Énoncé d’une thématique et d’une question de recherche
Depuis les années 70, la question de la difficulté scolaire est au cœur de différentes réflexions : historiques, psychologiques, psychanalytiques, sociologiques, didactiques, pédagogiques, géographiques etc. L’institution, considérant jadis l’enfant éprouvant des difficultés à apprendre ou non-apprenant comme « bête », « fainéant » ou « débile », a remis en cause sa responsabilité face à ces 10 à 12 % d’élèves qui ressortent de la sphère scolaire sans avoir acquis les savoirs fondamentaux, traduit aujourd’hui sous la forme d’un « socle commun de connaissances et de compétences ». Entre mise à l’écart, intégration et inclusion, l’école s’efforce de trouver des solutions pour réduire ce pourcentage. Depuis Jules Ferry , la difficulté scolaire est une question qui se situe au cœur de l’institution scolaire. Cependant aujourd’hui, ce problème, qui est d’une part, institutionnel, et d’autre part, de société, persiste inexorablement. Ces élèves ont toujours été là, et ce sont ceux qui mettent le plus les enseignants en difficulté. Ils justifient leur métier tout en déstabilisant leurs certitudes. La question de l’intelligence est aujourd’hui dépassée, le fait qu’elle s’acquiert en la stimulant, en pensant, et non biologiquement ou génétiquement est convenu. Seulement, l’état psychique de ces élèves, déjà ébranlé, est mis à rude épreuve face au fait d’être parmi une masse qui comprend, mais pas eux, car les apprentissages ne résonnent, ni ne raisonnent en eux.
Le rapport au savoir aujourd’hui : donner du sens à l’instruction
Difficulté scolaire et rapport au savoir
Des théories du déterminisme sociologique aux théories du sens de l’école
La question des élèves en difficulté(s) scolaire(s), de la difficulté scolaire, de l’échec scolaire est une interrogation vaste, qui a été traitée de différentes manières, et de différents points de vue. C’est une question qui touche la société entière, les parents, les enseignants, les responsables politiques, les élèves… On peut donc adopter un point de vue historique (depuis quand ? Quelle évolution ?), un point de vue pédagogique (comment remédier concrètement, par le rôle de l’enseignant en classe, à ce phénomène), didactique (quelle manière d’aborder les apprentissages sera plus propice à la réussite de tous), sociologique (quel lien entretient la difficulté scolaire avec les évolutions et le visage de la société ?) etc., pour essayer non seulement de comprendre, mais également de traiter cette difficulté scolaire.
Longtemps associée à un phénomène médical, génétique ou simplement le fait d’une mauvaise volonté, la question des causes de la difficulté scolaire pris un nouveau tournant avec la sociologie et les années 60-70. Les théories de Bourdieu et Passeron mirent en évidence une corrélation entre échec scolaire et milieu social d’origine. En effet, c’est du constat de l’inégale représentation des classes sociales dans l’enseignement supérieur qu’ils construisirent l’idée selon laquelle l’école reproduit les inégalités, analysant l’échec scolaire en termes de position sociale. Ces théories resteront une entrée privilégiée dans la question des causes de l’échec scolaire pendant une vingtaine d’années, et restent aujourd’hui souvent ancrées dans l’inconscient collectif des acteurs de l’éducation. L’idée selon laquelle le milieu social détermine la réussite ou l’échec scolaire est encore très répandue.
C’est cette interprétation qui, dans les années 90, incita une équipe de chercheurs (ESCOL), sociologues, dirigée par Bernard Charlot , à poursuivre et approfondir cette question de l’échec scolaire en des termes différents. En effet, ils partirent de l’idée selon laquelle les facteurs sociologiques évoqués à partir des différentes recherches sur la difficulté scolaire ne permettraient pas de la déterminer. En effet, pour eux, cette inégalité entre la proportion des différentes catégories dans la société et dans l’enseignement supérieur ne doit pas être interprétée, ce phénomène se situant entre les bornes de la corrélation statistique et non de la cause de l’échec scolaire. Ce qui justifie ce déterminisme sociologique : les exceptions. Tous les élèves issus de milieux sociologiquement et culturellement pauvres ne sont pas en échec scolaire. Pour lui, l’échec scolaire renvoie à différents débats (l’apprentissage, l’efficacité des enseignants, le service public, l’égalité des chances, les moyens que le pays doit investir dans l’éducation, l’ensemble des modes de vie et de travail etc.) que ces théories ne permettent pas d’expliquer. Pour Charlot, il faut aller plus loin, et prendre en compte l’histoire singulière des individus. Ces inégalités mettent en avant un lien entre milieu social/culturel et réussite à l’école, mais ne permettent pas d’expliquer pourquoi certains enfants, ayant grandi dans les mêmes conditions sociales, accèdent à ce niveau d’études supérieures, et eux, s’en sortent. Il centre alors ses recherches sur la question du sens. Quel sens cela a-t-il pour un jeune d’aller à l’école, de travailler ? D’apprendre et de comprendre ? Qu’est-ce qui détermine, dans la relation à l’école, la réussite ou l’échec ? Qu’est-ce qui caractérise ce que l’on retient de l’école ? Pour lui, c’est ce qui a du sens.
Du constat du sens : le rapport au savoir, au constat de la crise du sens à l’école
C’est ainsi que se profila la question du « rapport au savoir ». Après des années de recherches, en école, collège, lycée technologique et professionnel, il proposa une définition de ce concept . Pour lui, le rapport au savoir est une forme de « rapport au monde », « Analyser le rapport au savoir, c’est étudier le sujet confronté à l’obligation d’apprendre, dans un monde qu’il partage avec d’autres : le rapport au savoir est rapport au monde, rapport à soi, rapport aux autres » . Ainsi, ces recherches prennent en compte un panel plus important de facteurs explicatifs de ce qui résonne en l’individu qui apprend, un savoir apporté par l’institution, par d’autres individus, par soi-même. Il pose ces questions en terme de relations, d’actions,et non en terme d’échecs, c’est à dire de différences de positions entre ceux qui réussissent et ceux qui échouent. Bernard Charlot met, par ce médium, en avant la question du sens qu’a l’école, qu’a le savoir pour l’individu. Il part du postulat que ce que l’on retient relève de ce qui a du sens pour nous. Difficile de nier, quand nous savons que nous ne retenons qu’un faible pourcentage des informations que l’on traite, que nous abordons le savoir avec des attentes. Au-delà des savoirs que nous investissons car ils sont en adéquation avec ces attentes, nous ne retiendrons que ce qui sera pertinent pour nous et notre évolution individuelle, par l’intérêt que nous portons à l’objet du savoir, à l’instant donné, dans notre projet personnel de résonance ou d’exploitation de ces données. Bernard Charlot nous donne ainsi sa définition de ce qu’est le sens pour l’individu : Pour lui, « a du sens un mot, un énoncé, un événement qui peut être mis en relation avec d’autres dans un système, ou dans un ensemble; fait sens pour un individu quelque chose qui lui arrive et qui a des rapports avec d’autres choses de sa vie, des choses qu’il a déjà pensées, des questions qu’il s’est posées », etc. Il en conclut par « le sens est produit par une mise en relation, à l’intérieur d’un système ou dans les rapports avec le monde ou avec les autres ». Soit, cela rejoint parfaitement la définition du rapport au savoir qu’il nous propose, une interaction entre soi-même, les autres et le monde, qui est indéniable. Si le sens est une mise en relation, alors cette mise en relation se fait au sens large, et passera ainsi les frontières de l’école, et du temps. Seulement aujourd’hui, la littérature abondante traitant du sens reflète un manque de sens à l’école, ressenti par un grand nombre d’élèves, et est pour beaucoup dans la difficulté scolaire. Pourquoi les apprentissages ne « parlent pas » aux élèves ? Quel décalage entre ce qui va faire écho aux élèves dans la vie et à l’école ? Il s’agira donc de traiter la cohérence des apprentissages face aux valeurs véhiculées par notre société, aujourd’hui. Il s’agira de mettre en lien ce qu’on apprend et ce pour quoi on apprend : pour ce qu’on vit, pour une confrontation au monde dans les meilleures circonstances possibles. Ainsi, qu’est-ce que la société peut nous apporter comme éclairage sur cette « crise du sens à l’école ? ».
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Table des matières
INTRODUCTION
Introduction et formulation des questions de recherche
Partie 1 : Cadre théorique du mémoire
1. Inscription de la question dans un champ théorique
I. Le rapport au savoir aujourd’hui, donner du sens à l’instruction
II. Les débats réflexifs, entrée privilégiée dans le sens
III. La littérature de jeunesse, un médiateur culturel privilégié
2. Hypothèses de recherche et intentions méthodologiques
Partie 2 : Explicitation de la méthodologie de recherche
A. Quels moyens pour répondre à la problématique ?
a) Les acteurs qui ont mis en place ces débats en classe
b) Les acteurs qui ont réfléchi, travaillé sur la question
c) Les élèves qui ont pu pratiquer ces expériences de pensée
B. Choix des modalités de recueil des données
a) Un dispositif double en classe
b) Une enseignante qui met en place ces pratiques depuis des années
c) Un enseignant chercheur
C. Le questionnaire de recherche présenté à Caroline Faivre et Jean-Charles Pettier et ses finalités
Partie 3 : Recueil de données
A. Ecole Ledru-Rollin, La Ferté-Bernard
B. Analyse croisée de l’entretien de Jean-Charles Pettier et des données du questionnaire de Caroline Faivre
Partie 4 : Conclusion du mémoire
Partie 5 : Bibliographie
Partie 6 , Annexes
CONCLUSION
Résumé du mémoire