Définitions
Pour commencer, il est nécessaire de définir le terme « d’élève intellectuellement précoce » qui possède aujourd’hui plusieurs dénominations. Ainsi que la notion d’intelligence qui est la principale caractéristique de ces élèves à besoins particuliers.
Les EIP sous différents noms
Afin de définir ces élèves, différentes expressions sont en vigueur. La première terminologie la plus connue est celle de « surdoué » et provient de la traduction française du terme anglais « gifted » (Lautrey, 2004). Ce terme « semble trop connoté par l’idée que l’intelligence serait un don » (Liratni & Pry, 2007, p.215). Cela suggère que cet enfant a reçu un cadeau que les autres n’ont pas eu. Cependant, ce cadeau est un don en excès et se trouve alors être quelque chose de négatif pour cet enfant ; surtout dans notre système éducatif qui promeut l’égalité des chances. (Lubart, 2006). Ce terme, a longtemps été retenu mais est maintenant inadapté du fait que cette appellation est incorrecte pour un tiers des EIP qui sont en situation d’échec scolaire. (Bléandonu, 2004). Une autre expression est celle de « haut potentiel » qui exprime les aptitudes cognitives de l’enfant et le fait que ce potentiel puisse se manifester ou, au contraire, être freiné par les difficultés de l’enfant. Le problème avec cette désignation est que la notion de « potentiel » induit nécessairement l’idée de « sous-réalisation », c’est-à-dire qu’ils font moins bien que ce dont ils sont capables (Gauvrit, 2011). De plus, ce haut potentiel « désigne des capacités élevées qui ne sont pas forcément investies dans un domaine et ne le seront d’ailleurs peut-être jamais. » (Liratni & Pry, 2007, p.215). La psychologue Jeanne Siaud-Facchin donne une définition du Haut Potentiel Intellectuel : « c’est avoir fait ou faire des acquisitions avant l’âge habituel. » Cette même psychologue les nomme en utilisant le terme de « zèbre » parce qu’il s’agit « du seul animal sauvage que l’homme n’a pas pu domestiquer. » (Guilloux, 2016, p.47).
Il y a également le terme de « précocité embarrassante » car ces enfants intellectuellement précoces se retrouvent dans une situation particulière par le biais de dyssynchronies internes et sociales qu’ils doivent assumer.
Cependant, « précocité » met en évidence le fait que l’enfant est en avance dans son développement intellectuel, ce qui est vrai uniquement dans certains domaines. (Terrassier, 2016).
Enfin, la dénomination « d’élèves intellectuellement précoces » est celle retenue par l’Éducation nationale dans les textes officiels. Pourtant, ce terme est en partie biaisé car la précocité renvoie à ce qui est « en avance ». Cela implique alors que cette avance sera un jour ou l’autre rattrapée, or c’est faux car l’on reste intellectuellement précoce toute sa vie. C’est donc le terme d’EIP : « élèves intellectuellement précoces » qui sera utilisé pour ce mémoire.
L’intelligence
La notion d’intelligence est définie par les chercheurs comme une : « capacité d’adaptation, plus précisément comme capacité d’un organisme à s’automodifier pour adapter son comportement aux contraintes de son environnement ». (Liratni & Pry, 2007, p.215). Mais, le débat entre une intelligence ou des intelligences a toujours existé. C’est en 1993 que Carroll met en évidence un « modèle en trois strates » afin de synthétiser les données connues sur ce sujet. Les trois parties de son modèle sont les suivantes :
– Une partie attribuable à un facteur général de réussite, qui correspond au facteur g de Spearman ;
– Une partie qui correspond à huit grandes formes différentes d’intelligence
– Une partie qui correspond à la quarantaine de facteurs beaucoup plus spécifiques. (Lautrey, 2004).
Cette approche de Carroll est dite « multifactorielle hiérarchique » puisqu’elle «combine l’idée de facteur g et l’idée de plusieurs facteurs d’intelligence ». (Liratni & Pry, 2007, p.215). Cette approche permet donc d’aboutir à « la distinction de plusieurs formes d’efficience intellectuelle qui ne sont pas incompatibles avec l’existence d’un facteur plus général de performance. ». (Lautrey, 2004, p.224). En ce qui concerne les EIP, Morelok considère en 1996 « le développement de l’intelligence des EHPI comme un processus asynchrone, reflété par des caractéristiques et comportementales uniques » (Besançon, Guignard & Lubart, 2006, p.491). Cependant, il faut accepter que ces enfants à intelligence atypique rencontrent tout de même des difficultés autant dans leurs parcours scolaire que personnel.
Cette même psychologue ajoute également qu’ « être surdoué ne signifie pas être quantitativement plus intelligent, mais disposer d’une forme d’intelligence qualitativement différente. ». (Siaud-Facchin, 2004, p.143). De plus, ces enfants disposent d’une « intelligence émotionnelle ». Cette notion a été écrite par Salovey et Mayer en 1990 comme « une sorte d’intelligence sociale qui implique la capacité à identifier non seulement ses propres émotions (ou sentiments), mais aussi celles des autres individus, ainsi que la capacité à discriminer les différentes émotions et à les utiliser pour orienter les pensées et/ou les actions ». (Guignard & Zenasni, 2004, p.307). Par la suite, dans les années 2000 cette définition s’est précisée et est devenue « multidimensionnelle ». En effet, elle est constituée de quatre branches avec pour chacune une catégorie de compétence spécifique. (Guignard & Zenasni, 2004).
Le concept de dyssynchronie
Afin de définir le profil particulier de ces enfants, Terrassier utilise le terme de «dyssynchronie ». Il s’agit d’un terme pour caractériser le développement hétérogène spécifique de ces EIP. Cette dyssynchronie ne concerne pas seulement l’enfant dans son individualité, elle renvoie également à des difficultés pour l’EIP dans sa relation à l’environnement.
Dyssynchronie interne
La dyssynchronie interne permet d’analyser les différents secteurs de la personnalité de l’enfant ayant un développement inégal entre eux. Le plus souvent, c’est entre le développement psychomoteur (et graphique) et le développement intellectuel de l’enfant. En effet, l’enfant est précoce pour apprendre à lire (certains savent même déjà lire avec de venir en classe de CP) mais dispose d’une grande difficulté au niveau de l’écriture. Cela est dû au fait que la main est encore malhabile et est alors incapable de suivre le rythme de la programmation mentale. Le niveau d’acquisition de l’écriture est atteint vers 6 ans avec une maturité motrice et un contrôle de la main. (Terrassier, 2016).
Un autre type de dyssynchronie fréquent concerne deux secteurs du développement intellectuel : le secteur des acquisitions verbales et celui du raisonnement verbal et non verbal.
Cette analyse est effectuée par le biais de tests d’Échelle d’intelligence de Wechsler pour enfants. (Terrassier, 2016). Enfin, le dernier de type de dyssynchronie relevé est le décalage entre le développement intellectuel de l’enfant et son niveau affectif. Cela développe chez eux une certaine anxiété par rapport à la nuit, c’est ce qu’on appelle « l’effet loupe » où une intelligence et une hypersensibilité ont tendance à fragiliser ces enfants. (Terrassier, 2016).
Dyssynchronie sociale
La dyssynchronie sociale est ce qui apparaît entre l’enfant et son entourage. L’un des aspects de cette dyssynchronie est l’existence d’un décalage entre la rapidité du développement mental chez les EIP et celle des autres enfants. Cependant, notre système éducatif aggrave les inégalités entre les élèves et prend difficilement en compte les difficultés particulières de nos élèves. Afin que l’école devienne inclusive, un changement d’état d’esprit est nécessaire car ce n’est pas aux enfants de s’adapter mais à l’école de proposer à chacun d’eux la réponse la plus appropriée en fonction de leurs besoins. De plus, lors d’une table ronde à laquelle l’AFEP était présente, un point important sur les EIP a été souligné : « Les besoins spécifiques des enfants dits « intellectuellement précoces » doivent entrer dans la construction de l’école « inclusive », chose qui n’était donc pas encore réalisée en 2015. (AFEP, 2015). Ce qui permet alors d’expliquer l’échec dans l’éducation de certains de ces élèves à besoins particuliers. Cet aspect de décalage entre l’EIP et l’école est l’un des plus évidents. (Terrassier, 2016).
En effet, les enfants surdoués avec un QI de 125 à 200 ne représentent seulement que 2 à 5% de la population. Il est possible que cet élève soit remarqué par l’enseignant(e) de maternelle et sera alors accepté au CP avec quelques mois d’avance. Mais, sachant qu’un EIP possède un âge mental de 3 à 7 ans d’avance il ne peut dont plus bénéficier d’un aménagement de son cursus scolaire.
C’est dans cette situation que l’enfant va alors « mettre son esprit en état de dyssynchronie par rapport à l’environnement scolaire » (Terrassier, 2016, p.46). C’est ce qui est appelé « effet Everest » par E. De Bono : comme cet élève possède un développement mental plus rapide que ses camarades, il devient distrait afin d’échapper à l’ennui et va se concentrer uniquement sur les activités difficiles.
Ainsi, il va pouvoir réussir un problème complexe mais se trouver bloqué face à de simples tâches. (Terrassier, 2016). Après avoir défini les termes d’EIP, d’intelligence et de dyssynchronie interne et sociale, nous remarquons que la scolarité de ces élèves peut alors être adaptée selon leur comportement. Ainsi, nous allons nous intéresser à ce qu’il en est dans les textes officiels liés à la scolarisation de ces élèves : lois d’orientation, rapport Delaubier et circulaires.
La scolarité des EIP dans les textes officiels
La problématique des enfants à besoins éducatifs particuliers est arrivée relativement tard dans le domaine scolaire. En effet, c’est par la Loi d’orientation n°89-486 du 10 Juillet 1989 que la différenciation pédagogique et le centrage sur les besoins des enfants permettent à la notion de précocité d’apparaître. Et plus précisément par l’article 5 :
Art. 5. – Les programmes définissent, pour chaque cycle, les connaissances essentielles qui doivent être acquises au cours du cycle ainsi que les méthodes qui doivent être assimilées. Ils constituent le cadre national au sein duquel les enseignants organisent leurs enseignements en prenant en compte les rythmes d’apprentissage de chaque élève.
Cependant, jusqu’en 1999, aucune prise en compte généralisée des EIP est mise en place. Il faudra attendre la création d’un groupe de travail ministériel afin d’aboutir au rapport remis au ministre Delaubier en 2002.
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Table des matières
Introduction
1. Définitions
1.1 Les EIP sous différents noms
1.2 L’intelligence
1.3 Le concept de dyssynchronie
1.3.1 Dyssynchronie interne
1.3.2 Dyssynchronie sociale
2. La scolarité des EIP dans les textes officiels
2.1 Le rapport Delaubier (Janvier 2002) et la loi d’orientation (2005)
2.2 Les circulaires de 2007, 2009 et 2013
3. Reconnaissance et identification
3.1 Caractéristiques des EIP
3.1.1 Les différents profils
3.1.2 Les points communs à différents niveaux
3.2 Tests de Wechsler et QI
3.2.1 Quotient intellectuel
3.2.2 Test de WISC et WPPSI
3.3 La grille de Terrassier
4. Les protocoles mis en place
4.1 Différentes adaptations
4.1.1 Approfondissement / Enrichissement
4.1.2 La Différenciation
4.2 L’accélération
4.2.1 Le saut de classe / passage anticipé
4.2.2 L’effet Pygmalion négatif
4.3 Les différents acteurs
4.3.1 Les associations
4.3.2 Les enseignants
4.3.3 Le psychologue scolaire
5. Problématique
6. Méthodologie
7. Analyse des résultats
7.1 Les professeurs des écoles
7.1.1 Le repérage
7.1.2 L’accompagnement
7.1.3 Point de vue personnel des enseignantes
7.2 Le psychologue scolaire
8. Discussion
8.1 Principaux résultats
8.2 Apports et limites
8.3 Perspectives futures
Conclusion
9. Bibliographie
10. Annexes
Annexe 1 : Inventaire d’identification des enfants précoces, Jean-Charles Terrassier
Annexe 2 : Questionnaire pour les enseignantes du premier degré
Annexe 3 : Questionnaire pour le psychologue scolaire
Annexe 4 : Transcriptions des entretiens
Annexe 5 : Tableau de résultat des enseignantes
Annexe 6 : Charte anti-plagiat