Le problème de la pauvreté à Madagascar est dû aux combinaisons des différents facteurs dans le domaine socio-économique, agronomique et environnemental. Sur le plan socio-économique, l’évolution de la production agricole et de la population n’est pas proportionnelle. L’augmentation de la production agricole et rizicole en particulier ne parvient pas à subvenir les besoins alimentaires de la population qui ne cesse d’augmenter. En effet, la croissance démographique des Malgaches atteignait un taux annuel de 3% (United States Census bureau, International Programs Center, International database, 2008) et en 2008 la population Malagasy était estimée à 20 043 000 habitants (majoritairement rurale) avec une densité de 33.4 hab/km² (http://www.census.gov/ipc/www/idb/country/maportal.html). Alors que les terres cultivables restent stagnantes et représentent 3 500 000 ha soit environ 60% du territoire. La superficie cultivée en riz est environ 1 200 000 ha par an. Cette stagnation de surface cultivée est accentuée par la difficulté des paysans à faire des intensifications de leurs cultures, surtout sur la fertilisation. La consommation d’engrais minéraux (N, P et K) à Madagascar est nettement inférieure à 10 kg ha-1 an-1 alors que 5 à 10 fois plus serait nécessaire pour une productivité correcte pour les besoins alimentaires annuels humains (Feller, 2007). Actuellement, à Madagascar, le secteur rural est un secteur essentiel de l’économie malgache avec près de 43% du PIB en intégrant agriculture, élevage, pêche, forêt et les industries agro-industrielles en aval. L’agriculture fournit environ 27 % du PIB et 40 % des exportations (Ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche, 2004). Malgré tous les efforts successifs initiés et les signes de reprise constatés, la croissance économique globale du secteur reste encore insuffisante pour juguler la pauvreté qui sévit surtout en milieu rural. La production des rizières n’a pas évolué depuis plus de 10 ans (2 500 000 tonnes par an). Les rendements tournent autour de 2 tonnes par hectare pendant plusieurs années, ce qui a entraîné des déficits importants. Par ailleurs, la faible production agricole à Madagascar est aussi liée à la mauvaise qualité des sols (Arrivets, 1998). Selon les travaux de Roederer (1971), Madagascar possède plusieurs types de sols : sols ferralitiques, sols ferrugineux tropicaux, sols hydromorphes,… Comme dans d’autres pays tropicaux (Balibino et al., 2002), ce sont les sols ferralitiques qui dominent la surface totale car ils occupent environ 65% de la superficie de l’Ile. Les sols ferralitiques sont des sols argileux riches en fer et en aluminium sous forme hydratée qui se développent normalement sous forêt en climat chaud et humide, à partir de roches différentes (granite, gneiss, micaschistes, basalte, grès, alluvions anciennes,…) engendrant ainsi divers types de sols.
Généralité sur le phosphore
Le phosphore est largement répandu dans la nature : c’est le onzième élément le plus abondant parmi les éléments de la croûte terrestre (0,12%). Il existe dans la nature à l’état combiné dans un grand nombre de minéraux : phosphates et fluorophosphates d’aluminium, de calcium, de fer ou de manganèse. On le trouve également, mais de façon moins courante, composé avec les terres rares, l’uranium ou le plomb. On le rencontre dans les eaux de drainage et les sols, soit à l’état de sels minéraux, soit sous la forme de combinaisons complexes avec la matière azotée du sol. Mais pour la plante, le phosphore constitue l’un des trois éléments majeurs indispensables à son alimentation et un facteur qui peut sérieusement limiter la production agricole, surtout dans les sols ferralitiques. Représentant 0.5 à 1% de la matière sèche végétale, le phosphore en est l’un des constituants essentiels. Présent sous forme d’ions phosphates dans les tissus, le phosphore est souvent associé dans des molécules organiques situées au cœur même du fonctionnement cellulaire. En effet, le phosphore est indispensable à la vie et intervient dans tous les processus essentiels de la synthèse de la matière vivante :
● support du patrimoine génétique (acides nucléiques)
● rôle dans la synthèse des sucres et des protéines (réactions enzymatiques).
● véhicule de l’énergie en particulier sous forme d’ATP
● composant de la structure des membranes cellulaires avec les phospholipides.
A l’échelle de la plante, le phosphore joue également de multiples rôles :
● Contribution à la croissance précoce et notamment au développement du système racinaire.
● Facteur de précocité en activant le démarrage des cultures et tendance à raccourcir le cycle végétatif en favorisant la maturation.
● Accroissement de la résistance au froid et aux maladies.
● Contribution à la rigidité des tissus et résistance à la verse.
● Rôle dans la reproduction : fécondation et fructification
● Facteur de qualité et notamment des fourrages contribuant à la bonne nutrition phosphatée des animaux d’élevage (ruminants).
A la récolte, on retrouve le phosphore localisé principalement dans les organes de reproduction tandis que les organes végétatifs ont une teneur nettement plus faible. Le phosphore est toujours présent en proportion plus importante dans les tissus jeunes, et le vieillissement d’un organe se traduit par une baisse de sa concentration en P. Le manque de phosphore pour les cultures se traduit par le faible rendement en grains. Dans le sol, la teneur en P est de l’ordre de 0.02 à 3% alors que dans les végétaux elles varient de 0.1 à 0.4%, le phosphore contenu dans les végétaux provient essentiellement du sol. Dans la grande majorité des cas, l’analyse du statut phosphaté d’un sol est destinée à évaluer le phosphore biodisponible, fraction du phosphore total du sol susceptible d’être prélevé par les végétaux, à des fins de diagnostic agronomique et de l’établissement de la prescription en matière d’apport de phosphore. Pour obtenir le phosphore, différentes sources peuvent être considérées selon la matière première utilisée : Concernant les fertilisants minéraux phosphatés, la matière première de base est le phosphate naturel de calcium extrait de gisements. Le phosphore peut être aussi rencontré dans les déchets urbains ou les déchets de l’élevage qui produisent de grandes quantités d’amendements organiques riches en phosphore. D’après N’Dienor (2006), dans le contexte malgache le terreau issu des déchets urbains d’Antananarivo peut contenir 0,34 à 0,48% et les fumiers bovins 0,27 à 0,35%. Pour le cas de France, la teneur en P des composts urbains est de 0,26 à 0,44% et celle des fumiers peut aller jusqu’à 0,74%. En effet, de très nombreuses sources de matières organiques contenant du P sous forme minérale et organique, résidus végétaux divers, fumiers et lisiers, composts urbains et boues de stations d’épuration…, peuvent être enfouies dans les terres agricoles et peuvent participer temporairement à la nutrition des cultures. Des études, réalisées en pots de culture, ont d’ailleurs montré que l’utilisation à court terme du P apporté sous forme de résidus de végétaux (racines et parties aériennes de Ray-grass, paille de blé) est équivalente à celle d’une forme minérale soluble et qu’elle est contrôlée par le rapport C/N des résidus (Thibaud et al., 1988). Les engrais phosphatés se classent selon leur solubilité. Les plus solubles élèvent instantanément le niveau en phosphore de la solution du sol, ce phosphore se trouvant ensuite sous une forme labile capable de réapprovisionner aisément la solution du sol en cas de consommation par les plantes. A l’inverse, les formes les moins solubles, provenant des phosphates naturels, ne participent que faiblement à l’entretien de la solution du sol. Cependant, lorsque le niveau en phosphore de cette solution diminue, les réserves échangeables voient leur importance décroître, et il se crée un très lent déplacement de P des formes insolubles vers des formes plus labiles (Arvieu, 1980).
Cycle biogéochimique, les différentes formes du phosphore dans le sol et les fractions biodisponibles
La biogéochimie s’intéresse aux domaines superficiels où règne la photosynthèse et qui sont caractérisés par la présence à la fois de constituants minéraux et d’êtres vivants ; mais ce sont ces derniers (micro- et macro-organismes) qui, en raison de leur mode d’existence, gouvernent en fait le fonctionnement chimique de ces milieux (Académie des sciences, 2007). Selon la traduction française de l’article d’Odum (1971), la biogéochimie est l’étude du processus cyclique de transfert des éléments chimiques de l’environnement à partir des milieux abiotiques vers les organismes qui à leur tour retransmettent ses constituants à l’environnement. En écologie et plus généralement en sciences de la Terre, un cycle biogéochimique est le processus de transport et de transformation cyclique d’un élément ou composé chimique entre les grands réservoirs que sont la géosphère, l’atmosphère, l’hydrosphère et, généralement, la biosphère. Le cycle biogéochimique représente ainsi la circulation permanente des éléments minéraux entre les compartiments de l’écosystème, les végétaux et les horizons du sol prospectés par les racines. Les éléments prélevés au sol, servent à l’élaboration de la biomasse annuelle et pérenne ; une partie de ces éléments est fixée définitivement (immobilisation), une autre est restituée au sol ; une part importante des besoins des peuplements provient du transfert direct par voie interne des organes âgés vers les organes en croissance. Ce cycle possède des connections avec l’extérieur : ce sont les apports atmosphériques et les éléments produits par l’altération des minéraux, mais également les pertes par drainage en dehors de la zone racinaire, l’érosion et les pertes gazeuses (pertes de N par dénitrification ; pertes de CO2). (Ulrich, 1973 et Duvigneaud, 1985) .
Cycle biogéochimique du phosphore
La dynamique du P dans les systèmes agricoles est représentée par un cycle simplifié du P (Friessen et al., 1997) plutôt que par le cycle complet du P qui inclut, entre autres, l’influence des océans et des activités volcaniques sur le devenir planétaire du P (Parent et al., 2002). Cette présentation fournit des balises permettant aux agronomes de mieux adapter les pratiques agricoles aux exigences environnementales des milieux récepteurs. Dans des écosystèmes naturels et faiblement anthropisés, le cycle du P peut être considéré comme fermé et équilibré (Magdoff et al., 1997). Les niveaux de prélèvement par les consommateurs sont faibles et les sorties de P sont quasiment nulles. En plus la part non exportée retourne au sol. Pour calculer des bilans de matière dans les systèmes agricoles, on simplifie encore davantage le modèle sur la base de certaines hypothèses. Par exemple, on néglige la plupart du temps les phénomènes de déposition et de déplacement mécanique (nivellement, nettoyage des fossés) et les pertes par des processus hydrologiques, où on suppose que le P des résidus et des semences fait partie du cycle interne du sol et se retrouve dans l’analyse (Parent et al., 2002). Pour le système cultivé (Figure I.1), le phosphore apporté au sol subit de multiples transformations et passe entre les différents compartiments minéral, organique et microbien. Seule une petite fraction du phosphore présent dans le sol est susceptible d’être absorbée par les racines et participer à la nutrition des cultures. Cette fraction, souvent appelée phosphore biodisponible ou assimilable, est d’une importance capitale puisqu’elle conditionne la fertilité des sols.
Les flux entrants de phosphore peuvent être :
• I, apports par les intrants. Les intrants peuvent être de nature différente : les engrais minéraux (superphosphates, phosphates d’ammoniaque, phosphates naturels…) ; les produits organiques issus d’effluents d’élevage plus ou moins transformés (lisier, fumier, fientes…), des filières de traitements des eaux usées des stations d’épuration (boues biologiques, physico-chimiques, mixtes, compostées …), de déchets verts…
• R, apports par les restitutions des résidus de culture
• D, apports d’origine atmosphérique par les pluies et poussières
• Ir, apports par les eaux d’irrigation .
Les flux sortants de phosphore peuvent être :
• EX : Exportations dans la biomasse. Ce poste comprend le phosphore contenu dans les rendements récoltés et éventuellement le P contenu dans les résidus de récolte s’ils ne sont pas restitués au sol.
• ER : pertes par érosion et ruissellement et érosion éolienne
• ED : sorties de P par déplacement de subsurface
• M : pertes par migration du P vers la profondeur du profil de sol que ce soit par lixiviation, drainage, écoulement préférentiel…
Les entrées dans le cycle du P d’une parcelle agricole
Dans une parcelle agricole, plusieurs sources peuvent exister pour alimenter la plante : le P libéré par la roche mère, le dépôt atmosphérique et les apports minéraux et organiques. La disponibilité et l’action de ces différentes sources pour la plante ne sont pas les mêmes. Selon Newman (1995), la vitesse de libération de P par l’altération des roches varie entre 0.01 et 1 kg P ha-1 an-1, mais dans certains cas elle pourrait atteindre 5 kg ha-1 an-1. Dans le même article, il montre que les quantités de P arrivant de l’atmosphère sur les écosystèmes terrestres varient entre 0.01 et 2 kg P ha-1 an-1 et qu’environ les mêmes quantités de P quittent l’écosystème par voie atmosphérique (sous forme de pollens ou de poussières). Ainsi pour maintenir le niveau de production il est nécessaire de compenser voire parfois d’augmenter la fraction biodisponible du P dans le sol. Différents types d’intrants peuvent être utilisés. Aujourd’hui encore, les engrais minéraux restent la principale source de P apportée aux terres agricoles même si un recul très net de la consommation a été enregistré depuis 1973. Les effluents d’élevage représentent également des sources importantes de P.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
Introduction générale
CHAPITRE I : ETAT DES CONNAISSANCES SUR LA BIODISPONIBILITE DU P
INTRODUCTION
1. Généralité sur le phosphore
2. Cycle biogéochimique, les différentes formes du phosphore dans le sol et les fractions biodisponibles
2.1. Cycle biogéochimique du phosphore
2.1.1. Les entrées dans le cycle du P d’une parcelle agricole
2.1.2. Les sorties de P hors de la parcelle agricole
2.1.3. Le phosphore dans le sol
2.2. La biodisponibilité du phosphore dans les sols
2.2.1. Biodisponibilité d’un élément dans le sol
2.2.2. Le phosphore biodisponible
3. Les différents mécanismes de transfert de P à l’interface sol-solution-plante
3.1. Le transfert solide-solution
3.2. L’absorption au niveau de la racine
3.3. Interaction entre les différents mécanismes
4. Les différentes approches d’appréciation de la quantité de phosphore biodisponible dans les sols
4.1. Les extractions chimiques
4.1.1. Les différentes méthodes utilisées pour l’extraction chimique
4.1.2. Les avantages et limites de ces extractions chimiques
4.2. Evaluation biogéochimique de la biodisponibilité
4.2.1. Méthode de sorption-désorption
4.2.2. Méthode par traçage et dilution isotopique
4.2.3. Couplage de sorption-désorption et dilution isotopique
5. Problématique générale des recherches
HYPOTHESES DE RECHERCHE
METHODOLOGIE DE RECHERCHE
CHAPITRE II : VARIATIONS DE PRODUCTIVITE SELON LES PRATIQUES CULTURALES ET LES CONSEQUENCES SUR LE BILAN DE P DANS LES SOLS CULTIVES DE HAUTE TERRE DE MADAGASCAR
Résumé
Introduction
Matériels et méthodes
1. Présentation du dispositif expérimental
2. Les quatre systèmes de cultures
3. Rendements de culture
4. Calcul du bilan de P
5. Analyses statistiques des données
Résultats et discussions
1. Rendement en grain des cultures
2. Résidus de culture
3. Teneur en P des grains
4. Les flux entrants de phosphore dans la parcelle
5. Les flux sortants de P de la parcelle
6. Le bilan annuel de P
7. Le bilan cumulé de P sur la période d’expérimentation
Conclusion
Références bibliographiques
CHAPITRE III : LES IONS PHOSPHATES DANS LA SOLUTION DU SOL ET LES EFFETS DES PRATIQUES CULTURALES
Introduction
Matériels et méthodes
1. Dispositif étudié
2. Matériels utilisés
2.1. L’eau ultrapure
2.2. Les blancs
2.3. La cuve
3. Méthodes analytiques
3.1. Dosage colorimétrique des ions phosphates
3.1.1. Principe et théorie
3.1.2. La gamme d’étalonnage
3.1.3. Préparation d’échantillons
3.1.4. Les réactifs
3.1.5. Passage au colorimètre
3.1.6. Calcul et expression des résultats
3.2. Le dosage par chromatographie ionique des ions phosphates
3.3. Le dosage colorimétrique du phosphore total dissous
3.4. Autres déterminations
4. Seuil de détection (SD) et seuil de quantification (SQ)
4.1. Le seuil de détection (SD)
4.2. Le seuil de quantification (SQ)
5. Analyses statistiques des données
Résultats et discussion
1. Mise au point méthodologique sur le dosage d’ions P dans la solution du sol
1.1. Les blancs d’essai
1.2. Le seuil de détection et de quantification
1.3. La concentration des ions phosphates par rapport aux seuils de détection et de quantification
2. Les ions phosphates dans la solution du sol
3. Les effets des différents traitements sur les concentrations des ions P dans la solution du sol
3.1. L’effet bilan sur la concentration des ions P (Cp) dans le sol
3.2. L’effet de l’Al sur la concentration des ions P (Cp) dans le sol
3.3. L’effet de travail du sol sur la concentration des ions P (Cp) dans le sol
Conclusion
CONCLUSION GENERALE