Lorsque j’ai commencé à enseigner dans une école maternelle, j’avais de cette institution des représentations soit très datées – liées à ma propre expérience scolaire – soit générales et peu incarnées – construites lors de ma préparation du Concours de Recrutement des Professeurs des Écoles (CRPE). Je n’avais, en effet, effectué qu’un stage en cycle 3 à cette occasion et n’avaisen outrepas véritablement envisagé être affectée ailleurs qu’à l’école élémentaire.
Les classes de maternelle étaient ainsi pour moi simplement réparties en « ateliers», des petits groupes que l’on pouvait choisir de constituer de manière homogène ou hétérogène selon ses objectifs d’apprentissage et censés répondre à l’impossibilité de proposer un enseignement magistralà des enfants aussi jeunes. L’objectif pour l’enseignant revenait dans ce cadre à trouver une activité pour chaque atelier, en faisant éventuellement varier la difficulté de chacun d’entre eux selon qu’ils étaient pris en charge par lui-même, l’ATSEM ou laissés aux enfants autonomes.
Ces premières représentations n’ont pas été d’emblée mises en question à mon arrivée à l’école maternelle du 59 rue de Reuilly (Paris 12) où j’ai été affectée. La classe dans laquelle j’enseigne depuis la rentrée est en effet organisée de telle sorte à permettre cette organisation par ateliers : elle se compose, en plus des coins jeux, d’un coinregroupement avec des bancs disposés en carré autour de la chaise sur laquelle s’assoit l’enseignant, d’un plan vertical et de quatre tables,dont une destinée aux petites sections. Une certaine organisation des activités semble de fait directement découler de l’organisation spatiale : des moments de jeu, majoritairement limités au temps de l’accueil et, éventuellement, aux moments de transition entre activités pour les enfants les plus rapides ; des moments de regroupement collectif ; des plages de travail sur table ou plan vertical lors desquelles les enfants de moyenne section – 21 en début d’année, 20 après les vacances d’hiver – et ceux de petite section – 7 –sont séparés. Comme le soulignent René Amigues et Marie-Thérèse Zerbato-Poudou , l’organisation de la classe d’école maternelle, en tant que « milieu artificiel »qui pourrait dans un premier temps apparaitre comme un simple « aménagement matériel dissimule, en fait, un enjeu de savoir » .
J’ai donc initialement adopté le mode d’organisation proposé par ma titulaire, pour assurer la continuité et la cohérence du mode d’apprentissage des élèves d’une part et parce que je n’avais pas d’avis arrêté sur un quelconque fonctionnement alternatif d’autre part. Nous avons ainsi très rapidement réparti les élèves en groupes de couleurs (chaque couleur de groupe correspondant à la couleur d’une toile cirée posée sur les tables de travail), en nous appuyant d’avantage sur leurs comportements en classe que sur une évaluation de leurs capacités. Les enfants de petite section ont ainsi été regroupés ensemble et les enfants de moyenne section répartis de telle sorte à ce que chaque groupe soit composé d’enfants sages (que l’on pourrait qualifier, en suivant les programmes de 2008, de déjà « devenus élèves») et d’autres plus turbulents. Les représentations fondées sur le genre étaient en outre assez prégnantes lors de cette répartition, les filles étant censées canaliser l’énergie des garçons.
DEUX ÉLÉMENTS DÉCLENCHEURS
Deux éléments m’ont conduite à modifier ces représentations initiales et l’organisation qui en avait découlé : un élément extérieur, lié aux exigences institutionnelles formulées par l’Ecole Supérieure du Professorat et de l’Education (ESPE) et un élément personnel.
Par l’entremise de ma tutrice de stage, Barbara Arroyo, l’ESPE me demandait, notamment, de construire un emploi du temps qui permette de répondre aux Instruction Officielles. Mes premières tentatives de formulation, comme celles de la plupart de mes collègues de classe d’ailleurs, ne distinguaient pas tant les domaines de compétences que les types de regroupement d’élèves : mon emploi du temps décrivait ainsil’alternance entre des moments de « regroupement » (et, éventuellement, les rituels inhérents), des moments que l’on pourrait qualifier de vie quotidienne (passage aux toilettes, habillage, …), la sieste des petites sections et le temps calme des moyens, des plages consacrées au domaine « Agir et s’exprimer avec son corps »et, enfin, des moments d’ateliers.
Mais cette formule ne convenait pas : elle ne permettait absolument pas de montrer une répartition pertinente entre les six domaines distingués par les programmes de 2008 qui, s’ils n’imposent pas, pour le cycle 1, de quota d’heures fixes à respecter pour chacun d’entre eux, enjoignent les enseignants à réfléchir à une organisation en garantissant un partage équilibré. Mais comment déterminer des plages horaires consacrées à l’un ou l’autre des domaines des programmes dans le cadre de l’organisation que j’avais choisie ? L’organisation en ateliers dits « tournants » me semblait proprement incompatible avec l’exigence de consacrer, par écrit, une plage horaire déterminée à l’un des domaines des programmes.
D’autre part, je me sentais personnellement peu en phase avec le fonctionnement de ma classe. J’avais en effet l’impression que mon enseignement se confondait avec la seule gestion de la classe : gestion des élèves, qui devaient être répartis en groupes; gestion du matériel, qui devait être autant que possible préparé pour que les enfants ne se détournent pas de leur activité pour aller chercher un outil manquant ; gestion du rangement de la classe entre toutes les différentes plages horaires. Un atelier qui fonctionnait bien était alors un atelier où les élèves restaient assis, aussi concentrés que possible, le plus longtemps possible. Mes élèves devaient avoir l’air d’être en activité, avoir l’air de travailler. L’organisation des ateliers n’était ainsi plus un mode d’organisation mais une fin en soi : je devais trouver des ateliers lorsque je n’avais pas d’idée et faire en sorte qu’ilsfonctionnent.
« ACTIVITÉ » OU « APPRENTISSAGE » ?
En d’autres termes, comme le formule très précisément le rapport intitulé « L’école maternelle » remis par l’Inspection Générale de l’Éducation Nationale (IGEN) au ministre de l’Éducation nationale en octobre 2011 , je me positionnais d’avantage « dans l’activité que dans l’apprentissage » et « une logique d’organisation d’activités » prenait progressivement le pas sur une véritable « logique d’organisation de parcours d’apprentissages ».
Le rapport de l’IGEN rappelle en effet que l’apparition, dans les années 1960-1970, de la notion d’atelier dans les instructions officielles témoigne avant tout d’un emprunt à la pédagogie active développée par Célestin Freinet et est alors envisagée comme une organisation possible des classes de l’école maternelle. Les ateliers, c’est-à-dire le « dispositif dans lequel les enfants sont répartis dans des groupes dont chacun se voit assigner une place dans la classe, une tâche et le matériel adapté » , ne doivent alors être créés que « s’ils répondent à un objectif précis, et s’ils favorisent des échanges entre les enfants » . Autrement dit, avant 2002, la constitution d’ateliers ne va pas de soi : elle est une option possible parmi toutes les autres et n’a aucune « vertu » en soi.
Or, constatent les inspecteurs, cette pratique tend aujourd’hui à devenir « une routine qui a perdu de son sens » : les ateliers, comme, d’ailleurs, d’autres « pratiques censéescaractériser l’école maternelle », sont exposés au risque d’une «naturalisation », c’est-à-dire d’un emploi systématique et non interrogé.
Ainsi, la plupart du temps, les élèves d’un même atelier ne coopèrent pas: bien loin de l’idée initiale de regrouper des élèves afin de faciliter une sorte d’émulation collective, l’organisation en ateliers n’apporte plus aucune « plus-value » par rapport à la seule tâche individuelle. En outre, et c’est sur ce point que les auteurs du rapport font part de leur plus grande inquiétude, l’objectif des ateliers se conçoit bien souvent d’avantage en termes de résultats, d’objectifs matériels à atteindre que d’apprentissages au sens propre. En l’absence de « prise en compte de l’activité a postériori » et de retour « sur les procédures et les démarches », les activités proposées en ateliers risquent de devenir de simples « occupations » dont la fin se traduit par le seul rangement du matériel.
Dès lors, conclue le rapport, l’organisation « par groupes » – et non pas « en groupe»– apparait comme une simple « commodité matérielle » destinée, par exemple, à « limiterl’espace dévolu à la peinture » : « manifestement, l’aspect organisationnel prime comme si « l’atelier » était une forme obligée de la pédagogie en maternelle » .
PARTIR DE LA CONSTRUCTIOND’UN VERITABLE EMPLOI DU TEMPS
C’est pendant les vacances de la Toussaint que j’ai tenté de prendre réellement possession de ma classe et que j’ai réfléchi à une organisation qui me permette tant de répondre aux exigences institutionnelles quede mener à bien un véritable enseignement orienté en fonction des compétences visées. Ce travail a en grande partie pris la forme de la construction d’un véritable emploi du temps . En partant des programmes de 2008, ainsi que des conseils prodigués par Barbara Arroyo sur l’importance respective des différents items, j’ai réparti les domaines et sous-domaines au sein de plages horaires fixes.
Chaque domaine du programme trouvait ainsi sa place à un moment ou à un autre de la fin de semaine dont j’avais la charge. A partir de cette répartition, j’ai réfléchi et déterminé des modalités de groupement d’élèves me semblant pertinentes eu égard aux compétences à développer et, également, au type de présence requis pour l’enseignant. Ainsi, plutôt que de partir d’un type d’organisation figé pour déterminer un type d’activité possible, j’ai essayé de partir des apprentissages que je souhaitais construire avec mes élèves pour déterminer quel type d’organisation de la classe était souhaitable et, dans le même temps, possible compte tenu des contraintes de temps, d’espace, de présence ou non de mon ASEM et d’effectifsd’élèves.
Je présenterai ainsi dans le corps de ce mémoire trois modalités de groupement testées durant les périodes 2, 3 et 4 de cette année scolaire (apprentissages conduits de manière collective ; ateliers de langage conduits en demi-groupes ; ateliers autonomes) en expliquant, pour chacune d’entre elles, les raisons m’ayant conduit à opter pour ce choix, leur fonctionnement effectif ainsi que les éventuelles évolutions au cours du temps et, enfin, les points forts et limites constatés.
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Table des matières
Introduction
Première partie : Les apprentissages conduits de manière collective
A. Définition et raisons du choix
B. Fonctionnement effectif
a) Les rituels collectifs
i. Les rituels relevant du sous-domaine « Approcher les quantités et les nombres »
ii. Les rituels relevant du domaine « Découvrir l’écrit »
b) La lecture en réseau
i. Un même personnage principal : le loup
ii. Tromboline et Foulbazar
iii. Les livres à compter
C. Points forts et limites
a) Les points forts
b) Les limites
Deuxième partie : Les ateliers de langage conduits en demi-groupes
A. Définition et raisons du choix
B. Fonctionnement effectif
a) Les activités de langage en lien avec un réseau de lecture : le loup
b) Ecrire l’histoire d’un album sans texte : Le voleur de poule
C. Points forts et limites
a) Les points forts
b) Les limites
Troisième partie : Les ateliers autonomes
A. Définition et raisons du choix
B. Fonctionnement effectif
C. Points forts et limites
a) Les points forts
b) Les limites
Conclusion
Annexes
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