Les dynamiques du rapprochement communautaire à Chypre depuis 1974

Pour quelles raisons traiter des « Dynamiques du rapprochement communautaire à Chypre depuis 1974 » ? Nous allons tenter dans ce propos introductif de poser le cadre ayant présidé à la réalisation de cette étude et d’expliquer en quoi les relations entre les deux communautés les plus importantes dans l’île sont marquées par des tendances de rapprochement en dépit de facteurs de divisions.

L’opinion internationale comme les services des Nations Unies ont détourné depuis quelque temps leur attention de Chypre, marquant une forme de lassitude face à un problème paraissant insoluble, voire un mécontentement après le refus chypriote grec du plan Annan en 2004. Le surgissement de problèmes géopolitiques et d’affrontements plus dangereux dans l’immédiat Proche-Orient a également pu détourner l’attention sur la situation interne à l’île. La question semble « gelée », l’est-elle vraiment ? L’intervention de l’ONU est-elle le seul moyen de parvenir à un rapprochement des positions si longtemps contraires ?

Dans le contexte géopolitique mouvant du Proche-Orient – rôle stratégique renforcé de la Turquie voisine, dont le gouvernement Erdoğan sort cependant affaibli des élections de juin 2015, de la Russie, du Caucase, de l’Iran, de la Syrie, quasidisparition de la Grèce, montée de l’islamisme – les forces extérieures peuvent se  reclasser différemment. Chypre reste toutefois un avant-poste occidental dont la position ne perd rien de son intérêt. Par ailleurs, d’importants gisements de pétrole, et surtout de gaz, détectés dans l’Est méditerranéen peuvent jouer un rôle non moins capital dans un nouveau regard. En effet, la découverte depuis 2003, grâce aux progrès techniques en eau profonde (à 1 650 m) de grands gisements de gaz près des côtes égyptiennes, a entraîné d’autres prospections. D’après l’US Geological Survey et l’US Energy Information Administration , les sédiments de l’Est méditerranéen seraient très riches : 1,7 milliard de barils de pétrole et jusqu’à 3 500 milliards de m³ de gaz pourraient être exploitables dans les zones économiques exclusives (ZEE) d’Israël, du Liban, d’Égypte, de l’Autorité palestinienne (pour la bande de Gaza) et de Chypre, qui pourrait détenir environ la moitié du total. Ce contexte est de nature à redonner à la communauté internationale de l’intérêt pour l’île de Chypre. Dans le bloc 12 de la ZEE de Chypre, les forages menés depuis 2011 sur le site d’Aphrodite promettent 198 à 255 milliards de m³ de gaz de réserves exploitables , sans compter les promesses d’un autre gisement, évaluées entre 60 et 140 milliards de m³. D’autres blocs, récemment attribués au consortium italo-coréen Eni-Kogas et au français Total sont susceptibles d’accroître encore ces réserves.

1974-1983 : radicalisation institutionnelle et communautaire, mais naissance du « chypriotisme »

Cette première partie est dominée par deux évènements significatifs que sont les débarquements de l’armée turque à Chypre et l’occupation par cette dernière d’un tiers du territoire, en juillet et août 1974, et la proclamation unilatérale de la République Turque de Chypre Nord (RTCN) en 1983. Ces chocs, le traumatisme provoqué par les évènements de 1974 et ses conséquences immédiates – le déracinement du tiers de la population de l’île et la fermeture des communications entre le Nord et le Sud –, provoquent, une radicalisation des positions communautaires chypriotes tant grecques que turques. Ces évènements laissent des cicatrices encore bien présentes et génèrent des difficultés qui, parfois, paraissent insolubles.

Néanmoins, 1974 n’est pas l’origine unique ou première de cette division et de cette radicalisation. Comme le fait remarquer Pierre Blanc « la séparation des deux communautés insulaires en 1974 est le résultat d’un lent processus, entamé avant même que Chypre n’obtienne son indépendance en 1960 ». Ce lent processus a été marqué par quelques étapes fondamentales que nous allons rappeler brièvement ici, simplement pour signaler le poids du passé, réel, imaginaire, reconstruit et/ou enseigné, dans ces divergences.

Un héritage déterminant : le poids du passé

Les « communautés » : l’héritage des millets ottomans

L’emploi institutionnalisé du terme millet remonte au XIXe siècle, mais la pratique est beaucoup plus ancienne. En effet dès le XVe siècle, avec la conquête de la Roumélie, les sultans ont dû trouver un moyen de gérer un territoire où les nonmusulmans étaient numériquement supérieurs aux fidèles de l’Islam. Les non- musulmans sont donc progressivement intégrés dans l’Empire comme dhimmi, «gens du Livre » (donc chrétiens et juifs), inférieurs parce qu’ils n’ont pas su reconnaître le message du Prophète, mais tolérés s’ils acceptent de se soumettre, de se tenir à un rang de second ordre et de payer un impôt supplémentaire. Ce fut le cas des Orthodoxes en 1453, des Arméniens en 1461 à la suite de la prise de Trébizonde, puis des Juifs à la fin du XVe siècle (même sans charte officielle, avant 1839). Au XIXe siècle progressivement, au fur et à mesure des affirmations nationales, d’autres millets sont reconnus, ils sont 15 en 1914, mais aucun ne concerne les Musulmans qui, quelle que soit leur obédience religieuse, restent compris dans une nation musulmane unique.

Le passage du millet à la « nation » : le choc de l’indépendance grecque

Avec les mouvements révolutionnaires en Grèce à partir de 1821, la population orthodoxe de Chypre connaît une crise capitale, car les membres de cette communauté apparaissent désormais aux yeux des sultans comme des sujets suspects de trahison. Nous pouvons constater que cette idée toujours répandue dans les médias turcs contemporains, et elle marque le premier passage de « Rum » à « Grec ». La population chypriote orthodoxe reste, par intérêt, à l’écart des premiers mouvements et les tentatives de soulèvement sont peu suivies. La proximité de l’île avec les côtes turques et la bonne position de la communauté expliquent sans doute cet attentisme. Les insurrections dans le Péloponnèse et en Moldavie incitent cependant le gouvernement ottoman à adopter des mesures préventives dans les régions de concentration orthodoxe grecque où les mouvements insurrectionnels ne se sont pas encore manifestés. C’est alors l’occasion de réaffirmer l’autorité de la Porte sur une île où les prélats orthodoxes maintiennent depuis cinquante ans leur suprématie, et de répondre au mécontentement croissant de la population musulmane locale. Le nouveau gouverneur, Küçük Mehmet, installé depuis 1820 et décidé à briser l’influence des prélats chypriotes, applique avec zèle le firman impérial ordonnant le désarmement des populations rums et il fait intervenir des janissaires et des bandes de mercenaires pour les terroriser. La réaction des Chypriotes rums, loin de la révolte, consiste à se plier au désarmement, en réaffirmant, par la voix de l’archevêque Kyprianos  , son allégeance au Sultan et à son gouvernement. Louis Lacroix souligne, dans son récit , le pacifisme de la communauté grecque « qui [désire] seulement vivre en paix, et en réalité rendre les rênes du pouvoir ». Cependant, même si ses ouailles ne participent pas au soulèvement en Grèce, Kyprianos, en contact avec l’Hétairie, apporte un soutien financier à la révolte en même temps qu’il initie les autres chefs ecclésiaux et civils de la communauté. Ces contacts et la saisie de quelques écrits d’Ypsilantis (un des chefs phanariotes de l’insurrection de 1821), permettent à Küçük Mehmet de convaincre le Grand vizir de prendre des mesures exemplaires de répression. Il dénonce 486 Grecs comme responsables des troubles, parmi lesquels l’archevêque Kyprianos et les trois métropolites.

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Table des matières

INTRODUCTION
I. 1974-1983 : RADICALISATION INSTITUTIONNELLE ET COMMUNAUTAIRE, MAIS NAISSANCE DU « CHYPRIOTISME »
I.1. Un héritage déterminant : le poids du passé
I.1.1 Les « communautés » : l’héritage des millets ottomans
I.1.2. Le passage du millet à la « nation » : le choc de l’indépendance grecque
I.1.3. La période britannique : Jouer des communautés l’une contre l’autre, 1878-1959
I.1.4. Emergence d’un nationalisme grec et naissance de la dialectique bicommunautaire
I.2. Le fossé s’approfondit
I.2.1.Un nouvel Etat bicommunautaire, une constitution inapplicable
I. 2.2. Juillet 1974 : la rupture et la partition ethnique
I.2.3. Vers la « République turque de Chypre Nord »
I.3. Les affirmations identitaires se radicalisent
I.3.1. « Turcs » et « Grecs » de Chypre
I.3.2 L’émergence d’une conscience publique autour de l’identité chypriote
1.3.3. La littérature, miroir du rapprochement
II. 1983-2003 : L’IMPASSE ?
II.1.Vingt années de négociations sans résultats.
II.1.1. Le « set of ideas »
II.1.2. Les acteurs de la négociation
II.1.3 La litanie des rencontres
II.2. La partition se solidifie
II.2.1. Le « miracle économique » chypriote
II. 2.2. « L’autisme ethnique »
II.3. La société civile prend l’initiative
II.3.1. Comment rencontrer l’autre ?
II.3.2. Rencontres et organisations
II.3.3. Les femmes en avant
III. DEPUIS 2004 : LE TEMPS DU RAPPROCHEMENT ?
III.1. Un nouveau contexte international pour une Chypre nouvelle ?
III.1. 1. Le plan Annan révèle les points de division
III.1.2. L’Union européenne et ses positions ambigües
III.1.3. La Cour Européenne des Droits de l’Homme ouvre des espoirs ?
III.1.4. Chypre encore entre Grèce et Turquie ?
III. 2. Le changement de génération peut-il permettre un rapprochement ?
III.2.1. Le retrait de Rauf Denktaş
III.2.2. Une République chypriote longtemps hésitante
III.2. 3. Les générations et le passage du temps
III.2. 4. La question des propriétés pourrait-elle se débloquer ?
III. 3. Comment traduire cette atmosphère nouvelle ?
III.3.1. Des exemples symptomatiques : Ulus İrkad et Sevgül Uludağ
III.3. 2. Former de nouveaux « Chypriotes »
III.3.3. Le chypriotisme en questions ?
CONCLUSION
CHRONOLOGIE SELECTIVE
BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE
1. DOCUMENTATION INTERNATIONALE
1.1. Résolutions du Conseil de Sécurité
1.2. Rapports du Secrétaire-général au Conseil de Sécurité
1.3. United Nations General Assembly, Human Rights Council
1.3. Cour européenne des Droits de l’Homme
1.4. Assemblée nationale française : www.assemblee-nationale.fr
1.5. Conseil de l’Europe : www.coe.int
2. GEOPOLITIQUE ET RELATIONS DIPLOMATIQUES
2.1. L’UNFICYP
2.2. Enjeux géopolitiques
2.3. Relations Grèce-Turquie-Chypre
2.4. Les négociations sur la « question chypriote »
2.5. Chypre et l’Union Européenne
3. HISTOIRE DE CHYPRE OTTOMANE, BRITANNIQUE ET INDEPENDANTE JUSQU’EN 1974
4. ÉLEMENTS DE DIVISION OU DE RAPPROCHEMENT
4.1. Renforcement des nationalismes et politiques séparées
4.2. Dans l’espoir d’un rapprochement
5. LITTERATURE
6. QUESTIONS SPÉCIFIQUES
6.1. Les questions scolaires
6.2. La question des propriétés
6.3. Le problème des portés disparus
6.4. Gaz naturel et hydrocarbures
6.5. Questions linguistiques
INDEX

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