Les changements de motivation à la pratique sportive chez les Français
Selon une enquête de Lefèvre et Thiery (2010), « 47 millions de Français âgés de 15 à 75 ans déclarent avoir pratiqué une activité physique ou sportive (APS) au moins une fois au cours des douze derniers mois, soit 89 % de la population interrogée. L’augmentation est de 16 points par rapport à 1985 ». Dans une étude plus récente d’Harris Interactive réalisée en ligne du 10 au 12 octobre 2017 sur un échantillon représentatif de 1018 Français, 77% des personnes interrogées déclarent pratiquer une activité physique une fois par semaine et 58 % deux à trois fois par semaine. Les Français sont donc de plus en plus enclins à faire du sport, mais les raisons qui poussent à la pratique diffèrent de celles du siècle dernier. En effet, Le sport n’échappe pas aux changements d’une société connaissant des remises en causes que ce soit sur le plan économique, institutionnel, administratif, syndical, culturel ou encore médiatique. Le premier changement observable est l’émergence au 21ème siècle de nouvelles pratiques sportives. En opposition aux pratiques du 20ème siècle, très fortement « connotées d’une dimension politique comme l’éducation ou l’intégration […], ces nouvelles pratiques échappent aux discours politiques et sont dénuées de toute dimension institutionnelle ». La pratique sportive se révèle aussi d’un imaginaire hédoniste dans une période marquée par la montée de l’individualisme au détriment de la vie collective. Enfin, les Français disposent de moins en moins de temps dans leur vie quotidienne pour faire du sport, ce qui les oblige à choisir leur activité en fonction de la flexibilité de pratique qu’elle leur procure (horaires, cadres de pratique…) et de la comptabilité avec leur mode de vie. De ce fait, le cadre de la pratique sportive, un temps considéré comme restrictif et contraignant évolue, pour proposer aux sportifs une offre « personnalisable, non disciplinaire, simplement normalisée pour des raisons de sécurité, correspondant aux standards du 21ème siècle ». De plus, les français revendiquent aussi moins de sports de concurrence, de compétition et de performance, et plus de sports associés à l’amélioration du bien-être et de la santé. Selon l’enquête IPSOS et l’Union des cycles de 2017, « les trois principaux moteurs de la pratique sont le maintien en bonne santé (96%), le plaisir (87%), et l’apparence physique » (86%). La volonté n’est plus de performer à tout prix, mais d’éviter le surpoids, lutter contre le stress, et toutes leurs conséquences néfastes sur la santé. L’activité sportive devient même une manière de retrouver un moyen d’exister, de se retrouver, de s’évader. « Dans un monde d’obsolescence, celui de l’humanité assise, le contrôle de soi, de son corps est impératif pour garder un contrôle sur sa vie ». L’importance de prendre soin de son corps est désormais une tendance de fonds de notre société soutenue par les pouvoirs public et le fameux « manger-bouger » ou encore le récent amendement du sport sur ordonnance.
L’implantation massive de grands groupes conscient du potentiel d’un secteur : Le bouleversement de la cartographie du marché français
Jusqu’au début des années 2010, le marché du fitness français connaissait une spécificité structurelle qui la distingua de ses voisins européens. La majorité des clubs de remise en forme appartenaient à des entrepreneurs indépendants et étaient gérés encore comme n’importe quel commerce de proximité, c’est-à-dire en assurant un service sur une zone de chalandise. Mais l’engouement des Français pour les activités fitness et ses multiples hybridations ainsi que la disparition d’un grand nombre d’acteurs dans les années 2000 ont ouvert un marché qui attirent depuis une dizaine d’année des investisseurs de l’industrie conscients de son potentiel lucratif. Depuis une dizaine d’année, des grands groupes nationaux et internationaux envahissent alors le marché en se développement rapidement et en multipliant les ouvertures de clubs, notamment grâce au le concept de la franchise. Ce bouleversement de la cartographie du marché en faveur de ces grands groupes est de plus en plus visible. En 2010, sur les 3000 clubs de fitness présents en France, 95 % des clubs étaient indépendants contre 4,5 % à 5 % des clubs rattachés à une enseigne nationale. En 2015, sur les 3800 clubs que comptait le marché français, 1200 étaient désormais sous enseigne soit 30% du marché. Selon la dernière édition de l’étude Deloitte Europe Active consacrée au marché de la santé et du fitness en Europe (2018), on trouve d’ailleurs neuf réseaux de franchises dans le Top 10 des principales enseignes de fitness.
Remarque : La seule enseigne dans le Top 10 national qui se développe en propre est « Basic fit », société néerlandaise cotée à la bourse d’Amsterdam, qui fait de ce groupe le plus transparent puisque tous ses chiffres (et donc ses projets) sont publics. A la fin de l’année 2017, le groupe comptait 1,5 million de membres dans plus de 500 clubs implantés aux Pays Bas (152), en Belgique (167), en France (160), en Espagne (33) et au Luxembourg (9), pour un CA de plus de 325 millions d’€. Cette enseigne dispose donc de moyens financiers suffisants pour ce type de développement. Cette implantation de grands groupes maintenant structurés, à fort potentiel financier et ayant des besoins d’investissements pour continuer de se développer sur un marché de plus en plus concurrentiel, rend désormais ce secteur extrêmement attractif pour les sociétés financières spécialisées dans un type d’opération : la levée de fonds.
Entre partage d’un savoir-faire, et assistance pour le gérant de clubs : Les raisons de rejoindre un réseau de franchise pour un candidat entrepreneur ou un indépendant
Selon le code de déontologie européen de la franchise, la franchise est « un système de commercialisation de produits et/ou services et/ou de technologies, fondé sur une collaboration étroite et continue entre des entreprises juridiquement et financièrement distinctes et indépendantes, le franchiseur et ses franchisés, dans lequel le franchiseur accorde à ses franchisés le droit et impose l’obligation d’exploiter une entreprise en conformité avec le concept du franchiseur. Le droit ainsi concédé autorise et oblige le franchisé, à utiliser l’enseigne et/ou la marque de produits et/ou de services, le savoir-faire et autres droits de propriété intellectuelle, soutenu par l’apport continu d’assistance commerciale et/ou technique, dans le cadre et pour la durée d’un contrat de franchise écrit, conclu entre les parties à cet effet ».
Remarque : Si nous utilisons le terme de » franchise » dans ce travail académique pour qualifier la relation que noue un entrepreneur et un réseau de club de fitness, ce concept peut prendre plusieurs formes : commerce associé, partenariat, concession, commission d’affiliation, ou licence de marque. Les différences entre ces termes résident principalement dans le degré – d’autonomie laissé / de contrainte imposée – par le franchiseur à son franchisé pour la gestion de son club de remise en forme. Sur le marché du fitness, la firme traditionnelle a longtemps été la plus présente. Mais « l’émergence puis le développement de la franchise sur ce secteur sont la preuve que d’autres formes d’organisations présentent suffisamment d’avantages pour que les entrepreneurs y recourent afin de développer leur activité ». En effet, accéder à un réseau de franchises présente plusieurs avantages pour un candidat entrepreneur souhaitant ouvrir un centre de remise en forme. D’une part, la volonté d’accéder à un réseau s’explique par l’assurance pour le franchisé de bénéficier d’un concept qui a fait ses preuves. En effet sur le marché du fitness, la totalité des grandes enseignes qui ont adopté le modèle de la franchise pour se développer ont d’abord commencé à se développer en propre. Leur réussite sur le marché du fitness est donc vérifiée. Si l’on observe le développement des trois plus grandes enseignes du marché français, chaque projet a démarré par l’ouverture de succursales avec la création d’un concept distinctif qui leurs ont permis d’obtenir un avantage concurrentiel distinctif et durable. La création du réseau et la décision de se développer par la franchise intervenante ensuite. D’autre part, le candidat entrepreneur bénéficie d’une assistance de la part du franchiseur disposant au sein de sa direction d’équipes pouvant assurer l’accompagnement et le suivi du franchisé tout au long de son projet. Avant l’ouverture, cela peut consister en la mise à disposition de moyens au moment de la recherche de l’emplacement avec par exemple des études techniques du potentiel de PDG l’emplacement (étude de marché / business plan / prévisionnel), l’aide à l’aménagement du club, mais surtout l’accès facilité au financement auprès de banques partenaires. Le choix de l’enseigne permet également de rassurer les bailleurs et de s’installer « au sein d’emplacements de meilleure qualité bénéficiant d’une meilleure zone de chalandise ». Lors de l’ouverture, cette assistance continue par la mise en place de stratégies de communication pour faire connaitre l’enseigne sur la zone de chalandise d’implantation du club, la présence physique de membres de l’équipe du franchiseur les premiers jours suivants l’ouverture pour assurer le bon lancement du club. Elle se poursuit tout au long du contrat avec la formation continue du franchisé et de ses salariés (formation vente / formation marketing…), l’envoi d’équipes pour auditer et aider le point de vente en cas de difficultés passagères, l’accès à un service marketing pour assurer les campagnes de communication. De plus, les réseaux de franchises possèdent leurs propres fournisseurs du personnel, leurs propres partenaires de matériel professionnel, de gestion commerciale et d’accès en assurance juridique qui seront mis à disposition du franchisé, lui permettant d’avoir accès aux ressources essentielles au bon fonctionnement de son centre de remise en forme avant et tout au long de son contrat de franchise. Cet accès facilité aux ressources financières et humaines est un motif important pour de nombreux candidats-entrepreneurs dans leur choix d’adhérer à un réseau. Enfin, rejoindre un réseau, c’est accéder à une enseigne dotée d’une image de marque. La marque représente un potentiel unique car elle exprime un véritable phénomène identitaire. En partageant un assortiment commun dans un concept architectural unifié de l’enseigne, les points de vente d’un même réseau deviennent alors un signe de ralliement pour la clientèle. « Cette standardisation de l’offre rassure le consommateur, client à la fois d’un point de vente local et d’une enseigne nationale » . L’accès à une enseigne et à son image de marque est donc un moyen de se démarquer des concurrents et de pénétrer des marchés. Et sur le marché de la remise en forme, l’augmentation soutenue du nombre de clubs, la baisse des prix du panier moyen des adhérents et l’augmentation du coût d’acquisition-client pousse de plus en plus d’entrepreneurs à se lancer en tant que franchisé. Les grandes enseignes connaissent d’ailleurs une augmentation soutenue du nombre de leurs clubs, signe de cet intérêt de la franchise dans le monde du fitness. Ce système de collaboration entre deux entreprises semble être la voie royale pour les nouveaux entrepreneurs qui choisissent de s’adosser à ces franchiseurs. Ce concept « diminuerait alors, pour les candidats à l’entrée dans un réseau, le risque de l’activité et permettrait d’atteindre des résultats supérieurs à ceux d’une activité indépendante (Kauffman et Stanworth, 1995 ; Kalila et al, 1999) ».
Les limites du développement par la franchise
Si la franchise est encore utilisée par les historiques du secteur pour développer leur réseau, les questions stratégiques ne sont alors plus tournées exclusivement vers l’implantation de nouveaux clubs franchisés mais concernent aussi l’implantation de succursales. En effet, la franchise présente certains inconvénients pour une enseigne, notamment quand celle-ci est bien implantée sur un marché. Si la franchise permet aux enseignes de réduire les coûts et les risques pour l’enseigne qui profite alors des capitaux du candidat franchisé pour ouvrir des nouveaux clubs, seule une toute petite partie du Chiffre d’Affaires générés par le club franchisé revient au franchiseur. Et c’est pour cela que si les enseignes historiques affichent des chiffres d’affaires annuels dépassant parfois les cent millions d’euros, une distinction doit être faite entre ce chiffre d’affaires qui comprend aussi l’activité des franchisés et le chiffre d’affaire du groupe seul et qui ne rassemble que les activités de l’enseigne. Le désir de conserver l’ensemble du profit est l’une des motivations qui poussent les enseignes à augmenter leur nombre de succursales. L’enseigne peut aussi se retrouver en position de faiblesse vis-à-vis des franchisés, notamment les multi-franchisés, sur lesquels le groupe s’est appuyé pour se développer rapidement, mais qui ont pris une telle place qu’ils finissent par gêner la liberté de décision et d’action du franchiseur. L’ouverture de clubs en propre permet donc de renforcer la position du groupe et de sécuriser son avenir en cas de comportements opportunistes chez les franchisés pouvant être favorisés par le secteur d’activité. En 2011 par exemple, deux dirigeants alors franchisés à l’enseigne L’Orange Bleue ont décidé de rompre leur contrat afin de lancer leur propre franchise « We Fit », rentrant ainsi en concurrence directe avec leur ancien partenaire. Enfin le souci de maintenir l’uniformité du réseau, élément central de la valeur de la marque et de la réussite d’une chaine de point de vente, « en contrôlant les unités à risque parce que trop éloignées géographiquement », conduisent les enseignes à ce changement de stratégie quant au choix de privilégier le développement en succursales.
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Table des matières
Introduction
I. Un marché de la remise en forme en pleine croissance depuis une dizaine d’années et marqué par une domination de grandes enseignes
1. La pratique du fitness sous toutes ses formes, désormais tendance en France
A. Les changements de motivation à la pratique sportive chez les Français
B. La transformation des centres de remise en forme pour s’adapter à l’évolution de la culture sportive et séduire cette nouvelle clientèle
2. Depuis 2010 : L’intérêt de nouveaux entrepreneurs et investisseurs financiers pour un marché de la remise en forme à fort potentiel
A. L’implantation massive de grands groupes conscient du potentiel d’un secteur : Le bouleversement de la cartographie du marché français
B. Le nouvel intérêt des investisseurs financiers pour le marché du fitness se traduisant par des levées de fonds de plus en plus fréquentes
3. La domination des grandes enseignes franchiseuses sur le marché de la remise en forme
A. Entre partage d’un savoir-faire, et assistance pour le gérant de clubs : Les raisons de rejoindre un réseau de franchise pour un candidat entrepreneur ou un indépendant
B. Un marché segmenté entre les enseignes historiques et les challengers : Présentation des enseignes et de leur place sur le marché
C. La spécificité du marché du fitness parisien
D. La guerre entre les enseignes historiques pour conquérir le marché, une étude comparative selon deux axes stratégiques : présentation de la méthodologie
II. Deux approches dans les stratégies de développement des grandes enseignes fitness
1. La stratégie de développement du réseau pour les challengers
A. Entre ancrage territorial…
B. … et aspiration à un développement rapide au niveau national par la franchise : l’exemple de l’enseigne Wake Up Form
2. Un changement dans le modèle de développement réseau pour les enseignes historiques
A. Les limites du développement par la franchise
B. Les opérations de croissance externe des enseignes historiques pour consolider leur position dominante sur le marché
III. Le marché du fitness : Un secteur concurrentiel et instable dans lequel il devient de plus en plus difficile d’obtenir un avantage concurrentiel
1. L’analyse sectorielle du marché du fitness en 2018
A. Un secteur caractérisé par une forte intensité concurrentielle direct entre les acteurs
B. De nouveaux entrants qui modifient la structure du secteur et bouleversent le jeu concurrentiel entre les acteurs
C. L’arrivé de concurrents proposant une offre de substitution à l’offre traditionnelle en club
2. Dans un marché en perpétuelle évolution, les enseignes historiques changent leur stratégie
A. La stratégie de focalisation avec différenciation par le bas : Keep Cool et Fitness Park
B. La stratégie de focalisation avec différenciation par le haut : l’appart Fitness
C. L’Orange bleue : L’approche de la Resource Based-View
D. Quel avenir pour les challengers ?
Conclusion
Bibliographie
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