LES ECRITURES DE LA RESPONSABILITE

Echecs

   Les diverses représentations de l’Autre sont surtout remarquables dans leurs incapacités à en donner une image fidèle. Il leur est le plus souvent reproché de produire des images qui contribuent à déshumaniser l’Autre. Les études sur les motifs de cette déshumanisation sont suffisamment nombreuses pour qu’il soit nécessaire d’y revenir. Il faut néanmoins noter que la déshumanisation intervient également dans les représentations « positives », celles qui célèbrent l’Autre. Bien qu’elles se veulent être une protestation contre l’imagerie négative, elles n’en sont pas moins problématiques. Elles participent au même titre du processus qui conduit vers une essentialisation de l’Autre. Elles sont également un refus de voir l’Autre en situation, tel qu’il se construit ; un refus plus sournois dans la mesure où il semble d’emblée imperméable à toute contestation. Car comme Betty Rouanet le fait remarquer, « Il est désormais bien plus dur de lutter contre les admirateurs de la félicité rustique, de l’équilibre et de la sagesse simple des peuples noirs, expliquant du haut de leur civilisation industrielle que ni le progrès, ni l’argent ne font le bonheur, que de remettre à sa place un individu tenant des propos ouvertement racistes. » Représentations négatives et « positives » se rejoingent donc dans le processus d’essentialisation. Il en résulte dans les deux cas une image figée, l’Autre étant condamné à rester éternellement le même, quelles que soient ses expériences historiques, sociales… Ainsi l’Africain, qu’il soit citadin, rural, politicien, artisan sera décrit comme pétri de cette félicité rustique, de cette sagesse simple. Est-ce à dire que les représentations de l’Autre échouent à se renouveler ? Certes non, une preuve en est que la littérature coloniale conteste la représentation de l’Autre telle que définie par la littérature exotique. Les mouvements migratoires par exemple apportent aujourd’hui des motifs nouveaux à la représentation de l’Autre dont l’un des plus significatifs est celui de la peur. Néanmoins, si renouvellement il y a, il se fait dans la perduration de grandes lignes directrices. L’image du Noir oscille ainsi entre deux pôles. Il est le maudit frappé de la malédiction de Cham comme il peut être l’être édénique qui a su rester proche de la nature. Quant au Blanc, il est décrit tantôt comme étant à l’origine de tous les maux africains, tantôt comme la promesse d’un eldorado. Georges, un personnage de Mongo Beti illustre tout à fait les pôles opposés de la représentation du Blanc. Certains des personnages africains qu’il est amené à rencontrer ne cachent pas leur hostilité à son égard, ils n’ont de cesse de lui rappeler que le système colonial n’est plus. En même temps, ils n’ont que révérence pour son portefeuille qu’ils ne peuvent imaginer autrement que bien garni. Les lignes directrices perdurent d’autant mieux qu’elles sont le lieu d’une résistance tenace à toute tentative de démenti. Tout individu qui refuse de correspondre à l’imagerie dans laquelle il est rangé est systématiquement rejeté. Il est ignoré sinon méprisé : « Mais aux carrefours où à présent, elles osent virevolter, s’attarder en vue des garçons, les filles, les femmes, ont renié ce qui les rendaient invulnérables : leur façon de se vêtir en accord plénier avec la beauté de la mer et du soleil, parure de fiançailles avec l’éternité. […] Les voilà fagotées et promises du même coup à la dignité de petites ouvrières, de simples serveuses, de banales passantes, dont la démarche même s’est aveulie. »

La peur de l’Autre

   Parallèlement aux théories qui conduisent à la disqualification de la catégorie de l’Autre et appellent à une coexistence non conflictuelle des peuples, persiste une imagerie qui tend au contraire à réaffirmer les différences. Paradoxalement, elle se nourrit en partie du même constat de la réduction de la plage temporelle dans laquelle se déroulent les contacts culturels. Seulement, la réduction de la plage temporelle n’apparaît pas ici propice à la Relation, elle inquiète : elle est la preuve fragrante que l’Autre ne peut plus être réduit au rôle de simple objet. Dans ces conditions, l’illusion d’avoir la prérogative de l’action n’est plus entretenue. L’Autre n’est plus immobile, il refuse de correspondre à l’imagerie fixe qui en est donnée. Il devient impossible d’ignorer qu’il est en perpétuel mouvement et c’est ce mouvement qui inquiète. Il inquiète parce qu’il est surtout perçu dans ses formes les plus visibles que sont le terrorisme et l’immigration. Il en résulte une peur de l’Autre qui confine à une forme de paranoïa. L’Autre est perçu comme une menace pour l’intégrité identitaire mais aussi pour la sécurité. La paranoïa est d’autant plus grande que des événements nourrissent la peur du terrorisme. Il suffit de penser au 11 septembre. La suspicion amène à jeter un regard différent sur l’immigration. L’imagerie qui lie immigration, économie et chômage est bien connue. Elle informe en partie les politiques migratoires. S’affirme parallèlement une imagerie qui voit l’immigration en termes d’envahissement et de risque de submersion. Avec elle, ressurgissent les fantasmes de pureté, les peurs de la contamination. Sur un plan plus politique, cette imagerie pose la question de la loyauté qui n’est pas sans nourrir la peur de l’Autre : vers lequel du pays d’accueil ou du pays d’origine, ira l’allégeance des immigrés? La méfiance envers l’Autre est loin d’être l’apanage de l’Occident. L’imagerie qui dépeint l’Occident comme la source de tous les maux s’accentue. Certains n’hésitent pas ainsi à voir dans le VIH, une arme biologique utilisée par l’Occident pour lutter contre la menace que représenterait l’essor démographique des non Occidentaux, particulièrement des Africains. Quoi qu’il en soit, la peur du voisin, quel qu’il soit, est le prétexte d’une réaffirmation de la catégorie de l’Autre, réaffirmation qui chez Huntington, passe par sa redéfinition en termes civilisationnels.

Quatre notions de culpabilité

   Ce qui dans un premier temps retient l’attention à la lecture de La culpabilité allemande, c’est la distinction que l’auteur établit entre quatre types de culpabilité. La culpabilité criminelle intervient lorsque les actes contreviennent à la loi. La culpabilité politique concerne non seulement les hommes d’Etat mais également chaque citoyen.La culpabilité morale rappelle que l’individu est en dernier ressort, responsable de chacun de ses actes, et ce, même si l’acte est commis dans un contexte coercitif. La culpabilité métaphysique quant à elle, touche tout être humain du fait même de sa condition humaine. En effet Karl Jaspers soutient qu’il existe entre les hommes « une solidarité en vertu de laquelle chacun se trouve co-responsable de toute injustice et de tout mal commis dans le monde, et en particulier des crimes commis en sa présence ou sans qu’il les ignore». Au regard de ces quatre notions de culpabilité, un premier constat s’impose. Il s’agit avant tout de distinction de nature et non de mesure. L’auteur ne cherche pas à établir une hiérarchie des culpabilités, ni une liste de coupables, travail qui relève davantage du droit que de la philosophie politique. Il s’agit davantage d’aider à prendre conscience de la manière dont se manifeste la culpabilité, du fait qu’elle ne se limite pas au seul domaine juridique, domaine plus directement perceptible pour tout un chacun. Karl Jaspers n’accorde d’ailleurs que quelques lignes à la notion de culpabilité criminelle alors qu’il s’attarde davantage sur les trois autres. Il s’avère ainsi que les instances compétentes des culpabilités criminelle, politique, morale et métaphysique sont respectivement, le tribunal, la force et la volonté du vainqueur, la conscience individuelle, Dieu. Il est certain que la définition qu’il donne de la culpabilité métaphysique est informée par une logique chrétienne. Cependant cette définition reste suffisamment ouverte pour que l’application de la notion ne se limite pas au seul cadre chrétien, ni même religieux. Ce qui importe, c’est finalement cette idée de solidarité entre les hommes qui les rend co-responsables. De la sorte, il peut être permis d’avancer que l’instance compétente, c’est le transcendant, transcendant qui peut alors être compris en termes de Dieu, comme en termes d’humanité.

L’ « hésitation ésotérique »

   Le roman africain recourt abondamment aux motifs de l’irrationnel. Il le fait cependant rarement dans la perspective de la mise en place d’un univers merveilleux du type de celui qui se manifeste par exemple dans les contes. L’irrationnel fait le plus souvent son apparition dans des mondes qui pour être fictifs, n’en sont pas moins réalistes. Il ne pouvait en être autrement dans la mesure où le roman prétend reproduire une croyance commune selon laquelle les sociétés africaines sont des sociétés pénétrées de pratiques irrationnelles. Le Bénin n’est-il pas réputé pour sa maîtrise du vaudou ? Quoi qu’il en soit, la maîtrise de pouvoirs surnaturels que ce soit par le biais de la sorcellerie, du maraboutage, de la divination, constitue pour ainsi dire un poncif du roman africain. Cependant le lecteur constate rapidement que si les univers romanesques sont saturés de la présence de l’irrationnel, en revanche la maîtrise des pouvoirs afférents n’est pas à la portée de tout le monde. Dans Mémoire d’un porc-épic, l’existence de doubles animaux semble admise par l’ensemble des personnages. En revanche peu d’entre eux se révèlent capables d’en posséder un. De la même manière, ce n’est pas n’importe quel chasseur qui peut comme Koyaga, se transformer en fil pour attraper un éléphant devenu aiguille. Kibandi ne parvient à contrôler, le porc-épic, son double animal, qu’après avoir été longuement initié par son père. Koyaga tient ses pouvoirs d’un grand maître chasseur auprès duquel il a d’abord dû faire ses preuves. Autant dire que la maîtrise des pouvoirs surnaturels est réservée à un petit nombre d’initiés. En ce sens, il s’agit de pratiques ésotériques.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE La connaissance de l’Autre : état des lieux
Introduction
PREMIER CHAPITRE Edouard Glissant, Samuel Huntington : deux visions du monde
A) Retour sur la catégorie de l’Autre
1) Dire l’Autre : un échec
2) L’Autre, une catégorie contestée
3) La réaffirmation de la catégorie de l’Autre
B) Imaginaires et mentalités
1) Changer les mentalités
2) Visions du monde
DEUXIEME CHAPITRE Approches du réel
A) L’histoire falsifiée
1) L’Afrique et le négationnisme
2) L’approche afrocentriste
B) Georges Balandier et le souci de l’utilité scientifique
1) Retour sur la notion de « situation coloniale »
2) Pour un renouvellement des sciences sociales
3) Enchâsser Glissant dans Balandier
Conclusion
DEUXIEME PARTIE La question de la responsabilité : modalités et enjeux
Introduction
PREMIER CHAPITRE Le génocide et la question de la responsabilité
A) Détour par la culpabilité allemande
1) La culpabilité allemande selon Karl Jaspers
2) Bien, mal, banalité
B) L’Allemagne, un paradigme pour le Rwanda ?
1) Modernité d’un génocide de proximité
2) Peut-on parler de banalité du mal au Rwanda ?
3) Rwanda, le nouveau paradigme ?
DEUXIEME CHAPITRE Mémoire et responsabilité
A) Mémoire, histoire et vérité
1) Des usages de la mémoire
2) Conflits de mémoires
B) A propos des écritures africaines de l’esclavage
1) L’exemple de Gorée
2) L’esclavage et le quotidien africain
TROISIEME CHAPITRE Paradoxes autour d’un objet : la responsabilité africaine
A) Inscrire l’Afrique dans le politique et l’histoire
1) Saisir le politique en Afrique
2) Politique de l’irrationnel
B) Responsabilité africaine et paradigme de l’altérité
1) Les effets du paradigme de l’altérité
2) Lieux communs
Conclusion
TROISIEME PARTIE Responsabilité et gestion de conflit
Introduction
PREMIER CHAPITRE Contexte politique et judiciaire de la gestion de conflit
A) Politique de la commémoration, exemples du Rwanda et du 11 septembre
1) Commémorations et fabrique de la mémoire
2) Mémoire politique et flou artistique
B) Pour un nouvel imaginaire judiciaire
1) Investir l’espace international
2) La justice transitionnelle et la fabrique du politique
DEUXIEME CHAPITRE Représentations du quotidien
A) Le constat d’une violence omniprésente
1) Une violence déliée
2) De la bonne santé de la violence
3) Un quotidien en mutation : irruption de l’inédit
B) Résilience
1) La fiction et la fabrique de sens
2) Le happy end revisité : les stratégies de la responsabilisation
Conclusion
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE
INDEX DES NOMS DE PERSONNES

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