Le travail que nous présentons se propose d’élaborer des règles relatives aux problèmes de traduction portant sur l’usage des conjonctions dans des textes littéraires en français et en malgache. Ici, l’on essaiera de mettre au jour des relations d’équivalence entre des constructions syntaxiques où interviennent les dites conjonctions, par le biais de la transformation de phrases mises en relation dans la traduction de textes en français vers le malgache ou inversement. L’on dégagera ensuite les règles qui président au mécanisme de traduction, lesquelles seront réputées être prédictibles et systématiques, pour rendre compte des relations de sens dans les constructions étudiées. « On distingue, en malgache et dans toutes les langues, les conjonctions de coordination et les conjonctions de subordination» (Rajemsa-Raolison, 1969, p.147). Ce sont des indicateurs logiques qui déterminent le type de relation entre des segments de phrases ou des propositions entières. La conjonction est une opération linguistique inévitable dans tout discours. En effet, c’est la raison pour laquelle nous avons choisi ce sujet pour notre mémoire. La conjonction mal traduite d’une langue à une autre est susceptible de nuire à la fluidité du message dans la langue d’arrivée, parce que celle-ci est un facteur essentiel de la réussite de la transmission du message.
LA LANGUE ET LA TRADUCTION (Pergnier, 1980)
Les caractéristiques du langage humain selon Pergnier
En général, le langage se manifeste primordialement par deux caractères antinomiques : « son universalité fondamentale », et sa « diversalité non moins fondamentale ».
– L’universalité du langage
Il n’y a pas de communauté humaine qui ne se sert d’un langage pour communiquer, dont le principal est l’utilisation de moyens phoniques. On ne connait pas non plus de langage humain qui n’utilise pas la langue, ensemble fini de moyens, permettant d’engendrer un nombre infini de messages, et qui contrairement à tout code de communication animale (ou autre type de communication humaine) comporte deux types d’éléments (unités distinctives et unités significatives).
– La diversité du langage humain
Il y a diversité dans le langage humain car les hommes d’une même communauté ont constitué leur propre langue selon leur culture, leur façon de percevoir la nature qui existe dans chaque communauté. C’est pour cela qu’il y a une « pluralité de langues », culturellement constituées, propres à chaque communauté humaine donnée, et la distinguant des autres.
La place de la traduction au niveau du langage humain
La langue est un fait social, elle se caractérise fondamentalement par son caractère social. Cela ne veut pas dire seulement qu’elle est un fait de communication, mais c’est dire également l’inverse, à savoir qu’elle est un fait de ségrégation et de séparation par rapport à la totalité de l’espèce. On ne prend pas ici le langage dans sa généralité ni même la langue dans son abstraction, mais en tant qu’actes de parole, c’est-à-dire comme un « événement linguistique », toujours « singulier » et toujours caractérisé par les circonstances particulières de leur émission. Ces « événements »qui sont les messages linguistiques sont en effet toujours singuliers en ce qu’on pourrait les caractériser de la façon schématique suivante : il s’agit toujours de quelqu’un de particulier défini dans le temps et l’espace (avec sa propre voix, sa propre expérience) qui dit « quelque chose » (de particulier et d’unique) sur un sujet particulier, à quelqu’un de particulier dans des circonstances qui ne se reproduiront jamais deux fois de manière strictement identique. Si l’on peut rencontrer plusieurs fois le même énoncé linguistique, il est bien rare que ce même énoncé transmet toujours le même message. Ce que les hommes échangent dans la communication n’est pas la langue mais des messages, car une phrase peut avoir plusieurs interprétations, par exemple la phrase : Phileas Fogg lit et écrit toujours au Reform Club. (Verne, 2003, p. 8) Mamaky sy manoratra ao amin’ny Reform Club foana i Rainizavona. L’interprétation de cette phrase peut se faire selon trois situations possibles, et la traduction en malgache de la conjonction et dépend précisément de ces trois différentes possibilités d’interprétation. Cette phrase peut signifier que : il ne fait autre chose que de lire des journaux et de fumer des cigarettes. Le sens de et est donc une simple énumération. Cette phrase peut aussi indiquer une antériorité, c’est-à-dire qu’il y a deux actions qui se passent en deux temps différents, l’une passant avant l’autre : Phileas Fogg lit au Reform Club et après il écrit. Mamaky ao amin’ny Reform Club i Rainizavona ary avy eo manoratra ao amin’ny Reform Club izy. C’est ainsi qu’on affirme que c’est à partir de la traduction de message, en se référant à toutes les circonstances particulières auxquelles le sujet parlant évoque cet énoncé, que l’on peut avoir une bonne traduction de cette phrase ambigüe. A quel niveau du langage la traduction opère-t-elle donc ? Avant de répondre à cette question, il est nécessaire de rappeler la définition du mot « traduire ». Selon le Petit Robert, traduire consiste à « ce qui était à traduire dans une langue le soit dans une autre, en tendant à l’équivalence sémantique et expressive des deux énoncés ». Cette définition nous dit que dans une traduction, on traduit des messages, c’est-à-dire le vouloir dire de quelqu’un, non le vouloir dire de la langue.
LES DIFFERENTS TYPES DE TRADUCTION SELON PERGNIER
La traduction mot-à- mot
C’est une opération qui se base sur une « conversion de signes » d’une langue dans les signes d’autres langues. Si nous réservons le nom de traduction à l’opération qui vise à donner à un message une formulation équivalente dans une autre langue, l’équivalence recherchée par la traduction mot-à-mot n’est pas une équivalence de message, mais une équivalence de mots.
La traduction littérale
La traduction littérale est une traduction qui respecte la forme grammaticale d’une langue vers une autre, mais tient compte du sens contextuel de la phrase. L’équivalence recherchée par ce type de traduction est l’équivalence de syntagmes, ou « d’idiotisme de deux langues ». Ce qui est ici proposé est beaucoup plus une comparaison d’énoncés ou de segments d’énoncés qu’une traduction au sens défini plus haut. Exemple : Je le plains dès que l’âge ou la maladie le toucheront un peu, car il pensera trop à lui-même. (Rajaona, 1979, p.48) Si on traduit littéralement cette phrase, on a :
→Mampalahelo ahy izy raha vao tonga ny taona na ny aretina hikasika kely azy satria hieritreritra be loatra ny tenany izy. On voit bien que la traduction obtenue est erronée, elle n’est pas intelligible, l’âge est traduit littéralement par taona qui ne signifie rien du tout par rapport au sens contextuel de la phrase. C’est pour cela que le traducteur doit avoir recours à la traduction libre.
La traduction libre
C’est une opération de traduction qui vise à donner les équivalences de messages. Or une phrase peut contenir plusieurs interprétations. La traduction libre est nécessaire pour éviter d’aboutir à un résultat hybride. Même si une traduction est intelligible et conforme aux règles morphosyntaxiques de la langue en question, tout cela n’est pas suffisant pour aboutir à une bonne traduction, aussi faut-il prendre en considération tous les paramètres de la traduction. La traduction libre de la phrase précédente est donc la suivante: Mampalahelo ahy izy satria raha vao tonga ny fahalehibeazana na ny aretina hikasika azy dia hieritreritra be loatra ny tenany izy.
LES DIFFERENTS PARAMETRES DU MESSAGE
« Sauf exception, les énoncés linguistiques qui constituent les signifiés des messages à traduire ne sont pas univoques et sont susceptibles de traductions multiples, en fonction des conditions dans lesquelles ils sont émis » (Pergnier, 1980). « C’est-àdire que le sens d’un énoncé est étroitement solidaire des conditions de son émission » (Pergnier, 1980). La traduction ne devrait donc jamais porter sur un énoncé en tant que tel- « opération qui aboutit non à une véritable traduction mais à une interférence de systèmes »- mais sur un message. La situation d’émission, qui confère son sens au message et conditionne son énonciation, se laisse elle-même réduire à une analyse selon quatre paramètres que nous examinerons successivement :
– la personne qui énonce ce dont il est question dans le message,
– la ou les personnes auxquelles le message s’adresse,
– et enfin les conditions spatiales et temporelles dans lesquelles le message est énoncé. Nous appellerons ces quatre paramètres respectivement l’Emetteur, l’Objet, le Destinataire et le Vecteur.
Ces quatre paramètres sont ceux qui conditionnent le message à sa production («encodage »), mais ce sont eux aussi qui conditionnent sa réception («décodage»). Avant d’étudier la façon dont ils conditionnent la réception, qui nous intéresse plus particulièrement ici, – puisque c’est à ce niveau qu’intervient la traduction, – nous envisagerons tout d’abord brièvement le fonctionnement de ces quatre paramètres sur la ponctuation, c’est-à-dire l’énonciation du message. Il est évident que, l’énonciation, le sens, au moins sous la forme d’un vouloir dire, d’une intention de dire, préexiste à son énonciation, c’est-à-dire à la façon de dire.
L’énonciation consiste à analyser (« à articuler ») le vouloir dire avec les moyens fournis par une langue, en fonction des « composantes de la situation », c’est-à dire à approprier les signifiés à la spécificité d’une situation. C’est une vérité d’évidence de dire que l’objet d’un message conditionne son énonciation : du point de vue de l’objet, l’énonciation consiste en effet à désigner, au moyen des mots considérés comme les plus adéquats, « ce » dont on parle. De ce point de vue, l’énonciation consiste donc en une « appropriation des termes » de l’objet désigné. Il s’en faut cependant de beaucoup pour que l’adéquation à l’objet soit le seul facteur qui conditionne cette « appropriation des termes » à l’énoncé. L’émetteur énoncera en effet différemment selon les autres paramètres en cause, et ces autres paramètres conditionneront eux aussi « l’appropriation des termes ». Tout d’abord, il l’énoncera en fonction de ce qu’il est lui-même (d’une part au plan de la langue, de son idiolecte, et d’autre part au plan de la parole, de son rapport à l’objet et au destinataire). L’énoncé de ce point de vue tire sa forme de l’Emetteur et, en même temps, le manifeste.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE
I- LES DIFFERENTES THEORIES SUR LA TRADUCTION
1-l- La langue et la traduction
1-1-1- Les caractéristiques du langage
1-1-2- La place de la traduction au niveau du langage humain
1-2- Les différents types de traduction selon PERGNIER
1-2-1- La traduction mot-à-mot
1-2-2- La traduction littérale
1-2-3- La traduction libre
1-3- Les différents paramètres du message
1-3-1- L’émetteur
1-3-2- L’objet
1-3-3- Le destinataire du message
1-3-4- Le vecteur
1-4- Traduction et langue en contact
DEUXIEME PARTIE
II- ANALYSE SPECIFIQUE DE LA TRADUCTION DE COORDINATION DU FRANÇAIS VERS LE MALGACHE ET APPLICATION DE LA THEORIE A PARTIR DU CORPUS
2-1- Les types de conjonctions de coordination du malgache
2-1-1- Définition
2-1-2- Les types de conjonction de coordination
2-1-3- Les différents équivalents de la conjonction copulative et en malgache
2-2- Traduction de phrase coordonnée du français vers le malgache et inversement selon la théorie fondée par Pergnier
2-2-1- La conjonction « ARY »
2-2-2- La conjonction « ka »
2-3- Essai d’élaboration des règles régissant la traduction de phrase coordonnée
2-3-1- Traduction et syntaxe
2-3-2- Conjonction et relativisation
TROISIEME PARTIE
III- ANALYSE DE LA TRADUCTION DE CONJONCTION DE SUBORDINATION DU FRANÇAIS VERS LE MALGACHE ET ESSAI D’ELABORATION DES REGLES REGISSANT LA TRADUCTION DE SUBORDINATION
3-1- Généralités sur les subordinations
3-1-1- Eléments de définition
3-1-2- Les types de subordinations
3-2- Propriétés syntaxiques
3-2-1- Subordination interrogative indirecte
3-2-2- Subordination circonstancielle
3-2-3- Subordonnée conjonctive complétive
3-3- Essai d’élaboration des règles régissant la traduction de subordination du français vers le malgache
3-3-1- Sur les types de subordination
3-3-2- Sur les procédés de traduction
QUATRIEME PARTIE
IV- VERIFICATION EXPERIMENTALE DE L’APPLICATION DES REGLES SUR LA TRADUCTION DES PHRASES COMPORTANT DES CONJONCTIONS
4-1- La traduction de phrase coordonnée malgache et français
4-1-1- La traduction de phrase avec la conjonction « ARY »
4-1-2- La Traduction de phrases coordonnées avec la conjonction na et sa
4-1-3- La traduction de phrase coordonnée avec la coordination causale fa
4-1-4- La Traduction de phrase coordonnée avec la conjonction sy
4-1-5- Traduction et stylistique
4-2- La traduction de subordination malgache vers le français
4-2-1- Définition de propositions conjonctives
4-2-2- Observations diverses sur les propositions adverbiales
CONCLUSION GENERALE