Les dons de guerison et les esprits bienveillants

Un peu partout en Afrique, les effets psychologiques de l’éducation coloniale font que toutes manifestations de la civilisation indigène sont considérées comme actes de Satan, indices de barbarisme et de l’état sauvage. Les Africains se cachent pour aller consulter les tradipraticiens et les devins. Ce n’est que longtemps après l’indépendance que la médecine dite « moderne » reconnaît progressivement les compétences et les dons des guérisseurs traditionnels en organisant des rencontres ou même des colloques avec ceux-ci. La réalité est que les Africains en général et les Malgaches en particulier n’ont jamais cessé de pratiquer leurs coutumes. Même à l’hôpital, un panier de charmes et de gris-gris est habilement dissimulé sous le lit. Le garde-malade applique discrètement les remèdes traditionnels après le passage du médecin qui vient de faire la ronde de visite matinale. Pour les Malgaches, il est des cas où la médecine moderne n’est qu’un dernier recours. Les malades arrivent souvent trop tard à l’hôpital, déjà dans un état grave, après être soigné par les devins guérisseurs.

Le corps humain garde en mémoire tous les événements qu’il a vécus. Celuici, s’il n’est pas entravé par des difficultés existentielles, ne sera jamais malade. Plusieurs cas de maladies similaires ont leur histoire propre. Chaque partie du corps est touchée par les mêmes émotions mais elles réagissent différemment. Dans la société traditionnelle, les maladies sont conçues comme étant des aléas de la nature. Les symptômes arrivent d’une manière naturelle chez les hommes mais elles sont aussi les résultats des vicissitudes de la nature contre de l’homme. C’est pourquoi l’étude des dons des guérisseurs est si importante pour savoir comment les hommes se mettent à l’abri des maladies.

HISTOIRES DE VIE DES GUERISSEURS 

D’un bout à l’autre de Madagascar, le Malgache affirme sa conviction dans la supériorité de l’être humain vis-à-vis de tout ce qui existe. Le cycle complet de l’être humain s’effectue dans le cycle de la réincarnation. Aussi, quand l’homme malgache vénère-t-il la divinité, ce n’est pas pour la gloire de Dieu mais pour son propre épanouissement. Dans l’histoire de la croyance malgache, le paganisme était la religion de l’homme malgache. L’homme malgache est parmi les êtres humains qui a beaucoup de respects à la nature. La mort d’un homme malgache n’est pas une mort, il s’agit d’une continuation de la vie sous une autre forme. L’homme revient d’une manière spirituelle dans la vie. Cela marque l’aspect du respect de l’homme pour la mémoire des morts. L’homme croit aux manifestations surnaturelles de la nature.

Les pressions sociales ont aussi suscité certaines manifestations spirituelles, les guerres intestines entre les Malgaches durant les époques des royaumes manifestent leurs impacts jusqu’à nos jours sur le plan spirituel. Les tortures que l’homme malgache a subies ont engendré des refoulements que nous pouvons observer dans la vie sociale d’aujourd’hui. De nombreuses manifestations rituelles dans toutes les régions de l’île de Madagascar montrent les vices qu’a subis l’homme malgache. Que ce soit au Nord ou au Sud de Madagascar les rituels de Fitampoha marquent le signe du retour spirituel de l’homme malgache qui revienne d’une manière spirituelle marque le signe de la contestation, le signe de la douleur du passé, le signe d’une mise en garde de la descendance mais aussi pour marquer son attachement de bienveillance de la descendance de son peuple. D’une façon générale assurer la protection de sa descendance.

C’est pourquoi dans le quotidien du peuple malgache, les cérémonies traditionnelles comme les Fitampoha occasionnent une manifestation de regroupement pour une région entière. Ce regroupement marque l’amitié entre les Malgaches mais aussi la solidarité. Le vœu de l’ancêtre malgache est d’unir tous les enfants de Madagascar. Ce qui montre que l’homme malgache croit à certains principes immatériels chez l’homme, unis à son corps. Ces principes sont des âmes de la vie qui, après la mort, retournent à Dieu dont elles procèdent par la séparation du corps et elle se fonde. C’est la force vitale, support de la personnalité même du défunt, qui peut résider dans les os après la disparition du sang. Le peuple malgache croit presque tout à la réincarnation de l’âme des défunts. Un individu doit, en principe, se réincarner et renaître dans sa propre famille ou chez ses descendants. Cette croyance se confirme par le ressemblance physique entre le défunt réincarné, qui est fréquente puisqu’ils sont parents. Cette attitude se manifeste dans le phénomène de transe. Cette hypothèse psychologique sur Madagascar n’est pas seulement un comportement unique pour Madagascar. L’Afrique en possède les mêmes structures spirituelles, c’est la raison pour laquelle Froeliche cite, M. J. Herskovits et R. Bastide nous expliquent que :

« La crise mystique ne se produit pas par hasard, elle ne crée pas son propre rituel comme c’est le cas pour les malades. Elle s’inscrit dans un ensemble culturel. […]. La transe est un phénomène de pression de la société et non un phénomène nerveux. » .

Force est de constater que les Malgaches d’aujourd’hui écartent à bras ouverts les conseils de leurs ancêtres et respectent leurs commandements. JeanClaude Froelich affirme que :

« C’est dans la mémoire de leurs descendants que vivent les morts, ils disparaissent avec l’oubli. » .

Cette expression rationaliste de Froelich peut être un élément de pensée que les Malgaches rationalisent les morts, ce peuple redonne une grande placeà ces derniers dans la vie sociale. C’est la raison pour laquelle le Malgache ne fait rien sans demander la bénédiction des ancêtres. Pour les Malgaches, les ancêtres sont les protecteurs de la famille, le respect strict est une nécessité : c’est la raison pour laquelle que les guérisseurs disent toujours que les esprits qui les possèdent sont là pour protéger la famille. La manifestation des ancêtres dans les rituels traditionnels des Malgaches n’est ni une comédie ni une crise nerveuse. Elle est une expérience mystique voulue et provoquée qui se manifeste dans un cadre ritualisé, c’est une façon de rendre sensible la présence des ancêtres de s’unir à eux.

ZOAKY JEAN CHRY DIT BOLLY 

Ce jeune garçon est d’ethnie vezo, il est natif de Tuléar, il réside à Mahavatsy II. Actuellement, Bolly a 17 ans, il est sans profession. Ce garçon n’est pas un garçon ordinaire, il n’est pas comme les autres garçons de Mahavatsy II. Il possède le don de guérison. La vie de ce garçon est d’une rare particularité dans ce monde. Il la faculté de guérir les maux de tête et toutes sortes de maladies, il est capable d’identifier les malfaiteurs. Les entretiens ont eu lieu entièrement en malgache et quand je ne comprenais pas certaines phrases, elles m’ont été traduites en français par son oncle qui a assisté aux entretiens.

L’origine de ce don de guérison chez ce jeune garçon est liée à sa naissance. Quand sa mère était enceinte de lui, elle résidait à Fianarantsoa et elle ne se sentait pas bien, elle était tout le temps malade. Elle a consulté plusieurs médecins, qui n’ont pas pu la guérir. Les gens lui ont conseillé d’aller consulter les guérisseurs. Un guérisseur a répondu à la femme après consultation qu’il fallait bien prendre soin de cet enfant quand il serait né. Lorsque l’enfant est venu au monde, les souffrances de sa mère se sont arrêtées. Le guérisseur a confié alors à la mère de l’enfant que son fils allait devenir un grand guérisseur. L’enfant a commencé à guérir les gens à l’âge de quatre ans. L’enfant n’utilise rien, il touche les gens avec ses mains sur la partie qui fait mal et on est guéri. Le garçon guérit les maux de tête et toutes sortes de maladies. Il collabore avec la médecine classique parce qu’il reçoit des patients envoyés par les docteurs.

Chaque jour, il peut se présenter chez lui une centaine de clients ; il commence à les recevoir à partir de deux heures du matin et cesse ses consultations à l’aube, même si tous n’ont pas pu être reçus. Ne recevoir ses clients que dans l’obscurité, à partir de deux heures du matin, montre que ce garçon est hors du commun, l’obscurité marque son pouvoir de guérisseur. Il déclare que ses clients sont surtout des gens âgés, dans la proportion de 80%. Pour ce qui est des jeunes malades, il déclare recevoir cinquante personnes par jour. Le don qu’il possède n’est pas seulement un don de guérison, c’est aussi un don de voyance. Il arrive aussi à identifier des voleurs, des malfaiteurs quand on le lui demande. Pour cela, il touche la personne qui a été, par exemple, victime d’un vol avec la paume sa main mouillée d’huile de coco. Il peut alors décrire le coupable du vol. Quand on veut obtenir la réalisation d’un vœu, on le lui demande : il prononce des paroles de bénédiction et on obtient ce qu’on veut. Tous ces gestes de bénédiction et ces actes de guérison permettent de dire que ce garçon possède un don qui se rapproche de la prophétie.

Personne n’arrive à expliquer ce don. Selon sa famille, sa faculté de guérisseur est en rapport avec la religion alors qu’il n’avait encore que cinq ans. Un jour de Pentecôte, il a su tuer une poule à l’aide d’un couteau. Cet acte peut être interprété comme un acte de purification accompli en versant le sang, une sorte de sacrifice. Ce jour est une fête importante dans la religion chrétienne, un acte de bénédiction à son égard, du fait qu’il est un bienfaiteur de la société. Pourtant Bolly est un simple garçon, un adolescent mais il est très croyant, il fréquente l’église d’une manière régulière. On peut dire que ses actes rappellent que, selon l’évangile, tout chrétien possède en lui la bénédiction de Jésus Christ :

« En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera aussi les œuvres que je fais, il en fera de plus grandes, parce que je m’en vais à mon Père et tout ce que vous demanderez en mon nom je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils. » .

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : HISTOIRES DE VIE DES GUERISSEURS
I.1 ZOAKY JEAN CHRY DIT BOLLY
I. 2 RAZANAMANINA JACQUELINE
I.3 MAHAFOLAHY ALPHONSINE
I.4 JULIENNE TAVE
I.5 ALVESON ANTONY
I.6 MONSIEUR D
I.7 CARACTERES DE CES HISTOIRES DE VIE
DEUXIEME PARTIE : LES GUERISSEURS ET LEURS METHODES
II.1 LES GUERISSEURS ET LA NATURE
II.1.1 Le règne végétal
II.1.2 Le règne animal
II.1.3 Le règne minéral
II.2 DIFFERENCES ET RESSEMBLANCES METHODIQUES
II.2.1 Les guérisseurs aux dons
II.2.2 Les guérisseurs possédés
II.2.3 L’interférence méthodologique
II.3 STATUT SOCIAL DU GUERISSEUR
II.3.1 Le pouvoir du guérisseur
II.3.2 Les enjeux économiques
II.3.3 La croyance traditionnelle et chrétienne
TROISIEME PARTIE : LES POUVOIRS DES ESPRITS
III.1 LES ESPRITS BIENVEILLANTS
III.1.1 L’entretien de la santé
III.1.2 La garantie des biens matériels
III.1.3 La gestion des conflits
III.2 LES ESPRITS MALVEILLANTS
III.2.1 Le blocage (Fitana)
III.2.2 La hantise des personnes
III.2.3 Le signe d’appréhension des hommes
III.3 ESPRIT ET TRANSCENDANCE
III.3.1 Prévention et divination
III.3.2 La dénonciation
III.3.3 La transmigration
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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