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Etude de l’application du modèle de l’entreprise libérée et de l’organisation du travail collaboratif au sein du cabinet
En théorie, le modèle économique et organisationnel d’un cabinet de conseil n’est pas idéal pour favoriser le sentiment d’appartenance. Les consultants, répartis chez les différents clients du cabinet, ont peu de contact avec le siège et peinent parfois à suivre les évolutions du cabinet. Qu’en est-il au sein d’un cabinet qui revendique en outre le fait d’être une entreprise libérée ? Est-ce que ce modèle favorise la fidélisation des collaborateurs ou au contraire, les rend autonomes, au point de devenir indépendants de la structure ?
Au sein d’une entreprise libérée, une culture forte pallie le manque d’organisation hiérarchique. Tous les membres de l’entreprise sont mus d’un même mouvement vers la réussite de l’entreprise. La marque employeur est forte et la communication interne aussi, qui se fait sur un mode plus naturel, moins descendant, et transparent. Or, chez HR Conseil, il semble que la culture de cabinet ne soit pas marquée du tout. La marque employeur est très discrète et la communication interne maladroite.
L’adhésion des collaborateurs aux valeurs du cabinet est une charge laissée aux managers, véritables ambassadeurs de la direction auprès des consultants. Or, le projet d’entreprise, qui est celui de faire des bénéfices, embarque difficilement des consultants, qui restent au sein du cabinet car, pour la majorité, ils ont des perspectives de mobilité fonctionnelle et géographique intéressantes.
Si chacun trouve individuellement son compte chez HR Conseil, comment le cabinet et son modèle libérée permettent-ils aux consultants de travailler ensemble et d’augmenter la performance globale de l’entreprise ?
Méthodologie d’enquête mise en œuvre
Afin de mettre à l’épreuve ces hypothèses, nous avons suivi, au cours de ces derniers mois, une méthodologie d’enquête qu’il s’agira d’exposer ici.
Avant tout, il est important de noter que cette démarche a été influencée par ma position au sein du cabinet. Consultante junior, j’ai été rattachée à la Business Unit Talentsoft au sein du métier Intégration. Mon équipe, localisée dans de petits locaux dédiés en raison de l’absence de place au siège, était répartie chez les clients de Talentsoft pour lesquels nous servons d’intégrateur. S’ils n’étaient pas chez les clients, les consultants étaient en télétravail, ce qui faisait de moi le point de référence au sein de ces petits locaux dont les porteurs de clés étaient rares. Mon intégration au sein du siège s’est limitée aux Ressources Humaines et aux consultants venant dans l’annexe ponctuellement. En immersion au sein de cette équipe intégratrice de solutions Talentsoft, j’ai travaillé de manière autonome sur des livrables de MOA pour les clients et sur le paramétrage de leur base de test et de production.
Dans un premier temps, il m’a fallu délimiter le champ de mon sujet. Je suis partie d’un constat : le peu de sentiment d’appartenance des consultants au cabinet de conseil. En essayant de comprendre d’où venait cette absence, j’ai réalisé que le modèle que le cabinet prônait y était peut-être lié d’une quelconque façon. De ce questionnement est venu l’interrogation sur la pertinence de l’application du modèle de l’entreprise libérée dans le monde du conseil. J’ai alors mené une recherche exploratoire basée sur la méthode qualitative, afin de comprendre et, à terme, d’analyser les éléments dont j’étais témoin grâce à une observation participante.
Outre une enquête de terrain basée sur l’observation participante, il m’a semblé indispensable de rencontrer individuellement les collaborateurs du cabinet pour échanger sur leur vécu, leur vision de l’entreprise libérée et son interférence sur leur travail quotidien. Pour tester les hypothèses émises, je me suis basée sur 9 entretiens semi-directifs, dont j’ai analysé thématiquement le contenu, et des verbatims saisis au détour de conversations informelles. Ces échanges avec des membres du cabinet m’ont permis d’orienter également mes observations et mes recherches sur l’entreprise libérée. J’ai voulu interroger un échantillon représentatif, composé de personnes-clés au sein du cabinet. C’est pourquoi j’ai tenu à rencontrer autant de membres de la direction et des fonctions supports que de consultants, de tout âge, poste, expérience et de Business Unit différentes, afin de comparer les ressentis et de comprendre les effets du modèle et des mesures de la direction sur les consultants. Dire ouvertement à tous que j’étais en train de réfléchir à mon mémoire sur l’entreprise libérée a poussé les consultants à me livrer leur sentiment par rapport au modèle et leur projection dans l’entreprise. L’entretien avec le co-fondateur du cabinet a été décisif. En me livrant sa conception du cabinet, et même de la vie en général, j’ai pu comprendre que le cabinet était totalement imprégné des valeurs des co-fondateurs. Un groupe pesant plusieurs millions d’euros, a su conserver ses valeurs initiales, les transmettre tacitement aux nouveaux arrivants en gardant un esprit start-up.
Enfin, l’analyse approfondie de divers supports de communication interne m’a aidée à formaliser certaines choses que je pressentais sans en avoir la confirmation. Par une méthode déductive, j’ai pu compléter ce que les entretiens semi-directifs m’avaient apporté avec mon ressenti personnel, en tant que nouvelle consultante découvrant le cabinet.
Toutes les analyses de la structure du cabinet se sont appuyées sur la lecture de l’ouvrage de référence sur l’entreprise libérée d’Isaac Getz6. La description précise du modèle organisationnel m’a aidée à faire une étude comparative de son application chez HR Conseil et de ses particularités dans une société de conseil. L’explication des valeurs et de la fonction managériale dans une entreprise libérée a également orienté mon analyse de la figure des leaders du cabinet et de la strate managériale, tout en m’apportant une compréhension du fonctionnement des équipes par éditeur et projet, plus que par fonction.
Le mythe de deux entrepreneurs charismatiques
Un leader libérateur va inspirer sa vision de l’entreprise, le why. Il va maintenir le cadre et laisser les personnes s’auto-gérer, s’auto-animer, tout en laissant les salariés se développer. Par exemple, Jean-François Zobrist, leader libérateur de FAVI, tout en étant un personnage très charismatique, permet le développement de ses salariés en répondant au why.
Au-delà de leur leadership, le charisme des co-fondateurs impacte et modèle le cabinet à leur image, au point qu’ils font l’objet d’un véritable « mythe », au sens barthésien du terme. Leur personnalité conditionne l’efficacité de la gestion de l’entreprise. Mais est-ce qu’avoir deux fondateurs charismatiques est compatible avec une entreprise libérée ? Comment les co-fondateurs se sont-ils répartis les rôles pour diriger le cabinet ? En quoi revisitent-ils la figure du leader de l’entreprise libérée ?
L’un des premiers rôles des co-fondateurs est de simplifier la communication entre les consultants et la direction, par l’intermédiaire d’une hiérarchie aplatie. Ils entretiennent la proximité auprès des consultants par le tutoiement et leur présence physique dans les locaux du siège. C’est ce que la chargée de recrutement rappelle :
Il y a très peu de strates entre des associés, des directeurs associés, des collaborateurs, ce qui favorise vraiment une proximité. Qu’il y a un bon contact. Que les associés connaissent les prénoms des collaborateurs, les tutoient, qu’il y a une vraie proximité.
Les co-fondateurs connaissent les consultants, sont accessibles et ouverts à la discussion, ce qui n’est pas évident dans un groupe de cette taille où la direction est souvent placée dans une tour d’ivoire.
Les co-fondateurs sont très accessibles, vous pouvez les croiser dans les couloirs et parler directement avec eux.
D’un point de vue interne, leur proximité et leur sympathie les rendent accessibles. L’un des co-fondateurs a même bien voulu se prêter au jeu de l’interview pour mon mémoire, en accordant 30 minutes de son précieux temps à une alternante. Les co-fondateurs sont mentionnés très fréquemment par les consultants, au détour de conversations sur les missions en cours, la vie du cabinet, le séminaire annuel… Ils font partie intégrante de l’univers des consultants au sein du cabinet.
D’un point de vue externe, ce sont des hommes d’affaires qui connaissent leurs clients et le métier des RH et des SIRH. Ils sont capables d’épauler leurs directeurs associés et leurs consultants en cas de
problèmes. Ainsi, ils correspondent bien au profil des leaders libérateurs, qui, sans décider de tout, sont capables d’arbitrer les décisions difficiles.
La culture du cabinet est très imprégnée de la personnalité des co-fondateurs. Leurs personnalités sont différentes et complémentaires. Pour le déterminer, ils se sont référés au Disc d’Insights : [Le Disc d’Insights] caractérise les gens en 4 couleurs. Tu as les dominants, les rouges. Tu as les jaunes, les influents. Tu as les bleus, les conformistes. Et tu as les verts, tournés vers les autres. Et tout le monde a en général deux couleurs. Certains peuvent en avoir 3 et certains peuvent en avoir 4. Et tu as des couleurs qui s’opposent. Les bleus et les verts s’opposent aux rouges et aux jaunes. […] Voilà et l’un des facteurs clés de succès c’est que [l’autre co-fondateur], il est vert et bleu, et moi je suis rouge et jaune.
Suite à une volonté d’étudier le top management au sein du cabinet, les co-fondateurs ont pu caractériser leurs personnalités et se rendre compte que leur complémentarité était une force pour HR Conseil.
Le Disc d’Insights est une matrice à 4 couleurs rassemblant 4 traits de caractères : influenceur (influence), dominant (dominance), conformiste (compliance) et stable (steadiness). Si nous trouvons cette matrice réductrice du fait de sa simplicité et de son côté ludique (mots-clés, couleurs chaudes et
froides…), elle révèle de vraies tendances chez les co-fondateurs. Leurs collaborateurs directs s’accordent sur le fait que les dirigeants correspondent à leurs « couleurs ».
L’organisation d’un cabinet agile : une adhocratie d’exploitation ou une organisation missionnaire ?
Se revendiquer du modèle de l’entreprise libérée implique de grandes tendances dans la structure : une hiérarchie aplatie, des cercles de décisions entre salariés, chefs et syndicats, une répartition du travail par petites équipes autonomes… Les exemples de réussite de l’application du modèle de l’entreprise libérée concernent principalement des entreprises du secteur industriel : chez Harley-Davidson avec Rich Teerling, chez FAVI avec Jean-François Zobrist… Une fois l’organisation optimisée, les résultats financiers sont exceptionnels. FAVI a enregistré une hausse de 12% des ventes la première année. La qualité des produits augmente, tout comme les salaires, bonus et retraites18. Mais si ces réussites sont valables dans le secteur industriel, quelles conclusions peut-on tirer de l’application du modèle dans une société de service ?
Les promesses faites par la direction d’HR Conseil, dit cabinet agile, renvoient au modèle de l’entreprise libérée. Nous avons étudié l’une des conditions principales de réussite de l’application du modèle : le leadership inspirant des dirigeants. Il nous faut à présent examiner la structure du cabinet à la lumière de l’organisation d’une entreprise libérée. Avant tout, en tant que modèle censé favoriser une idéologie inspirante à laquelle de petites unités de travail autonomes et organisées adhèrent, les entreprises libérées relèvent de l’adhocratie et de l’organisation missionnaire, selon la typologie de Mintzberg19.
L’adhocratie est une structure peu formalisée. Les salariés sont formés par groupes multidisciplinaires et polyvalents, fonctionnant sur l’ajustement mutuel et l’intelligence collective. Le fonctionnement est décentralisé et tourné vers les clients. Soutenues par une vision forte et un leader inspirant, les entreprises libérées s’apparentent également à l’organisation missionnaire, tel Apple du temps de Steve Jobs qui mettait en avant le « Think different »20. Ce faisant, Apple préconise son why21, selon Simon Sinek, et inspire sa vision aux potentiels clients. Les entreprises libérées, comme FAVI et son leader Jean-François Zobrist, mettent en avant ce why pour attirer et fidéliser, clients comme collaborateurs.
Si l’on se base sur les travaux de Mintzberg, HR Conseil serait une adhocratie d’exploitation, c’est-à-dire que, comme toutes les sociétés de service, elle travaille pour ses clients. L’organisation est flexible, adaptable selon les besoins et les contraintes des tâches à accomplir.
Plus précisément, la structure d’HR Conseil est un conglomérat de 18 sociétés (Annexe 2, 4. Figure 11.), dont l’accompagnement du changement à la fusion a été négligé, au point que l’un des co-fondateurs parle de « choc des cultures ». Le cabinet fonctionne par Business Unit correspondant à un éditeur avec ses clients et ses missions associés. Certaines sociétés rachetées ont permis la création d’une BU à part entière, en apportant la connaissance et les ressources nécessaires sur un éditeur en particulier. Les BU semblent peu communiquer entre elles, ce qui ne permet pas l’ajustement mutuel des projets. Elles sont soumises également aux aléas du marché et de la demande, certains éditeurs étant plus en vogue que d’autres à certaines périodes. Le staffing varie tout comme le chiffre d’affaires des BU, qui peut exploser comme baisser significativement selon la période de l’année et les besoins des clients.
La vision du cabinet étant de faire le plus de chiffre d’affaires possible dans le domaine des RH et SIRH, cela peut conduire les BU à empiéter les unes sur les autres. Pour un même appel d’offre, deux BU d’HR Conseil peuvent se présenter, comme elles ne travaillent pas en lien avec les mêmes éditeurs. Ces problèmes de concurrence prouvent le manque de coordination au sein de la structure, comme le souligne une chef de projet : Ici, le but c’est quoi ? C’est d’implanter du SIRH ? Ok, mais moi ce qui m’intéresse tu vois, c’est d’implanter Talentsoft. Et c’est hyper compliqué parce qu’on est dans la même boite mais on est tous concurrents les uns des autres quoi. Il y a du SAP, du Workday, du Talentsoft… Il y a tout quoi. Tu vois, c’est hyper bizarre on ne peut pas avancer dans le même sens. Ta réussite elle passe nécessairement par le biais de l’échec de l’autre.
En promouvant les offres de plusieurs éditeurs, HR Conseil morcelle la vision des co-fondateurs de
« grossir ensemble » : chaque BU entre en compétition les unes avec les autres. Néanmoins, aucun esprit de compétition n’est ressenti dans le cabinet, si ce n’est quelques blagues et allusions échangées entre les directeurs ou managers de BU.
L’agilité du cabinet semble donc se situer au niveau de la Business Unit, plutôt que dans la structure globale où aucune vision claire n’est mise en avant, contrairement aux entreprises libérées qui sont un ensemble holistique porté par une idée commune. L’agilité d’HR Conseil se doit à cette organisation en BU, sortes de mini-cabinets de conseil dans le cabinet, spécialistes de leurs outils et de leurs éditeurs, avec leurs équipes et clients associés.
Une structure promettant la proximité et la rapidité d’exécution grâce à une hiérarchie aplatie
En plus de sa structure organisationnelle par éditeur ou cœur de métier, HR Conseil se présente comme un cabinet « agile » sur son site internet et une « entreprise libérée » lors des entretiens de recrutement. Mais qu’est-ce qu’un cabinet de conseil qui se dit « agile » ? Ou qui se revendique de l’entreprise libérée ?
L’agilité, selon HR Conseil, semble se trouver au niveau de la prise de décision, de la proximité et de la hiérarchie aplatie. Dès le site internet, HR Conseil revendique sa hiérarchie aplatie qui dote le cabinet d’une « grande proximité dans les échanges et la communication » et qui « favorise une ambiance conviviale » (Annexe 2, 2.)
Ensuite, le cabinet est présenté de vive voix aux candidats par la chargée de recrutement. Ayant moi-même participé côté candidat à un entretien de recrutement, j’ai vu de quelle façon m’était présenté le cabinet. L’interview de la chargée de recrutement m’a permis de retranscrire dans le détail cette présentation. En premier lieu, l’accent est mis sur les strates hiérarchiques réduites ou « hiérarchie aplatie ». L’absence de hiérarchie très marquée faciliterait les échanges informels et la proximité entre consultants et directeurs associés, associés et co-fondateurs : Le premier point qui va nous caractériser c’est vraiment les strates hiérarchiques très réduites. Il y a très peu de strates entre des associés, des directeurs associés, des collaborateurs, ce qui favorise vraiment une proximité. Qu’il y a un bon contact. Que les associés connaissent les prénoms des collaborateurs, les tutoient, qu’il y a une vraie proximité, qu’il y a une vraie possibilité d’avoir accès à l’information, d’être au courant de la stratégie, des chiffres du groupe.
Après cette proximité, argument apprécié tout particulièrement au sein d’un cabinet de conseil, dont le secteur est connu pour ses liens distendus du siège avec les consultants en mission, la flexibilité de la structure et de ses processus internes est mentionnée : Il y a beaucoup de flexibilité au sein de cette entreprise agile. Que la flexibilité elle va dans les deux sens. Qu’on laisse aux collaborateurs la main de prendre des initiatives, d’être innovant, d’être créatif. C’est à lui de proposer des idées, de ne pas se limiter à son poste et que nous on l’accompagnera encore plus d’un point de vue RH pour pouvoir atteindre ses aspirations professionnelles.
Si la structure est flexible et agile, le consultant est responsable de ses missions. S’il ne souhaite pas se limiter à son poste, il faudra qu’il prenne des initiatives et se fasse entendre par les Ressources Humaines pour bénéficier de leur accompagnement dans sa gestion de carrière. Ensuite, condition sine qua non de l’entreprise libérée, la transparence de la communication est rappelée : Un autre point de l’entreprise agile pour nous c’est la transparence sur la communication. Il n’y a pas un consultant aujourd’hui au sein du groupe qui ne soit pas informé, ou tenu au courant, de la stratégie du groupe, des succès, des chiffres, de la bonne santé financière du groupe.
Pour que tous les collaborateurs d’une entreprise libérée aillent dans le même sens et se sentent portés par la vision, la communication est cruciale. Le partage d’information doit s’effectuer à toutes les strates de l’entreprise pour assurer le même niveau d’information pour tous.
Finalement, la flexibilité de l’organisation est montrée au travers de l’accompagnement des consultants dans leurs mobilités géographiques et professionnelles, ainsi que dans leur parcours de carrière. HR.
Conseil met l’accent sur l’accompagnement du consultant au quotidien grâce à un système de relai entre manager opérationnel, People Manager, ayant un rôle plus administratif, et RH, assurant le suivi et la bonne intégration du consultant au sein de la structure : Chez HR Conseil, l’accompagnement est triple. Tu as un chef de projet sur un projet donné qui manage le consultant opérationnellement au quotidien. Seulement, le consultant change de projet donc il est amené à changer de chef de projet. Pour assurer une stabilité managériale, on a créé des fonctions People Manager, qui sont des managers de proximité, qui n’ont pas plus de 5 personnes sous leur responsabilité. Ce qui fait qu’il y a vraiment un management de proximité. Et pour terminer, ce qui fait vraiment la différence entre HR Conseil et un autre cabinet de conseil, c’est notre capacité à intégrer le consultant et surtout à l’accompagner d’un point de vue RH. Le rattachement est triple finalement. Le consultant a aussi un RH qui lui est rattaché et attribué. Le RH c’est quelqu’un qui a un rôle stratégique dans le groupe. Il l’accueille dès le premier jour, il veille à sa bonne intégration. L’entretien de recrutement promet des conditions de travail collectif favorisées par la transparence de la communication et la proximité, résultant d’une hiérarchie plate, propre aux entreprises libérées. Si le mode de travail par équipe est passé sous silence au profit de l’insertion dans un ensemble global, le cabinet semble correspondre à la promesse de l’entreprise libérée.
Lors de l’arrivée du nouveau consultant, ces points sont d’ailleurs rappelés par le RH auquel il est rattaché : la hiérarchie aplatie, la proximité au sein de petites équipes, l’autonomie, la confiance et l’esprit d’initiative, sur fond d’une culture d’entreprise forte.
Les consultants sont autonomes et libres de prendre des initiatives
Une autonomie idéale pour le métier de consultant : une liberté et des prises d’initiatives contrebalancées par le rythme imposé par le métier de consultant
Le métier de consultant, fonction itinérante par définition aux missions variées et à la charge de travail conséquente, exige autant d’autonomie que de flexibilité. Le contrôle du travail effectué étant difficile à suivre par les managers, ces derniers ont intérêt à faire confiance aux consultants et à les responsabiliser avant de les laisser autonomes dans leurs missions. Le modèle de l’entreprise libérée adopté par HR Conseil favorise cette liberté, en ce qu’il compte sur les consultants pour prendre les meilleures décisions possibles pour les clients et le cabinet, tout en assurant la réussite de la mission et la satisfaction client.
D’une part, les strates hiérarchiques aplaties facilitent la communication et la rapidité des échanges. Une certaine flexibilité en découle, passant par des détails pratiques, tels les horaires de travail. Ces facteurs sont déterminants pour l’autonomie accordée aux consultants : La flexibilité ça passe par des petites choses du quotidien, le côté pratico-pratique. Donc concrètement, si un jour, il a besoin de partir à 4h parce qu’il a un impératif personnel, on ne sera pas là pour lui taper sur les doigts. Par contre, le jour où on a un impératif client, qu’on a de gros projets et qu’on a besoin de quelqu’un qui soit totalement disponible, là forcément on attendra de la personne qu’elle soit aussi flexible.
Les horaires sont modulables en fonction des contraintes du consultant. Tant que le client est satisfait, le consultant est libre de s’organiser comme il l’entend, au niveau des rendez-vous client, du télétravail, des vacances… Cette liberté qui leur est accordée repose sur la confiance et le rapport donnant-donnant : si le cabinet accepte d’être flexible avec le consultant, ce dernier devra faire preuve de souplesse en retour, notamment pour satisfaire le client, priorité du cabinet.
D’autre part, l’absence d’outils de reporting, autre que SAP permettant la facturation au client, prouve l’autonomie laissée aux consultants : Quand j’étais commercial on avait un outil de reporting. Cet outil de reporting, soit tu en fais un truc ultra méchant, tu étais où vendredi à 15h et dans ce cas-là tu micromanages tout le monde et tu es méchant sur les chiffres. Soit au contraire c’est un outil d’enrichissement et en fait tu t’en fous de où il est ton commercial à 15h tant qu’il est dans les résultats, etc. HR Conseil rend autonome les gens par rapport à ça. La controverses c’est ce qu’on a dit c’est que c’est un peu freestyle.
En ne se concentrant que sur ce qui fonctionne, le cabinet a abandonné l’idée de contrôler précisément le travail de ses consultants. Le plus important reste la réussite de la mission et la satisfaction du client. La fonction de contrôle est laissée aux managers, maille hiérarchique très exploitée au sein du cabinet. Ces derniers se concentrent uniquement sur ce qui marche, tout en épaulant le consultant quand celui-ci lui remonte un problème (retard de production, difficultés avec la solution, l’éditeur ou le client…)
Face au manque de temps et de moyens en leur possession, ils font confiance aux consultants et les laissent libres et autonomes dans leurs prises de décision : Je suis uniquement câblé sur ce qui marche et tout ce qui est d’ordre vraiment fonctionnel, je m’en fous tu vois, le home office, les horaires. Tous ces sujets-là m’indiffèrent complètement, moi ce qui m’intéresse c’est que ça marche, qu’on puisse se retrouver de temps en temps. Après ce que j’essaie de créer c’est de la valeur par rapport au client. Donc j’essaie le plus vite possible, en fonction du besoin, de mettre les gens face au client, de les engager, de les responsabiliser par rapport à un client, par rapport à un livrable.
Tant que la mission est accomplie, la direction et les managers, comme les consultants, sont satisfaits, peu importe les moyens mis en place pour parvenir au contentement du client. La liberté accordée au consultant favorise la prise d’initiatives et de décisions, et a fortiori la créativité. La direction compte sur l’autonomie des consultants pour satisfaire le client.
Si la direction met en avant cette liberté et cette flexibilité, elles restent relatives selon les managers. Certains se « fichent » des horaires, mais d’autres peuvent se montrer plus pointilleux et attachés à la présence physique dans les locaux. Ces derniers sont néanmoins minoritaires du fait précisément du métier de consultant en lui-même, qui implique une grande mobilité et des contraintes d’organisation. Bien que la direction et le management semblent favoriser l’autonomie des consultants et leur prise d’initiatives, est-ce que les salariés sont dans une logique de se sentir libre de ce qu’ils font ?
A ce sujet, Isaac Getz développe une anecdote révélatrice dans Liberté & Cie. Il fait le parallèle entre des macaques souhaitant s’emparer d’une banane et des collaborateurs n’osant pas prendre des initiatives. L’expérience raconte qu’un macaque est placé dans une cage au plafond de laquelle est accrochée une banane. A chaque fois qu’il essaie d’attraper la banane, le macaque reçoit un jet d’eau froide, ce qui le pousse à associer le souhait de s’emparer d’une banane à une expérience déplaisante. Lorsqu’un deuxième macaque est introduit dans la cage et tente de s’emparer de la banane, le premier macaque le lui interdit par peur qu’il se prenne à son tour le jet d’eau froide. Il en est de même avec les autres macaques introduits dans la cage. Petit à petit, les premiers macaques sont sortis de la cage et de nouveaux singes y sont introduits. Lorsqu’un nouveau macaque tente de s’emparer de la banane, personne ne l’en empêche car ils ne savent même plus pourquoi il ne faut pas s’emparer de la banane, n’ayant jamais personnellement expérimenté le jet d’eau froide.
Cette histoire a pour but de montrer la difficulté d’initier le changement et de favoriser la prise d’initiatives de la part des collaborateurs. L’entreprise libérée doit favoriser ces prises d’initiatives, et ne pas associer la prise d’initiative à une sanction. HR Conseil, dans son organisation comme dans son management, semble effectivement favoriser ces prises d’initiatives dans le cadre de leurs missions.
Cependant, en interne, si les consultants peuvent en théorie proposer des process, dans la réalité, ce sont les collaborateurs les plus proches de la direction qui ont la possibilité de faire entendre leur voix. La chargée de recrutement, bénéficiant d’entretiens tous les lundis avec le co-fondateur pour faire le point sur les recrutements en cours et côtoyant la direction plus facilement qu’un consultant en mission, a ainsi pu proposer des séances d’ostéopathie gratuites pour les consultants au siège. Il semble donc que les idées soient prises en compte chez HR Conseil, à partir du moment où les collaborateurs parviennent à se faire entendre. Dans les entreprises libérées, les idées des collaborateurs sont véritablement écoutées. Par exemple, un salarié de Harley-Davidson et sa créativité ont permis la création du club des fans de Harley qui se retrouvent ensemble le dimanche. Ces manifestations d’amateurs ont été un moyen idéal pour pérenniser la marque et son mythe et privilégier durablement la relation client.
Chez HR Conseil, les réunions trimestrielles ont pour vocation d’être des sortes d’agoras où les membres du cabinet peuvent s’exprimer, mais il s’agit avant tout de rencontres pour se tenir au courant des chiffres, des acquisitions et autres projets en cours. Il semble donc qu’il faille déjà se faire connaitre en interne, afin de se faire entendre et que ses idées soient retenues.
L’organisation du cabinet se prête au métier de consultant qui suppose de l’autonomie, de la flexibilité et de la liberté d’exécution, mais se heurte à la limite du modèle de l’entreprise libérée censé favoriser
la prise d’initiative individuelle de tous les collaborateurs, tant au sein de leurs missions qu’en interne, ce dont les consultants ne bénéficient pas tous équitablement.
La liberté des consultants est favorisée par l’absence de contrôle
Nous l’avons vu, une grande liberté est accordée aux consultants, qui sont responsabilisés et auxquels la direction fait confiance. Les procédures de régulation et les contrôles sont à la charge du consultant qui, du fait de son autonomie et de sa liberté au quotidien auprès de son client, est responsable de ses actions.
Un consultant me faisait remarquer : « Quand tout marche bien auprès du client, ça va. Mais quand il y a une merde, tu la vois ta hiérarchie ». Les mesures de contrôle sont tout de même existantes : elles arrivent lorsque le consultant ne peut pas assumer sa mission. Alors, les mesures se font radicales, en atteste le licenciement d’une manager en avril 2018, consultante senior, suite à trois avis clients négatifs. La question du contrôle hiérarchique continue de se poser quand il faut régler un litige avec un employé, même au sein d’une entreprise libérée. Chez FAVI24, la régulation se fait au niveau de l’équipe. Il s’agit de discuter avec le salarié, de comprendre ce qui ne fonctionne pas, avant de prendre des mesures plus sévères. C’est la vision que porte le co-fondateur d’HR Conseil : C’est les identifier et soit les coacher, si c’est possible, parce que tu peux être dans un down au niveau perso, et du coup au niveau de ton boulot ça va se ressentir et donc là il faut plutôt comprendre la personne et derrière de se dire « Bah voilà bon c’est un bon bougre mais là il vient de divorcer, ou il a un enfant qui est très malade (c’est que des cas concrets que je te prends), ou alors ses parents ont eu un accident de voiture », tu sais que le mec, pendant un an, il faut lui trouver un truc plutôt à la cool et être indulgent.
Il faut tenter de comprendre avant de sanctionner. Les efforts de compréhension se cristallisent à l’échelle de l’équipe. La régulation s’opère ensuite et l’intelligence collective permet de réguler le travail et ses difficultés d’organisation sans nécessairement faire appel à la hiérarchie. Cette procédure
tacite est aussi favorisée par le fait que le manager, et in extenso les dirigeants, ne sont là qu’en support car ce sont les consultants qui détiennent la connaissance du client, de l’éditeur, de la solution et du contexte de la mission.
La régulation tacite au sein d’HR Conseil passe également par une autre instance, la participation. Tous les collaborateurs sont des associés et ont des parts cotées en bourses, ce qui responsabilise vis-à-vis des résultats et permet aussi l’absence de mesures concrètes de contrôle, autre que le remplissage de la feuille de temps sur SAP.
Pour aller plus loin dans cette dérégulation, la direction réfléchit même à un moyen de laisser les congés en libre accès : Exemple aux US et au Canada, je te donne un exemple : il n’y a pas de compteur de vacances. Ils s’auto-régulent. Tout le monde prend ses vacances. Tu n’as plus de compteur. Quand t’es naze, tu prends tes vacances. […] Après, j’ai réfléchi à mettre ce process en place, qui serait nouveau c’est-à-dire que tout le monde aurait un compteur. Personne ne le suit. Et tous les ans il est remis à zéro. Tous les ans, tu as à nouveau le truc qui s’auto-alimente et chacun se gère.
Avoir un compteur de congés payés en libre-service aujourd’hui en France rappelle l’anecdote des macaques25 d’Isaac Getz, mentionnée plus haut. Les congés payés doivent être validés par les managers.
Nous n’avons pas le droit de partir en congés sans cette validation, ce qui va à l’encontre de la volonté de l’entreprise libérée qui veut que les collaborateurs s’auto-gèrent en totale autonomie. Fidèle au principe de l’entreprise libérée, le co-fondateur cherche un moyen de libérer le cabinet de cette contrainte de validation de congés, afin d’alléger le process et de poursuivre ce travail de confiance accordée aux collaborateurs.
Dérégulation, liberté et autonomie caractérisent l’organisation d’HR Conseil aujourd’hui et l’ancre bien dans le modèle de l’entreprise libérée. La liberté accordée aux consultants passe par la confiance et la responsabilisation. Ce faisant, l’absence de contrôle favorise l’instauration de conditions de travail libérées où les prises d’autonomie et la créativité sont appréciées.
Ce qu’une consultante junior perçoit de la structure de l’entreprise : les promesses ont-elles été tenues ?
Les promesses faites lors de mon entretien de recrutement concernant l’autonomie, la confiance et les valeurs de l’entreprise libérée ont été tenues, parfois au détriment de l’encadrement du consultant junior en alternance.
Dès mon arrivée fin janvier 2018, après une semaine de formation en ligne sur le module Evaluation de Talentsoft, j’étais en charge de livrables pour les clients. Mon manager, et tuteur d’apprentissage, a sa « limite produit » comme il le reconnait sans réserve. Une consultante sénior, ma People Manager, censée être plus opérationnelle, est arrivée à peine un mois plus tôt et ne connait pas la solution Talentsoft.
De fait, je m’impose rapidement en experte de l’outil sur la partie Evaluation, mes collègues également certifiés étant tous surstaffés. Si les premières semaines sont jalonnées par des livrables pour différents clients et le paramétrage de bases de production, je suis rapidement laissée en autonomie. A ma charge de demander sur quoi je peux aider, quels sujets je peux prendre en charge et d’orienter aussi mes missions vers ce qui m’intéresse le plus.
Le dialogue est très direct et ouvert avec mon manager, ce qui facilite la bonne entente et le franc parler. Je gagne rapidement sa confiance après la réalisation de quelques livrables. J’ai très peu de reporting à faire, c’est même de mon propre chef que je me tiens à faire un mail récapitulatif de mes actions à mon manager à chaque étape afin que l’on ait une vision du travail accompli et restant à faire.
Mais j’ai pu observer que l’autonomie, l’une des valeurs de l’entreprise, s’est parfois apparentée à de l’indépendance. Or, ce n’est pas le but. Chaque consultant ne doit pas rester expert sur son produit, seul sur ses missions et ses clients. Il doit partager et appartenir à un groupe. En tant que consultante junior en alternance, mon manque d’expérience ne me permettait pas d’être seule sur des missions, bien qu’à la fin de mon contrat j’ai effectué une mission en totale autonomie pour un client. J’ai pu constater que l’autonomie, si elle n’est pas contrebalancée par un esprit d’équipe très fort, peu vite s’apparenter à de l’indépendance, difficile à avoir lorsque l’on est en apprentissage, ce qui conduit à un sentiment de solitude. Suite à la perte de ma manager opérationnelle, licenciée, j’ai expérimenté le désœuvrement et les difficultés à trouver du travail à faire. Donc si les promesses de l’entreprise libérée sont tenues chez HR Conseil, il est difficile en tant que consultante en apprentissage de s’organiser en totale autonomie et parfois sans cadrage. Cela force à se responsabiliser très vite et à savoir se débrouiller pour solliciter les personnes ressources qui pourront nous aider à accomplir nos missions.
Si le cabinet utilise ces valeurs libérées pour attirer les candidats, ce n’est pas ce qui m’a séduite chez HR Conseil. Je ne m’étais jamais intéressée au modèle de l’entreprise libérée avant de l’avoir expérimenté au sein du cabinet. Néanmoins, il est fort probable que les jeunes soient attirés par ces valeurs de flexibilité et d’autonomie, surtout lorsqu’ils n’ont pas de projet professionnel bien défini comme celui que j’avais en entrant chez HR Conseil (la volonté de paramétrer les outils des clients pour toucher à la Maîtrise d’Œuvre, MOE). Je n’ai donc pas rejoint l’entreprise pour ces valeurs, ce qui ne m’empêche pas d’apprécier l’autonomie qui m’est accordée et la flexibilité au quotidien sur les horaires.
Mais si l’autonomie est cruciale pour l’évolution personnelle et professionnelle, ainsi que pour le gain d’expérience, il ne faut pas qu’elle s’apparente à de l’indépendance. Ainsi, alternants comme consultants juniors devraient tout de même avoir un cadre de référence auquel se rattacher, pour monter en compétences plus rapidement ou pour être entouré en cas de difficultés.
En reprenant les codes de l’entreprise libérée, HR Conseil valide l’hypothèse 1. La hiérarchie est aplatie, ce qui facilite les échanges et la communication informelle. La confiance et la liberté accordées aux consultants poussent la prise d’initiative et la créativité. En tant que leaders libérateurs, les co-fondateurs imprègnent la structure de leurs valeurs et donnent une vision au groupe. Prôner la croissance du chiffre d’affaires responsabilise les consultants face à leur mission. Tant que le client est satisfait et que l’équipe fonctionne bien, les procédures de contrôle ne sont pas nécessaires. Les promesses effectuées par la direction lors des entretiens de recrutement sont bien tenues.
Cependant, si HR Conseil s’apparente bien à une entreprise libérée sous certains aspects, le cabinet fait face à des limites d’adhésion au modèle. La hiérarchie reste marquée, malgré une organisation horizontale : le rôle du manager est prépondérant et structurant pour les équipes. Une culture de la « débrouille » prédomine au sein des équipes, favorisée par la liberté laissée aux consultants, ce qui conduit à un manque de sentiment d’appartenance et d’adhésion aux valeurs de la part de ces derniers.
Un style de management particulier : de l’absence de contrôle au laisser-aller
Au sein d’HR Conseil, le consultant est encadré, nous l’avons vu, par trois interlocuteurs : le RH, le People Manager et le Manager Opérationnel. N’ayant aucun rôle managérial, le RH s’assure de la bonne intégration du consultant au sein de son équipe et de la structure. Ensuite, viennent les People Manager, qui ont un rôle plus administratif, chargés de valider les congés, les notes de frais et d’effectuer les entretiens annuels. Enfin, le manager encadre le consultant de manière opérationnelle dans ses missions, ses problématiques métiers et la relation client.
Si, au sein des entreprises libérées, la notion de manager est mise à mal, chez HR Conseil les managers ont toujours un rôle prépondérant, bien qu’il s’apparente plus à celui d’un leader au sens de Manfred Kets de Vries, qu’un manager. Pour Kets de Vries26 :
– Le manager est centré sur la procédure, le court terme et privilégie la stabilité. En contrôlant ses collaborateurs, il donne le comment, le how selon Simon Sinek27.
– Le leader aime le changement et se projette à long terme, il suit et inspire une vision. Il donne le pourquoi, le why, assurant ainsi le sens aux actions des collaborateurs auxquels il délègue avec facilité.
HR Conseil véhicule une volonté de faire du manager un « coach ». Des formations leur sont dédiées, écrites et organisées par la DRH. Pour reprendre la typologie de Goleman, le style de leadership coach a les caractéristiques suivantes : D’après cette définition, le manager-coach est tourné vers ses collaborateurs. Il les aide à trouver leurs forces et faiblesses, par l’intermédiaire de feedback réguliers, afin d’adapter leur plan de carrière et de développement personnel. En les challengeant et en leur faisant confiance, le manager-coach permet aux collaborateurs d’évoluer et de devenir autonomes rapidement.
Les managers ne sont pas des gestionnaires, qui organisent le travail de leurs collègues, mais ils embarquent autour d’une vision. Ce sont les managers qui rapportent le « business », maîtrisent à la fois les relations client et éditeur et connaissent les personnes clés à solliciter en interne du cabinet. Chez HR Conseil, la volonté de faire des managers des coachs conduit le management à s’apparenter à un laisser-aller. Les managers laissent les consultants « se débrouiller » tant lors de leur montée en compétences sur des process et des outils que lors de la prise d’une nouvelle mission. Mais quelles sont les conséquences de ce que l’on pourrait appeler ce « non-management » sur l’organisation du travail des consultants ?
Rappelons les préceptes d’Isaac Getz concernant l’entreprise libérée : l’absence de hiérarchie ne signifie pas anarchie29. Chez Gore, entreprise libérée et créatrice du tissu GORE-TEX qui habille pompiers et sportifs, a inventé la fonction de « leader ». Cooptés par les salariés, les leaders sont associés au même titre que les autres salariés de l’entreprise. Le leader choisi donne la vision, sans contrecarrer les idées des autres salariés. Chaque associé de l’entreprise est accompagné par un sponsor, un parrain, qui lui permettra de développer son réseau et de se familiariser avec l’entreprise30.
Au sein d’une entreprise libérée, les managers sont censés seulement animer les équipes au sein d’un cadre défini favorisant l’épanouissement professionnel et la responsabilisation de chacun. Or, chez HR Conseil, les managers sont très sollicités par la direction. Le management reste une relation hiérarchique de pouvoir avec des enjeux internes forts.
Les managers, en tant que leaders de leur équipe, doivent faire passer les valeurs de l’entreprise à leurs collaborateurs directs : Ce à quoi nous forme, parce qu’on a une formation donnée aux managers, c’est effectivement d’être les porte-paroles de la boîte, qui sont la solidarité, la coopération, l’entreprise libérée. On a un certain nombre d’inputs qui descendent de la direction. Mais c’est assez faible.
Les managers doivent être en premier lieu les porte-paroles du cabinet auprès des consultants. La direction et les Ressources Humaines se reposent sur eux pour transmettre les valeurs du cabinet et communiquer les grandes informations. Mais ce rôle de relai d’information compense en réalité l’absence de la direction des Ressources Humaines auprès des consultants, qui communique seulement avec les managers :
Vu que la DRH ne parle pas aux consultants, ça c’est un fait, mais elle demande aux managers d’être le porte-voix de ça, je ne le fais pas assez. Personne ne le fait assez je pense. L’idée c’est effectivement qu’on puisse être de mini-directions générales un peu partout. Donc c’est vrai que c’est demandé par la boîte.
Plus qu’un porte-parole, le manager d’HR Conseil doit représenter le cabinet auprès de son équipe. Il a un rôle attendu de transmission d’information, que la direction des Ressources Humaines délègue. La direction demande également aux managers un rôle classique de gestion des carrières Après en tant que manager c’est toujours pareil. On demande ce qu’on a fait pour nous, c’est-à-dire accompagner le changement, accompagner la demande des collaborateurs sur des évolutions de poste, soit fonctionnelles soit géographiques.
En tant que coach, le manager d’HR Conseil organise le plan de développement professionnel de ses collaborateurs. Il doit être garant de la motivation de son équipe, c’est ce que l’on entend entre les lignes du témoignage du manager de la Business Unit Talentsoft : Puis qu’on transmette un certain enthousiasme, un certain work & play en fait.
C’est à eux qu’incombe la performance de la Business Unit, ce qui passe par la motivation des membres de l’équipe et par son bon fonctionnement. Mais s’ils sont responsables de la performance chiffrée de la BU, ils sont moins pédagogues ou axés formation. Ils comptent sur des consultants qui connaissent déjà leur métier, ainsi que sur le partage et l’entraide en bonne intelligence entre les différents membres de l’équipe : J’ai beaucoup de mal à former les gens. J’aime bien les gens indépendants, autonomes qui prennent assez vite des sujets, qui s’embarquent dessus, etc. J’ai du mal à être dans un processus d’accompagnement. Et je suis très mauvais pédagogue, formateur, quoi.
Il semble que les managers ne sont pas eux-mêmes formés à la formation des collaborateurs au métier et aux process. Nous pourrions mettre ce point en relation avec le fait que la chargée de recrutement ait ralenti les recrutements de juniors : « Quoiqu’on ne recrute plus trop de juniors en ce moment ». Est-ce parce que les moyens matériels et humains sont trop faibles pour accueillir et former un junior ? Ou parce que la demande de la part des clients sollicite des chefs de projet expérimentés ?
Dans tous les cas, les managers semblent souffrir du peu de moyens mis à leur disposition par le cabinet. Constamment surstaffées, les équipes absorbent beaucoup de missions. Tous les consultants sont multi-projets. Ainsi, comment manager dans des conditions de manque de ressources et de moyens ? La réponse, selon le manager de la BU Intégration, est la « débrouille » : Je pense que cette culture de la démerde, c’est-à-dire savoir se démerder avec pas grand chose, ça, on l’a tous plus ou moins. […] Et puis après, c’est une certaine forme d’autonomie.
Les managers d’HR Conseil partagent la valeur de la « débrouille » et de l’autonomie totale dans leur fonction. Ayant la confiance de la direction du moment que la BU fonctionne bien, ils prennent les décisions qu’ils pensent les meilleures pour l’équipe et, in extenso, le cabinet. De ce point de vue-là, leur rôle rejoint celui des managers au sein des entreprises libérées, si ce n’est que leur rôle est peu flexible et qu’ils sont relégués à eux-mêmes. Cette culture de la « débrouille » chez les managers les pousse à privilégier ce qui fonctionne et à déléguer aux consultants, souvent autonomes et responsables.
Les managers ne peuvent pas tout gérer : Moi, ce que j’essaie de transmettre, c’est un peu ces valeurs-là. C’est-à-dire d’être très autonome, d’être ouvert, après moi je suis uniquement câblé sur ce qui marche et tout ce qui est d’ordre vraiment fonctionnel, je m’en fous tu vois, le home office, les horaires. Tous ces sujets-là m’indiffèrent complètement, moi ce qui m’intéresse c’est que ça marche, qu’on puisse se retrouver de temps en temps. Après ce que j’essaie de créer c’est de la valeur par rapport au client. Donc j’essaie le plus vite possible, en fonction du besoin, de mettre les gens face au client, de les engager, de les responsabiliser par rapport à un client, par rapport à un livrable.
Le manager a pour rôle de créer les conditions nécessaires à l’autonomie du consultant. Passé cette étape incontournable, il n’a pas à contrôler le travail fini, tant que cela fonctionne bien, que le client est satisfait et que les chiffres suivent. Quand il y a une insatisfaction du client, le collectif que forme l’équipe reprend la main après décision du manager, qui aura remonté les difficultés à la direction. Par exemple, après le licenciement d’une consultante sénior, le manager a informé l’équipe et réparti les clients de cette chef de projet entre les consultants restants et selon les disponibilités de chacun. Ainsi, ne pas contrôler et laisser les consultants autonomes n’est pas de pas maîtriser ce qu’il se passe dans l’équipe. Les managers doivent avoir une vision globale pour répartir le travail et réguler les éventuels problèmes. Le reste du temps les consultants sont laissés libres de prendre toute décision qui leur semble bonne pour la mission, du moment qu’ils en informent leur manager.
Chez HR Conseil, le manager semble être le garant de l’équilibre organisationnel. Il rend compte à la direction des succès de la BU, fait le lien entre la direction et les consultants de la BU, remonte des besoins (en ressources, évolution des consultants…) Cette hiérarchie intermédiaire incarnée par les managers assure la rentabilité. Le contrôle social se cantonne à la maille des managers. Le modèle déporte ainsi la responsabilité sur une hiérarchie intermédiaire : les co-fondateurs se dédouanent ainsi de la question du management des Business Unit, en déléguant à des managers responsables et autonomes.
Les managers, une hiérarchie intermédiaire très exploitée
Le management d’une entreprise libéré se veut horizontal, voire voué à disparaître, car remplacé par l’ajustement tacite au niveau de petits collectifs. Nous avons vu que si la fonction de manager continue d’exister au sein du cabinet, le management s’apparente plus à du coaching et à de l’animation d’équipes qu’à de la gestion pure. Chez HR Conseil, les managers ont un rôle qui, d’après la DRH, a plus une vocation de coach : Un management plus du type coach collaboratif, basé sur la confiance et la responsabilisation, plus que par le contrôle.
Mais, dans les faits, les managers sont aussi responsables de la réussite de la Business Unit, aident les consultants sur leurs missions et sont garants de la cohésion d’équipe et de la transmission des valeurs aux équipes. Cette fonction de manager au sein d’HR Conseil révèle une hiérarchie toujours bien marquée. Il y a les Co-fondateurs, les Associés, les Directeurs Associés, les managers et les consultants par grade, bien qu’ils ne soient pas très marqués : junior, confirmé, sénior, chef de projet…
En voulant afficher une hiérarchie aplatie, HR Conseil ne la formalise pas précisément, ce qui conduit à un flou dans la définition des rôles et responsabilités de la hiérarchie du cabinet : Globalement, si tu pars de la direction, tu as le COMAS (le Comité des Associés), je crois qu’au-dessus il y a encore une strate supérieure, mais alors là j’avoue, je connais les noms mais… Et en-dessous, chaque entité va avoir à sa tête un associé, en-dessous le niveau directeur associé, et en-dessous les People managers, et en-dessous les consultants.
Sur les 4 consultants interrogés dans le cadre de mon mémoire, tous peinaient, plus ou moins, à me décrire l’organisation, malgré le travail de définition et l’organigramme effectué récemment par les Ressources Humaines (Annexe 2, 4. Figure 13.) Naturellement, au fil de la conversation, les consultants dessinent une hiérarchie qui n’est pas aussi aplatie que ce que le cabinet décrit. Le concept d’une hiérarchie peu marquée, propre aux entreprises libérées, est définie selon HR Conseil par la proximité entre les consultants et leurs managers, comme le remarque la même consultante sénior : Il y a une vraie proximité, hyper forte, enfin en ce qui me concerne moi, les autres je ne peux pas dire, avec la partie direction d’HR Mind. Au niveau associés/directeurs associés, ce sont des personnes qui sont vraiment accessibles. C’est la possibilité de pouvoir poser toutes les questions qu’on veut sans forcément être bloqués en disant « Non mais attends c’est un N+2, non mais attends il a plein d’équipes, c’est quelqu’un d’important ». Et ça je pense que ça peut rentrer dans la définition de l’entreprise libérée. On coupe le côté carcan hiérarchique. Il y a bien un lien hiérarchique qui est hyper important à mes yeux, mais en revanche ce lien, c’est pas un carcan. Voilà on ne passe pas son temps à poser la question à son N+1 pour qu’il pose la question à son N+1, qui pose la question à l’expert.
La hiérarchie reste bien marquée au sein d’HR Conseil. Mais ce qui différencie le cabinet d’autres entreprises est la simplicité de la communication, avec des managers accessibles directement. Néanmoins, la hiérarchie se ressent particulièrement surtout au niveau des plus hautes strates de l’entreprise, sous les co-fondateurs : Quand tu croises des DA [Directeurs Associés] souvent ils se prennent pour ce qu’ils ne sont pas. Non, tu n’as pas l’impression que c’est des gens comme toi et moi. Alors c’est drôle parce que quand tu rencontres les fondateurs, ils parlent avec toi naturellement et le step en dessous ça se la raconte… Je suis Directeur Associé blabla. J’ai payé 10 000€ pour être DA blablabla. Je ne te tiens pas la porte, je ne te dis pas bonjour.
La hiérarchie apparaît comme acquise dans les témoignages des divers consultants que j’ai interviewés.
Que les consultants tiennent aux liens hiérarchiques ou que le top management fasse ressentir aux
consultants leur importance, il paraît indéniable qu’HR Conseil, malgré la volonté affichée d’avoir une hiérarchie aplatie, entretient la pyramide hiérarchique.
Pour autant, les consultants reconnaissent que la hiérarchie est moins contrôlante que dans d’autres structures. Néanmoins, ils soulignent le paradoxe d’une hiérarchie aplatie qui redevient pyramidale en cas de difficultés :
Je trouve qu’une entreprise libérée, c’est très bien, quand tu n’as pas de problèmes. Le jour où tu as un problème, je pense que tu vas savoir tout de suite qui est ta hiérarchie. Mais tant que tu n’as pas de problèmes, ça se passe. Après, j’ai eu un côté autonome dans mon boulot, donc si tu veux ça ne m’a pas dérangé. Je n’ai pas ressenti que mon manager était derrière mon dos. Je suis arrivé pendant 6 mois elle est partie en mission, je ne l’ai quasiment pas vue. Mais du coup à l’inverse, il y a un moment tu ne sais plus qui aller voir.
Peut-on parler d’entreprise libérée quand, dès lors qu’un problème est soulevé, on revient aux vieilles pratiques et habitudes ? Chez HR Conseil, les managers sont responsables vis-à-vis de la direction, de leurs équipes et doivent également assurer la rentabilité de leur BU. De fait, les consultants ne peuvent s’auto-gérés en totale indépendance, comme au sein des entreprises libérées. Même s’ils sont responsabilisés, ils doivent toujours rendre compte au manager, en ce que ce dernier doit lui-même rendre des comptes à la direction.
Les managers et associés sont-ils dans une logique de dispositif managérial libéré ? Figures de référence, ils impriment un mode de fonctionnement au sein du cabinet, hérité des co-fondateurs. D’un côté, les managers sont les ambassadeurs de la direction auprès des consultants. Ils doivent suivre les orientations business de la direction et la représenter auprès des équipes : En fait, [le manager de la BU Intégration Talentsoft] c’est l’ambassadeur de l’équipe auprès de la direction, il fait tout pour nous mettre en avant. Mais il a un double rôle, parce que c’est aussi l’ambassadeur d’HR Conseil auprès de nous. Il arrondit vachement les angles.
Le dispositif managérial au sein du cabinet emprunte beaucoup à la personnalité des co-fondateurs, qui portent à eux seuls l’ambition du groupe. Ainsi, le manager est pris entre la nécessité de représenter la direction auprès de son équipe et celle de représenter son équipe auprès de la direction, pour gagner en visibilité et montrer les efforts accomplis.
Mais si certains managers parviennent à transmettre les idées de la direction, beaucoup restent à former aux différents rôles qui leur sont confiés : le management à distance, la fidélisation des consultants, les valeurs de l’entreprise libérée, challenge actuel de la DRH. Là encore, ce rôle d’ambassadeur n’est pas toujours perçu de la même manière par les consultants, notamment parce que les valeurs ne sont pas clairement définies : Tu as tendance à te dire qu’il n’y a pas une main idea, une idée commune qui fait qu’on tire tous dans le même sens. Alors c’est vrai que quand tu arrives, on te présente un slide, voilà nos valeurs, HR Conseil. Mais en fait tu te rends compte que tout le monde a ces valeurs-là. Aujourd’hui, avec des concepts comme la RSE, tu sais tous ces nouveaux trucs de télétravail, tous ces enjeux RH, tu te rends compte que tout le monde va te dire « Ah mais nous on est transparent ». […] Est-ce que ton manager a bien compris la vision de l’entreprise et répartit la vision à chaque échelon ? C’est ça le problème. Il y a peut-être une vision en haut, mais est-ce qu’elle redescend bien ?
Les valeurs affichées par HR Conseil semblent être celles prônées par toutes sortes d’entreprises voulant dorer leur image : transparence, honnêteté, flexibilité… Qu’est-ce qui différencie HR Conseil d’un autre cabinet de conseil ? La différence ne se situe pas au niveau de la transmission de ces valeurs aux consultants : selon le manager, la communication reste inégale et les valeurs ne sont pas partagées par toutes les équipes.
Garant des valeurs de l’entreprise, le manager est également responsable de la cohésion d’équipe. Un budget leur est attribué par trimestre pour organiser des sorties d’équipes. Si certaines équipes se rencontrent régulièrement, font des petits déjeuners, les managers n’organisent pas tous de moments informels pour permettre aux consultants de se retrouver. Pour HR Conseil Intégration Talentsoft, BU en construction avec peu de main-d’œuvre mais beaucoup de missions et d’appels d’offres, le manque d’implication dans la cohésion de l’équipe est exclusivement dû au manque de temps et de ressources internes. Un consultant qui est passé d’une BU Intégration à l’autre au sein d’HR Conseil remarque : [Le manager de la BU Intégration Talentsoft] nous a dit « Oui, le petit dej c’était cool, il faut se le refaire ». Mais nous on le fait déjà [avec mon ancienne équipe]. Moi je me suis dit « Ah bon vous ne le faites pas ? » [Rires] quand j’ai vu le mail. Parce que nous on fait déjà des trucs. Des repas d’équipe tous les trois mois, machin. Donc pour la cohésion si tu veux c’est super cool et c’est bien de connaitre tes collègues en dehors.
La direction repose sur le management pour assurer une cohésion de groupe au sein des équipes. Si elle leur donne les moyens financiers d’organiser des afterwork et des sorties, elle ne prévoit pas l’investissement que cela représente en termes de temps, les managers étant souvent très pris par leurs propres missions. Ainsi, le rôle des managers est assez ambivalent. A la fois coach et libérateur de son équipe, il doit tout de même rendre compte des succès de la BU à la direction et se fait noter sur des points bien précis, souvent omis par les managers d’ailleurs, comme la communication auprès des équipes :
Il y a une chose sur la communication, c’est que ça repose aussi sur les People Manager. D’ailleurs, on est évalué, on a une évaluation 180°, où les managers sont évalués par leurs équipes et parmi les items évalués, il y a bien rôle de communication. D’ailleurs, tu vois, je te le dis en tout dernier, ça me revient après coup.
Officiellement, il est demandé au manager « d’accompagner, de conseiller, d’orienter, de faire les entretiens annuels, et de manière plus administrative de valider les temps. » Mais tacitement, la direction se repose sur les managers pour accompagner le changement, communiquer les valeurs et assurer la rentabilité financière des missions. Les managers sont de vrais ambassadeurs, là où l’on attendrait un rôle moins descendant pour les managers au sein d’une entreprise libérée. Il est important d’imprégner les managers de la culture de l’entreprise, ce qu’essaie de faire la DRH à travers des sessions de formation pour tous les managers qui voient cela comme un « moyen de bien se faire voir [par la direction] ».
Le manque de coordination est contrebalancé par une communication informelle forte
Managers et consultants font face à un manque de coordination généralisé au sein de l’organisation. Le travail collectif repose alors essentiellement sur l’intelligence collective31. Cette culture de la débrouille prédomine. Est-ce une culture propre à HR Conseil, organisation faisant face à un manque de ressource fréquent et dont les consultants sont seuls face au client sur des missions qu’ils ne maîtrisent pas nécessairement ?
Chez HR Conseil, le dénominateur commun entre les managers est la capacité à se débrouiller avec peu de ressources et des acteurs différents (éditeurs, clients, direction…) Comme le fait remarquer le manager de la BU Intégration Talentsoft, « les valeurs [d’HR Conseil], c’est la démerde, c’est la solidarité sur des projets et puis c’est l’absence de process. Quelque part l’absence de process, c’est une valeur, il faut vraiment le voir comme ça. Il vaut mieux être un bon démerdard qu’un super expert chez HR Conseil. »
L’absence de process et ce que l’on pourrait qualifier de « désorganisation » font partie des valeurs du cabinet. Le manque de coordination officielle entre les membres du cabinet est contrecarré par l’autonomie des managers et des consultants. Ces derniers doivent eux-mêmes apprendre rapidement à se débrouiller seuls, tant au sein du cabinet que chez le client. Le bon consultant HR Conseil serait quelqu’un d’autonome, qui n’hésite pas à solliciter les gens autour de lui quand il ne possède pas l’expertise :
Pour moi un bon consultant HR Conseil, c’est quelqu’un d’heureux au travail, d’investi, et qui effectivement va essayer de trouver une solution. C’est le point numéro 1, c’est-à-dire de ne pas rester bloqué. Il faut aller emmerder les gens pour avoir des réponses. Il faut se dépatouiller. Et je préfèrerai toujours des gens de bonne foi, de bonne constitution qui avancent, plutôt que des super experts qui restent dans leur coin.
La force des consultants d’un cabinet où les process ne sont pas cadrés est de savoir trouver les ressources nécessaires pour se sortir des situations difficiles, en faisant primer la satisfaction du client. Il vaut ainsi mieux avoir un consultant investi et débrouillard, plutôt qu’un expert incapable, en cas d’imprévu, d’improviser une solution. Le consultant HR Conseil doit être quelqu’un sur lequel on puisse compter, à la fois en termes de compétences techniques mais également en tant que ressource à qui demander conseil.
Cette culture de la débrouille se couple d’une forte communication informelle, qui participe de l’organisation du travail collectif. La direction soutient des réunions trimestrielles pour permettre aux consultants de se tenir au courant. Les réunions sont l’occasion de revenir sur les réussites commerciales, les missions en cours et les nouvelles, présentées par les co-fondateurs et les associés.
Ces réunions ont pour but d’établir une communication transparente et d’informer les consultants, tout en les faisant revenir au siège et entretenir le lien : Il n’y a pas un consultant aujourd’hui au sein du groupe qui ne soit pas informé, ou tenu au courant, de la stratégie du groupe, des succès, des chiffres, de la bonne santé financière du groupe.
Grâce à ces réunions, la direction accomplit son devoir d’information auprès de ses collaborateurs,
concernant la santé financière du cabinet, la stratégie déployée et les contrats en cours. Cependant, tous les consultants ne se rendent pas à ces réunions et ne peuvent s’informer autrement que par leur manager. Les autres canaux de communication ne sont pas exploités ou très peu. La newsletter, dont je n’ai reçu qu’une édition depuis mon arrivée en janvier, n’est pas lue. Les réunions trimestrielles restent le meilleur moyen de s’informer, mais elles se déroulent au siège à 20h tous les trois mois : Je sais qu’on reçoit des newsletters de temps en temps mais je ne les ouvre même pas. Sinon, il y a effectivement des réunions trimestrielles, ce genre de choses donc tous les trois mois. Mais le problème, et moi ce qui me bloque énormément, c’est que c’est le soir, et le soir à 20h. Alors j’ai pas encore d’enfants, de famille, de trucs comme ça, mais le soir j’ai envie d’être chez moi ou de faire des choses qui n’ont rien à voir avec le travail. Mais c’est juste un PowerPoint et des petits fours.
Pour obtenir de l’information, les consultants ont donc de vrais efforts à fournir. Or, la force des entreprises libérées est avant tout de communiquer de manière transparente et simple, afin de diffuser les valeurs auprès de tous les collaborateurs, pour qu’aucun ne les ignore. Les consultants se tournent souvent vers d’autres moyens pour obtenir des informations.
Malgré la volonté affichée d’instaurer une communication transparente, via des réunions trimestrielles et le déplacement des co-fondateurs et des RH dans chaque agence de France, il y a une vraie pratique du réseautage pour avoir les « vraies infos ». Les consultants privilégient l’informel. Il y a une vraie injonction à aller « à la Tour », « montrer sa pomme » afin de discuter avec les RH, les co-fondateurs et les consultants sur place. Mon manager rappelle fréquemment aux membres de mon équipe d’aller de temps en temps au siège, afin de se montrer et de partir à « la pêche aux infos ».
Les logiques individualistes prédominent, ce qui est favorisé par la valorisation des prises d’initiative et le mode d’évolution professionnelle au sein du cabinet
Parallèlement à cette culture de la « débrouille » partagée à toutes les strates de l’entreprise, des logiques individualistes se développent, entretenues par le laisser-aller des co-fondateurs, l’absence de règles, le réseautage prédominant et la valorisation des initiatives individuelles des consultants.
Malgré les tentatives de formalisation de la part de la DRH d’un parcours de carrière permettant de se situer également au sein du groupe (Annexe 2, 4. Figure 13.), les consultants sont imprégnés par cette culture de « lever la main », plutôt que de suivre le chemin tout juste esquissé par la direction. Une consultante junior racontait que dès son arrivée elle avait été placée en mission seule chez le client. Dans un contexte d’isolation extrême, tant chez HR Conseil que chez le client, elle a remonté les problèmes à sa manager, qui a dit qu’elle ne pouvait pas la changer de mission immédiatement. Après beaucoup d’insistance et l’émission d’un risque de turnover, sa hiérarchie a commencé à envisager de la changer de Business Unit. La direction laisse officiellement le soin aux managers de transmettre les valeurs d’HR Conseil, mais aussi la charge de fidéliser les consultants et de leur trouver un parcours de carrière correspondant à leurs aspirations. Néanmoins, les objectifs business des managers les obligent à laisser les consultants sur des missions, malgré leurs demandes de changement, afin de rentabiliser leurs imputations et d’optimiser la relation-client. A défaut d’accompagner les consultants dans leurs projets professionnels, les managers laissent les consultants libres de faire eux-mêmes leur carrière, par l’intermédiaire d’une forme de laisser-aller ouverte aux initiatives.
Les initiatives permettent au consultant d’évoluer professionnellement en se faisant remarquer. La conception de l’évolution professionnelle au sein du cabinet n’étant pas très formalisée, c’est l’informel et la capacité à se montrer qui permet au consultant d’évoluer sur des projets différents et de gagner en grade : C’est toi qui te fais ta carrière et ça je l’ai appris après. C’est en en parlant qu’on m’a vraiment validé avec la DRH qui m’a dit « Non, non, mais ici chez HR Conseil, vous faites votre carrière ». Et ce n’est pas tout à fait ce que j’avais compris au début, tu sais parce que c’est des concepts nouveaux donc forcément tu n’as pas été habitué.
Le consultant HR Conseil doit ainsi prendre les initiatives concernant ses évolutions de carrière, contrairement à une entreprise classique où le parcours d’évolution est plus formulé. Cette logique individualiste entre en contradiction avec l’un des rôles du manager qui est de gérer les mobilités fonctionnelles et géographiques des consultants au sein d’un plan de développement professionnel.
Au sein du cabinet, tout est affaire d’opportunités : le consultant qui aura montré son investissement et qui sera disposé à prendre des responsabilités au bon moment se les verra octroyées, sous réserve qu’un autre candidat présentant un meilleur profil ne se présente pas. Une anecdote racontée par un consultant venant de changer de Business Unit résume bien la façon dont les évolutions et les mobilités se font au sein du groupe : Je suis arrivé chez HR Conseil. 4-5 mois après, je fumais une cigarette. Le co-fondateur du groupe, descend fumer une cigarette. On discute. Il me dit « Toi, ça se passe bien ? ». Je lui dis « Ecoute, oui, moi je viens d’arriver, il y a 5 mois, je suis bien dans mon équipe Gid, ça se passe super bien, mais à moyen terme, j’aimerais bien aller sur du conseil RH côté HR Mind, sur de la gestion de Talent […]. » Ecoute tu sais ce qu’il m’a répondu ? Il m’a dit « Bien écoute, tu lèves le doigt ». Et regarde 6 mois après, je suis chez Talentsoft.
En « levant le doigt », en faisant entendre sa voix, ce consultant a pu changer de BU en quelques mois seulement. Si ce mode d’évolution sape les efforts de formalisation des parcours de carrière par les Ressources Humaines (Annexe 2, 4. Figure 14.), les évolutions au sein du cabinet peuvent aller très vite si le contexte le permet. Le revers de cette informalité est une évolution, moins basée sur le mérite que sur la monstration de soi : Si tu restes dans ton bureau et que tu parles à personne… Mais tu peux rester là pendant 15 ans. (Ibid.)
Finalement, cette forte culture individualiste et à la carte dans l’évolution professionnelle rend obsolète les tentatives de définition d’un parcours de carrière lambda (Annexe 2, 4. Figure 14.), commun à tous les cabinets de conseil, à quelques nuances près, revendiqué pourtant comme un atout différenciant de la marque employeur d’HR Conseil par la DRH : La politique entreprise libérée justement, nos parcours de carrière par exemple sont très différents de ce qui se fait chez nos concurrents, nous n’avons pas de règle prédéfinie pour passer de junior à confirmé ou sénior, juste des missions et un niveau d’autonomie requis, que chacun acquiert à son rythme.
A l’encontre du projet d’une entreprise libérée qui souhaite créer un projet collectif de travail, la culture de l’informel, du réseautage comme du « lever le doigt » au sein du cabinet, rend les logiques d’évolution et de communication individualistes à défaut de soutenir le travail collectif.
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Table des matières
INTRODUCTION
UN CONTEXTE ÉCONOMIQUEMENT FAVORABLE
MA SITUATION DANS LE CABINET ET MISSIONS
PREMIERS CONSTATS ET ÉTONNEMENTS
UNE ENTREPRISE « AGILE » OU UN CABINET « LIBÉRÉ » ?
ETUDE DE L’APPLICATION DU MODÈLE DE L’ENTREPRISE LIBÉRÉE ET DE L’ORGANISATION DU TRAVAIL COLLABORATIF AU SEIN DU CABINET
PROBLÉMATIQUE
HYPOTHÈSES
MÉTHODOLOGIE D’ENQUÊTE MISE EN OEUVRE
AXES DE RÉFLEXION
I – HR CONSEIL, UN CABINET QUI PROMEUT SON AGILITÉ ET QUI REVENDIQUE SON APPARTENANCE AU MODÈLE DE L’ENTREPRISE LIBÉRÉE : SA HIÉRARCHIE EST APLATIE, LES CONSULTANTS SONT AUTONOMES ET PORTÉS PAR LES VALEURS DE L’ENTREPRISE
A – LES CO-FONDATEURS, DES FIGURES DE RÉFÉRENCE TRÈS FORTES
1. LE LEADERSHIP INSPIRANT DES CO-FONDATEURS
2. LE MYTHE DE DEUX ENTREPRENEURS CHARISMATIQUES
B – LA PROMESSE D’UN CABINET DE CONSEIL AGILE : UNE STRUCTURE QUI PERMET UNE HIÉRARCHIE APLATIE ET UNE PRISE DE DÉCISION RAPIDE
1. L’ORGANISATION D’UN CABINET AGILE : UNE ADHOCRATIE D’EXPLOITATION OU UNE
ORGANISATION MISSIONNAIRE ?
2. UNE STRUCTURE PROMETTANT LA PROXIMITÉ ET LA RAPIDITÉ D’EXÉCUTION GRÂCE À UNE HIÉRARCHIE APLATIE
C – LES CONSULTANTS SONT AUTONOMES ET LIBRES DE PRENDRE DES INITIATIVES
1. UNE AUTONOMIE IDÉALE POUR LE MÉTIER DE CONSULTANT : UNE LIBERTÉ ET DES PRISES D’INITIATIVES CONTREBALANCÉES PAR LE RYTHME IMPOSÉ PAR LE MÉTIER DE CONSULTANT
2. LA LIBERTÉ DES CONSULTANTS EST FAVORISÉE PAR L’ABSENCE DE CONTRÔLE
D – CE QU’UNE CONSULTANTE JUNIOR PERÇOIT DE LA STRUCTURE DE L’ENTREPRISE : LES PROMESSES ONT-ELLES ÉTÉ TENUES ?
II- L’APPLICATION DU MODÈLE ORGANISATIONNEL DE L’ENTREPRISE LIBÉRÉE CONNAÎT DES LIMITES EN TERMES DE HIÉRARCHIE ET D’ADHÉSION AUX VALEURS DE LA PART DES CONSULTANTS
A – MALGRÉ SON HORIZONTALITÉ, LA HIÉRARCHIE RESTE MARQUÉE ET LE MANAGEMENT, STRATE SUREXPLOITÉE, PEINE À INSTAURER UN CADRE LIBÉRÉ
1. UN STYLE DE MANAGEMENT PARTICULIER : DE L’ABSENCE DE CONTRÔLE AU LAISSER ALLER
2. LES MANAGERS, UNE HIÉRARCHIE INTERMÉDIAIRE TRÈS EXPLOITÉE
B – UNE ORGANISATION QUI REPOSE SUR LA « DÉBROUILLE » PLUTÔT QUE SUR LA COORDINATION
1. LE MANQUE DE COORDINATION EST CONTREBALANCÉ PAR UNE COMMUNICATION INFORMELLE FORTE
2. LES LOGIQUES INDIVIDUALISTES PRÉDOMINENT, CE QUI EST FAVORISÉ PAR LA VALORISATION DES PRISES D’INITIATIVE ET LE MODE D’ÉVOLUTION PROFESSIONNELLE AU SEIN DU CABINET
C – LA DIFFICULTÉ DE CRÉER UN SENTIMENT D’APPARTENANCE DANS UN SECTEUR PEINANT À RETENIR SES COLLABORATEURS
1. LES FACTEURS DE MOTIVATION DANS UNE SOCIÉTÉ DE SERVICES : LA RÉPONSE DANS LE MODÈLE DE L’ENTREPRISE LIBÉRÉE ?
2. LES DIFFICULTÉS DE RÉTENTION : L’ENTREPRISE LIBÉRÉE, UNE QUESTION DE PERSONNALITÉ
D – DU FLOU ORGANISATIONNEL AUX PROBLÈMES D’ADHÉSION : MON EXPÉRIENCE DE CONSULTANTE JUNIOR AU SEIN D’UNE STRUCTURE RÉGIE PAR LA CULTURE DE LA « DÉBROUILLE »
III – LE MODÈLE ORGANISATIONNEL DE HR CONSEIL POUSSE LES CONSULTANTS À S’ORGANISER ENTRE EUX, EN PETITS GROUPES DE PAIRS, ET CRÉE UN SENTIMENT D’APPARTENANCE À LEUR ÉQUIPE.
A – LES EFFORTS DE LA DIRECTION POUR CRÉER UNE MARQUE EMPLOYEUR PEINENT À ATTEINDRE LES CONSULTANTS
1. LA MARQUE EMPLOYEUR PASSE PAR LE MATÉRIEL ET LE DISCOURS
2. MAIS, EN RÉALITÉ, LE CABINET COMPTE PLUS SUR LE RECRUTEMENT DES PROFILS INTÉRESSÉS PLUTÔT QUE SUR LA CRÉATION D’UNE MARQUE EMPLOYEUR
B – LA COMMUNICATION INTERNE EST INFORMELLE, CE QUI FAVORISE L’ORGANISATION ENTRE ÉQUIPES
1. IL N’Y A PAS OU PEU DE COMMUNICATION INTERNE OFFICIELLE
2. CE MANQUE DE VISIBILITÉ ET DE COMMUNICATION FAVORISE L’ORGANISATION DES ÉQUIPES EN VASE CLOS
C – CETTE ORGANISATION INFORMELLE ET CETTE CULTURE DE LA DÉBROUILLE CRÉENT UN SENTIMENT D’APPARTENANCE FORT AU NIVEAU DE L’ÉQUIPE
1. L’ORGANISATION D’HR CONSEIL FAVORISE LE SENTIMENT D’APPARTENANCE AU NIVEAU DE L’ÉQUIPE
2. PLUS QU’UN SENTIMENT D’APPARTENANCE, LES CONSULTANTS ENTRETIENNENT UNE VÉRITABLE LOYAUTÉ ENVERS LEUR ÉQUIPE
D – COMMENT SE DÉVELOPPE LE SENTIMENT D’APPARTENANCE D’UNE CONSULTANTE JUNIOR EN ALTERNANCE DANS CE MODÈLE ATYPIQUE ?
CONCLUSION
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