seulement moteur mais aussi cognitif.
A la différence du dessin ou des activités de graphisme, la maîtrise du geste d’écriture fait appel à des processus de mémorisation et de différenciation lors de la formation des lettres, mais aussi de leur identification. Le geste graphique, sur lequel nous a vons choisi de centrer la présente réflexion, ne peut cependant être détaché de son rôle d’encodage : il est vecteur de mots, de sens, il est un outil de communication. En cela, il informe profondément l’organisation cérébrale et le développement de fonct ions cognitives essentielles dans l’apprentissage. La « trace » laissée par un élève scripteur est porteuse de sons, de sens : c’est un signe qu’il a fallu convoquer, et peu à peu dès la maternelle l’élève perçoit la correspondance graphophonologique qui constituera au cycle 2 l’essentiel de son rapport à la langue écrite. Écrire se situe à la jonction de facultés motrices, sensorielles et cognitives 10: c’est dans le geste graphique que se noue la relation entre le tracé des lettres, le son qu’elles pro duisent, le sens qu’elles construisent lorsqu’elles sont associées.
Apprentissage de l’écriture et apprentissage de la lecture sont donc fortement liés. Cette intrication se retrouve dans les progressions des programmes scolaires : maîtrise du geste et graphique et rapport graphophonologique se construisent conjointement et ne cessent de se nourrir, dès la maternelle et de façon prévalent en cycle 2. Ainsi, Alain Bentolila affirme t il.
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Table des matières
INTRODUCTION
I POURQUOI APPREND ON A ECRIRE ? LE GESTE GRAPHIQUE EN QUESTION
A. Les programmes et approches actuels
B. Enseigner l’écriture : une évidence?
C. La maîtrise du geste graphique : quelles finalités ?
II LES ELEVES ET L’ECRITURE : DONNER DU SENS, CREER DU LIEN
A. L’écriture en CE1 : observations dans ma classe
B. Les perceptions et la perte de sens : lignes, tracés,copie
C. Les écritures, particularités et universalités : la création de lien
III DYSGRAPHIES EN CE1 : PISTES DE REMEDIATION
A. Quatre exemples de dysgraphie
B. L’approche graphomotrice
C. Bilan et perspectives
Quelques mots de conclusion
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