La planète entière se rétrécit d’année en année en un « village global » où les destins humains se croisent. Les produits, les capitaux, les modes, les informations, les technologies … passent les frontières, sous-tendent et activent les flux humains. Entre la demande et l’offre, les migrations, les interactions économiques mais également politiques, sociales et culturelles, etc., deviennent mondiales et de plus en plus incontrôlables comme le souligne Robert REICH (1993) : « L’argent, la technologie, l’information, les marchandises franchissent les frontières avec une rapidité et une facilité sans précédent. Les coûts de transport et des télécommunications dégringolent. Dans la plupart des pays industrialisés les transports des capitaux ne sont plus contrôlés. Même les drogues, les immigrants pénètrent dans les pays développés et les armes secrètes en sortent malgré les efforts des gouvernements » .
A l’heure de la mondialisation dans laquelle nous pouvons évoquer l’«hypermodernité » qui veut dire que chaque instance du social nécessite un accès important à la modernité et l’emploi abusif de celle – ci, les culturalités traditionnelles semblent se trouver dans une position critique. Les gens semblent accorder plus d’importance à posséder certains biens ou à se positionner sur un certain piédestal dans la société. Ce sont des choses qui n’ont rien de problématique en soi, mais ce qui peut attirer la curiosité c’est que les anciennes pratiques tendent à s’effacer, pour des valeurs étrangères et non maitrisées. Nous pouvons remarquer ces faits de façon générique dans le microcosme social africain actuel. Cependant comme l’a dit Mao Tsé Tong : « pas d’enquête, pas de droit à la parole » (Mao Tsé Tong : 1976), il nous faut opérer une exploration de ce qui se vit à l’intérieur du social pour pouvoir en rapporter les réalités.
Les dimensions de l’esthétique dans le monde
Plusieurs voies s’offrent à celui qui cherche à comprendre comment à un moment donné de son histoire personnelle, telle ou telle personne en vient à s’insérer dans une pratique culturelle particulière. La plus connue consiste à tenter d’identifier diverses variables de nature sociodémographique permettant d’expliquer notamment les tendances, les taux de pratiques et les écarts moyens. Sans qu’il s’agisse ici d’une critique véritable, nous pensons que de tels travaux ont une portée descriptive et que l’on a atteint un certain point de saturation dans ce type d’étude. Voilà pourquoi nous voulons adopter un regard différent dans notre approche théorique concernant l’esthétique.
Approche socio-historique de l’esthétique
L’esthétique (du grec aisthesis, « sensation »), est avant tout une branche de la philosophie qui a pour objet l’étude du beau, son essence et sa perception. Elle porte également sur la question de savoir si le beau est objectivement présent dans les choses ou s’il est une qualité que l’esprit attribue aux objets.
La question de la colonisation
Il revient sans doute à l’historien d’explorer dans ses moindres rouages l’histoire de la colonisation, une histoire qui a duré des siècles et qui a fait l’objet ou a été à l’origine de maints concepts référentiels à des théories contemporaines dans diverses disciplines comme l’anthropologie, l’histoire, la géographie, la sociologie, etc. Il s’agit par exemple des couples, dominant-dominé, colonisateur-colonisé, développé-sous développé… La colonisation de l’Afrique et l’impérialisme européen ont été l’occasion d’un partage de ce continent et pendant des siècles le peuple noir a connu des maîtres, des redresseurs, des tyrans… selon les espaces.
« Le colonisé et son âme »
L’esclavage est un mode extrême et totalitaire d’exploitation et de domination d’individus par d’autres (COTTIAS:2007). Son histoire a laissé bien des séquelles dans les esprits du peuple colonisé et notamment du peuple noir. En effet selon FERRO et al il a été » un instrument essentiel de l’infériorisation d’une partie de l’humanité…. La spécificité des Européens, c’est d’avoir statué que seuls les Noirs pouvaient être asservis. Dès lors le noir devenait un inférieur pour ceux qui le mettaient en esclavage ».
Dans toute société, et dans toute socialisation il est difficile d’échapper à l’intériorisation des valeurs dominantes (WEBBER:1967). C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre cette affirmation d’idée émanant du XXème siècle:
<< L’intériorisation des normes et des codes est si absolue que l’individu oublie les sources sociales de ses conduites, de ses pensées et de ses sentiments profonds>> .
Ensuite l’infériorité du Noir est mise en évidence à travers le concept de l’assimilation qui n’a pas pu être créé sans affirmation manifeste ou latente de celui de l’infériorité, de l’avilissement. Et c’est dans ce sens que nous comprenons cette affirmation de BOUILLON: » la différence ici prétendument niée a été réellement produite, ne serait-ce que pour asseoir le thème de l’assimilation. Il fallait, pour le produire et l’imposer, édicter une différence, et une différence propre à être consommée. L’assimilation et la négation des différences caractérisent peut être l’attitude de l’occidental manipulée par sa culture, elles ont aussi été l’idéologie explicite de la réduction des écarts et, donc d’une différence réductible ».
L’assimilation est la politique coloniale visant à limiter au maximum les différences entre la Métropole et les colonies dans le but d’en faire de « petites Frances ». D’abord territoriale (comme le montre la ratification, par la constitution de 1848, de la départementalisation de l’Algérie), l’assimilation devient aussi rapidement politique, fiscale, économique, puis culturelle avec toutes les conséquences que l’on connait.
Le Noir a eu peur et a toujours peur. Selon FANON , il ne suffit pas de décoloniser les espaces pour décoloniser les esprits. Pour lui, l’infériorisation du noir a tellement été ancrée que par conséquent ce peuple est resté aliéné culturellement: » (…) dans la situation coloniale, le dynamisme est remplacé par une substantification des attitudes. (…). Tous les efforts sont faits pour amener le colonisé à confesser l’infériorité de sa culture transformée en conduites instinctives, à reconnaître l’irréalité de sa nation et, à l’extrême, le caractère inorganisé et non fini de sa propre structure biologique ».
A cela s’ajoute l’argumentation de l’histoire de la civilisation dans le monde et notamment du relativisme culturel. Pour CESAIRE << Chez l’anglais, le racisme coexiste avec une conception de l’homme et le respect de la personnalité de l’autre, ce qui fait qu’il y a eu beaucoup moins d’assimilation dans les colonies anglophones que dans les colonies françaises. Les français ont cru à l’universel, et pour eux, il n’y a qu’une seule civilisation: la leur>>.
La civilisation suppose une conformité aux usages considérés comme universels. Elle suppose une non déviance et surtout une parfaite accommodation dans un moule quelconque. Cependant, « Une civilisation universelle ne peut être qu’une civilisation du dialogue, faute de quoi, l’univers humain éclaterait; et le dialogue n’est possible que si toute partie, toute civilisation, se refuse à prétendre à la totalité » , pourtant, il a en effet fallu attendre le XIXe siècle pour passer de la civilisation aux civilisations grâce à des explorations et des études sur les modes de vie communautaire reculés ou inconnus.
vénération du colonisateur
Dans l’opposition dominant-dominé, la soumission de celui en position inférieure est souvent associée à la couleur de la peau, la couleur noire et cela dès les origines. En effet, COQUERY- VIDROVITCH soutient que » La littérature arabe, dès les VIIIe et IVe siècles, associe la peau noire à des caractéristiques négatives comme une mauvaise odeur, une physionomie répulsive, une sexualité débridée, des signes extérieurs de sauvagerie ou de débilité. La mise en esclavage des Noirs relevait de la normalité au même titre que l’utilisation des animaux de bât. Ils étaient utilisés comme travailleurs de la Terre ou des mines, comme soldats, eunuques ou ghilman (pages). Les femmes, plus nombreuses, étaient employées comme concubines ou servantes » .
Ainsi, l’enjeu réside non, dans la lutte pour la valorisation des valeurs de la mélanine qui est pourtant tant convoitée par le peuple blanc pour une meilleure protection des rayons de soleil (bronzage), mais plutôt dans la tuerie de la couleur noire par divers masques à travers le langage , ou pire à travers la « démélanisation » de la peau.
L’identification à l’être considéré comme supérieur par l’adoption de sa culture d’identité (par la langue, le comportement, les modes de vie…) est donc la chose la plus importante pour lutter contre la honte de cette infériorité.
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Table des matières
Introduction générale
I. Les dimensions de l’esthétique dans le monde
Chapitre 1 : Approche socio-historique de l’esthétique
Chapitre 2 : Approche méthodologique de l’esthétique chez la femme comorienne
II. Pratiques sociales et dynamique du paraître chez les femmes comoriennes
Chapitre 3 : Le paradigme psychosociologique de l’extériorité
Chapitre 4 : Impacts et implications économiques
Chapitre 5 : Conformité de mœurs et changement social
III. Prérogatives interculturalitaires d’intégration dans l’hypermodernité
Chapitre 6 : Mesures locales en matière de pratiques sécurisées
Chapitre 7 : Visées qualitatives et mercantiles des fabricants
Conclusion générale
Bibliographie
Table des matières
Liste des tableaux
Liste des figures
Annexes
Résumé