Entre « débilité légère » et « arriérés profonds »
Les lois scolaires de la Ve République introduisent un système de scolarisation de masse, sélectionnant les élèves les plus performants et marginalisant les plus faibles scolairement, ceux qui n’ont pas les normes culturelles de l’école (GateauxMennecier, 1990). Cette « explosion scolaire » n’est pas seulement due à la natalité d’après-guerre, mais au concept de capital humain, avec le besoin d’une instruction plus importante pour faire face aux progrès technologique et scientifique, avec un besoin conséquent de « cadres instruits et nombreux » (Cros, 1961). Alors, la notion de débilité légère prend de l’importance. Elle désigne des individus qui présentent une faiblesse intellectuelle dite irréversible, mesurée par les résultats aux tests de quotient intellectuel. La débilité légère est donc justifiée par les exigences sociales et scolaires qui ont évolué. En effet, la notion n’est pas importante dans les années 1930 alors que la moitié de chaque génération n ’accédait pas au certificat de fin d’études primaires (Prost, 1992). Le changement essentiel est le nouveau rapport entre l’école et l’insertion socioprofessionnelle, l’orientation devient un enjeu majeur de l’école.
Ainsi, au collège, les Sections d’Éducation Spécialisée (SES) font suite en 1967 à la vague de création de classes de perfectionnement pour l’accueil en primaire d’enfants déficients intellectuels légers. L’évolution de la création de ces classes est rapide, de 274 classes en 1944, 1145 en 1951 et 4020 en 1963 (Hugon, 1981). La fin des années 1960 et le début des années 1970 sont un tournant en ce qui concerne les populations des classes de perfectionnement. En effet, les études montrent que les critères de ségrégation censés être d’ordre psychologique se relèvent être d’ordre sociologique. Il est mis en lumière une corrélation entre la déficience légère et le bas niveau social, ce qui n’est pas le cas pour les « arriérés profonds » (Zazzo, 1969).
Cette réalité montre les difficultés de l’école de réaliser son objectif d’égalisation des chances de réussite par le critère du mérite (Mège-Courteix, 1999).
Le temps de l’intégration
En 1970 est formalisée une réelle différenciation entre les catégories d’enfants inadaptés, notamment pour les mineurs atteints d ’infirmité motrice ou les déficients sensoriels, dont les difficultés d’apprentissage étaient assimilées jusqu’alors à une déficience intellectuelle. Les établissements se spécialisent et les enfants n’y sont reçus que « s’ils sont inaptes à bénéficier des conditions de vie et de scolarité d ’un établissement scolaire normal ou adapté » (Mège-Courteix, p.60 1999). Il y a une volonté naissante de garder les enfants au sein du système scolaire ordinaire. C’est un tournant dans la représentation des déficiences. En effet, le fait de maintenir dans une situation de moindre autonomie les personnes prises en charge nuit à leur insertion socioprofessionnelle. Cette année marque le début d ’une volonté d’évitement de l’exclusion des enfants ayant des fragilités scolaires, par exemple avec l’ouverture de classes de langue française pour enfants allophones (MEN, 1970) ou la création de groupes d’aide psychopédagogique. Les difficultés d’apprentissage ne sont plus considérées comme inhérentes à un déficit intellectuel, mais comme une difficulté de l’élève face à certaines situations d’apprentissage. L’échec scolaire n’est plus considéré comme un critère de ségrégation, l’accent est mis sur la prévention et la scolarisation en milieu ordinaire. En parallèle des évolutions en psychiatrie infantile, notamment sur les effets sur l’enfant d’influences extérieures et la notion d’« inéducabilité » est remise en question (Mège-Courteix, 1999).
De plus en plus de jeunes des milieux sociaux les plus défavorisés sortent du système éducatif sans qualification, dans un contexte d’inflation des diplômes (Siebel 1984). En 1973, entre en jeu la volonté d’assurer aux jeunes inadaptés et handicapés une formation qui soit générale et professionnelle, sanctionnée par un diplôme, pour permettre d’obtenir un emploi et d’entrer dans la vie active.
Pour ce faire, la loi Haby relative à l’éducation est votée en 1975. Son objectif est de rendre le système éducatif plus ouvert à la diversité des élèves. Cette loi met en forme le collège unique, signant la fin des collèges d ’enseignement général (CEG), des collèges d’enseignement secondaire (CES) et la suppression des filières (Prost 1992).
L’uniformisation des cursus doit ouvrir le collège à tous et donner les mêmes chances à chacun, en prévoyant l’organisation d’activités de soutien. Cette réforme s’est révélée inégalitaire et conservatrice (Prost, 1992). En effet, la création du collège unique n’a pas empêché la création de filières de relégation, comme les classes aménagées, les classes préprofessionnelles ou de filières d’excellence par le biais de l’impact du choix des langues vivantes ou anciennes (Mège-Courteix, 1999).
Aussi, les enseignants ancrés dans la tradition républicaine n’ont pas été formés pour gérer ce changement (Siebel, 1984). Les familles ont commencé à mettre en place des stratégies d’évitement de certains établissements. La crise économique qui touche la France à partir de 1974 impacte durement les élèves les plus fragiles. Vues comme des filières d’exclusion, les sortants de Sections d’Enseignement Spécialisées (SES), classes préprofessionnelles de niveau (CPPN) et classes préparatoires à l’apprentissage (CPA) ne trouvent plus d’emploi (Chevalier, 1986).
Dès 1978, le nombre d’élèves au sein des classes spécialisées du primaire commence à décroître, au contraire des filières spécialisées dans les collèges (Mège-Courteix, 1999). On repousse l’enseignement adapté du primaire au collège. À partir de 1980, de nombreux rapports ont été commandés pour savoir comment introduire de la flexibilité dans les établissements pour développer la différenciation. Le rapport Soubré, en 1982, émet l’hypothèse que l’uniformisation des cursus renforce les effets de la sélection sociale, aboutissant à la réflexion sur une autonomisation pédagogique des établissements scolaires par le biais de projets d’établissement pour unir les institutions scolaires et spécialisées. Ces transformations sont possibles grâce à la décentralisation territoriale et administrative à partir de 1982. L’obtention du statut d’Etablissement Public Local d’Enseignement (EPLE) offre notamment aux établissements une autonomie pédagogique élargie et l’obligation d’établir un projet d’établissement. C’est un levier pour unifier localement les démarches pédagogiques, et y inscrire les processus d’intégration scolaire et dispositifs spécialisés au sein des EPLE. Les élèves, par le nouveau positionnement de ces dispositifs, peuvent alors appartenir à plusieurs groupes. Ces nouvelles dispositions donnent autant que possible accès aux classes ordinaires, tout en prodiguant à l’élève un enseignement adapté à ses particularités. Nous nous limiterons dans cette étude aux Sections d’Enseignement Général et Professionnel Adapté (Segpa).
De l’enseignement spécialisé à l’enseignement adapté, la création des Segpa
La genèse du dispositif Segpa met en lumière les caractéristiques de l’enseignement dit adapté, ainsi que ses objectifs particuliers.
La Segpa remplace les Sections d’Enseignement Spécialisées en 1996. Les SES ont été créées en 1965 pour la « scolarisation des enfants inadaptés ». L’ambition est de permettre, pour ces enfants alors qualifiés de « débiles légers », de s’insérer rapidement dans la vie active par une formation préprofessionnelle jusqu’à 19 ans, c’est-à-dire qui comporte une formation professionnelle en plus de la formation générale. Au cours des années 1980, les innovations pédagogiques socioconstructivistes et l’évolution de la formation des enseignants en SES ouvre la voie, pour les élèves qui y sont accueillis, aux formations professionnelles ordinaires comme le CEP (Certificat d’Études Professionnelles) et le CAP (Certificat d’Aptitude Professionnelle). La référence à la déficience légère est abandonnée en 1989 pour la notion de « difficultés scolaires ». Les caractéristiques de l’élève en enseignement adapté ne sont plus associées au champ du retard de développement, mais à un retard scolaire issu de ses difficultés. L’éducation spécialisée est alors intégrée dans l’ensemble des formations du second degré en faisant alors référence à un enseignement adapté. Les élèves qui y sont accueillis commencent à partager des cours avec les élèves ordinaires. Cependant, cet enseignement adapté, encore mal défini, ne propose que peu l’orientation vers l’enseignement professionnel ordinaire en Lycée professionnel (LP) et Centres de Formation d’Apprentis (CFA), au profit des formations en SES (Beauvais, 2010).
Les dispositifs Segpa sont officialisés en 1996. Elles ont pour objectif, à l’occasion du passage dans le second degré, d’offrir un nouveau départ. Ces élèves doivent pouvoir accéder en fin de 3 e à des modalités de formation professionnelle ordinaire. La professionnalisation progressive doit permettre aux élèves d’obtenir un CAP dans un établissement ordinaire, en LP et CFA. Lorsque les difficultés sont trop importantes, la formation qualifiante peut -être poursuivie en EREA (Etablissement Régional d’Enseignement Adapté). Les collégiens des classes Segpa, intégrées au collège unique, ont le même statut ordinaire que les autres collégiens. Au niveau pédagogique, l’adaptation se définit par la différenciation et l’individualisation pédagogique (Monfroy, 2013). L’accompagnement individuel est privilégié. La restauration d’une image de soi positive est favorisée, avec une reprise de confiance dans ses capacités par l’évaluation formative, pour que l’élève devienne acteur de son apprentissage et puisse se remobiliser sur un projet de formation ou d’apprentissage.
Pour ce faire, les situations pédagogiques sont adaptées à l’âge de l’élève, à ses intérêts pour stimuler sa curiosité et son rapport positif au savoir (MEN, 1988 ;Beauvais, 2010)..
Le poids des inégalités dans le parcours scolaire des élèves de Segpa
Le collège unique supprime les filières et délivre des enseignements basés sur des programmes nationaux. Pourtant, les classes atypiques subsistent et ont pour point commun de mener rapidement vers la voie professionnelle. C’est le cas de la Segpa, dont la position singulière dans le second degré est source de stéréotypes et de stigmatisation.
Le paradoxe de la Segpa au sein du collège unique
La Segpa a une place paradoxale, car c’est une filière au sein du collège unique qui est censé les avoir supprimées. C’est une exception européenne (Marteddu, 2018) avec la Förderschule allemande (Merle 2012 p.45). La structure, intégrée dans les collèges, a pour objectifs de délivrer une formation générale, à l’instar des collégiens ordinaires, mais également à partir de la 4 e une professionnalisation (Roiné, 2011). La formation varie et est adaptée pour chaque élève en fonction de ses difficultés et de son projet de formation (MEN 2009). En effet, les parcours des collégiens de Segpa sont organisés avec des programmes allégés, des stages de préprofessionnalisation et des formations dans des ateliers techniques. Outre ce modèle d’enseignement différent, les collégiens ne concourent pas, sauf exception, au Diplôme National du Brevet en série générale (DNB), mais au Certificat de Formation Générale (CFG) ou au DNB série professionnelle. Si l’acquisition des compétences du Socle Commun de Connaissances et des Compétences et de Culture (SCCC) reste le premier objectif de l’enseignement pour tous les collégiens, sortir de Segpa est exceptionnel. À ce titre, la Segpa peut être vue comme une structure qui rend captif les élèves qui y sont orientés (Zaffran, 2010). L’enseignement en Segpa dirige presque invariablement vers la continuité en enseignement professionnel, alors que l’enseignement général, lui, permet le passage vers la voie professionnelle.
En reprenant les caractéristiques scolaires et sociales des élèves de Segpa précédemment traitées, nous pouvons voir dans cette structure un organe de reproduction des inégalités dans un système qui tente de les compenser. De plus, la scolarisation en enseignement adapté, aussi utile et bienveillant soit-il, entraîne une stigmatisation des élèves qui en profitent.
La stigmatisation des élèves de Segpa
L’accueil en Segpa est stigmatisant à plusieurs niveaux, depuis le dépistage de la difficulté scolaire en amont, à la sortie du système scolaire et l’insertion professionnelle, sans oublier le temps de la scolarisation dans le second degré lui même.
Le caractère subjectif de la catégorisation de ces élèves dépend de l’appréciation de leur « difficulté scolaire » par l’enseignant. Or, les attentes favorables ou défavorables des enseignants, semblent avoir des effets sur le comportement des élèves. Les attentes favorables entraînent une hausse des performances, et inversement (Jussim, 1986 p. 439). De plus, les résultats antérieurs influencent ces attentes, les échecs plus anciens auraient ainsi tendance à induire des attentes moins positives de la part des enseignants (Potvin & Rousseau 1993 p.146). Les élèves dits en difficulté scolaire, qui n’ont pas les ressources pour résister à cet effet, peuvent être pris dans une boucle ne leur permettant pas d’améliorer leurs performances. En effet, les élèves assignés à un groupe ont tendance, pour maintenir leur identité sociale, à adapter leurs comportements aux stéréotypes de ce groupe et à accentuer les différences. Or les stéréotypes, ces représentations qui n’ont pas de fondement scientifique, sont généralement négatifs au sujet de la difficulté scolaire. Ainsi, par le manque de motivation, le mauvais comportement ou encore la fainéantise, les élèves en difficulté scolaire seraient responsables de leur situation (Antoine, Desombre, Lachal, Gaillet, Urban, Delelis, 2010), de leur position dans la « hiérarchie scolaire » et donc de leurorientation (Rochex, 2001).
L’orientation pour les collégiens scolarisés en Segpa
Aujourd’hui, la vocation immédiatement professionnelle a disparu des textes et a évolué pour tendre vers une autonomie et des savoirs suffisants pour préparer un diplôme de niveau V. Cependant, au sein du parcours Avenir au collège (MEN, 2015), la préparation professionnelle reste prépondérante en Segpa.
Les modalités de l’orientation au collège
Pour les collégiens et les établissements, l’orientation est un enjeu majeur de la scolarité depuis la massification scolaire des années 1960. Si les élèves sont aidés dans leurs choix d’orientation, avec par exemple la création de l’Office National d’Information sur les Enseignements et les Professions (Onisep) en 1970 et des
Centres d’Information et d’Orientation (CIO) en 1971, c’est la loi d’orientation de 1989 qui institue le droit à l’orientation dans le droit à l’éducation.
Du parcours individuel d’orientation au Parcours Avenir
Le parcours individuel d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel, introduit par la loi pour la refondation de l’école de la République, est devenu en juillet 2015 le Parcours Avenir. Il prend place tout au long de la scolarité du second degré de l’élève. Toute la communauté éducative est active dans l’élaboration de ce parcours. Rattaché aux contenus disciplinaires et à l’égal accès de chacun aux compétences du socle commun, il doit favoriser l’acquisition de connaissances et compétences utiles à tous les élèves pour qu’ils puissent se projeter dans l’avenir et décider de leur orientation de manière éclairée et raisonnée ; pour qu’ils puissent découvrir, agir et mettre en œuvre des projets collectifs et individuels.
C’est une démarche éducative de l’orientation, qui a « pour ambition d’inciter les individus à apprendre à s’orienter plutôt que de décider à leur place » (Brunel, 2017 p.9).
L’impact de la motivation et de la persévérance scolaire des élèves sur l’orientation
La notion de motivation
La motivation est une notion plurielle, définie comme une source d’énergie psychique nécessaire à l’action, ou encore comme les conditions qui stimulent un individu et le poussent à agir (Vianin, 2011). Elle est le « résultat de l’interaction d’une situation et d’un individu » (Gurtner & Genoud, 2006 p.116). La motivation prend alors deux formes. La première provient de l’individu tandis que la seconde est l’ensemble de stimuli extérieurs. Ces formes sont définies comme la motivation intrinsèque et extrinsèque (Roussel 2000). La motivation intrinsèque est l’attrait de l’individu pour l’activité, le plaisir qu’elle peut lui apporter. La motivation qualifiée d’extrinsèque est l’utilité ou le sens que l’individu donne à l’activité, ainsi que la probabilité, selon son niveau de compétence estimé, à la mener à bien (Gurtner & Genoud, 2006). Nous supposons alors que cette population, par ses caractéristiques personnelles et sociales et leur vécu scolaire, rencontre des difficultés à persévérer scolairement et trouver de la motivation intrinsèque ou extrinsèque dans le travail avec des implications sur leur orientation.
Les collégiens de Segpa prédisposés au décrochage scolaire ?
Le terme de décrochage scolaire est ici compris dans le sens adopté par le Ministère de l’Éducation Nationale (MEN) d’une sortie des études avant obtention d’un diplôme de niveau V ou une qualification (loi de refondation de 2013). C’est une situation qui préoccupe de manière croissante les acteurs de l’éducation nationale au point d’inscrire le terme dans le Code de l’éducation en 2009 (Bernard, 2006).
Les facteurs de risque de décrochage scolaire renvoient à des éléments familiaux, personnels ou scolaires qui augmentent le risque pour l’élève de quitter le système scolaire avant l’obtention d’un diplôme (Fortin, 2006). Le facteur scolaire n’est pas limité au seul échec scolaire, mais également au rendement scolaire, au retard, à l’engagement, au climat et aux situations d’exclusion. Les facteurs personnels sont l’âge, le sexe, l’adaptation sociale et les troubles du comportement. Enfin, les facteurs familiaux regroupent la question de la culture scolaire de la famille, sa structure et les difficultés socio-économiques (Scellos, 2014). Dans le cadre des Segpa, les adaptations déployées répondent au facteur scolaire, notamment par la différenciation pédagogique et l’aide personnalisée. Cependant ceux qui, comme les collégiens en Segpa, « ont accumulé les difficultés sont généralement fragilisés par ces expériences négatives cumulées et manquent de confiance en eux, ce qui amène à un désinvestissement progressif » (Picard, 2006 p.223). En effet, la confiance en soi, ce que l’individu pense de lui est impactant sur sa réussite. Ainsi « se projeter dans l’avenir en pensant réussir ou échouer est susceptible d’influencer la réussite scolaire en agissant sur son engagement dans la tâche et sa persévérance » (Martinot, 2006 p.28). La difficulté scolaire peut alors se présenter comme un cercle vicieux où la nonréussite se nourrit d’elle-même. Or les difficultés scolaires mettent en péril l’estime de soi, que les élèves vont chercher à protéger parfois au détriment de la persévérance et de l’engagement dans la tâche, en prenant de la distance avec l’école. La protection de l’estime de soi peut aller jusqu’à se désidentifier de l’école, déclarer que l’école n’a aucune importance pour garder le contrôle et faire que l’estime de soi ne soit plus corrélée aux performances scolaires. (Martinot, 2006 p.34).
De plus, lors de la transition de l’enseignement primaire au secondaire, sont constatées des baisses très nettes de la motivation scolaire (Gurtner & Genoud, 2006 p.118). L’entrée en Segpa se faisant majoritairement à l’entrée en 6 e, nous pouvons estimer que les élèves accueillis en Segpa subissent d’autant plus cet effet. Cette dernière peut également être source de stress, favorisant une démobilisation des individus.
De l’absence de motivation à l’autodétermination
La motivation n’est pas fixe, mais il est possible de travailler pour progresser et répondre aux besoins qui permettent de construire la motivation (Vianin , 2011). Si le jeune ne discerne pas de lien entre les actions effectuées et des résultats, il y a le risque de décroissance de la motivation, voire d’amotivation (Douilla ch, 2002).
L’individu est alors dans « l’incapacité à identifier les buts ou à prévoir les résultats d’une activité. Elle engendre une difficulté à orienter ses conduites et à s’y impliquer » et a des conséquences sur « l’estime de soi et l’intention d’abandonner » (Gelpe & Blanchard, 2009 p.180). Ainsi, la persévérance dans la conduite du projet d’orientation de l’élève est corrélée à sa motivation.
Cependant, si la motivation pour les disciplines générales diminue, l’utilité perçue des enseignements professionnels reste constante (Gurtner & Genoud, 2006 p.119). Les formations préprofessionnelles prenant de plus en plus d’ampleur au fur et à mesure de l’avancée dans le cursus en Segpa, il est permis de se demander si ces dernières ne sont pas génératrices de motivation. En effet, il y a une corrélation entre le sentiment de compétence et la volonté d’apprendre. L’enseignement adapté, qui introduit progressivement de plus en plus d’enseignement professionnel, répond aux difficultés scolaires rencontrées par les élèves. En redonnant aux élèves le sentiment de contrôler la situation par des expériences de réussite et la compréhension de cellesci, il est possible de réduire le sentiment de résignation. Ainsi « l’enfant doit développer […] le sentiment de contrôler la situation, d’avoir du pouvoir sur ses apprentissages et doit attribuer ses réussites et ses difficultés à des causes qu’il peut maîtriser » (Vianin, 2011). De ce fait, l’accompagnement par l’école, les enseignements adaptés et professionnels pourraient en théorie favoriser, sur le long terme, le sentiment de compétence des élèves et donc leur motivation et leur persévérance.
L’accompagnement par l’établissement dans les choix d’orientation est le facteur le plus important pour les élèves dans la construction de leur projet (Cnesco, 2018 p. 26). Un accompagnement solide par la communauté éducative, favorisant la connaissance de soi et de ses capacités, des parcours possibles et des métiers semble donc être un levier pour favoriser la persévérance des élèves dans l’aboutissement de leur orientation.
Le rôle de la communauté éducative
La motivation, et ses fluctuations ne sont pas immuables. Si les éléments qui l’affectent comme la personnalité de l’individu ou le parcours de vie sont extérieurs à l’établissement, l’équipe éducative peut néanmoins agir sur le vécu scolaire. L e suivi individuel des élèves les plus à risque, les profils « déconnectés » (Bernard , 2011) peut permettre de trouver des solutions efficaces (Royer, 2010) et revaloriser leur image de soi pour qu’ils ne soient plus « hors-projet », au sens donné par Jean-Pierre Boutinet (2012). Le contexte de la classe et de l’établissement stimule ou inhibe la motivation.
Une ambiance de compétition où la performance prime rabaisse la perception qu’ont les élèves d’eux-mêmes de leurs compétences, au contraire d’une ambiance de coopération où l’apprentissage est mis en avant avec des enseignants disponibles (Gurtner & Genoud, 2006 p.121). En effet, « l’importance de l’image de soi dans le processus d’élaboration d’un projet professionnel […] implique essentiellement la congruence (ou la consonance cognitive) entre l’image que le sujet se fait de lui-même (image de soi) et la représentation que ce même sujet possède de la profession qu’il envisage de choisir. » (Benedetto, 2017 p.65-66). Ainsi, l’enjeu pour l’établissement est de mettre en place des dispositifs « qui doivent permettre de donner des capacités d’agir à chacun, mais dans des cadres éducatifs qui permettent à tous de pouvoir prétendre à des parcours d’avenir désirables. » (Rey, 2017 p.80). L’équipe éducative agit pour aider les élèves à se construire un projet d’orientation et les soutenir pour qu’ils puissent le mener à son terme. Il ne s’agit pas de prescrire une orientation, ni de faire la démarche à la place de l’élève, mais de rechercher l’autonomisation de celuici au sein d’un projet d’avenir dont il a l’initiative. L’accompagnement est compris comme les conditions à créer pour que la personne exerce sa capacité d’agir , qu’elle soit « en mesure de dire ce qu’il vit dans la situation qui est sienne, et ce à quoi il aspire (Paul, 2018 p. 29). C’est une éthique centrée sur l’individu, qui est acteur et auteur de son parcours, pour travailler avec lui, en prenant appui sur ses aspirations, sa situation et son projet. Les acteurs qui agissent pour aider les élèves à construire leur projet sont multiples.
Le directeur adjoint chargé de Segpa met en place le projet pédagogique du dispositif inclus dans le projet d’établissement. Il coordonne les actions pédagogiques des professeurs des écoles (PE) et des professeurs de lycée professionnel (PLP) qui y sont affectés. Il organise et anime les réunions de synthèse et de coordination dont l’objectif est de mettre en place des actions spécifiques de suivi des élèves en ce qui concerne leurs apprentissages, les stages en milieu professionnel et les projets d’orientation. Il impulse la création de partenariats avec des établissements extérieurs.
Enfin il assure la liaison avec la Commission Départementale d’Orientation pour les Enseignements Adaptés du Second Degré (CDO-EASD) (Arrêté du 19 février 1988 modifié par l’arrêté du 9 janvier 1995). Cet acteur a une vue d’ensemble des élèves en ce qui concerne les enseignements généraux et professionnels, et sur leurs projets d’orientation. Les décisions prises affectent l’organisation du dispositif dans son ensemble.
L’équipe pédagogique de l’enseignement adapté, composée de PE et PLP (Annexe I. BO n° 7 du 16 février 2017), est au plus près des élèves. Les premiers sont chargés de l’enseignement général en classe, tandis que les seconds organisent la formation professionnelle sur les plateaux techniques. Leurs actions pédagogiques sont coordonnées par le directeur adjoint chargé de Segpa. Ils ont une connaissance approfondie des élèves, de leurs volontés et difficultés rencontrées, notamment dans le domaine de l’orientation. Ils jouent un rôle important dans l’accompagnement des élèves dans la création de leurs projets d’orientation.
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Table des matières
REMERCIEMENTS
SOMMAIRE
INTRODUCTION
I. CADRE THEORIQUE
1. L’EDUCATION SPECIALISEE DANS LE SYSTEME EDUCATIF FRANÇAIS
Historique de l’éducation spécialisée
Éduquer les inéducables
L’école et les élèves « arriérés et instables »
« L’enfance inadaptée »
Entre « débilité légère » et « arriérés profonds »
Le temps de l’intégration
De l’enseignement spécialisé à l’enseignement adapté, la création des Segpa
Les collégiens de Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté (Segpa)
La notion de « difficulté scolaire »
Les causes de l’orientation en Segpa
2. LE POIDS DES INEGALITES DANS LE PARCOURS SCOLAIRE DES ELEVES DE SEGPA
Le paradoxe de la Segpa au sein du collège unique
La stigmatisation des élèves de Segpa
3. L’ORIENTATION POUR LES COLLEGIENS SCOLARISES EN SEGPA
Les modalités de l’orientation au collège
Du parcours individuel d’orientation au Parcours Avenir
Le Parcours Avenir en Segpa, des possibilités d’orientation restreintes
La préparation professionnelle en Segpa
L’impact de la motivation et de la persévérance scolaire des élèves sur l’orientation
La notion de motivation
Les collégiens de Segpa prédisposés au décrochage scolaire ?
L’orientation comme source de stress
De l’absence de motivation à l’autodétermination
Le rôle de la communauté éducative
SYNTHESE DE LA PARTIE I
II. METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
Problématique
Hypothèses
Population choisie
Méthodes d’enquête
III. EXPLOITATION DES DONNEES
1. L’EDUCATION A L’ORIENTATION EN SEGPA, UNE PRISE EN CHARGE GLOBALE DE L’ELEVE
L’importance de la ritualité dans l’éducation à l’orientation
Garantir la cohérence dans le travail d’équipe
Garantir la cohérence du processus d’orientation tout au long de la scolarité de l’élève
Ajuster progressivement les objectifs
… et accroître le niveau d’exigence
Une visée éducative commune pour des acteurs aux pratiques et missions hétérogènes
Créer un cadre mobilisateur, propice à la découverte professionnelle…
… qui valorise l’élève et le dispositif
Au-delà du cadre, l’accompagnement de l’élève au quotidien
Synthèse
2. LES EFFETS CONTRE-PRODUCTIFS DE LA SEGPA SUR LA MOTIVATION DES ELEVES
La Segpa, un dispositif paradoxal
Sortir du « cocon Segpa », une projection paralysante
La Segpa fournit des repères difficiles à abandonner pour les élèves
Les élèves sont stressés par leur orientation
L’enseignement préprofessionnel, levier ou finalité ?
L’enseignement préprofessionnel est un levier de remobilisation
… mais aussi une finalité pour de futurs actifs
D’une socialisation scolaire à une socialisation professionnelle
Le projet, clef de la motivation ?
Des élèves qui ne sont pas démotivés
Deux catégories d’élèves : ceux qui ont un projet, et ceux qui n’en ont pas
Faire du lien entre les apprentissages, la clef de la mise en projet
Synthèse
Limites
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
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