Les différents éléments du patrimoine religieux québécois
Le patrimoine religieux québécois ne se limite pas aux seules églises, même SI elles en sont de loin les éléments les plus visibles. Lorsqu’ ils abordent la question du patrimoine, les spécialistes, que ce soit les ethnologues, les chercheurs et les intervenants en patrimoine, identifient généralement deux grandes catégories: le patrimoine matériel et le patrimoine immatériel. La première catégorie, si l’on considère l’aspect religieux, regroupe notamment les égli ses, les chapelles, les couvents, les lieux de pèlerinage, les sanctuaires, les anci ens co llèges classiques, les presbytères et autres dépendances de l’église l , les monuments et obj ets religieux, les cimetières et les archives religieuses. La seconde, quant à elle, désigne les coutumes, savoirs et savoir-faire associés à la pratique de la reli gion. Ce so nt donc les personnes qui participent directement à la vie religieuse qui détiennent les éléments de ce patrimoine (évêques, prêtres, membres des communautés religieuses, membres laïcs qui participent au fonctiOlmement des offices, etc.). Malgré cette première séparation habituelle, il demeure que plusieurs éléments du patrimoine matéri el n’ont pas les mêmes fonctions, ce qui nous a amené à subdiviser davantage le corpus. En clair, on peut définir cinq grandes catégories du patrimoine religieux : les bâtiments, les monuments, les obj ets mobiliers et liturgiques, le patrimoine archivistique et finalement le patrimoine immatérief . Dans le cadre de cette recherche nous nous attarderons principalement à la première catégorie, c’est-à-dire aux bâtiments religieux. Dans un premier temps, il semble toutefois important de définir brièvement ce que nous entendons pour chacune des cinq catégories.
Les bâtiments religieux
De loin les éléments du patrimoine religieux les plus imposants, les bâtiments religieux sont au cœur du débat sur l’avenir de ce patrimoine. Outre les lieux de culte, ils regroupent également toutes les autres constructions qui forment ou qui formaient anciennement le site paroi ssial, c’est-à-dire les presbytères, les hangars à grain pour le paiement de la dîme, les maisons du sacristain, les salles paroissiales, etc. Malgré que plusieurs de ces bâtiments aient changé de vocation au cours des années, ils fo rment tout de même une part non négli geable du patrimoine immobilier. S’il est difficile de chiffrer le nombre exact de bâtiments religieux québécois, l’ Inventaire des lieux de culte du Québec, réali sé en 2003 par la Fondation du patrimoine religieux du Québec, faisait état de 2755 lieux de culte construits avant 1975 dans la province3 . Ce nombre n’ incluait ni les dépendances de ces lieux ni les manifestations religieuses que sont, par exemple, les croix de chemin. La problématique de [‘ avenir de ces édifices repose surtout sur la trop grande capacité de la plupart des bâtiments, de même que les coûts exorbitants découlant de l’entretien, du chauffage et des autres dépenses nécessaires au bon fonctionnement de ce patrimoine immobilier. Si, pendant de nombreuses années, les lieux de culte ont été utilisés de façon constante, la situation a changé considérablement depuis la seconde moitié du XXe siècle, et plus particulièrement à partir des années 1960, au Québec, avec l’avènement de la Révolution tranquille. Dès lors, la laïcisation progressive de la société québécoise a entraîné une baisse marquée de la pratique religieuse. Les autorités religieuses ont commencé à s’ interroger sur l’ ampleur du patrimoine religieux, mobilier et immobilier, et à s’ inquiéter des nombreux bâtiments en surplus. C ‘ est ainsi que, dans les années 1970, nous avons assisté à la destruction de plusieurs égli ses, malgré la valeur patrimoniale exceptionnelle de certaines d ‘ entre elles et du tapage médiatique et de l’ appui populaire dont elles avaient pu bénéficier4
Ce n’est pourtant que dans les années 1990, avec la tenue de co lloques et la publication fréquente d’ouvrages consacrés au patrimoine religieux, que les véritables cris d’ alarme ont été lancés par l’ensemble des intervenants5. Quant aux autres bâtiments religieux, ils ont progressivement perdu leur vocation première, étant parfois vendus à des intérêts privés pour la réalisation de projets de différentes natures. À cet effet, le nombre de presbytères du Bas-Saint-Laurent ayant été convertis pour accueillir de nouvelles fonctions est impressionnant. Nous y reviendrons notamment dans la quatrième partie de ce mémoire lorsque nous insisterons sur les exemples de reconversion des bâtiments religieux dans la région bas-Iaurentienne. Lorsque les bâtiments reli gieux sont regroupés et complétés par un aménagement naturel, on peut alors parl er de patrimoine reli gieux paysager. Constitué de l’église, de ses dépendances et de surfaces arboricoles et gazonnées, ce noyau formait jadis le centre traditionnel du gouvernement spirituel6. Ensemble, les bâtiments religieux et l’environnement naturel représentent « le principal repère visuel, le centre géographique de la paroisse et en même temps l’ensemble construit le plus riche d’expression de toute communauté7 ». Une vue sur la mer, ou encore la présence d’ un j ardin, contribue à rehausser le caractère patrimonial des bâtiments rel igieux regroupés à l’intérieur d ‘ un noyau paroissial. Au Bas-Saint-Laurent, l’ église de Sainte-Luce et ses dépendances, situées à proximité du fleuve Saint-Laurent, témoignent de l’ importance du paysage dans la recOlm aissance de ce site patrimonial. Les bâtiments religieux forment donc une partie importante du patrimoine reli gieux québécois et ils s’ intègrent dans un environnement paysager qui permet de mieux comprendre la place centrale jouée par ces bâtiments au cours des derniers siècles.
Les monuments religieux
Les monuments religieux regroupent à la fo is les calvaires, les cimetières, les grottes dédiées à la Vierge Marie, les croix de chemin ou encore tout autre monument à connotation religieuse. Bien que moins imposants que les bâtiments religieux, les monuments font partie intégrante du patrimoine reli gieux, comme en fo nt touj ours fo i les nombreuses croix de chemin qui ornent les routes de campagne ou encore le patrimoine funéraire de nos cimetières. Ces monuments sont souvent mOInS considérés comme éléments structurants du patrimoine religieux, même si plusieurs sculpteurs de grande renommée ont laissé des oeuvres accomplies, évocatrices et d’ une grande valeur artistique dans la région bas-Iaurentienne. C’est d ‘ailleurs le cas des quatre archanges8 de l’église Saint-Pascal, oeuvres de Louis Jobin et Auguste Diolme, et du calvaire de Saint-Germain qui a été réalisé au milieu du XIXe siècle par Louis-Thomas Berlinguet. Pour Jean Simard, les monuments religieux occupent une place particulière dans l’ensemble du patrimoine religieux. Selon ses propres relevés, Simard affirme qu ‘ il y avait 445 calvaires, 3586 croix de chemin, 123 sanctuaires, chapelles et oratoires, sans compter les quelque 1049 constructions différentes dans l’ensemble du Québec en 19959 .
Il ne s’ agit donc pas d’un patrimoine marginal, mais plutôt de monuments qui enrichissent les différentes paroisses. Quant aux cimetières, on les retrouve dans chacune des municipalités, parfois juxtaposés à l’église ou encore non loin de celle-ci \o. Avec plus de 1200 cimetières catholiques administrés par des fabriques dans la province et un nombre indéterminé de cimetières de toutes autres confessions Il , le cimetière est sans conteste un élément important du patrimoine religieux . Toutefois, il est menacé par le climat québécois, le vol et le vandalisme l2 . Pour France Rémillard, restauratrice au Centre de conservation du Québec, la préservation des cimetières repose notamment sur l’engagement des municipalités, mais également sur la mise en place de mesures de sensibilisation, de protection et de surveillance 13. L’aménagement paysager, la présence de stèles centenaires, la forme et les matériaux utilisés pour ces dernières, l’ ajout de monuments décoratifs dans le cimetière (calvaires, grottes, charniers, etc.) sont autant d’ éléments qui permettent aux spécialistes de mieux comprendre notre société passée et l’importance accordée aux défunts.
Le patrimoine mobilier et liturgique
Le patrimoine religieux mobilier regroupe tous les objets qui servent au culte, c’est-à-dire, pour n’en nommer que quelques-uns, les calices, les ciboires, les vêtements liturgiques, les autels, les reliquaires, les lampes du sanctuaire et plusieurs autres objets sculptés ou ornés qui appartiennent aux fabriques, aux communautés religieuses et même aux fidèles. D’après Jean Simard, « [o]n n’a aucune idée de la richesse et de la variété des vases, vêtements et objets liturgiques manufacturés dans les grands ateliers européens et américains, et qui ont été acquis par des centaines de paroisses aux XIXe et XXe siècles. [ .. . ] Et que dire des objets religieux à l’usage des fidèles, dans l’univers domestique 714 ». Cet important héritage mobilier a toutefois été lourdement handicapé à la suite du Concile de Vatican nl s. Comme le fait d’ailleurs remarquer Josiane Pigeon, conservatrice des antiquités et objets d’art de la Manche en France, « [ … ] les conséquences du concile de Vatican n sur les aménagements des lieux de culte ont été extrêmement importantes et graves en terme de destruction à une époque où les municipalités n ‘étaient pas encore bien conscientes de leur propriété et de leur responsabilité: des chaires à prêcher ou des vêtements liturgiques ont été brûlés, des pièces d’orfèvrerie ou des lustres en verre taillé vendus … 16 ». Cette situation ne prévaut pas uniquement en France, puisque de nombreux lieux de culte québécois, dont plusieurs au Bas-Saint-Laurent, ont COl1J1U des réaménagements majeurs à la suite du Concile de Vatican II. Le réaménagement du choeur, à lui seul, a entraîné la disparition de plusieurs chaires, tables de communion et autres éléments décoratifs. Heureusement, certains lieux ont conservé leur décoration intérieure intégrale, devenant par le fait même des monuments de grande valeur patrimoniale.
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Table des matières
REMERCIEMENTS
RÉSUMÉ
INTRODUCTION
CHAPITRE 1- ÉTAT DE LA SITUATION DU PATRIMOINE RELIGIEUX AU BASSAINT- LAURENT
1.1. Les différents éléments du patrimoine religieux québécois
1.1 .1. Les bâtiments religieux
1.1.2. Les monuments religieux
1.1.3. Le patrimoine mobilier et liturgique
1.1.4. Le patrimoine religieux archivistique
1.1 .5. Le patrimoine immatériel
1.2. Le patrimoine religieux bas-Iaurentien
1.2.1. Deux cents ans de patrimoine reli gieux immobilier
1.2.2. Patrimoine religieux rural et patrimoine religieux urbain
1.2.3. Presbytères, couvents et autres bâtiments religieux
1.2.4. L’inventaire des lieux de culte du Québec: constats et résultats pour la région du Bas-Saint-Laurent
1.2.5 . Limites et portée possible de l ‘ Inventaire
CHAPITRE II- LES DIFFÉRENTS ACTEURS PARTICIPANT À LA SAUVEGARDE DU PATRIMOINE RELIGIEUX
2.1 . Les gouvernements fédéral et provincial
2.1.1. Le gouvernement fédéral et la protection du patrimoine
2.1 .2. Le gouvernement québécois et la protection du patrimoine
2.1.3. Bilan des actions gouvernementales envers la protection du patrimoine religieux du Bas-Saint-Laurent
2.2. La Fondation du patrimoine religieux du Québec
2.2.1. Mission et objectifs
2.2.2. Programme de soutien à la restauration du patrimoine religieux
2.2.3. Les réalisations au Bas-Saint-Laurent
2.3. Les acteurs locaux
2.3 .1. Les diocèses et les fabriques paroissiales
2.3 .2. Les municipalités et les MRC
2.3.3. Les comités de sauvegarde et les organismes culturels
2.3.4. La population locale
2.3.5 . La concertation des acteurs: une initiative souhaitée et incontournable
CHAPITRE III- LES BÂTIMENTS RELIGIEUX DU BAS-SAINT-LAURENT: LIEUX DE SOCIABILITÉ ET CONTRIBUTION AU DÉVELOPPEMENT LOCAL
3.1. L’église: un important lieu de sociabilité en milieu rural
3.1.1 . Au-delà des considérations purement pastorales
3.1.2. Lieux de luttes et de solidarité
3.1.3. Lieux d’ identité et de culture régionale
3.2. Les bâtiments religieux: une contribution significative au développement local et régional
3.2.1. Le patrimoine religieux: levier de développement local et régional
3.2.2. L’exemple du noyau paroissial de Sainte-Flavie
3.2.3. L’exemple du noyau paroissial d’Esprit-Saint.
3.3. La participation citoyenne: la clé de la réussite
3.3.1. Sensibilisation et mobilisation
3.3.2. La réutilisation des églises bas-Iaurentielmes : aperçu de deux projets et réactions populaires
CHAPITRE IV-SOLUTIONS POUR LE PATRIMOINE RELIGIEUX BASLA URENTIEN
4.1 . Financement étatique accru
4.1.1. Quels bâtiments religieux doivent être conservés ?
4.1.2. La place du Bas-Saint-Laurent dans le financement provincial
4.2. La réutilisation des bâtiments religieux
4.2. 1. Un exemple de réutilisation complète d’égli ses: l’ancienne église Saint- Germain de Rimouski
4.2.2. Le réaménagement partiel de quelques églises
4.2.3 . Les presbytères: plusieurs cas de réutilisation dans la région
4.2.4. Les dépendances de l’église: quelques réaménagements réussis
4.3. Le tourisme religieux
4.3.1. Des circuits dans l’ensemble du Québec
4.3 .2. Des réalisations au Bas-Saint-Laurent
4.4. Quelques pistes de solutions nouvelles
4.4.1. Une fiducie nationale: les questions du financement et de la propriété
4.4.2. Des redevances touristiques et industrielles
4.4.3. La cession des bâtiments excédentaires aux autorités municipales
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE 1
ANNEXE 2
ANNEXE 3
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