L’année 2020 a été marquée fortement par l’épidémie de la covid-19 causée par le SARS-Cov2, un virus à tropisme respiratoire, responsable d’une morbidité et d’une mortalité élevées dans le monde. Dans la lutte contre cette pandémie plusieurs mesures ont été édictées à savoir : le respect des gestes barrières (port de masque, lavage des mains, la distanciation sociale…), l’interdiction des rassemblements et des déplacements interurbains, la fermeture des frontières, des écoles, des lieux de culte, des marchés et le confinement avec couvre-feu. Le Sénégal n’a pas échappé à ce confinement même s’il n’était que partiel (couvre-feu de 20h à 06h du matin). Cela a entrainé des effets sur la santé de la population en général et celle pédiatrique en particulier. Pendant cette période, il a été constaté une diminution de l’affluence des malades à l’hôpital, de la couverture vaccinale de routine et une augmentation de survenue de certaines pathologies pédiatriques telles que les intoxications accidentelles domestiques. Elles surviennent de manière involontaire dans la majorité des cas avec un pic autour de l’âge de 2–3 ans [1]. L’OMS estime en 2012 à 193 460, le nombre de personnes décédées dans le monde des suites d’une intoxication accidentelle dans le monde. La majorité des cas sont survenus dans des pays à revenu faible ou intermédiaire [2]. Les intoxications aiguës accidentelles sont courantes avec une incidence de 0,26% de l’ensemble des consultations aux urgences pédiatrique et touchent surtout les enfants de moins de cinq ans [3]. Le foyer et ses environs pouvant présenter des dangers pour l’enfant, notamment des risques d’empoisonnement accidentel aux produits domestiques comme la soude caustique, l’eau de javel, le pétrole et ses dérivés et les médicaments. Ces produits d’usage domestique sont parfois laissés à portée des enfants. En plus, la curiosité et l’insouciance des jeunes nourrissons face au danger que représente ces produits les rend encore plus vulnérables. De ce fait, des millions d’appels sont adressés chaque année aux centres antipoison et des milliers d’enfants sont admis aux urgences pour avoir ingéré par mégarde un produit d’entretien, un médicament, un pesticide, etc.
Ces accidents peuvent mettre en jeu le pronostic vital de l’enfant par leurs complications aigues. Les risques de séquelles fonctionnelles peuvent être redoutables et invalidantes sur les voies digestives (sténoses œsophagiennes, perforations), respiratoires (pneumonies d’inhalation) et ORL à long terme. L’évaluation du pronostic d’intoxication doit tenir compte de la nature du produit ingérée, de la dose, de la forme sous laquelle il se trouve, de la voie d’exposition, de l’âge de l’enfant, de la présence d’autres poisons, du délai entre l’ingestion et la prise en charge, de l’état nutritionnel de l’enfant, de la présence d’autres pathologies ou traumatismes .
Généralités
Définitions
L’intoxication se définit comme l’ensemble des manifestations pathologiques consécutives à l’ingestion d’aliment ou à l’absorption de produit ou de drogue qui se comporte comme un poison dans l’organisme [6]. Selon l’OMS, on appelle poison toute substance qui produit une action délétère sur l’organisme [7]. L’intoxication peut être volontaire dans le cadre de tentatives d’autolyse le plus souvent chez les adolescents ou les adultes avec un contexte psychiatrique particulier. Dans la population pédiatrique, elle survient généralement de manière involontaire ; l’enfant ayant ingéré par mégarde des produits ménagers, pharmaceutiques, entre autres.
Epidémiologie
L’intoxication accidentelle domestique est un problème de santé publique mondial. Selon les données de l’OMS, en 2012, on estime que 193 460 personnes sont décédées dans le monde des suites d’une intoxication accidentelle dont les 84% sont survenues dans des pays à revenu faible ou intermédiaire [2]. Les intoxications constituent la quatrième cause de décès chez les enfants âgés de 1 à 14 ans après les accidents de la route, les incendies et les noyades, selon l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) et l’UNICEF (United Nations Children’s Fund) en 2000-2001 [8]. Les intoxications aiguës accidentelles sont courantes avec une incidence de 0,26% de l’ensemble des consultations aux urgences pédiatrique et touchent surtout les enfants de moins de cinq ans [3]. Le taux est plus élevé chez les garçons que chez les filles dans toutes les Régions de l’OMS sauf dans les pays à bas et moyen revenu de la Région du Pacifique Occidental. Dans la région OMS de l’Afrique, le taux d’empoisonnement est de 5 pour 100 000 chez les garçons, tandis que chez les filles des pays à haut revenu des Régions de la Méditerranée orientale et du Pacifique occidental, il est très faible, avec un chiffre de 0,1 pour 100 000. [4] Les données pour 2006 de l’American Association of Poison Control Centers montrent que les empoisonnements chez l’enfant ont été causés le plus souvent par des produits pharmaceutiques. Les demandes de renseignements concernant des enfants de moins de 6 ans représentaient 50,9 % des cas et 2,4 % de l’ensemble des décès signalés [9]. Aux États-Unis, plus de 1,25 millions de cas d’exposition à des poisons mettant en cause des enfants de moins de 6 ans ont été rapportés ; 425 pour 100 000 enfants ont été déclarés en 2004 au Toxic Exposure Surveillance System [10]. La prévalence et la nature des empoisonnements varient beaucoup dans l’ensemble du monde et dépendent de la situation socio-économique et des pratiques culturelles, ainsi que des activités industrielles et agricoles locales. Selon les données des centres antipoison et des hôpitaux, les agents les plus couramment en cause dans les pays développés ainsi que dans certains pays en développement sont les suivants :
− les médicaments en vente libre, comme le paracétamol, les antitussifs et les produits contre le rhume, les comprimés de fer, les antihistaminiques et les antiinflammatoires ;
− les médicaments délivrés sur ordonnance comme les antidépresseurs, les stupéfiants et les analgésiques ;
− les drogues à usage récréatif, comme le cannabis et la cocaïne ;
− les produits d’entretien ou de soins personnels – comme les détergents, les désinfectants, les produits de blanchissage, les produits de nettoyage, les cosmétiques et le vinaigre ;
− les pesticides dont les insecticides, les rodenticides et les herbicides ;
− les plantes vénéneuses.
Les centres antipoison (CAP) européens évaluent la fréquence des expositions aux produits domestiques à environ 30% de leurs appels. L’eau de Javel est au premier rang de ces produits domestiques [11]. Dans les pays à bas ou moyen revenu, les agents le plus souvent en cause dans les empoisonnements d’enfants sont les hydrocarbures utilisés comme combustibles ou pour l’éclairage, comme le pétrole lampant [4]. Les produits d’entretien auxquels les enfants peuvent avoir accès à la maison comptent pour beaucoup dans les empoisonnements accidentels. Aux ÉtatsUnis, les substances les plus fréquemment mentionnées étaient des produits cosmétiques et de soins personnels, des produits de nettoyage et des analgésiques [4]. On a compté en 2004 plus de 120 000 expositions d’enfants de moins de 6 ans à des produits de nettoyage comme l’ammoniaque, les produits de blanchissage et les détergents pour lessive [10]. Une étude menée au Bangladesh, en Colombie, en Égypte et au Pakistan a révélé que des médicaments étaient en cause dans 31 % des empoisonnements d’enfants de moins de 14 ans, suivis des produits de nettoyage, avec 20 % du total [12] Au Sénégal les produits caustiques (52,9% des intoxications accidentelles) étaient prédominants suivis du pétrole et ses dérivés volatiles 20,5% [6]. Tandis qu’en Côte d’ivoire les médicaments (26,45 %) étaient le plus fréquemment incriminés, suivis des produits ménagers (21,87 %) et des pesticides (14,82 %). Les anxiolytiques et les antipaludéens étaient impliqués dans 48 % des intoxications d’origine médicamenteuse [13]. Au bénin, l’ingestion de pétrole était la plus fréquente (32,7%) des intoxications, suivi de l’ingestion de médicaments (18,2%), des insecticides (16,4%) et enfin la soude caustique (pour 12,7%) .
En Tunisie, les différents agents toxiques retrouvés étaient représentés essentiellement par les caustiques (31,4% des accidents domestiques), suivis des médicaments (26,6%) puis les hydrocarbures (15,2%). L’eau de javel et la soude caustique étaient les principaux agents caustiques .
Les produits en cause
Les produits caustiques
Classification et mécanisme d’action
Les produits caustiques représentent une classe de substances hétérogènes par leur composition chimique et par leur mécanisme d’action sur les tissus biologiques [15,16,17]. Ils peuvent donc être classés :
➤ Selon leur nature chimique :
On distingue trois grandes classes de caustiques : les caustiques forts, les caustiques moyens et les autres qui sont non-classables.
● Caustiques forts
Cette classe regroupe :
– les acides forts qui sont définis par un pH inférieur à 2. Les acides forts induisent une déshydratation et une coagulation des protéines avec constitution d’une nécrose de surface, d’emblée maximale, qui s’oppose à la pénétration du toxique, limitant l’aggravation lésionnelle en profondeur, mais qui expose à une causticité diffuse.
– les acides faibles concentrés ayant un pH inférieur à 1. Les acides faibles réalisent une nécrose de coagulation des protéines.
– les bases fortes sont définies par un pH supérieur à 12. Elles réalisent une nécrose de liquéfaction avec saponification des lipides tissulaires et thrombose des vaisseaux sous-séreux déterminant des lésions profondes, d’apparition plus retardée (plusieurs heures) et dont l’évaluation initiale fait souvent sous-estimer la profondeur et la gravité (réaction exothermique plutôt lente).
● Caustiques moyens
Les caustiques moyens sont essentiellement des oxydants puissants tels que l’eau de javel concentrée à 48° chlorométriques, les solutions concentrées à plus de 10% d’eau oxygénée et les comprimés de permanganate de potassium. L’action de ces caustiques nécessite un temps de contact prolongé avec les muqueuses. Ils entrainent des brûlures thermiques par dégagement de la chaleur (réaction exothermique), et provoquent une dénaturation protéique avec transformation des acides aminés en aldéhydes.
● Autres caustiques : les phénols (solution concentrée), les époxydes (éthers)
➤ Selon leur usage :
● Produits d’entretien ménager : Ils sont extrêmement variés et répondent à des compositions également très diverses (produits pour lavage de la vaisselle, crésyl…)
● Produits à usage médical : Exemples : permanganate de potassium, eau oxygénée.
● Produits à usage industriel et agricole : Certains produits caustiques à usage industriel ou agricole peuvent se retrouver de manière plutôt ‘’clandestine’’ dans les maisons, à la portée des enfants, favorisant ainsi des intoxications accidentelles ; c’est le cas du liquide de batterie.
NB : les solutions dont le pH est compris entre 2 et 11, par exemple l’eau de javel à 12° chlorométriques, génèrent uniquement des lésions irritatives et sortent ainsi de la définition des caustiques.
Aspects cliniques
En cas d’intoxication par produits caustiques, les lésions rencontrées varient selon le mode d’administration. L’ingestion massive d’un produit de forte causticité induit des lésions diffuses et sévères ; inversement, une absorption accidentelle donne généralement lieu à des lésions peu sévères vu la faible quantité ingérée. Les vomissements, provoqués ou associés, aggravent les lésions car ils entrainent un deuxième passage du produit sur les muqueuses. Les lésions varient selon la forme du produit ingéré : les produits en poudre et en cristaux, difficiles à avaler, provoquent préférentiellement des lésions oropharyngées et de l’œsophage proximal. Les gels induisent un temps de contact prolongé avec des lésions en coulées de l’oropharynx et de l’œsophage. Les produits caustiques liquides ont une progression rapide dans la filière digestive et entraînent des lésions de l’œsophage et de l’estomac. La nature du produit entre bien entendu également en compte. Les bases fortes entraînent des lésions proximales et profondes, alors que les acides forts donnent des atteintes plus distales et superficielles. Les troubles observés ont des causes diverses : La gravité des brûlures dépend de la nature chimique du produit (acide, base, oxydant), du pH (pH > 11,5 ou < 2 : corrosifs forts entraînant des lésions significatives), de sa concentration, de la quantité ingérée (> 150 ml = intoxication massive) et de sa présentation (forme liquide plus agressive, avec des lésions œsogastriques plus étendues). [18] Les symptômes sont trompeurs et pas toujours en relation avec l’importance des lésions. Les formes cliniques sont variables dans leur intensité et leur délai d’apparition :
➨ Les lésions oropharyngées : langue dépapillée, ulcérations, zones de nécrose associée ou non à une dysphagie ou à une dysphonie Chez l’enfant, dans 15% des cas, elles sont absentes alors que les lésions sous-jacentes sont retrouvées au niveau œsophagien ou gastrique.
➨ Les signes digestifs : dysphagie, hypersialorrhée, vomissements plus ou moins sanglants, douleurs sternales ou épigastriques d’intensité variable, défense et contracture abdominale évoquant une perforation digestive.
➨ Brûlures cutanées provoquées par les vomissements.
➨ Signes respiratoires par inhalation ou réexposition du pharynx après vomissements : risque de pneumothorax, pneumo-médiastin, médiastinite aiguë, œdème de la glotte et détresse respiratoire
➨ Dans les formes sévères :
➨ La détresse circulatoire liée à l’étendue des brûlures provoquant une hypo volémie.
➨ Les troubles de l’équilibre acido-basique et des lactates consécutifs à l’atteinte tissulaire.
➨ Les troubles de l’hémostase (CIVD) dus à la consommation des facteurs de la coagulation.
➨ Les signes de perforation œsophagienne sont représentés par un emphysème sous-cutané ou une douleur thoracique à irradiation dorsale et gastrique, par la contracture abdominale.
➨ Signes généraux : angoisse, agitation, tachycardie, provoqués par l’hypoxie et la douleur.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : REVUE DE LA LITTERATURE
1. Généralités
1.1. Définitions
1.2. Epidémiologie
2. Les produits en cause
2.1. Les produits caustiques
2.1.1. Classification et mécanisme d’action
2.1.2. Aspects cliniques
2.1.3. Prise en charge
2.2. Intoxications médicamenteuses
2.2.1. Classification et mécanisme d’action
« Rien n’est poison, tout est poison, seule la dose fait le poison » – Paracelse
2.2.2. Aspects clinique et biologique
2.2.2.1. Clinique
2.2.2.2. Paraclinique
2.2.3. Prise en charge
2.2.3.1. Traitement symptomatique
2.2.3.2. Traitement évacuateur
2.3. Intoxication au pétrole
2.3.1. Mécanisme d’action
2.3.2. Aspect clinique et para-clinique
2.3.2.1. Clinique
2.3.2.2. Paraclinique
2.3.2.2.1. Biologie
2.3.2.2.2. Radiologie
2.3.3. Prise En Charge
2.4. Ingestion de pesticides
2.4.1. Classification et mécanisme d’action
2.4.2. Clinique
2.4.3. Prise en charge
DEUXIEME PARTIE : NOTRE ETUDE
1. Cadre d’étude
2. Méthodologie
2.1. Type d’étude et période d’étude
2.2. Période de collecte
2.3. Population d’étude
2.3.1. Critères d’inclusion
2.3.2. Critères de non inclusion
2.3.3. Critères d’exclusion
2.4. Outils de collecte
2.5. Définition des variables
2.6. Analyse de données
2.7. Considérations éthiques
3. RESULTATS
3.1. Etude descriptive
3.1.1 Données épidémiologiques et sociodémographiques
3.1.1.1. Prévalence et incidence
3.1.1.2. Répartition selon l’âge et le sexe
3.1.1.2.1. Age
3.1.1.2.2. Sexe
3.1.1.3. Répartition selon le niveau socio-économique
3.1.1.4. Répartition selon l’âge des parents
3.1.1.4.1. Age du père
3.1.1.4.2. Age de la mère
3.1.1.5. Selon la fratrie
3.1.1.6. Selon le niveau d’instruction de la mère
3.1.1.7. Selon la zone d’habitation
3.1.1.8. Nature de l’accident
3.1.1.9. Types de caustiques
3.1.1.10. Types de médicaments
3.1.1.11. Type de produits en fonction de la tranche d’âge
3.1.1.12. Mois de survenue
3.1.1.12. Heure de survenue
3.1.1.13. Délai de consultation
3.1.1.14. Circonstances de survenue
3.1.2. Données cliniques
3.1.2.1. Etat général
3.1.2.2. Signes cardio-vasculaires
3.1.2.3. Signes respiratoires
3.1.2.4. Signes digestifs
3.1.2.5. Signes neurologiques
3.1.2.5. Tableau récapitulatif des signes cliniques
3.1.3.Paracliniques
3.1.3.1. Données biologiques
3.1.3.2. Données radiologiques
3.1.3.3. Données endoscopiques
3.1.4. Traitement
3.1.4.1. Prise en charge pré-hospitalière
3.1.4.2. Prise en charge hospitalière
3.1.4.2.1. Nature de la prise en charge
3.1.4.2.2. Appel au centre anti-poison
3.1.4.2.3. Traitement symptomatique
3.1.4.2.4. Traitement spécifique
3.1.4.2.5. Traitement évacuateur
3.1.5. Evolution
3.1.6. Complications et séquelles
3.2. Etude analytique
3.2.1. Comparaison des incidences et prévalences
3.2.2. Comparaison âge et sexe des patients
3.2.2.1. Age des patients
3.2.2.2. Sexe des patients
3.2.3. Comparaison entre les mois de survenue
3.2.4. Comparaison entre les types d’accident
4. DISCUSSION
4.1. Socio-démographie
4.2. Clinique et paraclinique
4.3. Prise en charge
4.4. Evolution
4.5. Complications et séquelles
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES