Marque de la richesse
Il faut rappeler que même si une telle personne possède des avoirs dans sa vie alors qu’elle n’a point du fonds de terre, la société traditionnelle antandroy la considère toujours comme une personne pauvre et misérable à ses yeux. La première richesse de ce tribu n’est donc autre que le fonds de terre. Cette expression s’étend, par ailleurs, sur tous les espaces terrestres dont on s’ approprie comme le sien. On peut citer, à titre d’illustration, le champs de culture, les terrains de pâturages, les kiririsa et autres. L’ensemble de tout forme le patrimoine de base, d’un coté et est devenu la limite du territoire de la communauté de base de l’autre coté. Ceci nous permet de dire que sur ce dit patrimoine et au sein de son territoire, le propriétaire a des droits ; non seulement des droits mais aussi des libertés normatives pour la bonne gestion de ses richesses. Sur ce en effet, on peut mentionner que celui qui a beaucoup de terre c’est-à-dire propriétaire d’un espace terrestre un peu large par rapport aux autres est présumé, matériellement, comme le riche. A cet effet, il est le seul maître de ses biens « en ce sens qu’il peut s’opposer à ce que les tiers empiètent sur son droit »3 . Ceci se rapproche ipso facto sur le fait d’avoir la plénitude de droits de la propriété foncière : le droit de disposition d’abord, le droit de jouissance ensuite, et le droit d’usage enfin. Ce dit droit peut être appelé comme droits patrimoniaux. Puisque ces derniers, en fait, peuvent prêter à confusion, il est bon d’évoquer ici la définition donnée par Jean Luc Aubert : « Alors que les droits patrimoniaux -ainsi dénommés parce qu’ils ont vocation à être réunis dans le patrimoine- sont des droits qui représentent un élément des richesses pour leur titulaire4». Ajoutons que le seul but qu’on peut atteindre par cette richesse n’est autre que le fait d’avoir des choses laissées aux descendants à venir. Et en tant qu’immeuble par nature, le fonds de terre est en effet l’unique richesse persistante. La raison est qu’il ne pourrait jamais tomber en désuétude.Il occupe ainsi une place méritante dans la vie des antandroy. Cela relève de leur philosophie que nous sommes des étrangers ici sur notre planète. Néanmoins, par le biais du fonds de terre, leur personne humaine continue éternellement ici bas par leurs descendants.
La mainmise des communautés villageoises
Jusqu’à nos jours, la majeure partie des antandroy sont en état d’occupation communautaire coutumière. Les communautés villageoises assument les pouvoirs de contrôle et de surveillance des propriétés. A cet effet, rappelons toujours que les terrains n’ont aucun titre foncier ni en situation régulière à l’image du régime foncier de l’immatriculation. Pourtant, à leurs yeux le droit d’usage, le droit de jouissance ainsi que le droit de disposition se trouvent entre les mains des dirigeants de ladite communauté. Ainsi faut-il mentionner que ces communautés sont dirigées par le mpitankazomanga ou mpisoroñe (I.3.2.1). Celui-ci a les pouvoirs de transmettre les propriétés à certains membres de ses familles. A cet effet les propriétés ont un caractère collectif mais dirigées par une seule personne. Cette personne est le représentant de la communauté entière. Ceci rend difficile l’appropriation foncière en ce temps. La raison est que les dites propriétés sont utilisées à des fins communes imposées par ce dit mpisoroñe. A cet égard, la question pertinente est de savoir comment se manifeste la jouissance foncière.
Le kiririsa
La première remarque importante que l’on peut faire est de préciser ce qu’on entend par kiririsa. En effet, ce terme peut se définir comme l’ensemble des terrasses d’un village. Ce dit kiririsa sert à indiquer aussi tous les espaces sans propriétaire privé plus ou moins étroits destinés comme lieu de rassemblement des villageois. En partant de ces définitions on peut en déduire que le kiririsa est une sorte de propriété collective. Dans cette perspective, en effet, les membres de la communauté entière peuvent y avoir droits d’usage ainsi que de jouissance. En outre, le kiririsa, en tant que propriété collective, ne fait pas l’objet d’une appropriation privée. Ceci évoque en effet son caractère inaliénable. Une propriété inaliénable est, par définition, « une propriété à laquelle manque le droit de disposer et qui se réduit donc aux droits d’usage et de jouissance »9 . Cette inaliénabilité est par ailleurs due non seulement en tant que propriété collective mais sur tout en tant que espace où l’image de la communauté figure. Ce qu’on veut mettre au compte est que c’est sur le dit kiririsa que les antandroy accomplissent les rites sociaux les concernant. A ce propos, il est aussi considéré lieu d’éducation aussi bien physique que morale. L’exemple concret nous est fourni par ce qu’on entend par ringa (lutte libre) que les jeunes ne peuvent pratiquer que sur le dit kiririsa.
Les espaces à proximité des tombeaux
D’une manière plus ou moins généralisée en Androy, les tombeaux se regroupent dans un même lieu. Ils appartiennent à un clan déterminé. Ils portent donc le nom de ce dit clan qui leur attribue une vraie dénomination. Prenons par exemple le cas du clan « ntetsila » : pour ceux qui ne savent pas la vraie dénomination des tombeaux de ce clan, ils peuvent les appeler « lonake no ntetsila » (cimetière du ntetsila) ; alors que l’appellation exacte est fianbinañe. Partant de tout cela en effet, les espaces à proximité de ces tombeaux ne peuvent pas faire l’objet d’une appropriation privée à cause même de leur caractère sacral. Ceux-ci s’étendent de cent à cent cinquante mètres de rayonnements (à noter que notre droit positif admet l’immatriculation des tombeaux contenant des sépultures)11. A cet égard, ils restent propriété clanique. Mais il importe de mentionner que le droit de disposer se trouve ici ambigu. La raison est que ces espaces ne sont jamais l’objet d’une aliénation par le respect de ce dit faly. Et étant donné qu’ils sont dit « terre sacrée » leur inviolabilité est assurée par les règles coutumières. Cependant, le tsimahaivelo12 peut porter atteinte à celle-ci lorsqu’il est jugé utile qu’un des membres du clan veut offrir de sacrifice à un ancêtre connu. C’est ce qu’on appelle le « soroñe andonake »13 qui se fait surtout à l’effet d’être plus proche de ce dernier.
Exclusion de la femme
Outre les conditions d’âge, il faudra dire que le sexe tient aussi une place prépondérante sur l’appropriation foncière dans la région sud de la grande île. Il faut ajouter, à titre de précision que « La prise en considération du sexe par le droit est fort ancienne, en droit canonique, en droit public, en droit pénal, en droit privé »16. Certes nous avons susmentionné que femmes et enfants sont traités d’une manière égale ; mais les femmes pour les antandroy ne pourront jamais être propriétaires fonciers (tsy ino ty roakemba hanan-tane !). Dans cette perspective l’idéologie dominante est la supériorité de l’homme sur la femme […], au niveau des enfants c’est la même chose, le garçon est plus désiré que la fille. De nos jours, face à cette triste réalité les femmes antandroy commencent à se réveiller17. Malgré ce réveil les femmes sont toujours exclues de toute propriété foncière lorsqu’il s’agit d’une succession. Elles sont donc privées de tous droits sur le fonds de terre.
Conflits tribaux
En parlant des différends entre tribus des classifications s’imposent, entre le droit foncier coutumier et le Droit moderne. Le premier qui nous intéresse est basé sur la considération de l’espace ou propriété foncière ressource commune et patrimoine commun de la société traditionnelle. Le droit foncier moderne cependant repose sur le patrimoine de l’Etat ou des collectivités publiques locales. Ainsi par cet esprit de communauté, est il indéniable que la notion de territorialisation apparaît chez les gens du sud. La seule raison est en effet d’acquérir en commun des espaces biens délimités. A travers cela Jean Paul LACAZE ajoute que : « La territorialisation désigne l’ensemble des pratiques individuelles et collectives par lesquelles les habitants s’approprient des lieux plus ou moins étendus19 ». L’appropriation de ces dites propriétés foncières se fonde donc par l’usage des forces. Dans ce sens le territoire est comme source des forces mais aussi des conflits de domination. L’idée est claire : le clan dominant devient propriétaire des terrains du clan dominé. L’exemple le plus significatif nous est fourni par « l’Antambaro », famille princière des « Zafimanara » qui avait régné, autre fois, sur la plus grande partie de l’Androy. Il est donc parmi le clan dominant mais à la fin du XVIIIème siècle ou au moins au commencement du XIXème siècle sa puissance fut définitivement amoindrie. Ainsi faut il attirer l’attention sur le fait que ce mode d’acquisition a des aspects mystico-sacrés. En cela réside la difficulté de préciser la notion du propriétaire foncier selon les règles coutumières. Cette difficulté reposesurtout sur le caractère perpétuel de droit de propriété. Ce caractère semble obscur. La cause est que la loi du plus fort existait toujours ; le clan dominant pourrait être dominé par l’autre plus fort que lui. Et par suite logique ce dernier devient aussi propriétaire des propriétés foncières laissées par son adversaire. Dans cette optique Jean Jacques Rousseau affirme que : « Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir ; de cela, le droit de plus fort, droit pris ironiquement en apparence et réellement établi en principe20».
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Table des matières
Remerciement
Glossaire
Introduction Générale
Première partie LA CONCEPTION DU FONDS DE TERRE CHEZ LES ANTANDROY
Chapitre premier- LES VALEURS COUTUMIERES DU FONDS DE TERRE
Section première- L’ESSENCE DU FONDS DE TERRE
§1.- Fonds de terre comme marque de la richesse et du pouvoir
I.- Fonds de terre comme marque de la richesse
II.- Fonds de terre comme marque du pouvoir
§2.- Fonds de terre comme moyen de reconnaissance de l’originalité
Section II- DROITS FONCIERS RELATIFS A L’ACCES A LA PROPRIETE
§1.- La mainmise de communauté villageoise
§2.- Les réalités de jouissance foncière
Chapitre II- DIFFERENTES SORTES DU FONDS DE TERRE
Section première- LA TERRE SANS PROPRIETAIRE PRIVE
§1.- Le « kiririsa »
§2.- La propriété familiale
§3.- La propriété clanique
Section II- LE FONDS DE TERRE « ADILY »
§1.- Le « hatsake »
§2.- Adily comme site sacré
I.- Les espaces à proximités des tombeaux
II.- Les espaces des cultes traditionnelles
Chapitre III- CONDITIONS D’APPROPRIATION FONCIERE SELON LES REGLES COUTUMIERES
Section première- CONDITIONS RELATIVES A L’ETAT DES PERSONNES
§1.- L’ascendance royale : bey razañe
§2.- Conditions d’âge et du sexe
I.- Persistance de la primogéniture
II.- Exclusion de la femme
Section II- CONDITIONS IMPOSEES PAR LES AUTORITES TRADITIONNELLES
§1.- Le mpitan-kazomanga et ses attributions relatives à la propriété foncière
§2.- Le mpizaka et l’ambiasa ainsi que leurs rôles en cas de litige
Deuxième partie. DROITS REELS DU PROPRIETAIRE FONCIER SELON LES REGLES COUTUMIERES ET LE DROIT POSITIF
Chapitre premier – MODES D’ACQUISITION DU FONDS DE TERRE
Section première – MODES D’ACQUISITION SELON LES REGLES COUTUMIERES
§1.- Les conflits tribaux
§2.- La succession
I.- Analogie entre succession, donation et transfert de la propriété
II.- Condition de la succession
§3.- L’hypothèque coutumière
Section II- MODES D’ACQUISITION D’APRES LE DROIT POSITIF
§1.- Les premiers occupants
§2.- Contrat de « Fehivava »
§3.- L’hypothèque
Chapitre II- LE METAYAGE OU FERMAGE D’UNE PROPRIETE FONCIERE
Section première – DROITS ET OBLIGATIONS DU PROPRIETAIRE BAILLEUR
§1.- Droits réels par excellence ; droits de suite
§2.- Les obligations
Section II – DROITS ET OBLIGATIONS DU METAYER
§1.- Droits : détention précaire, usage et jouissance
§2.- Les obligations
Chapitre III – LES ISSUS POSSIBLES DE L’EVOLUTION DU REGIME FONCIER
Section première – DISPARITION DES VALEURS COUTUMIERES
§1.- Le système de marquage : appropriation du sol
§2.- L’authénticité d’un acte relatif aux biens : Le titre foncier et le certificat foncier
§3.- Création des « Guichets Foncier »
Section II- PROBLEMES LIES A LA DISPARITION DES COUTUMES
§1.- Le « aly fahetse » (problèmes de mitoyenneté)
§2.- Les conflits entre cohéritiers
Troisième Partie. LIMITE AUX DROITS DE LA PROPRIETE FONCIERE
Chapitre premier – EXTINCTION DES DROITS DE LA PROPRIETE FONCIERE
Section première – CESSATION DES DROITS DU PROPRIETAIRE
§1.- L’abandon volontaire du fonds de terre et les échanges commerciaux
§2.- Expropriation pour le besoin de la communauté
Section II- EXTINCTION DES DROITS DU METAYER
§1.- Extinction normale
I.- La remise volontaire
II.- L’intention du propriétaire bailleur
§2.- Extinction forcée
I.- Mauvais usage
II.- Appropriation hors la volonté du propriétaire
Chapitre II – CAS DES TERRES REPRISES PAR LE POUVOIR PUBLIC
Section première – LA NOTION D’EXPROPRIATION POUR CAUSE D’UTILITE PUBLIQUE
§1.- Portée de l’expropriation
§2.- Procédure classique de l’expropriation
Section II – CONCEPTION D’UTILITE PUBLIQUE POUR LES EXPROPRIES
§1.- Attenta contre la terre des ancêtres
§2.- Voie polémique menant à l’urbanisme
Chapitre III – SANCTIONS RELATIVES AU REGIME FONCIER
Section première – HIERARCHISATION DES SANCTIONS
§1.- Mesures prises par les foyers : privation de la jouissance ; et la restitution
§2.- Mesures prises par la société : « ambelahimavo »
§3.- Transfert de la propriété foncière à l’Etat
Section II – MODES D’EXECUTION DES SANCTIONS
§1.- Exécution immédiate, personnelle et sans délai
§2.- Le « soloho » : expiation comme voie de recours
Conclusion générale
Bibliographies
Annexe
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