André Gide était un homme de culture, relativement seul, quelle que fût l’importance de son entourage, à la fin de sa vie, de ses courtisans. L’écrivain préférait un petit nombre d’amateurs éclairés à une foule de lecteurs qui ne le comprendraient pas. «Les Faux-Monnayeurs » représentent le sommet de son œuvre, tant du point de vue de la maîtrise de l’art que de l’épanouissement de son auteur. En 1893, André Gide définit la mise en abyme, c’est-à-dire, ce qui désigne la figuration en modèle réduit, à l’intérieur d’un texte, d’un constituant ou de la structure de ce texte. La première mise en abyme apparaît avec l’explication de l’auteur. C’est le titre du livre que le lecteur est en train de lire, proposé par un des personnages, Édouard (autrement dit Gide).
A vingt-quatre ans, Gide écrivait déjà :
« J’aime assez qu’en une oeuvre d’art, on retrouve ainsi transposé, à l’échelle des personnages, le sujet même de cette oeuvre. Rien ne l’éclaire mieux et n’établit plus sûrement toutes les proportions de l’ensemble » (Gide, 2001, p. 41) .
Ce procédé apparaît dans quelques épisodes symboliques qui représentent par des métaphores le sujet du livre. Par exemple, la leçon de biologie que Vincent impose à ses interlocuteurs. Les lois de la nature qu’il décrit sont celles qui régissent l’univers du roman. Comme dans le roman, les faibles s’étiolent au profit des forts, les poissons sténohalins languissent au profit des euryhalins, capables de s’adapter à une modification du milieu ambiant. C’est surtout le journal d’Édouard qui sert, entre autres fonctions, à la « mise en abyme ». Un tiers du livre les Faux-Monnayeurs est constitué par le Journal des Faux-Monnayeurs, journal d’Édouard, qui joue le rôle d’un personnage privilégié, mais toujours impliqué dans les évènements qu’il raconte. Publié en 1926, il sert de suite au roman, ou plutôt on peut le considérer comme un degré supplémentaire de la « mise en abyme ». Le narrateur du Journal des Faux Monnayeurs n’est pas Gide dans sa spontanéité de créateur, mais l’image qu’il prétend nous donner de l’auteur des Faux- Monnayeurs.
Pourtant longtemps, ce roman, qui est aussi son unique, sera considéré comme « raté » par de nombreux historiens de la littérature. Heureusement un contemporain dira :
« […] Les caves, Les Faux-Monnayeurs sont des livres qu´on tient pour manqués, mais ces œuvres imparfaites, leur influence a été considérable, trop importantes même, au point que leur pouvoir de rayonnement s´est momentanément épuisé et qu´elles paraissent aujourd´hui anciennes par tout ce qu´elles ont autorisé et rendu possible de nouveau. » (Blanchot, cité par Allemand, 1999, p. 5) .
Ce roman s’inscrit dans le siècle de la remise en question, de la contestation et de plus de l’époque bouleversée, en quête de nouveaux repères. Ceci influencera Gide. Sur le plan de la composition, Les Faux-Monnayeurs se caractérise par une construction tout à fait inhabituelle au regard des autres romans français des années Vingt. Le jeu sur la chronologie interne des évènements et sur la restitution de la durée implique des effets de rythme.
Dans ce livre, l´investissement personnel de Gide est flagrant. Sa propre histoire est en fait le reflet de toute l’œuvre. Il épouse sa cousine Madeleine, en 1895, mais il continue d’avoir des relations homosexuelles. Son mariage ne sera jamais consumé. Ses expériences se cantonnent à des histoires sans lendemain jusqu´à sa rencontre avec Marc Allégret. Il comprend de suite qu’il y a quelque chose de plus. Après plusieurs escapades avec celui-ci, sa femme brûle ses lettres et lui décide de rendre officiel le fait qu’il soit homosexuel. Dans les Faux-Monnayeurs, l’argent est omniprésent. Il se présente sous différentes formes, dans différentes circonstances et pour finir comme symbole de nos relations. C´est l’objet de ma première partie. L’étude de l’éthique de l’amitié face aux valeurs, la confusion des sentiments, les faux amis seront expliqués dans ma deuxième partie. Et pour finir, je vais m’efforcer de démontrer l’importance du mensonge dans cette œuvre.
L’argent
André Gide avait une grande fortune personnelle et apparemment Édouard aussi. La famille Vedel-Azaïs et La Pérouse sont dans la gêne. Passavant a de l’argent mais il en veut toujours plus. Le juge Molinier a du mal à tenir son rang alors que Profitendieu s’est enrichi grâce à un héritage. Vincent a grâce à sa mère une somme de cinq milles francs qu’il perd au jeu. Il gagnera un peu plus tard dix fois plus. Laura est secourue par Édouard. Bernard emprunte des billets à Édouard. Georges dérobe cent francs à sa famille.
La fausse monnaie
Pour Gide, les questions financières ne sont pas un sujet tabou, on pourrait même dire que la monnaie d’échange qu’elle soit vraie ou fausse peut être considérée comme emblème du roman. Édouard et Passavant jouent deux rôles : non seulement celui de ceux qui aident financièrement leurs amis sans rien demander en retour, en apparence, et de les secourir, mais aussi celui de leur supériorité littéraire : ce sont les littérateurs. Édouard explique le nom de son roman en abyme « Les Faux monnayeurs » qu’il est en train d’écrire. Il vise en fait ses confrères faussaires en littérature et par là même Passavant. Ce titre « les Faux-Monnayeurs » veut assimiler ceux-ci aux révoltes anarchistes et en même temps en faire des pervertisseurs d’«enfants » de bonne famille. Gide a bien souligné que l’action se passe juste avant la guerre à l’époque du franc or. « Ce titre pourtant semblait annoncer une histoire ? » (Gide, 2001, p. 220). En voyant le titre, on pourrait se dire que c’est un roman policier mais cette idée de fausse monnaie n’apparaît que tardivement dans l’oeuvre (deuxième partie) avec l’apparition de la fausse pièce, ainsi que l’existence du trafic organisé par les adolescents ne fait surface que dans la troisième partie et il en va de même pour l’entreprise de prostitution. Rien n’alerte les autorités et dès la moindre suspicion, on voit que Profitendieu (juge d’instruction) alerte la famille pour faire stopper Georges dans ses affaires douteuses.
Gide s’inspire du procès de faux monnayeurs qui avaient des préoccupations littéraires. Tout au long du livre, les pièces circulent. Bernard présente sa pièce en cristal doré. L’épicier la lui a vendue pour cinq francs en lui disant qu’elle était fausse. Bernard pense que la meilleure place pour cette pièce, c’est d’être dans les mains de celui qui écrit « Les FauxMonnayeurs ». La froide réaction d’Édouard le déstabilise un peu. Quand on entend la première fois le nom du titre, on pense à l’argent mais dès le début de la lecture du livre on comprend rapidement que l’argent n´est qu’un symbole des échanges qui se déroulent dans le roman.
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Table des matières
1 Introduction
PREMIÈRE PARTIE
2 L´argent
2.1 La fausse monnaie
2.2 Relation d´argent entre les différents personnages
2.3 Caractères romanesques de certaines transactions d´argent
2.4 Les autres monnaies d´échange
2.5 Argent symbole de nos relations sociales
DEUXIÈME PARTIE
3 L´éthique de l´amitié face aux valeurs
3.1 Les fausses valeurs
3.2 La confusion des sentiments
3.3 Mise en abyme du regard d´André Gide sur l´amitié
3.4 Les faux amis
TROISIÈME PARTIE
4 Le mensonge
4.1 Abondance du mensonge et des faux semblants
4.2 La sincérité dans les Faux-Monnayeurs
5 Conclusion
6 Bibliographie