Rite initiatique et de hiérarchisation
De par ses exigences dans l’effort physique et la richesse de son contenu rituel et initiatique, la lutte apparait comme une école de la vie. Elle imposait, en effet, l’acquisition des principes fondamentaux de l’éducation. Sa pratiqueétait un préalable nécessaire, un devoir pour tout membre d’une société donnée. Outre, son utilité pour l’initiation de l’enfant, la lutte inculquait un certain nombre de codes de conduite pour les adultes. Ainsi, cette activité était un procédé social de validation de statut qui permettait non seulement d’accéder à une étape supérieure de la vie, mais elle avait aussi le pouvoir de faire bénéficier des privilèges et des responsabilités au sein de la société traditionnelle. Ce qui fait dire au rofesseur Ousseynou Faye que le champion de lutte était une figure censée capitaliser les attributs qui font du sujet masculin, l’acteur principal de l’animation de la vie sociale en Sénégambie. Toutes les séances de lutte tenues à l’occasion de certaines manifestations symboliques18se déroulaient dans un esprit communautaire. Des règles strictes régissaient sa pratique. C’est pourquoi il était formellement interdit à deux lutteurs unis par des liens de sang ou d’alliance parentale de s’affronter puisque l’on estimait que se sont des « forces » qui doivent s’unir plutôt que de se combattre. L’hiérarchisation de cette pratique était essentiellement basée sur l’âge et la classe. A Oussouye, village diola situé dans la basse Casamance, chaque lutteur faisait parti d’une classe d’âge ou d’un camp. Les lutteurs qui appartiennent á la quatrième classe étaient identifiés par leur ceinture noire. Et, ils participaient pour la dernière fois à une compétition en tant que lutteur après c’était le mariage.
Implantation à Dakar durant les années 1920
Dakar, comme toute autre ville africaine, a son histoire et sa culture. L’étude de la typologiedes fêtes consacrée à la région du Cap-Vert – surtout dans la ville de Médina – montre la place importante de la lutte indigène. Elle se présentait sous deux formes principales : les mbapatts (séances de luttes simples nocturnes permettant de détecter les jeunes talents pour accéder aux arènes) et le làmb (combats tenus dans les arènes et avec échanges de coups de poing). Entre 1902 et 1914, de nouvelles stratégies d’urbanisme, accentuées par l’exode massif des ruraux suite aux déséquilibres économiques, donnèrent une impulsion à cette pratique devenue urbaine. Les salles de cinéma à Dakar ont été les premières scènes de déroulement du làmb. L’entrée était payante et les lutteurs, qui y faisaient des prestations étaient rémunérés.Selon Oumar Ba, avocat de profession et spécialiste de la lutte doublé de chercheur, c’est bien avant l’indépendance, en 1926 que le premier combat de lutte avec frappe a été organisé par Maurice Jacquin, un français, directeur d’une société de distribution de film cinématographique, dans l’enceinte du cinéma Alambara, devenu El Malick (l’actuel centre commercial) . C’est donc, lui qui aura été à l’origine de la création de la première arène de lutte à Dakar. Des associations et des individus autochtones étaient connus par leur dynamisme dans l’organisation des manifestations de lutte indigène: El hadji Alcantara Coulibaly, Djiby Diop, Maguette Diouf, Hamidou Kane, Babacar Camara, Cantara Fall, Assane Dia, Baye Diagne Degaye. Si le làmb avait pu acquérir cette notoriété, c’est parce qu’il avait su monopoliser des espaces privilégiés uniquement réservés à sa pratique comme le terrain des Abattoirs, les rues à circulation limitée de certains quartiers traditionnels (Mbott, Plateau, Thieurigne et de Santhiaba, à la rue 15 et 16 de la Médina). La première génération de lutteurs venait du Cayor, du Baol, du Djoloff et résidait même dans la région de Cap-Vert. Les plus célèbres étaient : Médoune Khoulé, Babacar Thiaw (Ouakam), Pathé Diop (Thiès), Soulèye Ndoye (Thieudéme), Diéry Sadio (Cayor), Abdourahmane Ndiaye Falang (Diender), Bosco Sow (yeumbeul), Modou kane (Thiaroye), Sanor Dieye.
La massification des arènes
Parmi les différents facteurs qui expliquaient le dynamisme réel de la lutte à Dakar, nous pouvons citer sans risque de nous tromper la présence massive des arènes classiques. Géographiquement, cette activité occupait une place très importante dans l’espace urbaine dakaroise. Le romancier sénégalais, Abdoulaye Sadji, nous montre que le nombre important des arènes de lutte à Dakar manifestaient sur une grande échellel’amour national43. Construits généralementen bois et entourés de tribune, ces vestiges traditionnels étaient un lieu où s’exprimait de façon collective et spontanée l’adhésion de l’ensemble des communautés ethniques aux valeurs incarnées et dont les ambassadeurs étaient les lutteurs.La ville de Médina est connue comme un versant majeur des festivités locales. En effet, ce vaste espace hétérogéne avec le métissage et les relations inter-ethniques qui favorisaient ainsi la conservation de certaines pratiques. Le quartier populaire de Fass, l’un des cadres d’éclosion de la lutte, polarisaitles arènes les plus affluentes de la région du Cap-Vert:Arènes sénégalaises, Médoune Khoulé, Bécaye III, Robert Delmas et Emile Badiane ou làmb diola.Elles appartenaient soit à des entrepreneurs privées, soit à une association. L’implantation massive des arènes à Fass et son extension dans les autres quartiers de la banlieue à forte densité rurale comme Yarakh, Rufisque44, Yoff, Ouakam, Pikine, Guédiéwaye, Thiaroye étaient en quelque sorte étaient liées non seulement au dynamisme de cette activité, mais également par le phénomène de l’urbanisation. La liste de quelques arènes mise en illustration ci-dessous montre bien leur importance.De cette perspective émanaitla disposition statutaire de la loi 61-69 du 14 janvier 1969, où l’Etat ne reconnut légalement que seize associationsd’arènes (voire annexe (5). Les arènes fonctionnaient sous l’arbitrage de la Fédération sénégalaise de lutte, structure à laquelle elles étaient affiliées, sur la base de consensus par rapport aux modes d’organisatione. C’est après être officiellement reconnues que ces arènes reçurent l’autorisation d’organiser des combats de lutte. Chaque arène était dirigée par un bureau homogène composé d’une dizaine de membre. Cependant, leur gestionfaisait l’objet de toute une série de mesure.Ce qui aboutissait le plus souvent à des sanctions administratives sévères entrainant parfois une fermeture temporaire ou amande financière. Désormais, ces arènes étaient catégorisées par rapport à l’importance de la manifestation et de la capacité d’accueil. On distinguait alors : les arènes nationales de catégorie A, les arènes régionales de catégorie B et les arènes locales de catégorie C et D. La fin des années 1970 marque une phase de transition de la pratique de la lutte des arènes classiques vers les stades de football qui deviennent jusqu’à nos jours les principales enceintes de déroulement de làmb.
Le dynamisme associatif
Les associations étaient des instruments d’identités culturelles locales construites sur la base de certains paramètres socioculturels comme l’appartenance ethnique, la localité d’origine et la classe d’âge. Leur importance variait en fonction des activités dans lesquelles elles pouvaient être plus ou moins impliquées. Dans l’espace nationale, l’Etat, principal responsable, était chargé de prendre des arrêtés à l’effet de les autoriser ou de les interdire. C’est ce qui explique le fait queles associations sportives et culturelles ont le statut juridique d’être des regroupements à but non lucratif régis par la loi de 1960. Dans le contenu de l’article 811 du code des obligations civiles et commerciales, il avait été mentionné que les associations autorisées par la Fédération sénégalaise de lutte à organiser des combats de luttes sont celles des associations de personnes à but d’éducation populaire qui mettaient leurs biens en commun pour un but bien déterminé, outre que le partage des bénéfices. Le terrain était donc bien délimité pour l’émergence de plusieurs entités à dénomination associative faisant du làmb un moyen efficace d’acquisition de bénéfices. Pendant longtemps les associations ont constitué des rouages solides qui s’appliquaient à l’organisation des manifestations de lutte. Les « Mbootaay » l’inscrivaient dans la logique de l’animation culturelle urbaine qui visait à réactualiser certaines de leurs valeurs culturelles et à mettre en exergue leur identité territoriale50. Les plus en vue étaient les walo walo, les toucouleurs, les sérères, les Baol Baol et les casamançais. Les lébous, groupe ethnique dominant, ont été trés déterminants dans l’organisation de manifestation de lutte à Dakar. Plusieurs de leurs notables ont marqué de leur empreinte l’organisation des spectacles de lutte. Les plus dynamiques étaient El hadji Bassirou Diagne, El hadji Makhary Thiam, Papa Djiby Diop, Cheikh Ngom, El Hadji Mbor Gningue de Yoff51 et El Hadji Ahmet Diène, président du mouvement des jeunes lébous de la collectivité de la région de Cap-Vert dénommée « Raka Topa Mac, Dom Topa Bay ». Nombreux étaient les associations qui s’adonnaient à l’organisation des journées de lutte. En plus de la fédération sénégalaise de lutte en tant, les clubs sportifs et culturels (Jeanne d’Arc), les associations de rues (groupe avenir de Médina 33 angle 28, Réveil de Dakar), les regroupements politiques (Section de l’U P S), les Associations non gouvernementales à but socio éducatif (Association des amputés et grands blessés de guerre de l’A O F, les Association des femmes d’Afrique et le comité d’entreprise de la Francophonie et de la radio diffusion), ainsi que le Mouvement des Jeunes du Sénégal dirigé par Boubacar Seck, alors directeur de Cabinet du docteur Samba Gueye, président du conseil municipal de Dakar. Ils étaient tous des organisateurs de lutte. Ce dynamisme associatif n’avait pas aussi manqué d’influencer les managers et les amateurs de lutte. Ces derniers se sont regroupés dans une entité dénommée « Association des amateurs de lutte de la région de Cap Vert » créée en décembre 1965 à Fass. Ils s’étaient fixés comme objectif principal de défendre l’intérêt des amateurs de lutte face aux prix élevés des billets, de dénoncer les combines fréquents entre les différents acteurs. En plus de la défense d’intérêts, cette association composée de bonnes volontés s’investit dans des actions sociales comme le fait de porter assistance à un acteur de la lutte en cas de besoin, de faire des dons de moustiquaires, de veiller à la propreté des stades et de contribuer à la construction de certaisns édifices. Il a fallu attendre janvier 1989 pour assister à la mise en place de la premiére association des lutteurs du Sénégal. A l’origine de cettecréation les ténors de l’arène comme Double Less, Alioune Séye, Manga 2, Brahim Ndiaye, Toubabou Dior, Mouhamed Ali, Katy Diop, Mor Fadam, Djib Diouf, Docteur Faye, Balla Gaye et Mor Nguer. Ils voulaient prendre en main leur destin et aussi contribuer à faire de lalutte une disciplne respectée.
Processus de mise en place des Fédérations sportives sénégalaises
Politique et sport sont intimement liés. L’évolution du sport africain de manière générale et sénégalais, en particulier a été marquée par de profondes mutations influencée en partie par différentes décisions politiques. La ligue d’Afrique occidentale française était la principale instance chargée de gérer le sport dans toutes les colonies Françaises. Chaque pays membre était doté pour chaque discipline sportive des commissions spécialisées. La réforme de 1957 dans les colonies Françaises a entrainé de profonds boulerversements précipitant ainsi l’application de nouvelles dispositions administrarives pour la gestion du sport ouest africain. Dés lors fut enclenché le processus demise en place de comités térritoriaux. Avec le référendum de septembre 1958, le Sénégal entra dans la communauté franco africaine. Il forma avec le Soudan une fédérarion dite du Mali. Cete union marqua une étape importante dans l’évolution du sport. Elle a été à l’origine d’une réoganisation sportive très significative. Ces réformes politiques intervenues durant cette période au Sénégal ont entrainé de profonds bouleversements facilitant ainsi l’application de nouvelles dispositions sportives. A cet effet, fut enclenché le processus de mise en place des fédérations pour les différentes disciplines sportives. En effet, ces deux pays dans le cadre d’une fédération s’étaient dotésdes institutions sportives fédérales. Très rapidement, au chevet de ce sport fut créé un secrétariat d’Etat à la jeunesse et du sport et d’un haut commissariat sous l’autorité du ministre de l’éducation nationale. Dans son contenu, le décret n° 59311 du 17 Décembre 1959 indiquait clairement que :« toutes les compétitions sportives entre associations, comités, districts ou groupements divers ou entre joueurs ou athlètes(…) au niveau national, fédéral ou international doivent être autorisées par le secrétaire d’état à la présidence du conseil chargé de la jeunesse et des sports ». Ainsi, sénégalais et soudanais décidérent de changer leurs anciens comités territoriaux a des ligues nationales affiliées à des fédérations. Avec l’éclatement de la Fédération du Mali, le 20 aout 1960 des réorganisations immédiates furent entreprises par les nouveaux dirigeants étatiques du Sénégal. Alioune Tall, ministre d’Etat chargé de la jeunesse et des sports, avait sollicité des acteurs des différentes disciplines sportives l’application des nouveaux textes de base définissant les articulations de la pratique sportive. Cette initiative officielle à été á l’origine de la mise en place de la première ligue de lutte au Sénégal.
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
PREMIERE PARTIE : LE LAMB A DAKAR : ORIENTATION(S) POLITIQUE(S) ET GESTION (1960 1990)
CHAPITRE I : La lutte, une activité séculaire et utilitaire
I – Mise en contexte
II – Aperçu sur la place et la fonction de la lutte dans la société Sénégalaise
1 Arme de défense
2 Rite initiatique et hiérarchisation
3 Compétition d’honneur
CHAPITRE II : Dynamisme du làmb à Dakar (1960-1990)
I-Survol historique du làmb à Dakar (1914-1958)
1 Signification
2 Implantation à Dakar durant les années 1920
3 La Gestion Coloniale de la lutte
4 Enjeux coloniaux
II- Dakar, pole de développement du làmb (1960 -1990)
1-Massification des arènes
2- La forte présence des lutteurs
3-Dynamisme associatif
4-Dynamisme médiatique
●Le journal
●Le radio
● La télévision
●l’administration postale
CHAPITRE III : Le làmb, un phénomène socio culturel au service de la nation
I-Catalyseur de sentiment national
II-Support de développement culturel, touristique et économique
CHAPITRE IV : La gestion Etatique du làmb : organisme, fonctionnement et problèmes (1959– 1990)
I- Organismes
1 Processus de mise en place des fédérationssportives sénégalaises
2- Décembre 1959 : naissance de la fédération nationale de lutte
3-L’évolution de la gestion étatique
II-Fonctionnement
A-La dimension folklorique
B -La dimension sportive
III- Les problèmes
DEUXIEME PARTIE : DE L’ERE PROFESSIONNALISME AUX PERSPECTIVES DANS LE LAMB (1990-années 2000)
CHAPITRE V : La réforme « Abdoulaye Makhtar Diop » de 1990
I-Signification
II- Acquis
A Les comites
● CNP
●CACLAF
● Comité National de Gestion (C N G)
B L’arrivée des promoteurs et des sponsors
●Le rôle des clubs sportifs
●Les promoteurs
●Le sponsoring
CHAPITRE VI : Le mouvement Bul Faale
II-Qu’est ce que le Bul Faale ?
III – Son impact dans làmb
CHAPITRE VII : Presse privée et làmb (1994-2000)
I- La naissance des radios privées commerciales
II-Les radios privées : un créneau pour la promotion du làmb
CHAPITRE VIII : Enjeux de la lutte sous son asect moderne
I- Une réorganisation structurelle
1- Les structures de productions
2-Les écuries et les écoles de lutte
II -Les enjeux du làmb
CONCLUSION GENERALE
TABLEAUX ET Photos d’illustration dans le texte
ANNEXES
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE
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