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Une économie-monde halieutique ouest-européenne duale mais précoce
Pour Doumenge, cette économie-monde européenne présente un système spatial dual qui repose en fait sur deux sous-ensembles relativement distincts, tant sur les espèces ciblées ainsi que les lieux de pêche fréquentés (ibid.) (figure 3a). Néanmoins, l’ensemble de toutes ces activités marquent profondément la géohistoire de ces pêches et sont à l’origine de l’essor du secteur ainsi que de la structuration progressive d’un véritable espace halieutique continental.
Le hareng, symbole des foyers scandinaves et anglo-saxons
Si le dynamisme halieutique des peuples scandinaves (norvégien, danois et suédois) et anglo-saxon (anglais, hollandais et allemands) se fonde principalement sur la capture de poissons aptes à la salaison et se combine très tôt avec l’organisation d’un grand commerce au sein même de cette civilisation (ibid.), la grande pêche du hareng fait a fortiori partie intégrante de « l’histoire et de la culture des peuples de la mer du Nord » (Le Bouëdec, 1997).
Durant les XV-XVIe siècles, les efforts capitalistiques dans ce type de pêche s’intensifient tandis que les profits de son commerce déclenchent la quête de fonds halieutiques nouveaux. L’activité harenguière se déplace ainsi de la Baltique et des détroits danois vers les eaux tempérées froides du nord et de l’ouest, « les parages du Spitsberg, de l’Islande, du Groenland, de Terre-Neuve et la mer de Barents [étant] peu à peu annexés au domaine des pêcheries de l’Europe nord-occidentale » (Besançon, op. cit.). Le développement marchand de cette activité notamment en mer du Nord, longtemps l’apanage hégémonique des marins hollandais qui profitent d’un haut degré de productivité dans la collecte de ce poisson (Wallerstein, 1984 ; Chaussade et Corlay, 1998) s’étend assez vite aux pêcheries très actives anglo-normandes qui défrichent à leur tour les fonds hauturiers de cette immense « mer de harengs », entre le sud de l’Irlande, l’Islande et la côte septentrionale de la Norvège (Besançon, op. cit.).
D’un point de vue commercial, le hareng salé demeure avec le sel et le vin l’une des denrées qui donne lieu à des trafics intenses entre les ports exportateurs de la mer du Nord ou de la Baltique (Cazeils, 1997). « Grande affaire du monde médiéval » (Braudel, op. cit.) et « pilier du grand commerce européen » (Besançon, op. cit.), le hareng salé participe à la construction des premiers ports de pêche ainsi qu’à la croissance urbaine de l’Europe du Nord tout en favorisant la montée en puissance d’une bourgeoisie marchande regroupée au sein de la Ligue hanséatique (Chaussade, 1994). Cette pêche au hareng préfigure d’ailleurs le passage « du pêcheur au marin [qui] va alors se lancer dans les pêches lointaines à Terre-neuve ou dans l’océan glacial Arctique pour pêcher la morue ou chasser la baleine » (Le Bouëdec, op.cit.).
Des pêches morutières et une chasse baleinière communes aux deux foyers européens
Conjointement aux « Grandes Découvertes », une des nouveautés majeures du secteur halieutique de la Renaissance réside dans l’expansion des premières grandes expéditions de pêches au large consécutivement aux progrès accomplis dans les techniques de navigation, à l’appauvrissement des eaux littorales européennes ainsi qu’au relatif essor démographique du vieux continent (Besançon, op.cit. ; Chaussade, 1994). Excités par l’appétit mercantile généré autour du hareng, les pêcheurs de l’Occident chrétien41 – du nord de l’Écosse au sud du Portugal – sont amenés à s’écarter des lieux de pêche traditionnels pour se lancer dans l’aventure expérimentale des premières pêches lointaines de grands cétacés (baleine et cachalot) (Cazeils, 2000) mais surtout de la morue. En effet, si ce poisson fait déjà l’objet d’un commerce certain sur les côtes scandinaves au cours des XIe et XIIe siècles, des rivalités d’accès au « gisement » de mer du Nord poussent très tôt certains pêcheurs nord- européens (norvégiens, hollandais, danois, anglais et français) à déployer des opérations furtives et sédentaires de pêche à la « morue sèche » le long des côtes nord-écossaises (des Orcades aux Shetland) puis islandaises. Mais ce sont surtout vers les bancs très poissonneux de Terre-Neuve en Atlantique nord-ouest que les opérations « errantes » – pratiquée à la ligne à la main – se multiplient et s’intensifient pour se transformer au cours du XVIe siècle en une véritable ruée autour de la « morue verte », exploitée par des voiliers (les « harouelles ») immobilisés sur les bancs (Loture, 1994 ; Cazeils, 1997 ; Besançon, op. cit ; Chaussade, 1983).
Une économie-monde halieutique japonaise unitaire mais plus tardive 46
Pour Doumenge, l’archipel japonais sert lui aussi de creuset à une civilisation de la mer, même si l’industrialisation des activités aquatiques (pêche maritime et aquaculture littorale) ne débute réellement selon lui qu’à la fin du XIXe siècle (figure 3b). Le pays bénéficie tout de même d’un environnement géographique des plus intéressants pour les activités de pêche. D’une part, la configuration du territoire nippon avec près de 4000 îles, leur caractère montagneux et volcanique, contribuent à fixer la population sur le littoral et favorise l’émiettement des implantations portuaires ainsi que la dispersion des communautés villageoises. D’autre part, les 27 000 km de côtes, où se rencontrent les courants océaniques chauds (Tsushima et Kuroshio) et froids (Oyashio et Liman) expliquent fortement la richesse exceptionnelle des eaux environnantes. Enfin, la morphologie littorale et sous-marine particulière de l’archipel (système de failles plongeant à plus de 10 000 m à l’est, zone d’effondrement du plateau continental en mer du Japon) explique le développement précoce de la pêche hauturière sur cette façade maritime.
Fort des traditions anciennes de la vie côtière, l’émergence d’un véritable genre de vie halieutique débute dès le Moyen-âge. La consolidation et le développement du « Koduri », ce système halieutique artisan complexe basé sur une infinité de petits métiers », s’organise autour de multiples techniques (lignes, filets maillants, pièges, sennes de plage…) utilisées dans la capture d’espèces variées (sardinelles, anchois, calmars, thons…). La richesse et l’ingéniosité de ces techniques soigneusement élaborées pour répondre à la fois aux exigences du milieu (morphologie littorale et sous-marine, biologie des espèces) se perfectionnent grâce à de nouvelles acquisitions technologiques et débouchent, par effet de convergence, sur des genres de pêche très voisins de ceux des façades européennes. Cependant, en raison de son caractère social relativement marginal, le monde halieutique japonais évolue pendant longtemps en vase clos a contrario de la civilisation européenne47. En effet, le blocage de la pêche japonaise au stade le plus élémentaire de l’artisanat malgré la richesse, la variété et l’efficacité des techniques du Koduri, proviennent de l’impossibilité d’utiliser des embarcations permettant de s’aventurer au large. Ceci empêche donc cette civilisation littorale de s’épanouir en utilisant ses potentialités alors qu’à la même période de nombreux peuples atlantiques européens étendent leur emprise vers des pêches et des chasses maritimes de plus en plus lointaines.
Le « grand désenclavement planétaire » du secteur aquatique
Quand l’halieutique fait sa « révolution »
Si « la planétarisation des activités maritimes est quasiment une réalité à la fin du XVIIIe siècle » (Le Bouëdec, 1997 ; 2002), celle-ci reste majoritairement portée par le champ des grandes pêches lointaines. De fait, cette planétarisation halieutique progressive inscrit ces activités dans un processus de diffusion spatiale à l’échelle de la Terre (Océan) entière sans pour autant que les différents éléments diffusés soient en interrelation (Ghorra-Gobin, 2006). Grâce notamment aux techniques de conservation salicoles, la pêche des poissons hauturiers apparaît déjà à cette époque comme une activité industrielle qui s’exécute à bord même des bateaux ou qui exige l’existence de bases avancées équipées d’installations de transformations des prises (Le Bouëdec, op. cit.). Néanmoins, comme l’observent J. Chaussade et J-P. Corlay, si le hareng de la Baltique ou la morue de Terre-Neuve génèrent « un commerce international actif » (Chaussade et Corlay, 2008), « le développement des pêches, si important qu’il fût [demeure] à la mesure des moyens nécessairement limités des sociétés préindustrielles » (Chaussade et Corlay, 1990). Ce n’est véritablement qu’au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle que ces secteurs aquatiques prennent leur envol et font leurs « révolutions ».
Contrairement aux activités agricoles et d’élevage, ce n’est qu’à partir de la seconde moitié du XIXe siècle qu’apparaissent les premiers signes de domestication des Pdm. En effet, au cours des deux derniers siècles (XIXe–XXe), l’ensemble de la filière halieutique connait d’importantes transformations qui participent à « l’industrialisation de l’océan mondial » (Smith, 2000) ainsi qu’à une intégration progressive des deux civilisations de la mer au sein d’une seule économie-monde, voire d’un seul « Espace Monde » au sens d’O. Dollfus.
Produit par l’humanité dans l’ensemble de ses interactions et interconnexions […], espace de transaction tissé par les échanges et les diffusions de toute nature étendues à la planète Terre », cet espace-monde halieutique s’apparente à un « ensemble d’archipels enchevêtrés, groupe d’îles aux caractères communs, mais dont chaque élément est séparé des autres par des discontinuités » (Dollfus, 1994). En effet, la temporalité et la spatialité dans lesquelles s’inscrivent ces profondes mutations différent selon les secteurs : aux (r)évolutions.
Toutefois, les fortes politiques protectionnistes mises en place au cours des XVIIe et XVIIIe siècles par les grandes puissances européennes contribuent au caractère relativement cloisonné de cette économie-monde. Plusieurs auteurs relatent à ce titre les mesures prises par l’État français afin de protéger ses propres activités : primes de soutien à l’exportation des produits morutiers face à la concurrence anglaise, prohibition des importations de hareng hollandais, etc. (Loture, op. cit. ; Robert-Muller, op. cit. ; Le Bouëdec, op. cit.).
Les progrès technologiques et techniques des « Révolutions agricoles et industrielles » ainsi que les innovations qui en découlent se propagent en décalé au domaine halieutique à partir des années 1880, au travers de ce que Cushing nomme les deux « révolutions » du secteur (cité par Carré, 2004). En effet, la première grande « Révolution Halieutique » ne commence réellement qu’à la fin du XIXe siècle et s’étale sur une cinquantaine d’années (1880-1930) alors que la seconde s’effectue au sortir de la Seconde Guerre mondiale sur une période plus condensée (1950-1970). Ainsi, en l’espace d’environ un siècle, les moyens mis en œuvre pour exploiter les fonds marins deviennent considérables compte tenu des évolutions rapides, saccadées et irréversibles qui se concentrent dans le secteur. Ces changements touchent l’ensemble de la filière, aussi bien les techniques de pêche en amont que la commercialisation du poisson en aval (Chaussade et Corlay, 1998), donnant ainsi aux pêches occidentales et japonaises « l’instrument de leur pleine industrialisation » (Doumenge, 1975).
Une économie-monde européenne au cœur de ces mutations halieutiques
De manière générale, plusieurs auteurs reconnaissent l’importance du « rôle décisif joué par l’Occident, et plus particulièrement l’Europe, en tant que force motrice du développement économique et de modernité » (Landes, 2000), deux caractéristiques intrinsèques au processus de mondialisation. À cette « appropriation de la Terre par l’homme », qui résulte d’une européanisation progressive du monde » et de la diffusion planétaire de ses référentiels pour Moreau-Defarges (op. cit.), un constat similaire peut être fait en matière d’appropriation de la Mer (figure 4a). En effet, de l’intense industrialisation du secteur et de l’expansionnisme géographique qui en résulte, Jean-Paul Troadec décèle par exemple un « parallèle maritime » avec la dispersion et les colonisations terrestres entreprises par ce même foyer européen quelques siècles plus tôt dans le reste du monde (Troadec, 1989). Il ne fait par ailleurs aucun doute pour Besançon que la mondialisation du secteur halieutique demeure « un produit de la civilisation mercantiliste et mécaniste engendrée par l’Europe […] L’exploitation de l’hydrosphère y a subi une évolution parallèle aux progrès de cette civilisation. Sa supériorité est devenue telle à la fin du XIXe siècle que la mise en valeur des eaux de la Terre entière a failli devenir son monopole » (Besançon, op. cit.).
Dès la fin du XIXe siècle, la conjonction de divers progrès techniques – souvent d’origine anglo-saxonne (Hollandais, Allemands et surtout Anglais) – révolutionne les moyens de captures (construction des navires en acier, propulsion à vapeur puis motorisation, etc.) ainsi que les méthodes de pêche (substitution du câble d’acier à celui en chanvre, remplacement des filets de chanvre par des filets en coton, etc.) qui en retour permettent un allongement de la durée des campagnes ainsi qu’un accroissement spectaculaire des prises48 (Besançon, op. cit.). Parmi toutes les innovations qui apparaissent en amont de la production, l’apparition des premiers chaluts anglais dès les années 1875, portés par des chalutiers d’abord à vapeur puis très vite au moteur Diesel – de type Ottertrawl (1894) ou de type Vigneron-Dahl (1922) –,figure sans aucun doute comme l’une des plus importantes. En atteignant quelques 500 à 600 chevaux de puissance sur des unités de plus de 35 m de long, celle-ci permet de tirer des chaluts d’un nouveau type dont les traits par 200 à 300 m de fond ont une productivité bien supérieure au chalut à perche ou au coup de drague d’un dundee, le chargement de quelques dizaines de tonnes de glace réglant le problème de la conservation durant la douzaine de jours de campagne (ibid.).
La révolution des pêches japonaises 49
Au Japon, le profond changement d’ouverture qui intervient avec la révolution du Meiji de 1867 sonne les prémices d’une véritable industrialisation du secteur halieutique, Doumenge soulignant à ce titre la formidable capacité d’adaptation de cette pêche maritime aux conceptions et méthodes occidentales. Les Japonais se montrent très vite aptes à saisir « toutes les occasions favorables à un enrichissement technique » qui permet la colonisation de rivages et l’exploration de champs de
pêche et de chasse de plus en plus lointains, « jusqu’à embrasser la totalité de l’océan mondial ».
L’instauration d’un nouveau système politique, social et économique permet en effet à la pêche littorale artisanale de sortir de son carcan et de se libérer « des multiples contraintes et servitudes du rivage ». Dès lors, « en une génération, le milieu hautement spécialisé des pêcheurs artisanaux japonais [donne] naissance à une élite dynamique apte à se lancer dans la grande pêche au large et n’hésitant pas à recourir à des expéditions lointaines » (figure 4b). L’exploitation de toutes les ressources biologiques maritimes apparaît comme une nécessité, d’autant plus que des débouchés lucratifs s’offrent sur le plaintérieur (engrais agricoles50) et extérieur (produits de qualité). De 1880 à 1920, la pêche littorale japonaise profite d’un accroissement considérable des prises qui se conjugue à un élargissement du champ d’exploitation, l’apport de nouveaux engins fixes de capture comme les grands pièges côtiers (sardines, harengs) ou bien encore les filets au large et en profondeur (thons, sérioles, saumons) n’étant pas étranger à cette rapide expansion du secteur. Pour répondre aux exigences et aux nécessités technico-financières d’une exploitation de plus en plus intensive, la priorité est donnée à l’amplification des moyens de production dans tous les domaines – de la puissance des navires aux capacités de stockage –, accélérant ainsi le passage d’une économie des pêches de subsistance autarcique à une économie halieutique de marché.
L’exploitation des ressources échappe alors peu à peu au ressort des communautés littorales au profit de puissantes entreprises aux mains de capitaux extérieurs, confirmant le fait que c’est bien « par le biais de la pêche spéculative que le capitalisme industriel et commercial s’est introduit dans le monde de la pêche côtière japonaise » (Doumenge, 1975). Au cours des deux décennies suivantes, la modernisation du secteur se poursuit : motorisation de navires encore plus puissants, compétitivité de la construction navale, équipages toujours plus nombreux, etc. L’impérialisme politique et l’expansionnisme économique national favorisent l’essor d’une grande pêche industrielle, au point de doubler la production au cours de ces décennies. Cette production s’appuie sur une mise en valeur intensive des ressources marines (harengs, saumons, crabes, baleines, etc.), des eaux du Pacifique nord et de ses mers bordières (Okhostk et Béring) aux eaux antarctiques, balayant également toutes les îles de l’archipel des Kouriles ainsi que celles plus au sud de Sakhaline tout en explorant les côtes de l’Alaska et l’archipel des Aléoutiennes (Doumenge, 1965 ; 1984).
Cette logistique moderne, efficace et performante, trouve une belle illustration dans l’utilisation des grands bateaux-usines, ces navires de plusieurs milliers de tonnes servant directement sur les lieux de pêche de base flottante pour l’avitaillement, le stockage et la transformation des captures (conserve de saumons et de crabes, traitement de cétacés, etc.) avant leur commercialisation ultérieure. L’activité de puissantes sociétés privées, encouragée par la politique volontariste de l’État, englobe ces pêches lointaines dans une organisation économique intégrée à d’autres secteurs d’activité (alimentaires, chimiques, etc.) dotée d’un solide réseau commercial à l’échelle internationale. Aussi, dans l’immédiat avant-guerre, se trouve déjà en germe l’évolution de tous les caractères qui vont concourir à l’industrialisation du secteur japonais dans son ensemble à partir des années 1950 (cf. section 1.2.2.2).
Ainsi, à l’orée de la Seconde Guerre mondiale se matérialise une véritable économie-monde halieutique, née des échanges entre les deux centres halieutiques majeurs d’Europe et du Japon (principalement par diffusion des progrès techniques), et auxquels sont progressivement intégrées de multiples périphéries d’exploitation et de commercialisation au fur et à mesure des découvertes et des expéditions entreprises par ces deux civilisations maritimes. Loin de traduire un repli ou « une rupture de dynamique » au sein du processus de mondialisation (Bénichi, 2003), des signes d’interdépendance et d’unité de plus en plus prégnants du monde aquatique se font ressentir comme autant de « vecteurs pertinents de mondialité » (Arrault, 2007b). La seconde vague d’innovations qui apparaît au début des années 1950 et qui s’étend à l’ensemble des océans et des mers du monde (Chaussade et Corlay, 1998) contribue par ailleurs à une fusion progressive des économies-monde halieutique en une seule économie-monde de plus en plus intégrée (Carroué, 2002) qui, en développant des structures sur l’ensemble de l’espace planétaire, contribue à l’émergence progressive d’un véritable système-monde aquatique.
D’une économie-monde halieutique aux prémices d’un système-monde océanique
La vague de révolutions qui touchent l’ensemble des activités aquatiques à l’orée des années 1950 entraînent de profondes mutations au sein d’une économie-monde halieutique devenue système-monde. Ainsi, à une dynamique générale d’expansion de l’humanité à la surface de la Terre succède progressivement une phase d’intensification de ses modes d’occupation (Cohen, 2002), ce qui n’est pas sans générer de fortes réactions d’autodéfense des États face aux prémices d’une globalisation aquatique.
Une vague de révolutions qui touchent l’ensemble des activités aquatiques
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la nouveauté du secteur halio-aquacole réside dans l’envergure et l’intensité de son exploitation, sans commune mesure avec ce qu’elle était auparavant. Sur le segment halieutique, le nouvel usage confiné au « poisson industriel » (Corlay, 1980) et la révolution du froid en matière de conservation des Pdm contribuent majoritairement à cet essor exceptionnel. De son côté, le segment aquacole entame une profonde « révolution bleue » au cours des années 1960 qui participent également à cette augmentation massive du volume productif.
Les « vingt glorieuses51» de l’halieutique ou la seconde révolution du secteur
partir des années 1950, le secteur halieutique décolle littéralement à l’échelle mondiale, les captures marines triplant quasiment en l’espace d’une vingtaine d’années passant ainsi d’environ 20 Mt. à la fin des années 1940 pour atteindre quasiment les 70 Mt. au début des années 1970. Plusieurs facteurs sont invoqués pour expliquer une expansion de la production sans précédent dans l’histoire des pêches qui s’apparente pour beaucoup à une « seconde révolution industrielle » du secteur (Chaussade et Corlay, 1990 ; Carré, 2004). Parallèlement à un certain nombre d’innovations techniques qui accroissent l’efficacité des navires et des engins de capture (mise au point du chalut de surface pélagique, diffusion de la senne coulissante, mécanisation du relevage des filets par « power block », etc.), font écho une demande en protéines marines croissante ainsi qu’un élargissement du marché de consommation en Pdm, consécutivement à l’explosion démographique ainsi qu’à la forte croissance de la population urbaine. Néanmoins, pour ces géographes, deux nouveaux usages halieutiques se retrouvent principalement à l’origine des « vingt glorieuses » que connait le secteur au cours de cette double décennie.
L’essor de nouveaux usages halieutiques (1) : les pêches à finalité industrielle
Dans les faits, le quasi quadruplement des captures halieutiques demeure très largement imputable à l’envolée considérable des « pêches à finalité industrielle » (Carré, 2006). Ce segment offre en effet un nouveau débouché aux petits pélagiques (anchois, harengs, maquereaux et autres sardinelles), qui, non directement consommés par l’Homme, servent de matière première à des industries qui tirent du traitement de ces poissons et de leurs résidus (tête, peau et viscères) des substances dérivées qui entrent ensuite comme additifs dans la fabrication de divers produits industriels (savon, glycérine) ou alimentaires (farines et huiles de poisson). Si cette production reste relativement marginale et confinée à quelques producteurs52 du début du XIXe siècle jusqu’à la mi-XXe siècle, les années 1950 apportent des changements profonds de nature et d’échelle dans la fabrication de sous-produits avec l’apparition de la pêche de poissons entiers à usage industriel. La production minotière s’envole littéralement à partir de 1955 pour atteindre les 25 Mt./an au début de la décennie 1970, absorbant jusqu’à 40 des captures mondiales annuelles, pour répondre notamment aux besoins croissants de l’élevage intensif d’animaux domestiques des pays développés (Carré, 2006 ; 2008). L’intensification de l’exploitation d’espèces « traditionnelles » comme l’anchois péruvien, le menhaden de Louisiane ou bien le hareng nord-européen, conjuguée au recours d’espèces « nouvelles » et peu utilisées (lançon, tacaud norvégien, capelan, merlan bleu, sprat, etc.) contribuent assurément au décollage de ce segment halieutique (Carré, 2004) tout en favorisant l’émergence d’un puissant complexe « halio-industriel exportateur » (Corlay, 1980). Telle fut l’origine du formidable essor de la pêche péruvienne qui, entre 1966 et 1970, se spécialise dans une monoproduction industrielle fondée sur l’exploitation d’une espèce très abondante – l’anchois du Pérou –, permettant au secteur halieutique national de se hisser au premier rang des grands pays producteurs mondiaux (Carré, 2008). Corlay note également un même privilège de situation » en mer du Nord pour le secteur minotier danois qui exploite depuis les années cinquante une « gamme variée de poissons industriels », cette « matière première de masse » contribuant même jusqu’aux trois quarts du volume national à la fin des années soixante-dix (Corlay, 1980).
L’essor de nouveaux usages halieutiques (2) : la conservation par le froid
De nombreux auteurs rappellent que « les formes et les dimensions des espaces de distribution dépendent étroitement des systèmes de mises en marché des Pdm » (Chaussade, 1999b). En effet, ces produits constituent une denrée très périssable dont les aires de capture et de distribution à l’état frais ont traditionnellement été circonscrites à des régions proches des ports de débarquement (Carré, 1998a). Si pêcheries et marchés de proximité ont été longtemps la règle, les populations littorales ont cherché à rallonger les délais de consommation tout en élargissant les zones de production ainsi que les marchés de distribution. Les premiers moyens de conservation s’apparentent à des techniques ancestrales et traditionnelles (photographies 7 et 8) basées sur la cuisson et/ou la déshydratation des chairs (séchage, salage, fumage, saurissage, décomposition prédigérée53), opérations destinées à ralentir l’activité des micro-organismes dans le processus de décomposition bactérienne et de rancissement des chairs (Chaussade, 1994 ; 1997 ; Martin, 2009).
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Table des matières
NTRODUCTION GENERALE
PARTIE 1 – DE LA MONDIALISATION A LA GLOBALISATION HALIO-AQUACOLE
CHAPITRE 1 : UNE GEOHISTOIRE DES MONDES AQUATIQUES A DOMINANTE HALIEUTIQUE
CHAPITRE 2 : LA STRUCTURATION DU SYSTEME-MONDE AQUATIQUE SOUS L’ERE DE LA GLOBALISATION
CHAPITRE 3 : DES ACTIVITES HALIO-AQUACOLES DANS « LA MER DE L’AVIDITE » ? LES DYSFONCTIONNEMENTS GEOGRAPHIQUES DE LA GLOBALISATION AQUATIQUE
PARTIE 2 – LES DIMENSIONS SPATIALES DE L’ALTERMONDIALISATION HALIEUTIQUE
CHAPITRE 4 : LES ALTERMONDIALISTES DE L’HALIEUTIQUE, UNE GALAXIE D’ACTEURS MILITANTS
CHAPITRE 5 : LES STRATEGIES SPATIALES DE L’ALTERMONDIALISME HALIEUTIQUE
CHAPITRE 6 : LES DYNAMIQUES SPATIALES DE L’ALTERMONDIALISATION HALIEUTIQUE
PARTIE 3 – ECHELLES SPATIALES ET DURABILITE DE LA FILIERE HALIEUTIQUE
CHAPITRE 7 : DES ESPACES DE PRODUCTION EN QUETE DE GESTION DURABLE
CHAPITRE 8 : DES ESPACES DE DISTRIBUTION EN QUETE DE RESPONSABILISATION
CHAPITRE 9 : LES ECHELLES DE REGULATION DURABLE DU MONDE HALIO-AQUACOLE.
CONCLUSION GENERALE
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