Lors de l’année 2016, j’ai eu la chance de pouvoir assister à une conférence du Professeur Gueguen. Adressée aux enseignants de cycle 1, la conférence abordait des pistes de réflexion sur la manière de se comporter avec les jeunes enfants, afin que l’enseignement favorise au maximum le développement du cerveau des élèves. J’ai retenu de cette conférence que la nature de la relation à autrui joue un rôle important dans la construction des circuits neuronaux définissant la sociabilité future de l’enfant. Ceci m’a rappelé les enfants que j’ai côtoyé durant ma scolarité en primaire, qui étaient placés en ITEP . Leur placement dans cet institut était dû à un échec scolaire (que ce soit les résultats ou le comportement), leur point commun était leur histoire familière très particulière. Tous ont subis des sévices, physiques ou psychologiques, durant leur enfance. J’avais donc initialement prévu d’étudier l’impact de la maltraitance émotionnelle sur la partie du cerveau qui permet le raisonnement en comparant des enfants scolarisés en ITEP et des enfants scolarisés en école « traditionnelle ». Mais en octobre 2017, j’ai été affectée en tant que professeur des écoles stagiaire dans une école maternelle. Les ITEP n’accueillant pas de si jeunes enfants, j’ai dû modifier mon approche. Dès ma prise de poste j’ai été confrontée à des difficultés face à la gestion de cette classe de maternelle. En effet, j’ai été surprise de constater des problèmes de violence autant physique que verbale entre les élèves, pourtant très jeunes. Après différentes discussions avec les professeurs m’encadrant, j’ai décidé d’orienter mon expérimentation sur le développement de compétences sociales qui pourraient m’aider ensuite dans la vie de classe quotidienne. Disposant d’un élevage de phasmes personnel, j’ai choisi de l’utiliser comme support d’apprentissage de ces compétences .
L’élève : futur citoyen
Le rôle de l’école maternelle
D’après les nouveaux programmes de 2015, la mission principale de l’école maternelle est de « donner envie aux enfants d’aller à l’école pour apprendre, affirmer et épanouir leur personnalité ». Ils stipulent que les apprentissages sont structurés autour d’un enjeu de formation central : « Apprendre ensemble et vivre ensemble ». Ce domaine met en avant l’importance de la préscolarisation avec une première confrontation à la collectivité pour les enfants, qui vont devoir apprendre à être élève et à évoluer dans une microsociété régit par des règles communes spécifiques. En effet, les deux objectifs du vivre ensemble sont de « comprendre la fonction de l’école » et « de se construire en tant que personne singulière au sein d’un groupe ». Les aptitudes sociales développées en maternelle seront alors approfondies en élémentaire, notamment dans le cadre de l’enseignement moral et civique.
L’enseignement moral et civique ou EMC
➢ La refondation de l’Ecole de la République
L’EMC a été créé par la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République du 8 juillet 2013. Ce nouvel enseignement est mis en œuvre à partir de la rentrée 2015 et se décline de l’école élémentaire au lycée. Cet enseignement est composé d’une partie « morale » qui reflète un ensemble de valeurs humaines nécessaires à un individu et une partie « civique » présentant les libertés et droits fondamentaux de l’individu citoyen. Ce nouveau programme tend à montrer qu’une citoyenneté publique ne peut se construire sans morale individuelle et réciproquement.
➢ Les axes d’apprentissages
Le programme d’EMC est divisé en quatre axes d’apprentissages :
– La sensibilité : mieux connaitre et identifier ses sentiments et émotions et ceux d’autrui,
– Le droit et la règle : s’exprimer dans un cadre règlementé par des valeurs communes,- Le jugement : appréhender le point de vue d’autrui, argumenter face à la complexité des problèmes moraux et justifier ses choix,
– L’engagement : devenir acteur de ses choix, participer à la vie collective. La finalité de l’EMC est le développement de l’élève en tant que futur citoyen, personne libre et éclairé, disposant d’une réflexion propre.
Le développement de l’enfant
« Le mot « cognition » – ainsi que l’adjectif « cognitif » – désignent la pensée, l’esprit, l’intelligence au sens général des connaissances et opérations mentales d’un individu, ou encore l’âme, pour reprendre un terme plus ancien. L’organe de la cognition est le cerveau. » O.Houdé et G.Leroux, Psychologie du développement cognitif (2009) p.10
Dans les modèles qui vont suivre, l’intelligence dont on parle est celle qui se mesure grâce au quotient intellectuel (QI) soit l’intelligence logico-mathématique.
Les stades de Piaget
Piaget est considéré comme la plus grand psychologue du développement de l’enfant du XXe siècle, il a permis de changer le regard porté sur l’enfant qu’il considère comme un « petit savant ». Il est convaincu que les opérations « logico mathématiques » sont ancrées de façon biologique, qu’une zone du cerveau est dédiée à ce type d’opérations. Piaget propose alors une théorie constructiviste qui explique que les structures intellectuelles se développent progressivement par interaction entre l’individu et son environnement. Pour lui le processus de développement et celui d’apprentissage sont indépendants, les apprentissages découleraient des structures qui se mettent en place progressivement dans le cerveau : l’apprentissage est fonction du développement cognitif. Considérant l’intelligence de l’enfant comme « linéaire et cumulative », Piaget défini plusieurs stades qui se succèdent et se cumulent en une progression. C’est le « modèle de l’escalier » sur lequel on distingue trois grandes marches : 1 – le stade sensori moteur chez le bébé, 2 – le stade préopératoire chez l’enfant et 3 – le stade des opérations formelles chez l’adolescent.
➢ Le stade sensori-moteur de 0 à 2 ans
Durant ce stade, le bébé interprète le monde qui l’entoure, son milieu, par le biais de ses sens et de ses actions. A partir de ses réflexes néonataux, le nouveau-né apprend comment fonctionne le monde physique qui l’entoure et quels sont les moyens dont il dispose pour agir dessus. Les règles dont prend conscience le bébé sont de plus en plus complexes et sont appelées « schèmes d’action ». Ces schèmes d’action sont construits par rapport à un objet précis puis sont appliqués à de nouveaux objets. Ainsi vers 8 mois, le bébé acquiert la notion de « permanence de l’objet », il prend conscience que si un objet est enlevé de son champ de vision, il continue d’exister quand même. C’est également l’émergence de l’intentionnalité, mais toujours en action. Le bébé imite les gestes de l’adulte mais toujours en temps réel, il n’est pas capable de l’effectuer de façon différée.
➢ Le stade préopératoire de 2 à 12 ans
Lors du passage au stade préopératoire, ou stade de préparation et de mise en place des opérations concrètes, le jeune enfant se détache progressivement de l’action immédiate car il est capable de représentation mentale. Il est capable d’imiter les gestes de façon différée et commence à jouer de façon « symbolique ». Les schèmes d’action appris précédemment sont intériorisés, ce qui permet à l’enfant de les utiliser, de les combiner et de les distancer par rapport au réel. Les actions concrètes du premier stade se transforment en opérations mentales. Cette distanciation est permise par la perte d’un certain égocentrisme vers 7 ans. C’est à cet âge que les opérations concrètes débutent, notamment les notions de conservation, de classifications et de sériation. Piaget utilise plusieurs expériences pour tester ces différentes notions : la conservation des quantités discontinues ou continues, la classification et la sériation.
➢ Le stade des opérations formelles de 12 à 18 ans
Piaget décrit le passage à ce stade par cette formule : « Avant l’adolescence, le possible est un cas particulier du réel, après c’est le réel qui devient un cas particulier du possible ! ». Ce stade est marqué par le décrochage de la pensée par rapport aux objets concrets et la mise en place d’un système complexe de règles logiques qui se combinent. C’est le stade ultime d’organisation cognitive, l’adolescent est capable de raisonnement hypothético-déductif.
Remise en cause du modèle piagétien : les nouvelles théories
Malgré le travail non négligeable de Piaget sur le développement cognitif de l’enfant, nombreux sont ceux qui remettent son modèle en cause. Les trois critiques principales portent sur 1 – le pouvoir exagéré qu’accorde Piaget à l’action, 2 – son intérêt centré sur les structures logicomathématiques en oubliant la réalité psychologique du sujet et par conséquent 3 – l’impossibilité, avec son modèle, d’expliquer les variations intra et interindividuelles des performances.
➢ Les néopiagétiens
Les chercheurs néopiagétiens tentent de concilier la théorie de Piaget mais en y incluant la psychologie cognitive, principalement celle du problem solving d’origine anglo-saxonne. Les différents modèles néopiagétiens ont enrichis l’approche de Piaget par les concepts d’attention mentale (Pascuale-Leone), de mémoire de travail et de niveau de complexité des informations symboliques à traiter par l’enfant. L’escalier de Piaget est devenu moins régulier, moins linéaires (Fisher et Case).
➢ Les évolutionnistes
Les évolutionnistes considèrent le développement cognitif comme une évolution et y intègrent variation et sélection. Le développement cognitif n’est plus un système linéaire mais un système dynamique non linéaire (travaux de Van Geert) qui se présente sous forme de vague qui se chevauchent (travaux de Siegler). O.Houdé propose la notion d’inhibition, en tant que régulateur de la pensée.
➢ Le courant du développement précoce
Les chercheurs faisant partie de ce mouvement étudient un domaine cognitif particulier pour une tranche d’âge donnée. Le fonctionnement de l’enfant est décrit en se détachent des concepts de stades et la présence de capacités innées est discutée (Melher).
➢ Le courant de l’environnement social
Ce courant, qui s’inscrit dans la lignée de celui de Vygotski , considère le contexte dans lequel évolue l’individu, soit ses interactions sociales, son éducation, sa culture, se sont autant de facteurs qui participent à son développement cognitif. Des psychologues, comme Bruner, tente de concilier l’approche de Piaget et de Vygotski. D’autres insistent sur le rôle des interactions sociales (Doise) ou des expériences comme base de tout apprentissage (Bandura).
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Table des matières
1. INTRODUCTION
2. CADRE THEORIQUE
2.1. L’ELEVE : FUTUR CITOYEN
2.1.1. LE ROLE DE L’ECOLE MATERNELLE
2.1.2. L’ENSEIGNEMENT MORAL ET CIVIQUE OU EMC
2.2. LE DEVELOPPEMENT DE L’ENFANT
2.2.1. LES STADES DE PIAGET
2.2.2. REMISE EN CAUSE DU MODELE PIAGETIEN : LES NOUVELLES THEORIES
2.2.3. LE DEVELOPPEMENT AFFECTIF ET SOCIAL
2.3. LES INTELLIGENCES EMOTIONNELLES
2.3.1. DEFINITION
2.3.2. COMMENT LES DEVELOPPER ?
2.4. LA RELATION A L’AUTRE
2.4.1. LES CAPACITES EMOTIONNELLES INFLUANT SUR NOS COMPORTEMENTS SOCIAUX
2.4.2. LES CIRCUITS NEURONAUX IMPLIQUES
2.5. LES ELEVAGES AU SEIN DE L’ECOLE
2.5.1. REGLEMENTATION
2.5.2. OBJECTIFS PEDAGOGIQUES POUR LA MATERNELLE
2.6. PROBLEMATIQUE
3. EXPERIMENTATION
3.1. CONTEXTE
3.2. ATTITUDES ET APTITUDES A OBSERVER
3.3. DESCRIPTION DE LA SEQUENCE PREVUE
3.3.1. SEANCE 1
3.3.2. SEANCE 2
3.3.3. SEANCE 3
3.3.4. SEANCE 4
3.4. DESCRIPTION DE LA SEQUENCE REALISEE
3.4.1. SEANCE 1 : 8 JANVIER 2018
3.4.2. SEANCE 2 : 15 JANVIER 2018
3.4.3. SEANCE 3 : 16 JANVIER 2018
3.4.4. SEANCE 4 : 22 JANVIER 2018
3.4.5. LA PLACE DES PHASMES DANS LA VIE QUOTIDIENNE DE LA CLASSE
4. RESULTATS
4.1. RECUEIL DES DONNEES
4.2. ANALYSES DES RESULTATS
4.2.1. ANALYSE DES SEANCES DES DESSINS D’OBSERVATION
4.2.2. ANALYSE DE LA SEQUENCE
4.3. INTERPRETATION DES RESULTATS
4.3.1. DESSINS D’OBSERVATION
4.3.2. SEQUENCE
4.4. OBSERVATIONS GENERALES
5. DISCUSSION
5.1. APPRENTISSAGES DES ELEVES
5.2. EVOLUTION DU COMPORTEMENT
5.3. RESSENTI PROFESSIONNEL
5.4. LES POINTS POSITIFS
5.5. COMMENT APPROFONDIR ?
6. CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
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