Les dimensions de l’organisation du travail et leur évolution

Les dimensions de l’organisation du travail et leur évolution

La description des dimensions de l’organisation du travail participe d’un programme de la théorie des organisations qui a mobilisé un grand nombre de chercheurs proche des sciences de la gestion (des «business schools » en Angleterre et aux Etats-Unis) dans les années 60. Il s’agit des théories de la contingence structurelle qui s’inscrivent dans le prolongement des théories behavioristes. Dans une première section, nous reprenons tout d’abord le recensement des dimensions structurelles des organisations qui ont été proposées par ces théories. Puis nous détaillons la description des changements qui affectent ces dimensions telle qu’elle ressort du discours managérial et du débat public.

Les sciences du management, le discours gestionnaire et le débat public

Les dimensions de l’organisation du travail

Les théories behavioristes de l’organisation (Cyert et March, 1963 ; March et Simon, 1947) ont approfondi la vision d’ingénieur développée par les hommes de terrain comme Taylor (1911), Fayol (1916) ou Barnard (1938) qui ont les premiers tenté de rationaliser le fonctionnement interne de l’entreprise. Elles développent une vision fonctionnaliste et adaptative de l’entreprise qui se prolonge dans les théories de la contingence structurelle (Blau et Scott, 1962 ; Woodward, 1965 ; Laurence et Lorsh, 1967 ; Thompson, 1967 ; Galbraith, 1973 ; Mintzberg, 1981 pour ne citer qu’une partie de ces travaux).

La théorie de la contingence structurelle est particulièrement intéressante ici car elle développe une problématique qui n’est pas très éloignée de celle qui anime les modèles théoriques que nous allons présenter dans la partie II et elle a une ambition quantitative. Les théories de la contingence structurelle se sont développées en réaction aux théories selon lesquelles il existait un « one best way » organisationnel (Louche et Maurel, 1992). En effet, à la fin des années cinquante, comme le décrit très bien Chandler (1990), les entreprises sont devenues des organisations complexes et elles affrontent de nouveaux problèmes de gestion. L’approche contingente décrit comment le choix des variables structurelles pour la conception d’une organisation dépend d’une ou de plusieurs variables de contexte appelés «facteurs de contingence ». Ainsi, Woodward (1965) ana lyse le rôle de la technologie, Blau (1970) celui de la taille, Laurence et Lorsch (1967) celui de l’environnement extérieur de l’entreprise et Pugh et alii (1968) réalisent une analyse multivariée qui deviendra connue sous le nom de programme d’Aston, du nom de l’université où ce projet trouva son premier ancrage.

Le programme d’Aston a pour objectif de découvrir la manière dont les entreprises structurent leur activité, de vérifier s’il est possible de mettre au point une méthode statistique valide afin d’identifier les différences structurelles entre les organisations et d’examiner les contraintes que le contexte de l’organisation impose sur sa structure. Selon Mintzberg (1981), la structure d’une organisation rassemble l’ensemble des moyens utilisés pour diviser le travail entre tâches distinctes et pour assurer la coordination entre ces tâches.

Selon Pugh et alii (1969b), les structures organisationnelles peuvent être décrites au travers de cinq dimensions : la spécialisation, la standardisation, la formalisation, la centralisation et la forme structurelle. Chaque dimension est mesurée au moyen d’une batterie de questions. Les réponses associées à ces questions servent à construire des variables d’échelle qui permettent d’identifier le « degré » de chacune des dimensions choisies par l’entreprise après qu’elle ait confronté le coût et les avantages associés aux différentes alternatives possibles. La spécialisation décrit le degré selon lequel les activités d’une organisation sont divisées en rôles spécialisés. Les questions qui mesurent la spécialisation fonctionnelle portent sur l’existence dans l’entreprise de travailleurs spécialisés dans la vente, les achats, la R&D, la formation, la maintenance, etc.

La standardisation de la structure organisationnelle traduit l’importance des règles et procédures régissant le fonctionnement de l’organisation. Cette caractéristique précise dans quelle mesure les activités des membres de l’organisation sont prévues et rationalisées. Par exemple, si le contenu des tâches est précisément défini, s’il y a un suivi détaillé des coûts ou si des stratégies sont déterminées pour l’orientation de la recherche, du marketing etc., le degré de standardisation est élevé.

Le degré de formalisation est déterminé par la propension de l’entreprise à mettre par écrit les instructions, les procédures ou les consignes. Une entreprise où la formalisation est importante a un règlement intérieur écrit, une plaquette qui présente ses produits et / ou ses activités, un organigramme officiel, des profils de postes écrits, etc. Une entreprise est parfaitement centralisée lorsque tout le pouvoir de décision se trouve dans les mains du sommet stratégique. Le degré de centralisation est évalué par l’identification du niveau hiérarchique qui a l’autorité formelle pour prendre les décisions concernant les achats, les prix des produits, l’agencement des bureaux, l’ouverture d’implantations commerciales, le règlement des incidents, etc. Le degré de centralisation décrit donc la répartition du pouvoir dans l’organisation.

La forme structurelle est déterminée par trois variables : la longueur de la chaîne de décision ou la hauteur de la hiérarchie, l’étendue du contrôle des responsables hiérarchiques et le poids numérique des fonctions de support. Mintzberg (1981) ajoute deux autres «paramètres de conception » à des cinq dimensions : les systèmes de planification et de contrôle et les mécanismes de liaison. Les systèmes de planification et de contrôle donnent un cadre d’ensemble au fonctionnement de l’entreprise. La planification regroupe tous les dispositifs de gestion prévisionnelle (des commandes, des achats, des emplois etc.), tandis que le degré de contrôle dépend des mécanismes qui encadrent, surveillent, mesurent l’effort déployé pour atteindre les objectifs planifiés. Les mécanismes de liaison, enfin, encouragent le contact entre les individus pour assurer une meilleure coordination, même si elle nécessite de court-circuiter la hiérarchie : contacts directs entre les cadres, groupes de projet ou comité permanent, système de messagerie, etc.

L’évolution de la structure organisationnelle des entreprises 

A la fin des années quatre-vingts, la description des changements dans l’organisation du travail a d’abord pris appui sur des études de cas et sur des ouvrages de management pratique destinés aux chefs d’entreprise. Le modèle qui était alors dans toutes les têtes était japonais. Nous avons déjà cité l’ouvrage de Ohno, publié en français en 1990. Le petit livre de Riboud (1987), président de BSN et retraçant la modernisation de ce groupe était aussi largement cité à l’époque. Parmi les ouvrages de consultants, celui de l’américain Hall (1989) sur « l’excellence industrielle » fut un «best seller ».

Dans ce nouveau modèle de management, un ensemble de pratiques sont présentées comme interdépendantes : celles qui permettent de garantir un niveau de qualité élevé, celle qui permettent d’utiliser à la fois un minimum de ressources et de temps et celles qui favorisent l’investissement intellectuel de tous les travailleurs dans l’amélioration et le bon déroulement du process. Ces trois ensembles de dispositifs sont connus sous les termes de démarche de qualité totale (« Total Quality Management » ou «TQM »), de système de production en juste à temps ou en flux tendus (« just-in-time production system ») et de dispositifs d’implication des travailleurs (« employee involvement practices »).

A quels changements dans les dimensions du travail listées dans la section précédente correspondent cet ensemble de pratiques ? Les observateurs soulignent tout d’abord une rupture fondamentale avec le taylorisme. Il s’agit de remplacer le principe taylorien «un homme, un poste de travail aux tâches standardisées » par un principe centré sur le collectif de travail de type « un groupe qui assure une production ». Dès lors, la coopération entre travailleurs collectivement responsables d’un ensemble de tâches est privilégiée.

Ce changement traduit aussi une décentralisation des décisions opérationnelles vers la main d’œuvre directe. Comme l’indique Hall (1989) dans son tableau (tableau 1.1), « l’implication des hommes » se traduit par une responsabilité à la source. Au sein du groupe collectivement responsable, les travailleurs ont plus d’autonomie et sont incités à développer leur activité cognitive. Une atmosphère de résolution des problèmes doit être favorisée afin qu’un processus permanent d’amélioration se mette en place et que les problèmes soient dans la mesure du possible anticipés .

La spécialisation des rôles est elle aussi remise en cause à la fois par une polyvalence plus grande demandée aux travailleurs directs et par une intégration des fonctions assurées par les différents services de l’entreprise au moyen d’un développement des liaisons transversales. Les travailleurs directs ne sont plus spécialisés dans l’activité de production, ils doivent aussi participer aux fonctions «maintenance », «qualité », «méthodes », «études » en devenant des observateurs privilégiés des multiples facettes du processus productif. Par ailleurs, des groupes transversaux rassemblant des représentants des services fonctionnels de l’entreprise doivent réfléchir aux moyens de développer des synergies bénéficiant à la production.

Le système de planification de l’entreprise est modifié car le juste-à-temps implique une tension des flux par l’aval plutôt que par l’amont. Ce n’est plus le sommet hiérarchique qui planifie la production sur la base de ses anticipations, quitte à générer des stocks aux différentes étapes du processus de production, ce sont les commandes qui déclenchent directement la production. Si le système de planification est remis en cause, le système de contrôle l’est aussi. L’autonomie plus grande des groupes de travailleurs directs permet un ajustement rapide aux exigences du marché mais il rend l’évaluation du travail plus difficile.

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE I : LES CHANGEMENTS ORGANISATIONNELS : LES MANAGERS, LES SALARIES ET LA STATISTIQUE
A. Les dimensions de l’organisation du travail et leur évolution
1. Les sciences du management, le discours gestionnaire et le débat public
a) Les dimensions de l’organisation du travail
b) L’évolution de la structure organisationnelle des entreprises
2. La mesure statistique des dimensions du travail et de leur évolution dans l’industrie 87-93
a) La statistique d’entreprise : le triangle technologie, organisation et compétences
(1) Logique offensive et défensive de réorganisation ne s’opposent pas forcément
(2) L’allocation des responsabilités au sein de l’atelier et son évolution
(3) La production se rapproche des autres services, des clients et des fournisseurs
(4) Groupes de travail, équipes autonomes et baisse des niveaux hiérarchiques
(5) L’accroissement des compétences requises et la formation
(6) Les changements technologiques : automatisation et informatisation
b) La statistique des salariés : autonomie et contraintes
(1) Les réseaux de communications
(2) Autonomie et contraintes
(3) Intensification du travail
(4) Technologies
c) Autres enquête statistiques sur l’organisation du travail : une comparaison
(1) Une autre enquête française : l’enquête REPONSE
(2) Les enquêtes américaines
(3) Au Canada, en Scandinavie et en Europe
B. Les changements du modèle industriel
1. Trois typologies d’entreprises
a) Un point de vue des sciences de la gestion : Mintzberg
b) L’économie des conventions et les modèles d’entreprise
c) L’économie de la régulation et la crise du modèle productif
2. Une exploration empirique sur l’industrie française
a) Les ouvriers caractérisent les entreprises industrielles
(1) De l’organisation des postes de travail ouvriers
(2) …à l’organisation de l’entreprise
b) Les managers et la configuration organisationnelle de l’entreprise industrielle
(1) Une variable à part sur les changements technologiques
(2) Les changements organisationnels et de compétences
CHAPITRE II : A LA RECHERCHE DE THEORIES DE LA FIRME ET DE L’ORGANISATION DU TRAVAIL
A. Les théories conflictuelles de la firme
1. L’économie des contrats
a) Information imparfaite et opportunisme des agents économiques
b) Droits de propriété, agence et contrats incomplets : opportunisme et rationalité parfaite
c) Théorie des coûts de transaction : opportunisme et rationalité limitée
2. Deux autres fonctions pour les responsables hiérarchiques
a) Equipe, inséparabilités technologiques et savoir productif chez Alchian et Demsetz
b) La critique de Williamson
c) Leibenstein et la « X-[in]efficiency »
3. La filiation marxienne : diviser le travail pour régner
a) Que font les chefs ?
b) De la domination au « monitoring»
c) Savoir et pouvoir
B. Les théories coopératives de la firme
1. Un cadre d’hypothèses heuristique : la rationalité limitée et la coopération
a) Des fondements pour le comportement coopératif
b) L’hypothèse de rationalité limitée
(1) Les différentes rationalités limitées
(2) Les limites de la rationalité calculée ou le coût des activités cognitives
(3) Arbitrer entre la qualité et le coût de l’information
2. Travail en équipe, coordination des tâches et compétence organisationnelle
a) Rationalité limitée et avantages du travail en équipe
b) L’organisation comme dispositif de coordination
c) L’organisation comme dispositif cognitif
ANNEXE I.1 : L’ENQUETE CHANGEMENT ORGANISATIONNEL
ANNEXE I.2 : L’ENQUETE TOTTO
CHAPITRE III :LA THEORIE DES EQUIPES : DECENTRALISATION DE L’INFORMATION ET PROCE SSUS DE GESTION INTERNE
A. Structures d’information et formes organisationnelles élémentaires
1. L’organisation du poste de travail
2. L’organisation de l’équipe
B. Le problème de l’équipe et son mode de résolution
1. La sélection des formes organisationnelles
a) L’articulation d’un service de production et d’un service de marketing
b) Structures d’information centralisées ou décentralisées
c) Structures d’information identiques ou différenciée chez Crémer
2. Deux tentatives pour décrire et expliquer les hiérarchies à partir de la théorie de équipe
a) Quel est le bon nombre de services de la forme multidivisionnelle ?
b) Comment choisir les responsabilités des managers au sein des hiérarchies
CHAPITRE IV : THEORIES DU TRAITEMENT DE L’INFORMATION : DECENTRALISATION DU TRAITEMENT DE L’INFORMATION ET PRISE DE DECISION GLOBALE
A. Un modèle de référence : la hiérarchie
B. Organiser la décision pour maîtriser la faillibilité humaine
1. Différentes règles de décision ou architectures
2. Le modèle de base de Sah et Stiglitz
3. Les extensions du modèle de base
C. Organiser la décision pour maîtriser la perte de contrôle
1. Beckmann et Williamson : la perte de contrôle comme donnée technologique
a) Un cadre de trois hypothèses
b) La perte de contrôle des managers
2. La perte de contrôle comme produit du processus de supervision
a) Modèle à main d’œuvre homogène
b) Main d’œuvre hétérogène et asymétrie de la distribution des salaires
D. Organiser la décision pour maîtriser le temps
1. Le modèle de base : traitement de l’information en « batch »
a) Inscription du processus de production dans le temps et perte de contrôle
(1) Hiérarchie régulière et délai de traitement de l’information
(2) Traitement parallèle, traitement séquentiel, temps et supervision
b) La hiérarchie des automates
(1) Les hiérarchies efficientes sont-elles régulières ?
(2) Quelle est l’efficience d’une hiérarchie régulière ?
2. L’extension du modèle de base au traitement en temps réel
a) Le réseau efficient en « batch » permet-il de tenir la cadence ?
b) Réseau stationnaire et spécialisation
CONCLUSION

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