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La comparaison entre la société politique et l’état de nature
Ᾰ l’état de nature, il manque principalement trois choses qui le distinguent de la société politique.
– D’abord, il n’existe pas de lois établies à partir du consentement de tous pouvant servir de norme commune pour trancher les différends entre les individus. Cette absence de loi commune fait que chacun se sert de son droit naturel pour assurer la conservation de soi. Cependant, l’inégalité des dispositions physiques des hommes fait qu’ils ont toujours la volonté de soumettre les faibles à leur domination. Ce qui fait de l’état de nature, un état d’insécurité et même de guerre comme le pense Hobbes.
– De plus, il manque un pouvoir judiciaire reconnu par tous. Cela a pour conséquence la partialité des jugements, car au lieu de trancher selon la loi commune, ce sont les passions et les intérêts égoïstes qui triomphent dans les délibérations. Contrairement dans la société
politique où est institué un pouvoir judiciaire délégué aux magistrats, à l’état de nature, chacun est juge pour défendre ses droits naturels et même ceux des autres. Cette situation fait régner la vengeance entre les hommes et non la justice telle que reconnue dans la société politique. C’est dans ce sens que Locke écrit : « En cette occasion donc, et sur ce fondement, chacun a le droit de punir les coupables, et d’exécuter les lois de la nature »15. Il convient de retenir qu’à l’état de nature, chacun a le pouvoir de sanctionner un malfaiteur en appliquant les lois naturelles.
– Enfin, selon Locke, « la puissance manque souvent à l’appui de la décision » pour appliquer ce qui pourrait être arrêté. Cela s’explique par le fait qu’il n’existe pas de pouvoir exécutif ayant l’autorité d’appliquer des décisions. D’ailleurs, ces manquements de l’état de nature montrent qu’il est véritablement un état d’impuissance où chacun est son propre maître dans la conservation des droits naturels.
Ces remarques montrent que le système de la vie naturelle n’est garanti ni par la loi commune reconnue et acceptée par tous, ni par des juges impartiaux délégués par tous, ni par des délégués chargés d’appliquer les décisions. Les droits naturels n’étant pas garantis à l’état de nature, les hommes vont éprouver la nécessité de composer la société politique. Autrement dit, la société politique a pour fin de mieux sauvegarder les droits naturels de chacun par rapport à l’état de nature.
Selon Locke, la société civile ne fera que renforcer les droits naturels existant déjà à l’état de nature comme un droit. Ainsi, il faut préciser que l’état de nature instaure la propriété tandis que la société civile la restaure. D’ailleurs, c’est par la propriété que la nature s’accomplit elle-même comme société. La propriété est ainsi considérée comme un droit naturel que la société politique a le droit de préserver. C’est également à l’état de nature que l’homme dispose le bien le plus précieux qui est sa liberté. En d’autres termes, la liberté est un bien que l’homme possède par nature.
La conservation de la propriété et de la liberté existe depuis l’état de nature. La société politique va ainsi renforcer la sauvegarde des droits naturels en instituant à la fois des régimes politiques et des pouvoirs politiques. Il convient de signaler que la société politique est fondée dans le but de garantir la protection des propriétés de chaque citoyen.
D’ailleurs, chacun va renoncer à son pouvoir de conserver ses propriétés pour le confier désormais à la communauté entière. Il n’appartient plus à l’individu seul d’assurer la conservation de ses propriétés, mais au corps social. Ainsi, selon Locke, la société civile est en positif ce que la nature est négativement. La société politique est en fait la perfection de l’état de nature. En effet, l’état de nature est déjà régi par le droit naturel conforme à la raison et qui enseigne que les hommes naissant libres, égaux et indépendants, personne n’a le droit de violer la vie, la santé, la liberté et les biens d’autrui. Autrement dit, la nature est le lieu de l’égalité de droits dans la mesure où les hommes naissent égaux. Ce droit égalitaire suppose aussi que chacun a le droit de la conservation de soi. Chacun étant le propriétaire de sa propre personne, il a le devoir de protéger sa vie contre toutes les menaces. Par nature, chacun est propriétaire de son corps.
Cependant, il convient de souligner que la conservation de soi est l’affaire d’un individu dans l’état de nature tandis que dans la société civile, elle est l’affaire de la société toute entière. En effet, dans la société civile, au-delà de l’effort que chaque citoyen déploie pour protéger sa vie, il y a l’État qui, à travers les lois, sauvegarde la vie de chacun.
D’ailleurs, avant Locke, Hobbes va comparer l’état de nature et l’État politique pour montrer leur différence. Dans la société naturelle, chacun jouit d’une liberté très entière qui lui donne le privilège de faire tout ce que bon lui semble tout en faisant souffrir les autres, tandis que dans la société politique le citoyen jouit d’une liberté conforme aux lois établies qui lui permettent de vivre en parfaite tranquillité avec les autres. À l’état de nature, chacun a droit sur toutes choses sans être en réalité propriétaire d’aucune, tandis que dans la société civile, chacun a le droit de propriété sur sa vie, sa liberté et ses biens.
Enfin, à l’état de nature règne la violence et le brigandage continuel, car chacun n’a que ses seules forces pour se défendre, tandis que dans la société civile règne la sécurité la protection, car chaque citoyen reçoit le secours de tout l’État.
En définitive, cette comparaison entre l’état de nature et la société politique, aussi bien chez Locke que chez Hobbes, met en relief l’impuissance de l’état de nature où la sauvegarde des droits naturels est l’affaire d’un seul individu et la puissance de l’état politique où la conservation des droits naturels est déléguée aux pouvoirs politiques. Ainsi, la liberté, les biens et la vie sont les droits naturels qui existent à l’état de nature, mais c’est la société politique qui les rend puissants et réels. La société politique permet de remédier aux inconvénients de l’état de nature où chaque individu est juge de sa propre cause.
Les fins de la société politique
L’état de nature est un état de privation et d’insécurité car la conservation de la vie, de la liberté et des biens de chaque individu qui demeurent des droits naturels n’est pas garantie à cause des menaces permanentes des autres. C’est ainsi que l’insécurité permanente de l’état de nature oblige les hommes à fonder la société politique pour jouir paisiblement de leurs propriétés. C’est dans ce sens que Locke écrit : « C’est ce qui oblige les hommes de quitter cette condition, laquelle, quelque libre qu’elle soit est pleine de crainte et exposée à de continuels dangers, […], et qu’ils souhaitent de se joindre avec d’autres qui sont déjà unis ou qui ont dessein de s’unir et de composer un corps, pour la conservation mutuelle de leurs vies, de leurs libertés et de leurs biens ; choses que j’appelle d’un nom général, propriétés»16. Donc, la fin principale de la société politique est la conservation des droits naturels de chaque citoyen. En effet, chaque individu étant impuissant de garantir ses droits naturels, délègue ce pouvoir au corps politique. D’ailleurs, cette question de droit naturel est largement abordée par toute la tradition philosophique depuis l’antiquité jusqu’à la période moderne, notamment d’Aristote jusqu’à Rousseau, en passant par Grotius, Hobbes, Spinoza et Locke. Le principe fondamental de la loi naturelle est formulé au début du Second traité du gouvernement civil par Locke. Il précise ainsi : « […], les hommes étant tous l’ouvrage d’un ouvrier tout-puissant et infiniment sage, les serviteurs d’un souverain maître, placés dans le monde par lui et pour Ses propres intérêts, ils lui appartiennent en propre, et son ouvrage doit durer autant qu’il lui plaît, non autant qu’il plaît à un autre »17. Ce principe fondamental de la loi de la nature reçu comme un commandement assure la conservation de l’espèce humaine. La loi fondamentale de la nature s’identifiant à la conservation de l’humanité, chaque individu a le droit de se conserver soi-même.
Ainsi, nul n’est propriétaire de sa vie et qu’il est impossible de l’aliéner à quiconque ni de la détruire. Selon ce principe, personne ne doit être l’esclave d’un maître, car devenir esclave, c’est aliéner sa propre vie entre les mains de quelqu’un d’autre. Cependant, étant donné que personne n’est propriétaire de sa propre vie, personne ne peut aliéner à l’égard d’autrui un droit qu’il ne possède pas. Dès lors, accepter d’être l’esclave d’un autre est une violation du principe fondamental de la loi naturelle. Le devoir de conservation n’est pas seulement un devoir de conservation de soi-même, mais aussi de conservation d’autrui et de garantie de sa liberté.
Chacun a l’obligation selon le principe fondamental de la loi naturelle à ne pas porter atteinte à sa vie et à sa liberté. Il s’agit de manière générale de ne pas compromettre le devoir qu’a chacun de se conserver et d’agir librement, sous peine de s’opposer au principe fondamental de la loi naturelle. Chacun est aussi le propriétaire non pas de sa vie mais de sa personne et des actions qui en résultent. D’ailleurs, selon Locke, le premier acte du droit individuel de propriété commence avec la propriété de sa personne et il convient de préciser que ce droit ne découle point d’un contrat, mais d’un droit purement naturel. Ainsi, contrairement à la conception de Hobbes qui niait l’existence d’un droit de propriété par nature, Locke soutient que, même dans l’état de nature, les individus sont propriétaires d’eux-mêmes et de leurs actions tant qu’ils vivent conformément au principe fondamental de la loi naturelle. Il convient de préciser que la thèse de Locke sur le droit de propriété à l’état de nature s’oppose aussi à celle de Rousseau qui soutient que la société politique est née de la propriété. La propriété étant un droit naturel, il devient illégitime de vouloir soustraire à autrui une part quelconque de sa propriété sans son consentement.
En somme, le principe fondamental de la loi naturelle n’autorise aucune domination ni de fait ni de droit des personnes les uns sur les autres dans leurs conditions naturelles sans leur consentement, car il s’agirait là d’un pur et simple rapport d’esclavage. Ainsi, tout rapport de pouvoir non fondé sur mon propre consentement serait une pure et simple violation de mes droits naturels (vie, liberté, propriété). Locke explicite cette idée dans la Lettre sur la tolérance lorsqu’il affirme : « Il n’y a aucune personne, ni aucune Eglise, ni enfin aucun Etat qui ait le droit sous prétexte de religion, d’envahir les biens d’un autre ni de le dépouiller de ses avantages temporaires »18 . Autrement dit, chacun est le propriétaire de ses biens qui demeurent ses droits naturels. Pour mieux aborder les fins de la société politique, il nous faut expliciter les concepts : liberté, propriété, vie.
Les approches conceptuelles : liberté, propriété, vie.
La liberté peut se définir comme un pouvoir de choix ou de décision qui repose sur le rôle du jugement dans la détermination de la volonté à agir d’une manière plutôt que d’une autre. Cependant la liberté politique ou civile se définit comme « le fait de l’homme vivant en société et plus particulièrement d’un citoyen jouissant de certains droits qui lui sont garantis et de certains devoirs qui sont exigés de lui, la liberté politique prend son sens positif par opposition à toutes les formes de servitude ou d’opposition que les hommes font subir à d’autres hommes »19. La liberté politique correspondant à la liberté d’action dont dispose l’individu dans la société politique concerne le rapport du sujet aux autres et non pas à lui-même. Autrement dit, c’est une liberté d’exécution, et non pas de décision. C’est ainsi que la liberté de chaque citoyen est garantie par l’établissement de la loi. En d’autres termes, il ne peut pas exister de liberté sans loi, mais aussi personne ne peut être au- dessus des lois. Ces lois doivent ainsi exprimer la volonté générale pour sauvegarder la liberté de chaque citoyen.
À l’absence de lois impartiales, le peuple dépossédé de sa liberté finit par se révolter. D’ailleurs, ce droit de résistance des citoyens lorsque leur liberté est violée par le prince est reconnu par Locke. C’est ainsi qu’il écrit : « Quiconque, revêtu d’autorité, excède le pouvoir qui lui a été donné par les lois, et emploie la force qui est en sa disposition à faire, à l’égard de ses sujets, des choses que les lois ne permettent point, est sans doute, un véritable tyran ; et comme il agit alors sans autorité, on peut s’opposer à lui tout de même qu’à tout autre qui envahirait de force le droit d’autrui » 20 . Locke met en relief ici le caractère arbitraire du pouvoir tyrannique. Le tyran exerce un pouvoir outré fondé sur l’injustice, l’illégitimité, en général la violation des droits naturels des citoyens. Il substitue ainsi aux lois exprimant la volonté générale, sa volonté comme règle dans le but de se maintenir au pouvoir. Le désordre créé par la tyrannie anéantit la liberté de tous les hommes qui en principe naissent libres et égaux. Toutefois, Locke n’exclut pas le droit de révolte du peuple contre le pouvoir tyrannique.
Selon lui, l’égalité des hommes doit être respectée d’avance pour que chaque citoyen puisse jouir de sa liberté, car il n’y a de liberté que s’il y a liberté de tous, par tous et pour tous. D’ailleurs, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen établit que : « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ».La pensée politique de Locke s’inscrit dans la préservation d’une liberté individuelle qui trouve ses fondements dans l’obéissance à la loi. Cette thèse s’accorde, d’une manière générale, à la conception de la modernité. En effet, la liberté moderne trouve son fondement dans la conception d’une loi naturelle. Selon Locke, seule la bonne organisation politique peut garantir la liberté humaine.
Ainsi, beaucoup de philosophes politiques dont Rousseau et Montesquieu s’accordent avec Locke qu’être libre, c’est obéir volontairement aux lois. C’est la loi qui rend possible la liberté. D’ailleurs, Rousseau soutient que c’est par la loi que se réalise la liberté. D’où l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté. Cela revient à dire que chaque citoyen ayant participé à l’élection des membres du pouvoir législatif doit se reconnaître comme partie prenante au choix de ses représentants et par conséquent, se conformer aux lois que les législateurs ont établies pour jouir de sa liberté. Cependant, ce concept de liberté fait l’objet d’un débat controversé de la part des philosophes politiques. Un penseur comme Rousseau soutient que dans la nature, seul l’homme est libre. Il pense même que c’est la liberté qui permet de faire la distinction entre l’homme et l’animal. D’où il arrive à la conclusion selon laquelle toute personne qui renonce à sa liberté renonce à la fois à sa qualité d’homme.
Quant à certains philosophes politiques comme Spinoza, Machiavel, Sartre, etc., l’homme étant totalement déterminé, ne peut pas agir en toute liberté. Autrement dit, l’homme est contraint de toutes parts par la nature, par la société et l’État, par autrui et enfin, par lui-même. C’est ainsi que la liberté humaine semble être une illusion lorsqu’on se focalise uniquement à sa définition trilogique, c’est-à-dire l’absence de contrainte. La contrainte renvoie à tout ce qui entrave la liberté d’action d’un être, soit du dehors (travail), soit du dedans (maladie). Vue l’impossibilité humaine d’échapper au déterminisme de la nature, Spinoza va défendre sans complaisance la thèse selon laquelle les hommes pensent à leur liberté alors qu’ils sont contraints par la nécessité de leur nature. L’homme est aussi contraint par la société et l’État dans la mesure où ce dernier particulièrement exerce pouvoir et violence sur son citoyen, qui lui a cédé tous ses droits naturels. C’est dans ce sens que Machiavel défend sans pitié d’âme que la violence que le souverain exerce sur le peuple est nécessaire.
D’ailleurs, notre sujet s’intéressant plus à la liberté politique qu’à la liberté philosophique, il s’agira ici de s’interroger sur la manière de concevoir la liberté dans l’État. À propos de cette question de la liberté politique, les penseurs comme Locke, Rousseau, Montesquieu et Spinoza s’accordent qu’être libre, c’est obéir volontairement aux lois. Toutefois, ils sont aussi unanimes que l’obéissance aux lois n’a de sens que lorsqu’il s’agit d’un État de droit. Spinoza va ainsi défendre qu’être libre revient à obéir à un État fondé sur la raison. D’ailleurs il affirme que : « La fin de l’Etat est donc la liberté. »21 Selon Spinoza, le but fondamental de l’Etat est la liberté dont il rend possible l’exercice en sécurisant et pacifiant les rapports humains qu’il présuppose dans l’acte de soumission volontaire au souverain. Montesquieu va aborder dans le même sens en soutenant que seule l’obéissance à un gouvernement modéré permet à la personne d’exprimer sa liberté.
Quant à la propriété, elle se définit comme : « Le droit fondé sur un titre légal, qu’a une personne d’avoir en sa possession un bien déterminé, d’en user et d’en disposer comme elle l’entend »22. Chez Locke, le problème politique s’articule autour d’un objet de pensée qui est la propriété réelle. C’est ainsi que le droit de devenir propriétaire permet à l’État de penser la forme de société politique à instituer. La propriété constitue une institution réelle légitimée et moralisée sur laquelle repose l’organisation de la société politique. En effet, elle constitue l’origine et la fin de la vie politique. C’est dans ce sens que Locke écrit : « La fin capitale et principale, en vue de laquelle les hommes s’associent dans des républiques et se soumettent à des gouvernements, c’est la conservation de leurs propriétés, pour la conservation desquelles bien des choses manquent dans l’état de nature »23. L’auteur met en relief la conservation de la propriété comme but ultime de la société politique en vue de remédier les manquements de l’état de nature. D’ailleurs, la propriété est un droit naturel que la société politique doit protéger et garantir. Locke étend la propriété de chacun à ses droits naturels à savoir sa vie, sa liberté et ses biens. Chacun est le propriétaire de sa propre personne et il a le droit de la conservation de soi. Ainsi, l’homme étant le propriétaire de son corps, il est, par conséquent, le propriétaire des fruits de son travail.
Autrement dit, l’homme est le propriétaire de tout objet résultant de la transformation d’un objet naturel par le travail. La fin de la société politique est de sauvegarder la possession que chacun acquiert par le travail. Selon Locke, la sortie de l’homme de l’état de nature n’est pas une nécessité absolue. Toutefois, il soutient que fonder l’état social est une garantie supérieure des droits naturels de l’homme. La sauvegarde des droits naturels et plus particulièrement de la propriété est en réalité, ce qui distingue la société civile de l’état de nature. Dans la société civile, le pacte d’association a pour objet de sauvegarder la propriété et pour but l’institution du pouvoir des propriétaires. C’est ainsi que l’État devient un instrument au service de la propriété. En d’autres termes, il garantit les droits naturels des citoyens en jouant le rôle de police et de justice détenu à l’état de nature par des individus.
Ainsi, cette conception de la propriété défendue par Locke se retrouve aussi dans la pensée d’Hugo Grotius. Ce dernier marque d’ailleurs le lien qui existe entre la propriété et la souveraineté. C’est dans ce sens qu’il montre dans son œuvre Du droit de la guerre et de la paix, le lien entre la propriété et la souveraineté. Selon Grotius, codifier le droit comme puissance du sujet trouve sa réalisation dans la propriété. Chaque sujet est par nature un propriétaire. La propriété est le droit que dispose chaque individu d’acquérir un bien : elle est avant tout ce droit d’acquérir. Chacun peut devenir moralement propriétaire, car la propriété est un droit. D’ailleurs, chez Grotius l’acte de se rendre propriétaire suppose la définition juridique du droit de propriété comme puissance du sujet. L’origine institutionnelle de la propriété s’est effectuée dans un accord commun des volontés, c’est- à-dire dans un quasi contrat.
C’est ainsi que Grotius va élaborer sa propre conception juridique de la souveraineté à partir de cette théorie de la propriété. Selon ce penseur, la souveraineté est un bien que le prince s’approprie. Le droit de souveraineté et le droit de propriété existent dans la société politique. Le souverain est considéré comme légitime lorsqu’il a le droit de posséder la souveraineté. Cependant, Grotius considère que la souveraineté n’est pas du pouvoir du prince, mais elle est le bien de l’État, c’est-à-dire d’un « sujet ». Cette conception du pouvoir chez Grotius s’oppose à celle de Machiavel qui définit le pouvoir d’État comme ce qui s’acquiert par la conquête. Selon Machiavel, le pouvoir s’acquiert par l’appropriation et celle-ci peut d’ailleurs, se réaliser par la guerre. Il pense même qu’on peut acquérir dans une guerre légitime des biens appartenant à des particuliers.
On peut conclure que selon Locke, la propriété trouve son origine à l’état de nature mais c’est dans la société civile qu’elle est garantie et protégée par des lois communes. Cependant, la thèse de l’origine de la propriété telle que défendue par Locke est contredite par Rousseau. Ce dernier soutient que la propriété est le concept qui marque la fin de l’état de nature et le début de l’état civil.
Concernant le droit à la vie, il peut se définir comme « l’ensemble des dispositions légales qui concourent à garantir le respect de la vie humaine ». Le droit à la vie se retrouve dans de nombreux textes. D’ailleurs, l’article3 de la déclaration universelle des droits de l’homme dispose ainsi : « tout individu a droit à la vie ». Le droit à la vie est selon Locke un droit dont possède chaque individu à l’état de nature. La conservation de la vie devient pour chacun un droit fondamental. A l’état de nature chaque individu est le garant de sa vie. Cette protection de soi est conforme à la loi naturelle. Autrement dit, chacun applique cette loi, et est en droit de punir les dommages causés à sa vie, à sa liberté et à ses biens. C’est dans ce sens que Locke écrit : « Chacun donc est obligé de se conserver lui-même, et de ne quitter point volontairement son poste pour parler ainsi »24. Locke met ici en exergue l’impuissance de l’état de nature liée au fait que chacun est contraint d’utiliser ses propres forces pour sauvegarder sa vie, sa liberté et ses biens. Toutefois, cette conservation de soi demeure paradoxale si l’on se réfère à la thèse de Hobbes selon laquelle, à l’état de nature, il règne une guerre naturelle de chacun contre tous. Or, la nature n’ayant pas égalisé les forces physiques des hommes, les faibles pourraient-ils résister aux menaces permanentes des forts ? L’état de nature ne constituerait-elle pas un état d’insécurité permanente ?
Dans la société civile, ce droit à la vie est protégé par la loi. Ainsi, la société ne fera que renforcer la loi naturelle qui admet que les hommes étant tous égaux et indépendants, nul ne doit nuire à un autre, par rapport à sa vie. Dans l’État, la conservation de soi qui est en même temps un devoir et un droit sera sauvegardée par les pouvoirs étatiques.
En d’autres termes, dans la société politique, l’État est le garant et le protecteur de la vie des citoyens. Cependant, chacun étant propriétaire de son corps, il est aussi propriétaire des objets résultant de son travail. Cette théorie de la possession de soi est fondamentale aussi bien dans la définition des droits fondamentaux de l’homme que dans celle des droits du travail.
Quant à Hobbes, il considère d’ailleurs, que la politique est présente à l’état de nature. Selon lui, dans cet état, l’homme en tant qu’être de désirs toujours en proie à la passion de puissance, a la liberté d’agir en vue de la conservation de son corps, c’est-à-dire celle de sa vie. Cependant la conservation de soi en tant que loi naturelle débouche souvent à la perte violente de la vie dans l’acte d’auto-défense. D’où la nécessité pour les hommes de quitter cet état de guerre en se dotant d’une loi commune voulue par tous et à laquelle chacun obéira car il y trouvera assurée la protection de sa vie et de ses biens, et donc une garantie de ses désirs. Seule une loi commune ou loi positive établie et voulue par tous peut ainsi remédier à l’impuissance de l’état de nature en ce qui concerne la conservation de l’être humain. Cette idée de loi commune pour la sauvegarde des droits naturels des citoyens se retrouve dans la pensée politique des philosophes tels que Locke, Montesquieu, Rousseau, etc.
En somme, la loi fondamentale de la nature s’identifie à la conservation de l’humanité. La société politique a pour fin de sauvegarder la série de droits naturels à savoir la vie, la liberté et les biens des citoyens. Ce pouvoir de conserver les droits naturels du peuple est détenu par l’État.
La sauvegarde des vies, des libertés et des biens des citoyens
Ᾰ l’état de nature, l’homme possède des droits naturels dont la jouissance est en permanence menacée par l’agression d’autrui. En effet, dans cet état, l’imperfection humaine liée aux désirs et aux passions fait que l’homme a toujours un penchant à sauvegarder ses intérêts égoïstes au détriment de ceux des autres. Ce qui installe un climat d’insécurité permanente. D’où la nécessité pour les hommes de quitter l’état de nature pour fonder la société civile oùle pouvoir de sauvegarder les droits naturels de chaque citoyen est délégué à la communauté toute entière. Ce passage de l’état de nature à la société civile ayant pour fin la conservation des droits naturels des citoyens va s’accompagner de l’institution de trois pouvoirs : le législatif, l’exécutif et le judiciaire. D’abord, l’institution d’un pouvoir législatif considéré comme le pouvoir suprême par John Locke permet d’établir des lois communes reconnues et acceptées par tous. Ces lois protègent et garantissent les propriétés de chaque citoyen, car leur violation entraine des sanctions.
Ensuite, l’institution du pouvoir exécutif qui est chargé de l’application des lois établies. Ce pouvoir permet de palier les inconvénients de l’état de nature où règne la vengeance liée à la mauvaise application des décisions.
Enfin, le pouvoir judiciaire institué a pour objectif de trancher les différents en conformité aux lois établies. Les juges délégués de ce pouvoir doivent être impartiaux pour faire régner la justice entre les citoyens. Celui qui commet du tort à son prochain doit subir une sanction allant dans le sens de réparer équitablement les dommages causés à autrui. Cela renforce le respect mutuel des droits naturels des membres de la communauté.
Dans la société politique, le peuple tout entier délègue le pouvoir de la conservation des droits naturels aux gouvernants. Ces dirigeants sont mandatés pour sauvegarder l’intérêt général et non l’intérêt particulier. Ainsi, le pouvoir exercé par l’autorité législative a pour fin principale la sauvegarde du bien public. C’est dans ce sens que Locke écrit : « La grande fin que se propose ceux qui entrent dans la société étant de jouir de leurs propriété en sûreté et en repos est le meilleur moyen qu’on puisse employer par rapport à cette fin, étant d’établir des lois dans cette société, la première et fondamentale loi positive de tous les États, c’est celle qui établit le pouvoir législatif, duquel, aussi bien que les lois fondamentales de la nature doit tendre à conserver la société et le bien public »25. Il met en relief ici l’importance du pouvoir législatif ou encore le pouvoir suprême de la société politique dont le but consiste à sauvegarder les propriétés des citoyens. D’ailleurs, selon Rousseau, la souveraineté est l’exercice de la volonté générale qui fonde société et État. En d’autres termes, la volonté générale n’existe que s’il y a un intérêt commun. Seule la volonté générale peut diriger l’État selon le bien commun. Ainsi, Rousseau évoquant le problème fondamental dont le contrat donne la solution, écrit : « Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant »26. Il se pose ici le problème de la réalisation d’un accord de l’obéissance et de la liberté. Autrement dit, comment chaque membre du pacte social peut-il associer liberté et obéissance ?
Quant à Hobbes, il compare l’état de nature à l’état politique pour montrer sa préférence à la société organisée où la liberté, la propriété, la sécurité et la douceur de la vie sont protégés par l’État. L’État de paix se substitue ainsi à l’état de guerre. C’est dans ce sens qu’il écrit : « Hors de la société chacun a tellement droit sur toutes choses qu’il ne peut prévaloir et n’a la possession d’aucune ; mais dans la république, chacun jouit paisiblement de son droit particulier »27. Locke comparant la conservation de la propriété à l’état de nature et à l’état politique affirme que c’est dans le dernier état que chacun jouit de ce droit.
Pour conclure cette première partie, il convient de retenir que la société politique s’impose à l’homme pour remédier les manquements et l’impuissance de l’état de nature. Elle présente une différence notoire avec l’état de nature où la conservation des droits naturels était détenue individuellement. Comparativement à l’état de nature, la société politique a permis de renforcer effectivement la sauvegarde des vies, des libertés et des biens des citoyens. Dans la société politique, les droits naturels sont protégés par les lois auxquelles chaque citoyen est contraint d’obéir.
C’est ainsi que plusieurs philosophes politiques comme Locke, Rousseau et Hobbes ont mis en relief les effets bénéfiques du pacte social parmi lesquels on peut citer la justice, la moralité, le droit, la liberté, la propriété, la sécurité, les douceurs de la vie, etc. Ainsi pour la réalisation de ses fins, chaque société politique s’est dotée d’un régime politique et d’un certain nombre de pouvoirs politiques.
LES DIVERSES FORMES DE SOCIÉTÉS POLITIQUES ET LES POUVOIRS DE L’ÉTAT
Par rapport à la conservation des droits naturels, il est nécessaire de penser aux diverses formes de sociétés politiques ou régimes politiques. Locke distingue trois formes de sociétés politiques à savoir : la monarchie, l’oligarchie et la démocratie. Il convient de préciser que l’institution des différents régimes politiques s’inscrit dans le choix judicieux des États allant dans le sens de la meilleure conservation des droits naturels des citoyens par les pouvoirs politiques. D’ailleurs, Locke pense que seul le pouvoir légitime repose sur le consentement du peuple. Ce qui va motiver son combat contre la monarchie du droit divin des rois qu’il considère comme l’affaire de l’enfance intellectuelle de l’humanité. Selon lui, la révolution copernicienne notée ainsi en politique devrait permettre à cette dernière d’atteindre la maturité en se manifestant comme l’affaire des hommes. Chaque régime politique, pour mieux gouverner la nation, s’appuie traditionnellement sur trois pouvoirs :
– d’abord, le pouvoir législatif qui établit les lois et contrôle leur exécution par le gouvernement est considéré comme le pouvoir suprême dans tous les États de droit ;
– ensuite, le pouvoir exécutif chargé de faire appliquer les lois en toute conformité est considéré comme subordonné au pouvoir législatif. Il en est de même pour le pouvoir fédératif qui défend les intérêts de l’Etat par rapport aux autres Etats ;
– enfin, le pouvoir judiciaire chargé de rendre la justice en se référant aux lois est aussi subordonné au pouvoir législatif.
Dans le fonctionnement des pouvoirs de l’État, Montesquieu et Locke soutiennent l’interaction des pouvoirs, tandis qu’Alexis de Tocqueville soutient la séparation des pouvoirs. Quant à l’origine du pouvoir politique, elle repose sur trois grandes conceptions.
La première conception du pouvoir politique soutenue dans l’antiquité par Aristote le considère comme un ordre naturel fondé sur le droit divin.
La deuxième conception du pouvoir politique défendue par les théoriciens de la monarchie du droit divin comme Suarez et Bossuet l’assimile à une institution du droit divin.
La troisième conception du pouvoir politique visant surtout à l’expliquer et non à le justifier le considère comme une institution produite par les hommes. Elle est surtout défendue par les contractualistes comme Locke, rousseau et Hobbes. L’État disposant ainsi de l’appareil d’Etat, peut exercer le pouvoir par la violence légitime, c’est-à-dire une violence conforme au droit.
En quoi la démocratie telle que conçue par Locke demeure-t-elle le régime politique qui conserve mieux les droits naturels des citoyens comparativement à la monarchie et à l’oligarchie ?
Pourquoi le pouvoir législatif est-il considéré comme le pouvoir suprême ?
LES DIVERSES FORMES DE SOCIÉTÉS POLITIQUES
Ainsi, le souci majeur de Locke en tant que défenseur des droits naturels des citoyens, consiste à combattre la monarchie absolue au profit de la démocratie. D’ailleurs, dans la Lettre sur la tolérance, il s’oppose à l’intolérance religieuse. Selon lui, tout homme, en tant que citoyen, appartient à la fois à une société civile et à une communauté religieuse ou église. D’une part, il obéit aux lois de la société civile pour la sauvegarde de ses droits naturels et d’autre part, il choisit librement sa religion pour assurer sa spiritualité.
Cependant, il préconise la séparation du pouvoir politique et du pouvoir religieux, car il ne faut pas mélanger le ciel et la terre. Dans la société politique, il s’agira pour nous d’expliciter les différents régimes politiques en convoquant les thèses de Platon, d’Aristote, de Locke et de Rousseau, pour voir leurs forces et leurs faiblesses dans la conservation des droits naturels du peuple.
La monarchie
Locke définit la monarchie comme un régime politique dans lequel le pouvoir de faire des lois et à les faire exécuter est détenu par un seul homme. Elle peut se définir aussi comme un régime politique dans lequel l’autorité est détenue par une seule personne qui exerce le pouvoir directement ou en le délégant, selon certaines règles institutionnelles. Toutefois, selon le type de monarchie, on peut noter des variations de l’importance du pouvoir du monarque et de ses attributions.
En effet, la véritable monarchie fondée sur le droit a surtout été opposée, par les théoriciens, à la tyrannie qui est un pouvoir de forme monarchique, mais non fondé en droit.
Ainsi, pour la plupart des théoriciens, la souveraineté du monarque doit être limitée par les lois de Dieu, par des règles de justice naturelle et par les lois fondamentales de l’État. Selon les théoriciens de la monarchie, ce régime ne renvoie pas seulement au gouvernement d’un seul, mais il suppose la prise en compte de l’intérêt général.
Cependant, il convient de distinguer la monarchie héréditaire de celle élective. Ces deux monarchies présentent quelques différences. Dans la monarchie héréditaire, le pouvoir de faire des lois et de veiller à leur application est détenu par un seul homme qui est appelé à le transmettre à ses héritiers tandis que dans la monarchie élective, ce pouvoir est confié à vie au prince, et à condition qu’après sa mort, le pouvoir retournera entre les mains de ceux qui le lui ont confié et qui lui trouveront un successeur.
Quant à la monarchie féodale, elle s’est répandue en Europe dès le moyen âge. Ces monarchies féodales européennes étant dynastiques, le pouvoir était généralement transmis au fils ainé ou au plus proche descendant masculin.
On peut aussi citer la monarchie absolue où le roi gouverne seul, mais il doit se fonder au respect des corps et des ordres qui composent le pays et il doit être assisté par des conseillers. Toutefois, la centralisation du pouvoir entre les mains des souverains va apparaitre avec le déclin de la féodalité et l’essor des Etats-Unis. C’est ainsi qu’en Angleterre et en France, le principe du pouvoir détenu par le roi seul sera remis en question par les parlements composés de bourgeois qui décident de prendre part à la gouvernance de l’État.
Ce virement de situation va accélérer l’émergence de la monarchie constitutionnelle dont le grand défenseur en Angleterre fut John Locke. La constitution doit désormais émaner de la nation et doit fixer les règles du gouvernement. La souveraineté va ainsi passer du roi à la nation. D’où la conservation des droits naturels ne fera plus l’affaire d’un roi qui gouverne seul, mais de toute la nation.
Néanmoins, Locke à son époque amené un combat contre les monarchies qui régnaient en Europe en général, et en Angleterre en particulier. Dans ces régimes, le pouvoir était considéré comme une institution de droit divin. Soucieux de s’éterniser au pouvoir, les princes avançaient l’idée selon laquelle celui-ci leur est octroyé par Dieu.
Autrement dit, c’est Dieu qui les a choisis et qui a décidé qu’ils deviennent princes et qu’ils conservent ce pouvoir durant toute leur existence.
Dès lors, le prince n’est plus regardé comme un prince particulier, mais comme un personnage public, car, tout l’État étant en lui, la volonté de tous les citoyens est renfermée dans la sienne. Cette conception du pouvoir qui place le roi au-dessus du peuple entraine comme conséquence fâcheuse la violation des droits naturels des citoyens. Pour le respect de la dignité humaine, Locke va s’opposer à cette origine du pouvoir. Il va ainsi critiquer la croyance au droit divin du pouvoir qui, en donnant tous les droits au roi, étouffe la liberté des citoyens.
En effet, si Dieu ayant créé les hommes les a abandonnés à l’état de nature, il revient aux êtres humains de fonder la société civile. Ce qui montre que, dans la société civile, le pouvoir loin d’être une institution du droit divin, est une institution produite par les hommes. En réalité seul le peuple souverain peut déléguer le pouvoir au monarque pour la conservation des droits naturels des citoyens. Dans ce cas, le roi et ses sujets sont à égalité de droits. D’ailleurs, Montesquieu rejoint Locke, en concevant la monarchie comme un régime politique dans lequel l’État est gouverné par un roi qui exerce seul l’autorité souveraine. De ce fait, seuls le roi et ses proches sont libres.
Cette critique de la monarchie se trouve aussi dans la pensée de Thomas More. Il va ainsi dénoncer les tares des princes à savoir l’amour de la guerre, de la conquête de la gloire, la cupidité et la prodigalité, l’ambition, l’égoïsme, la ruse, l’inconscience, etc. Cette mauvaise gouvernance des princes et de leurs ministres installe chez les peuples la peur, la passiveté, l’ignorance, la lâcheté, l’irréflexion et la servitude. Toutes ces passions accumulées entrainent comme conséquences les violations des droits naturels des citoyens.
Rousseau, dans son ouvrage Du Contrat social, n’hésite pas à dénoncer l’abus de pouvoir du prince sur ses sujets dans le régime monarchique. Dans la monarchie, le prince sauvegarde plus ses intérêts particuliers que ceux des membres de son royaume qui sont contraints à la soumission. Ainsi, les droits naturels des citoyens sont souvent violés. D’ailleurs, la loi renforce le pouvoir du prince. C’est dans ce sens que Rousseau écrit : « J’avoue que supposant les sujets toujours parfaitement soumis, l’intérêt du prince serait alors que le peuple fut puissant afin que cette puissance étant sienne le rendit redoutable, à ses voisins, mais comme cet intérêt n’est que secondaire et subordonné et que les suppositions sont incompatibles, il est naturel que les princes donnent la préférence à la maxime qui leur est le plus immédiatement utile »28. Cette idée traduit la volonté des princes d’avoir un peuple à la fois obéissant à leur domination de l’intérieur mais puissant aussi pour leur permettre d’être craints à l’extérieur.
En revanche, pour la conservation des droits naturels des citoyens, Locke prône pour la monarchie constitutionnelle. Il voit à travers la monarchie héréditaire et la monarchie élective l’exercice du pouvoir absolu et arbitraire des princes. C’est ainsi qu’il introduit l’argument de souveraineté du peuple pour combattre l’absolutisme. Il combat le pouvoir absolu du prince qui finit par violer les droits naturels du peuple.
Selon Locke, un pouvoir absolu ne s’exerce que sur la base de l’arbitraire de son détenteur qui dirige l’État sans les lois établies et permanentes, car seul le prince est maître. Un tel monarque peut faire régner un pouvoir absolu et arbitraire sur son peuple. Dans sa critique du pouvoir arbitraire du prince, Locke écrit : « D’une part, il constitue une atteinte ou une menace pour les droits naturels ou la liberté fondamentale des individus. D’autre part, il implique la distorsion de l’idée même de société civile »29. Autrement dit, l’exercice d’un pouvoir arbitraire, non seulement ne garantit pas les droits naturels des citoyens, mais aussi remet en cause la société civile. Ainsi, le monarque ne gouverne pas selon les lois car il est le seul juge de la loi naturelle.
En somme, la société politique étant fondée sur le consentement du peuple et ayant pour fin la conservation des droits naturels du peuple, la monarchie présente des limites pour la sauvegarde des vies, des libertés et des biens des citoyens. Cette idée évoquée par Locke est aussi soutenue par Rousseau qui considère que dans la monarchie, le pouvoir est concentré entre les mains d’un homme réel qui, seul, a le droit de l’exercer. Toute la force du gouvernement marche constamment au détriment des droits naturels des citoyens. C’est dans ce sens que Rousseau écrit : « Ainsi la volonté du peuple, et la force particulière du gouvernement, tout répond au même mobile, tous les ressorts de la machine sont dans la même main, tout marche au même but : il n’y a point de mouvements opposés qui s’entre-détruisent, et l’on ne peut imaginer aucune sorte de constitution dans laquelle un moindre effort produise une action plus considérable »30. L’auteur dévoile ici les tares de la monarchie où tous les pouvoirs sont détenus par le prince qui dirige le gouvernement en se conformant à sa volonté particulière et non à la volonté générale. Les droits naturels des citoyens sont ainsi violés. Parmi les régimes politiques présentant des limites dans la conservation des droits naturels de la majorité du peuple, on peut citer aussi l’oligarchie.
L’oligarchie
L’oligarchie se définit en général comme un système politique dans lequel le pouvoir souverain est exercé par un petit nombre d’individus, exemple un clan ou une famille. L’apparition du gouvernement oligarchique se situe dans la Grèce antique. À ces débuts, le pouvoir étant exercé par les grandes familles de propriétaires terriens, puis plus tard par les représentants des familles fortunées.
Ainsi, Locke donnant une définition purement nominale de l’oligarchie, écrit : « elle est le régime dans lequel le pouvoir de légiférer est confié à un petit nombre d’hommes choisis »31. Dans ce système politique, le pouvoir souverain est exercé par une minorité qui peut être un clan ou une famille. C’est un régime politique à l’intérieur duquel le coût de la richesse va se transformer en avarice. C’est la capacité matérielle à dominer qui est importante. Cependant, Aristote distingue quatre formes d’oligarchies dont la première est « celle où les magistratures se donnent à la fortune, on exclut les pauvres quoiqu’ils soient en majorité, mais quoiqu’est arrivé au taux de fortune prescrit et apte aux honneurs »32. Faisant la typologie des formes de gouvernement, il distingue l’oligarchie de l’aristocratie par les objectifs que suivent les détenteurs du pouvoir. Dans les deux cas, le pouvoir est exercé par un groupe restreint. Cependant, les deux gouvernements présentent une différence de taille dans la mesure où les oligarques gouvernent pour leur propre profit, tandis que les aristocrates sauvegardent les droits naturels de tous les citoyens.
D’ailleurs, il conçoit en général ce régime politique comme un système politique dans lequel le pouvoir souverain est exercé par un petit nombre d’individus. Il faut rappeler que la conception contemporaine de l’oligarchie renvoie surtout à la domination des grandes familles industrielles sur la vie politique ou la confiscation du pouvoir par une élite. Ainsi, le tableau synoptique du régime oligarchique ne laisse aucun doute sur son principe de discrimination et d’exclusion des citoyens. La majorité des citoyens constituée de pauvres est exclue de la vie politique. D’ailleurs, les lois établies dans l’oligarchie visent plutôt à renforcer le pouvoir des riches qu’à conserver les droits naturels du peuple vivant dans l’indigence.
En somme, Locke déclare que seul le peuple est le détenteur du pouvoir législatif, du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire qu’il délègue aux gouvernants afin que ces derniers assurent la conservation des droits naturels. Dans sa conception du pouvoir, la monarchie héréditaire, la monarchie élective et l’oligarchie, représentent des régimes politiques vicieux car ils sauvegardent plus les droits naturels des princes et de leurs proches que ceux de la majorité des citoyens. La société politique étant fondée à partir du consentement de tous les citoyens, Locke prône le régime démocratique pour réaliser une meilleure conservation des droits naturels du peuple.
La démocratie
La réflexion sur le régime démocratique a été décisive pendant le siècle des Lumières. C’est durant cette période que le philosophe anglais John Locke, en tant que défenseur de la liberté individuelle va militer en faveur de l’institution d’une monarchie constitutionnelle où le souverain détient son pouvoir du pacte social et non du droit divin.
De ce fait, il peut être détrôné par le peuple lorsqu’il abuse du pouvoir. La préoccupation de ce penseur consiste à réfléchir sur le régime politique légitime qu’il faut instituer pour mieux sauvegarder les droits naturels des citoyens. D’ailleurs, Montesquieu, fondateur de la théorie de la séparation des pouvoir, va militer pour la limitation réciproque des pouvoirs de l’exécutif, du législatif et du judiciaire pour empêcher toute dérive vers l’absolutisme.
En effet, la démocratie est un régime politique où la souveraineté et le pouvoir légitime appartiennent au peuple compris comme l’ensemble des citoyens d’une même nation. Dans sa conception générale, la démocratie favorise une société libre et égalitaire où le peuple a une influence déterminante dans l’invention et l’exécution de la loi. Ainsi, selon Locke, la règle de la majorité est le fondement de la société civile. La démocratie devient la forme de société politique fondée sur le consentement de la majorité. C’est dans ce sens que Locke écrit : « On peut donc dire, originairement, la majorité s’étant unie pour donner des lois à la communauté et nommer des magistrats de son choix afin de les faire appliquer, le gouvernement est, en sa forme, « une parfaite démocratie » »33. Locke montre ici que la démocratie est un régime politique fondé sur la souveraineté du peuple (ensemble des citoyens) élisant librement leurs représentants chargés de voter les lois ou de les faire exécuter.
D’ailleurs, dans la démocratie en tant que système politique, la souveraineté appartient à l’ensemble des citoyens. Ainsi, son principe fondateur est : « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Le régime démocratique se fonde sur la justice, la liberté et l’égalité des citoyens. Autrement dit, il se fixe pour objectif la bonne gouvernance, c’est-à-dire la sauvegarde des droits naturels des citoyens. Dans la démocratie, seul le peuple est souverain et peut déléguer son pouvoir aux dirigeants avec la garantie qu’il sera exercé pour le bien public et la conservation des droits naturels des citoyens.
Cependant, Locke reconnait les limites de la démocratie liées d’une part, à son caractère exclusif et d’autre part, l’égalité de droit masque l’inégalité de fait. En effet, le caractère exclusif de la démocratie déjà soutenu par Platon s’explique par le fait que tous les membres de la société ne peuvent pas s’adonner à la vie politique. Ᾰ titre d’exemples, dans la Grèce antique les mendiants, les mineurs, la classe laborieuse et les femmes qui sont dans un état de dépendance ne font pas partie du peuple. Ils sont considérés comme des sujets sous les lois de l’État et non des citoyens actifs ayant une capacité politique. En réalité, l’égalité de droit fondant la démocratie masque l’inégalité de fait. Cela donne raison à Platon qui défend l’idée selon laquelle la démocratie crée deux cités : celle des riches et celle des pauvres.
Quant à Aristote, il définit la démocratie comme « l’État que les gens libres gouvernent »34. Cette définition met en exergue le critère de sélection pour être un citoyen en démocratie. En comparant la conception lockéenne à celle aristotélicienne, on retrouve de part et d’autre les critères de liberté et d’égalité en démocratie. Ainsi, le caractère exclusif de la démocratie soutenu par Locke se trouverait déjà chez Aristote. En effet, selon lui, les esclaves travaillant pour leurs maîtres sont exclus de la vie politique. Ᾰ ces derniers s’ajoutent les étrangers présumés, les enfants mineurs, c’est-à-dire ceux qui sont sous l’autorité parentale et les condamnés pour des crimes graves. Ils sont exclus du peuple parce qu’ils ne sont pas libres. Ils peuvent travailler pour la cité, mais ils n’ont ni le droit de cité, ni le droit de vote, ni celui d’éligibilité.
En effet, la question centrale que pose toute démocratie réside dans le sens qu’elle donne aux concepts : liberté, égalité. Cette problématique déjà abordée par Aristote, Locke, Rousseau, etc., sera profondément explicitée par Alexis De Tocqueville dans son ouvrage intitulé : De la démocratie en Amérique. Selon Tocqueville, « La démocratie est l’expérience politique de la « révolution sociale » laquelle est très largement dans son esprit la révolution de l’égalité »35. Ce qui intéresse Tocqueville en démocratie, c’est le lien qui existe entre la démocratie sociale et celle politique. La démocratie politique ayant comme principe général la « souveraineté du peuple » est la forme que prend l’égalité sociale. D’ailleurs, cette forme n’est rien d’autre que la liberté même.
Chez Tocqueville, l’égalité et la liberté sont les fondements de la démocratie. Ainsi, la démocratie, considérée comme forme de la liberté politique, n’est que l’expression de l « état social ». Autrement dit, la société civile est la base de la société politique. Tocqueville montre par-là que les lois sociales qui régissent la « société civile », déterminent les lois politiques qui se rapportent à l’État. Dès lors, l’état social d’un peuple doit être saisi selon son rapport à l’égalité qui prime sur le rapport à la liberté. Tocqueville montre ainsi que la démocratie américaine n’est une démocratie politique, c’est-à-dire garantissant les droits naturels (vie, liberté et biens) des citoyens que parce qu’elle est d’abord une démocratie sociale fondée sur l’égalité.
Le pouvoir ne doit pas être séparé de la société. Il doit plutôt être immanent à cette dernière. En d’autres termes, il y a liberté lorsque le pouvoir prend en compte la volonté générale de la société civile. D’ailleurs, cette idée de l’égalité sociale comme condition de la liberté politique a été abordée par Locke et Rousseau avec notamment l’expression « souveraineté du peuple ». L’avantage de la démocratie, selon Tocqueville, n’est pas de garantir la prospérité de tous, mais à assurer le bien-être du grand nombre. Autrement dit, il s’agit d’assurer l’égalité sociale en élargissant la propriété à une classe moyenne de plus en plus large.
Cependant, Tocqueville menant sa réflexion sur l’égalité démocratique, fait la distinction entre l’égalité politique et l’égalité sociale. Les citoyens peuvent être égaux dans la société civile sans l’être dans celle politique (État). Ᾰ titre d’exemple, les citoyens peuvent avoir les mêmes droits dans la société et ne pas avoir les mêmes parts au gouvernement. Tout citoyen est libre de vouloir ceci ou cela dans la société au même titre que son prochain ; mais il n’est pas libre d’occuper la même charge dans l’ordre politique que les gouvernants eux-mêmes.
C’est ainsi que Tocqueville clarifie que lorsque l’idéologie libérale pose le rapport égalité et liberté, elle le pose en terme d’égalité formelle. Cette dernière n’est rien d’autre que l’égalité dans le droit à la liberté, c’est-à-dire le droit de se distinguer et de mettre en œuvre les différences individuelles. D’ailleurs, cette égalité formelle précise Tocqueville, vise la possibilité pour tous les citoyens de jouir des droits politiques et d’accéder à toutes les fonctions, grades et dignités, sans distinction de naissance ou de fortune. Elle se distingue de l’égalité réelle qui porte sur la considération des biens matériels des citoyens.
Ensuite, la pensée de Tocqueville sur les concepts égalité et liberté qui n’est que le prolongement de celles d’Aristote, de Locke, de Rousseau, permet de distinguer des rapports antagoniques entre les deux concepts. En effet, la liberté en tant que capacité de dépassement qui caractérise l’homme est nécessairement source de différences. Or, l’égalisation des chances favorise l’épanouissement d’égalités liées au libre usage des particularités et disparités naturelles. Ᾰ l’inverse, toute tentative d’instaurer l’égalité réelle influence négativement la puissance d’affirmation de soi, à savoir la liberté.
En somme, l’analyse de Tocqueville sur le rapport entre l’égalité et la liberté en démocratie permet de comprendre les difficultés pour les États de garantir à la fois l’égalité réelle et la liberté des citoyens. Cette réflexion de Tocqueville vient étayer les conceptions des philosophes tels que Platon, Locke, Rousseau sur le fait qu’en démocratie, l’égalité cache parfois les inégalités sociales entre les riches et les pauvres.
En effet, la démocratie est fondée sur l’égalité et la liberté des citoyens mais la réalité donne parfois raison à Platon qui conçoit que le régime démocratique crée deux cités notamment celle des riches et celle des pauvres.
Ainsi, si les droits naturels des riches sont bien sauvegardés, en revanche, ceux des pauvres sont bafoués. Par exemple, dans les entreprises, ce sont les pauvres ouvriers qui, par le travail créent des richesses. Cependant, ils n’en jouissent pas car étant exploités, la fortune est toujours la propriété de l’employeur. Cela est contradictoire avec la thèse défendue par Locke sur la propriété des choses. Abordant la question de la propriété, il écrit : « Le travail de son corps et l’ouvrage de ses mains, nous le pouvons dire, sont son bien propre. Tout ce qu’il a tiré de l’état de nature, par sa peine et son industrie, appartient à lui seul […] »36. Après de multiples réflexions sur la question de la démocratie occidentale telle qu’elle est conçue par Locke et celle de l’Amérique inspirée des idées du français Tocqueville, il est aussi important de s’interroger sur la démocratie à adapter aux réalités africaines.
En effet, pour fonctionner, la démocratie suppose un peuple instruit, avec de solides traditions et une éthique collective. Beaucoup de leaders, tant du continent africain que des autres continents, ne cessent d’affirmer que l’Afrique ne devrait pas se limiter à copier une démocratie importée de l’extérieure ; mais plutôt instaurer une démocratie « sur mesure » qui tient compte de ses coutumes et traditions. La démocratie étant considérée comme un idéal, il faut des efforts constants et continus pour se rapprocher de cela. Ainsi, l’adoption du multipartisme en Afrique n’est pas une condition suffisante pour la création de l’idéal démocratique. Il doit être accompagné de la bonne gouvernance, c’est-à-dire une politique respectant les droits naturels des citoyens.
Dès lors, la démocratie authentique ne peut se réaliser en Afrique que dans le respect des droits de l’homme. Autrement dit, il s’agit de valoriser la dignité humaine comme l’a si bien voulu J. Locke qui fut l’un des précurseurs de la démocratie.
Elle ne se limite pas seulement sur le plan politique mais elle doit aussi procurer le bonheur du peuple sur le plan économique, social et culturel. C’est dans ce sens que Michel Doo-Kingue écrit : « La démocratie doit aussi se mesurer à l’indice de satisfaction des citoyens sur le plan économique, social et culturel » 37 . La vraie démocratie doit aussi favoriser l’implication active des citoyens aux affaires de l’État. En d’autres termes, les citoyens doivent être alternativement des gouvernants et des gouvernés comme l’affirmait Aristote. Au contraire, un gouvernement qui marginalise son peuple finit par violer ses droits naturels et perd du coup sa légitimité.
Par ailleurs, des institutions appropriées sont indispensables pour instaurer une démocratie véritable en Afrique. Elles doivent non seulement promouvoir et protéger les droits naturels des citoyens, mais elles doivent aussi favoriser une participation active du peuple aux affaires de la nation. Toutefois, les institutions doivent être dirigées par des dirigeants compétents imbus de valeurs morales. Autrement dit, les gouvernants doivent sauvegarder l’intérêt public. Le tableau synoptique de la démocratie en Afrique donne un bilan sombre dans beaucoup d’États où règne la violation des droits naturels des citoyens. On peut dans le contexte politique actuel citer des pays mal gouvernés comme la Centrafrique, la Guinée Bissau, la Somalie, etc. où les droits naturels des citoyens sont bafoués. En réalité, l’idéal démocratique masque la dictature entrainant comme conséquences l’inégalité, l’injustice, la corruption, le tripatouillage de la constitution. Tout se passe comme si après l’indépendance, l’idéal démocratique a été un prétexte pour remplacer les dictateurs étrangers par des tyrans nationaux dont certains font régner un pouvoir absolu et arbitraire. Ils se détournent véritablement de la démocratie telle que conçue par Locke, Tocqueville et Rousseau.
En somme, le souci politique de Locke dans le Traité du gouvernement civil, milite pour la sauvegarde de la liberté humaine. Cela justifie son combat contre le pouvoir absolu et arbitraire des princes au détriment de la démocratie. Ainsi, sa conception de la démocratie va beaucoup influencer les régimes politiques en Europe, en Amérique, en Asie et en Afrique.
Dans le contexte politique mondial actuel, la démocratie est un régime politique en expansion. Elle est considérée comme le régime qui sauvegarde mieux les droits naturels des citoyens. D’ailleurs, les statistiques de l’organisation non gouvernementale américaine Freedom House donnent des informations sur le progrès de la liberté dans le monde. Le nombre de pays désirant devenir des démocraties réelles est en croissance. Il faut noter qu’il y a aussi une augmentation d’année en année du nombre de personnes qui aspirent vivre en démocratie. C’est dans ce sens que Michel Doo-kingue écrit : « En effet, en 1986, selon Freedom house, 36 ,27% des 4,8 milliards d’individus qui peuplaient notre planète vivaient dans les pays méritant le qualificatif de « libres », contre 32% en 1973 ; 23,29% vivaient dans des pays de semi-liberté, contre 21% en 1973 ; et 40,43% vivaient dans des systèmes totalement répressifs, contre 47% en 1973 »38. Ces statistiques mettant en relief d’une part, l’amélioration des libertés individuelles et d’autre part, la croissance des États démocratiques, s’expliquent par le fait que l’O.N.U. et les organisations nationales ou internationales de défense des droits de l’homme visent constamment à sauvegarder les libertés individuelles dans les États. Autrement dit, dans le contexte politique actuel, aucun État n’a la liberté d’opprimer son peuple sans être exposé à une intervention internationale.
Ainsi la croissance des aires de liberté est notoire dans le monde depuis les années 1990. Cela s’explique par plusieurs facteurs. Il y’a tout d’abord la chute des régimes communistes en Europe centrale et en Europe de l’Est, ensuite le démantèlement de l’Union Soviétique en 1991, et enfin le mouvement de démocratisation qui se manifeste un peu partout dans le monde, y compris l’Afrique. Pour justifier ses propos Michel Doo-Kingue écrit : « C’est ainsi qu’entre 1988 et 1993, le nombre de pays considérés comme libres est passé de 58 à 75 et a même atteint 81 en 1998 »39. Ces statistiques témoignent que la démocratie telle que conçue par Locke a connu des progrès considérables dans le monde entier. Elle est devenue même le régime politique permettant d’évaluer les États de droit. Ainsi le régime démocratique tente de régler le conflit Pouvoir-Liberté en donnant le pouvoir au peuple, c’est-à-dire à tous les citoyens. Cependant, les anarchistes reprochent à la démocratie représentative ou bien une simple délégation, ou bien un renforcement du pouvoir, ou bien un masque du pouvoir. Concernant cette dernière conception de la démocratie, Bakounine affirme que derrière l’État démocratique « se cache le pouvoir réellement despotique de l’État, fondé sur l’État, la police et l’armée »40. D’ailleurs, cette.idée de masque va se retrouver aussi chez les marxistes qui soutiennent qu’en démocratie, l’égalité de droit cache les inégalités de fait, la loi commune est établie pour sauvegarder l’intérêt de la classe dominante.
En somme, le diagnostic des diverses formes de sociétés politiques (monarchie, oligarchie, démocratie) révèle des limites dans la conservation des droits naturels liées d’une part, aux intérêts égoïstes des gouvernants et d’autre part, à la partialité des institutions. Les inégalités sociales engendrées par l’exploitation des pauvres par les riches règnent dans tous les régimes politiques. Cette disparité dans la répartition des ressources de la société politique s’accentue dans le temps car les riches fortifient leurs propriétés tandis que les pauvres s’enfoncent dans la misère profonde. Dans le but de mieux sauvegarder le bien public et les droits naturels des citoyens, chaque État a institué un certain nombre de pouvoirs.
LE POUVOIR
La société politique se caractérise souvent par des contradictions : tantôt elle est marquée par des contestations permanentes des citoyens dont les droits naturels sont mal sauvegardés, tantôt elle fait preuve d’intégration de toutes les formes de contestations et de refus. C’est ainsi que dans la société, certains citoyens constatent la crise de l’autorité, tandis que d’autres pensent à la terreur du pouvoir. Dans tous les cas, le pouvoir utilise à son profit ces forces contradictoires pour gouverner. En d’autres termes, le pouvoir se renforce sans cesse des attaques dont il est la cible dans la mesure où on ne peut envisager de relations humaines sans domination. La définition du pouvoir semble difficile du fait de la multiplicité des formes de pouvoirs. La première distinction porte sur les deux expressions : pouvoir de et pouvoir sur. Le pouvoir de serait donc la capacité, ou la force, d’accomplir certains actes tandis que le pouvoir sur serait la capacité fondée sur une inégalité de statut, ou une différence de force de contraindre un individu ou un groupe. D’ailleurs, le pouvoir paternel tel qu’il est abordé par John Locke, se définit comme le pouvoir égal que la révélation ou la raison accorde de la part de la mère ou du père sur l’enfant. Locke insiste sur l’égalité qui existe entre le père et la mère dans l’exercice du pouvoir parental. L’enfant a le même droit d’obéissance au père et à la mère.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE: LA SOCIÉTÉ POLITIQUE ET SES FINS
I-1 LA SOCIÉTÉ POLITIQUE SE DISTINGUE DE L’ETAT DE NATURE
I-1-1 L’ETAT DE NATURE
I-1-2 LA COMPARAISON ENTRE LA SOCIETE POLITQUE ET L’ETAT DE NATURE
I-2 LES FINS DE LA SOCIÉTÉ POLITIQUE
I-2-1 LES APPROCHES CONCEPTUELLES : LIBERTE, VIE, PROPRITE
I-2-2 LA SAUVEGARDE DES DROITS NATURELS DES CITOYENS
DEUXIÈME PARTIE: LES DIVERSES FORMES DE SOCIÉTÉS POLITIQUES ET LES POUVOIRS DE L’ÉTAT
II-1 LES DIVERSES FORMES DE SOCIÉTÉS POLITIQUES
II-1-1 LA MONARCHIE
II-1-2 L’OLIGARCHIE
II-1-3 LA DÉMOCRATIE
II-2 LE POUVOIR
II-2-1 L’ÉTAT ET LES POUVOIRS
II-2-1-1LE POUVOIR LÉGISLATIF
II-2-1-2 LE POUVOIR EXÉCUTIF ET LE POUVOIR FÉDÉRATIF
II-2-1-3 LE POUVOIR JUDICIAIRE
II-2-2 LE POUVOIR ET LA CONTRAINTE
TROISIÈME PARTIE:LES CONTRADICTIONS DE LA SOCIÉTÉ POLITIQUE
III-1 LES DYSFONCTIONNEMENTS DU POUVOIR LÉGISLATIF ET DU POUVOIR EXÈCUTIF
III1-1 LES DYSFONCTIONNEMENTS DU POUVOIR LEGISLATIF
III1-2 LES DYSFONCTIONNEMENTS DU POUVOIR EXECUTIF
III-2 LA VIOLATION DES DROITS NATURELS
III-2-1 LA TYRANNIE
III2- 2 LA REVOLTE POPULAIRE
CONCLUSION
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