Les différentes formes de la métamorphose animale
La métamorphose au Moyen Âge est à interroger.
La merveille de la muance est perçue dans nos textes selon des modalités qui sont propres à cette époque. Les personnages qui en sont les témoins nous apportent des renseignements précieux sur sa réception. Ce merveilleux est à redéfinir puisque la définition que propose Tzvetan Todorov du fantastique n’est pas applicable aux textes du Moyen Âge sans quelques adaptations. En effet, la théorie qu’il offre de l’étrange, du fantastique et du merveilleux a été élaborée à partir d’un corpus du XIXe siècle. La littérature de cette époque reflète une perception du monde qui n’était pas celle du Moyen Âge. La métamorphose dans notre corpus pose également le problème de ses limites. Nous le verrons, les différences entre déguisement et métamorphose, entre magie et connaissance des choses créées ne sont pas clairement tranchées. Savoir, enchantement et travestissement, s’ils ont souvent la même fonction pragmatique (entre autres), ne sont pas distincts dans nos textes.
Le terme « métamorphose » lui-même est éclairant. Parler de métamorphose au Moyen Âge relève de l’anachronisme si l’on ne l’utilise pas comme un terme générique. Ce mot n’apparaît en effet que plusieurs siècles après les dates de rédaction de nos ouvrages. L’étude du vocabulaire renvoyant dans notre corpus au passage d’un état physique à un autre est éclairante quant à la perception de la transformation.
Ses formes lexicales
« Métamorphose » est emprunté du latin metamorphosis, lui-même emprunté du grec metamorphôsis, qui signifie « le changement de forme (morphê). Ce terme n’apparaît pas dans les textes issus de notre corpus, puisque son emploi est relativement récent.
Il n’apparaît qu’à la fin du XVe siècle pour désigner l’ouvrage d’Ovide et n’est utilisé qu’à partir de la moitié du XVIe siècle, dans un emploi plus large. Sa définition cependant, ne s’étend pas encore à la définition moderne de « changement d’une forme en une autre », comme le souligne Laurence Harf-Lancner : « Il faut attendre le XVIe siècle pour trouver en ce terme un nom commun synonyme de transformation. Encore, n’est-il guère employé dans son sens propre ni dans son contexte mythologique, mais plutôt dans un registrepoétique : la lyrique amoureuse et la polémique religieuse évoqueront les métamorphoses métaphoriques des amants ou des convertis qui passent d’une cause à l’autre.»
Ce n’est qu’à la fin du XVe siècle que le titre du poème commencera à être employé comme un nom commun. C’est le cas dans l’excipit de la Bible des poètes [1493] :
Cy finist la bible des poètes de métamorphoses.
Son sens sera établi dans son acception de « changement » par Clément Marot dans sa préface du « Premier livre de la metamorphose d’Ovide ». Il le traduit de la sorte :
« Metamorphose est une diction Grecque, vulgairement signifiant transformation ». Mais il ne creuse pas cette piste lorsqu’il commente le sujet du poème.
Le mot « métamorphose » met du temps à se dégager de l’influence d’Ovide et n’a une indépendance en français qu’en s’éloignant d’usages en relation avec la mythologie. Il reste cantonné jusqu’en 1550 environ à la mythographie. Rabelais ainsi ne l’utilise au début du Quart Livre[1552] qu’en corrélation avec l’évocation de Dieuxcomme Priape.
Il a un emploi plus étendu chez Pontus de Tyard ou Ronsard, au sens figuré, puisqu’il désignera chez ces poètes la métamorphose amoureuse.
Il est ainsi longtemps réservé à la poésie et son usage dans la prose reste pendant une longue période légèrement négatif, le mot rappelantpar trop ses origines mythologiques.
Ana Pairet note que, encore dans son emploi contemporain, l’imaginaire du mot reste fortement façonné par le poème d’Ovide « comme le reflète encore l’emploi contemporain, qui a adopté le sens scientifique, mais qui dans le quotidien, lui préfère des synonymes apparus au Moyen Âge, comme mutacion […] ou transformation. »
Nos textes offrent un lexique étendu. Cependant, le Moyen Âge ne s’attarde pas sur le processus de la transformation. Le vocabulaire est le lieu où les difficultés que pose l’idée de métamorphose transparaissent. Les descriptions détaillées de la muance sont rares, même chez les continuateurs d’Ovide . Tout au plus, le passage d’un état à l’autre est-il signalé.
Certains textes passent sous silence l’intégralité du passage d’un état à l’autre. Prenons l’exemple du lai de Marie de France, Bisclavret. Le retour du héros à la forme humaine est tu.
Le silence sur la muance est motivé par la « grant hunte » que ressentirait le preux à se métamorphoser devant le roi, mais aussi certainement par la retenue de l’auteur.
Ses formes concrètes
Changement d’état
L’animal en lequel la mutation s’opère s’associe souvent à un certain pragmatisme.
C’est le cas de l’autour. L’oiseau est en effet la forme idéale sous laquelle un amant peut rejoindre son aimée. La mal-mariée dans Yonec est enfermée, aussi, Muldumarec choisit-il, pour contourner la surveillance exercée sur la femme du vieillard par « la veille » de passer par un endroit auquel ses geôliers auraient du mal à s’attendre : la fenêtre. L’oiseau est pour ce faire un animal des plus pratiques. Ce récit de mal-mariée propose une solution originale à la séparation des amants : la métamorphose de l’amien oiseau.
L’oiseau est également un animal capable de parcourir de grandes distances (ici, de l’autre monde au monde des hommes). Dans le roman de Philippe de Rémi, l’ami de Blonde, Jehan, évoque l’avantage qu’aurait pu tirer le couple adultérin d’une telle métamorphose :
Se je pooie estre uns coulons. / Toutes les fois que je vaurroie, / Mout sovent avoec vous seroie, / Mais c’est çou qui estre ne puet, / Autrement à faire l’estuet.
Magie, science et mensonge
La plupart des mutacions présentes dans nos textes sont explicitement dues à la magie. Pouvoirs et objets magiques sont les moyens les plus fréquemment utilisés pour parvenir à des transformations d’ordre biologique. Les auteurs ne s’y étendent pas, la magie suffit à expliquer de telles métamorphoses. Ainsi, l’animal composite qui met à mal Arthur dans Jaufré se révèle être un chevalier versé dans les « encantamens » et Mélion a recours à un « anel » pour se transformer en loup.
Des textes, cependant, posent le problème de la limite entre science et magie.
Dans Jaufré , si la métamorphose s’explique par le fait que le chevalier polymorphe est un « encantador », l’auteur ajoute à la connaissance de la magie le fait qu’il « sap […] las .vij. arts qe son escrichas, / Trobadas, ni faitas ni dichas. » . De même, Morgane dans Merlin: [P]ar le consoil de touz les amis ensemble la fist li rois apprendre letres en une maison de religion et celle aprist tant et si bien qu’elle aprist des arz et si sot merveille d’un art que l’en apele astronomie et molt ouvra toz jorz et sot molt de fisique, et par celle mastrie de clergie qu’ele avoit fu apelee Morgain la faee.
La frontière est mince entre savoir et aptitudes surnaturelles.
Dans le Merlin de Robert De Boron, une seule indication nous est donnée sur la manière dont le personnage éponyme opère des muances. Il s’agit pour lui de favoriser les amours d’Uterpandragon pour Egerne, et Merlin doit pour ce faire, recourir à la métamorphose.
La perception de la métamorphose
Les limites, qui caractérisent notre pensée moderne, entre faits avérés (c’est-à-dire observés) et non avérés (c’est-à-dire non vérifiables) ne régissent pas les esprits du Moyen Âge. L’observation n’est rien, face aux savoirs livresques qui font autorité. L’expérience directe n’est pas de mise. Ainsi, la licorne fait partie intégrante des bestiaires aux côtés de la fouine ou de la colombe et la girafe est un être hybride, tout comme le griffon . De même, la description des mœurs animales dans les bestiaires est des plus surprenante pour le zoologiste d’aujourd’hui. Les chapiteaux d’églises sont le lieu où se réunissent une multitude d’êtres extraordinaires. Les lieux de clôture n’y échappentpas, les créatures de pierre y sont partout, au grand scandale de saint Bernard.
La vie quotidienne de l’époque est empreinte d’un surnaturel omniprésent. Il est tripartite. Selon la terminologie employée par Jacques Le Goff et Cité par Francis Dubost en voici la définition :
Le merveilleux chrétien, bénéfique ou exemplaire, mais toujours providentiel, relève du miraculum . Le fantastique diabolique se développe sur le domaine du magicus.
Entre les deux, se situe celle des mirabilia , ces merveilles étrangères, en principe, à la bipolarité chrétienne, mais qui sont en fait beaucoup plus exposées à subir l’attraction du magicusque celle du miraculum.
Les textes hagiographiques ou vies de saints fournissaient aux croyants des miracula incontestables. Ainsi, la « Legenda aurea » de Jacques de Voragine [1230-1298] raconte la légende de sainte Marthe, sainte civilisatrice qui a apprivoisé le terrible drac, dont la description n’a rien à envier à la bestia de Jaufré , un peu taureau et un peu truie.
…Era en aquel temps, sobre Rose, en .I. bosch, entre Arles e Avinho, .I. drach que era mieg peis e mieg bestia, pus gros que .I. buou e pus long que .I. caval, que avía dens talans coma spasa ; e estava en l’ayga quant se volía, e el bosch quant se volía.
Il y avait en ce temps-là, au-dessus du Rhône, dans un bois, entre Arles et Avignon, un drac qui était mipoisson et mi-animal terrestre, plus gros qu’un bœuf et plus long qu’un cheval, et qui avait des dents tranchantes comme une épée. Il se tenait dans l’eau quand il le voulait, ou dans la forêt à son gré [.]
L’animal est un être composite (« mieg peis e mieg bestia »), et ne peut se décrire que par approximation (« pus gros que .I. buou e pus long que .I. caval »). C’est le cas nous le verrons de la bestia que rencontre le roi Arthur au début de Jaufré . Le drac relève de l’hybride, de l’extraordinaire mais son existence ne peut être mise en doute, Marthe ayant accédé au statut de sainte en le domestiquant.
Les histoires dénonçant les méfaits du diable étaient elles aussi dignes de foi. Le diable est imaginé de nos jours selon des traits que nous prenons pour son apparence ; sabots fourchus, cornes, poils et queue pointue nous font immédiatement penser à lui. Au Moyen Âge, cette image du diable n’existe pas . Il est celui qui porte un masque, se déguise, et trompe les hommes par son apparence. Si l’enemi attaque les hommes, il est avant tout le tentateur, celui qui les met à l’épreuve. Depuis l’Ancien Testament où il a essayé de plonger Job dans le péché de désespérance et le Nouveau testament où il a tenté Jésus au désert, le diable a continué d’éprouver l’homme. Le Bréviaire d’Amour [commencé en 1288] de Matfre Ermengau raconte ainsi la vie de saint André, qui comprend l’épreuve d’un évêque de ses amis, prêt à tomber dans les rets de l’ennemi.
Senefiance de l’animal et de la métamorphose
Le monde au Moyen Âge est un livre écrit par Dieu qu’il faut déchiffrer pour accéder à la Vérité. Les vertus de Dieu sont décelables dans la Création ; la Bible est alors le plus sûr moyen de décrypter l’univers. La symbolique de la métamorphose n’est pas pour autant figée.
L’Autre Monde surgit au détour d’une page et le siècle inspire lui aussi les écrivains.
La métamorphose comporte un danger par rapport à l’ordre du monde, puisqu’elle le modifie. Elle permet dans le même temps de cerner l’humanité en amenant l’homme à ses frontières, à ses limites. Elle le pousse vers l’animalité dans le cas du loup-garou ou vers le divin en donnant à l’élu des ailes qui lui permettent de s’élever. La muance situe l’homme dans un rapport de semblance ou de dissemblance par rapport à Dieu. Le rapport à la bête renvoie à l’homme.
Cependant, Dieu reste le garant de l’ordonnance de l’univers. Aussi, le récit étiologique n’a plus sa place au Moyen Âge. La création reste l’apanage du Dieu unique quand le mythe chez Ovide présentait une nature mouvante, au gré des dieux antiques.
Une tradition mise de côté : le récit étiologique. Explication du monde chez Ovide et ses continuateurs
Le mythe a pour fonction première d’expliquer l’ordre du monde et se retrouve dans la plupart des civilisations :
Les études d’ethnologie attestent la présence de mythes de métamorphoses hors de la sphère indo-européenne et du merveilleux occidental. Très répandus, ces récits adoptent les formes les plus diverses, en grande partie il nous semble, à cause de leur valeur étiologique. Devenue métaphore de processus naturels ou une marque du surnaturel, la métamorphose sert à expliquer les origines et la diversité du monde.
Cet aspect étiologique de la métamorphose est omniprésent chez Ovide ; à quoi sert le récit de Daphné, si ce n’est à expliquer les origines du laurier et son attribution au dieu Apollon ? Nous avons vu pourtant que le Moyen Âge écarte cet aspect. Il s’agit ici de voir pourquoi le récit étiologique s’efface. Les translations du Moyen Âge n’ont plus cette valeur.
Ces textes sont moralisés : dans Philomena , Procné est en colère « si con dÿables li conseille » (vers 1298), ce sentiment est jugé, c’est une folie, elle est « come dervee » (vers 1261). Chez Ovide, cette moralisation n’existait pas :
Cette légèreté a dû paraître insoutenable aux auteurs du Moyen Âge, en particulier à une époque où l’on s’efforçait de donner une valeur positive à l’idée de changement.
Un premier composant de la métamorphose ovidienne a disparu dans les textes qui nous occupent. La métamorphose chez le poète antique est irréversible pour les hommes. Si elle prend des aspects divers d’une section à l’autre, elle reste fixée une fois accomplie.
Le monde vu comme un livre : « scriptus digito Dei »
Lecture de la nature
L’utilisation de la nature à des fins symboliques n’est pas une innovation des romans qui nous occupent. Plantes, pierres et animaux constituent autant de signes qui parfois sont directement compréhensibles. C’est le cas dans La Chanson de Roland: Branches d’olive en voz mains porterez
Co senefïet pais et humilitét (Vers 72-73)
Le végétal relève ici plus d’une convention partagée par tous que d’une symbolique originale. L’arbitraire ou non de ce signe n’a pas d’importance, seule compte son efficacité à transmettre un message. Il relève plus de l’emblèmeque d’une lecture de la nature.
La nature et en particulier l’animal sont dans nos textes un sujet bien plus riche que de simples emblèmes. Ils sont une source d’interprétations ; bien loin d’une correspondance animal/symbole figée.
Ce qui intéresse le Moyen Âge à propos de l’animal n’est pas la bête en elle-même. La perspective n’est pas celle du zoologiste moderne. L’animal présente un intérêt pour ce qu’il dit de Dieu, de la création . « L’allégorie religieuse sous-tend toute description du monde et des créatures. Elle est systématiquement présente »
La connaissance des animaux repose sur des autorités, religieuses ou non. Ainsi, les bestiaires français intègrent et fondent plusieurs discours traditionnels. La description théologique côtoie la fable animalière, la paraboleévangélique et la paraphrase biblique dans ces ouvrages qui constituent une somme des savoirs sur le sujet. « Cela revient à donner aux animaux une double portée et une double valeur : celle de pédagogue, et celle de preuve de la vérité chrétienne ».
Les animaux, les plantes et les pierres ont une valeur parce qu’ils représentent le Christ et en sont des faire-valoir.A l’homme de les interpréter, d’effectuer une ratio naturalis. C’est ce qu’exprime Pierre De Beauvais, dans l’incipit de son ouvrage.
L’ensemble des créatures que Dieu plaça sur terre, Dieu les créa pour l’homme, et afin que celui-ci prenne chez elles des exemples decroyance religieuse et de foi…ce qui est dit ici doit servir en premier lieu à la compréhension des Ecritures Saintes.
La nature présente un avantage de taille, elle montre la vérité de Jésus-Christ, elle apporte un témoignage indéniable, que tout le mondepeut voir, de la véracité de la doctrine chrétienne. Elle est une preuve vivante. L’image est en effet un moyen didactique privilégié pour toucher le plus grand nombre, comme l’exprime l’auteur du Bestiaire d’Oxford:
Je vais faire la peinture de la colombe […] Par cette description, j’entends édifier l’âme des simples, pour que leur sensibilité puisse au moins entrevoir ce que leur esprit peut difficilement saisir, c’est-à-dire que leur vue perçoive ce que leur ouïe appréhende avec peine […] L’écriture en effet parle aux docteurs, tandis que la peinture parle aux simples.
L’animal est donc miroir et vecteur de vérité. La nature est un texte à lire à plusieurs niveaux, et comme lui, elle ne se limite pas à un sens littéral : il faut en faire une lecture allégorique :
Les choses visibles et invisibles ne sont pas des apparitions contingentes, mais le résultat de l’action intelligente, providentielle et salvifique de Dieu, qui non seulement a créé le monde à partir de rien, mais le maintient et le guide par son pouvoir, étant partout présent même si l’ordre et l’œuvre du monde ne s’identifient jamais et nulle part à son œuvre. Etre signifie […] être dans l’intelligence de Dieu, être pensé et voulu par Lui. Il en résulte que toutacte, tout événement manifeste en premier lieu une intention du Créateur. […] Le monde est un livre, scriptus digito Dei, où l’homme doit apprendre à déchiffrer, au-delà de la beauté des formes, le visage du Créateur.
Symbolique de l’animal et de la métamorphose
Dresser ici une sorte de « dictionnaire des symboles » serait une erreur. En effet, le symbolisme d’un animal n’est pas figé dans notre corpus . Il varie d’un texte à l’autre, voire au sein d’un même texte. Ainsi, dans la Queste del Saint Graal , le lion est à la fois positif et négatif. Perceval, dans l’île, « voit un serpent qui portoit un petit lyonet le tenoit par le col as denz, et s’assist ou sommet de la montaigne. Et apres le serpent coroit uns lyons criant et braiant et fesant si male fin qu’il semble a Perceval que le lyon face son duel por le petit lyoncelque li serpent emporte. »
Cet animal ressent de l’amour filial. Bien plus, il est bon par essence, ce qui va motiver la décision de Perceval de l’aider . Or, plus loin dans le texte, la symbolique du lion perd tout aspect positif. « uns viel hom vestu de robe blanche en semblance d’ome de religion » fait état à un Lancelot repentant des dons que luia fait le
Seigneur et du mauvais usage qu’il en a fait. Le lion, ici, est un symbole des plus négatifs : « Car si tost come tu eus tes eulz eschaufez de l’ardor de luxure, maintenant enchaça humilité et atresis orgueil et vousis aller test levee aussifierement come un lyon » . Il ne s’agit pas ici d’une indécision. La symbolique médiévale n’est ni figée ni établie une fois pour toutes.
Aucun animal en effet, étant l’œuvre de Dieu ne peu être totalement mauvais. Ainsi, le bestiaire du Christ et celui de l’anemisont parfois représentés par le même animal.
Enjeux de la métamorphose
La métamorphose chez Ovide relevait du récit étiologique. Cet aspect n’apparaît pas dans notre corpus . La métamorphose ne propose plus au Moyen Âge une explication du monde.
Quels sont alors les enjeux de la muance dans nos textes ?
La mutacion est le moment de tous les paradoxes. Tous les aspects problématiques de l’homme s’entremêlent dans la métamorphose. Elle est altérité dans l’immuabilité ; le personnage métamorphosé est autre tout en restant lui-même. Dans le cas de l’Incarnation du Christ, elle montre le paradoxe de l’humain dans le divin. La métamorphose est le lieu de la tension entre diverses natures. Il s’agit dans cette partie de déterminer comment la mutation participe à expliquer la complexité de l’homme.
La métamorphose au Moyen Âge ne semble plus rendre compte de l’univers mais de l’homme dans nos récits arthuriens.
Naissances et métamorphose
La naissance du héros
Le mélange de l’humain et de l’animal est fréquent dans les généalogies des héros de fictions mais aussi dans la généalogie de personnages bien réels. Chez Coudrette ou chez Jean d’Arras, la dynastie des Lusignan porte le sceau de cette hybridité . A la fée mi-femme mi-serpent, s’ajoute une descendance dont les tares sont autant de marque du caractère exceptionnel de la lignée. Eudes a un visage qui a l’éclat du feu et une rougeur flamboyante, Antoine porte sur sa joue une patte de lion velue, Geoffroy a dans la bouche une dent de sanglier qui en ressort, etc. Geoffroy de Bouillon compte le chevalier au cygne au nombre de ses aïeux. Déjà, les Mérovingiens comptaient eux aussi un ancêtre merveilleux dans leur généalogie ; Mérovée [411-457], aurait été le fils d’une « bête de Neptune semblable au Quinotaure » [Dieu fluvial cornu] qui séduisit sa mère déjà enceinte du roi Clodion, alors qu’elle se baignait dans l’océan . Ces ascendances surnaturelles expliquent la valeur et les dons des membres de grands lignages. C’est l’explication qui est par exemple donnée à l’aura de magie et de surnaturel caractéristique des Mérovingiens.
Cette volonté de faire du preux un être extraordinaire est peut-être une première raison qui a poussé les auteurs de notre corpus à donner une origine surnaturelle à certains de leurs personnages.
Métamorphoses humaines
Merlin et les limites de la métamorphose
Les métamorphoses de Merlin sont multiples dans l’ouvrage éponyme de Robert de Boron. Outre sa droite semblance (§ 39, l. 68-69, p. 150), qui ne nous est pas décrite, il prend l’apparence d’un bûcheron, « une grant coigniee a son col» (§32, l. 4-8, p. 125), d’un gardien de bétail « molt lait et molt hidos » qui a «une grant planté de beste » (§33, l. 7-8, p. 128), d’un « molt biau prodom bien vestuz et bien atornez» (§33, l. 41-43, p.132, §34 et §37, l.
33-36, p. 142), d’un garçon (§37, l. 19-20, p. 143 et §37, l. 56-58, p.143-144), d’un « molt viauz hom » (§61, l. 1-9, p. 218 et §76, p. 252), « contrait qui sambloit que il ne veist goute » (§62, l. 3-4, p. 220), et de Bretel (§64, l. 3, p. 227).
Ces muances, si elles sont variées, restent humaines. Il nous faut nous interroger à ce sujet.
Une première explication semble être due à la perception de l’animal au Moyen Âge.
Si les bestiaires en offrent toujours une définition ambivalente, dévoilant aussi bien le bien que le mal qui existe en lui, il n’en reste pas moins que l’Apocalypse parle du démon comme de la beste. S’abaisser au rang de l’animal serait de plus aller à l’encontre du monde tel que Dieu l’a ordonné, créant l’homme à sa semblance et plaçant les animaux sous l’autorité de ce dernier.
Cédant à une volonté défaillante, l’homme perd la ressemblance divine, déforme en lui l’image selon laquelle il a été crée et, exilé dans la région de la dissemblance, il devient dissemblable à lui-même et semblable aux bêtes.
Merlin ne peut se placer dans un rapport de dissemblance avec Dieu, qu’il a choisi aux dépends des démons. Fils d’un démon et d’une vierge, Merlin était destiné par les démons à être l’Antéchrist .Il se fera prophète , en accord avec le IVe concile du Latran qui a précisé qu’aucun homme n’est mauvais à cause de ses origines. Il l’est à cause des actes qu’il fait, en créature libre de ses choix.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
I- LES DIFFERENTES FORMES DE LA METAMORPHOSE ANIMALE
1) SES FORMES LEXICALES
2) SES FORMES CONCRETES
a) Changement d’état
b) Magie, science et mensonge
3) LA PERCEPTION DE LA METAMORPHOSE
II- SENEFIANCE DE L’ANIMAL ET DE LA METAMORPHOSE
1) UNE TRADITION MISE DE COTE:LE RECIT ETIOLOGIQUE. EXPLICATION DU MONDE CHEZ OVIDE ET SES CONTINUATEURS
2) LE MONDE VU COMME UN LIVRE: « SCRIPTUS DIGITO DEI»
a) Lecture de la nature
b) Irruption de l’Autre Monde et désordre
3) SYMBOLIQUE DE L’ANIMAL ET DE LA METAMORPHOSE
a) Reprises de la Bible et senefiances religieuses
a) Senefiances originales
III- ENJEUX DE LA METAMORPHOSE
1) NAISSANCES ET METAMORPHOSE
a) La naissance du héros
b) Caradoc et le serpent du péché originel
2) UNE QUETE DE SOI
a) Recherche ontologique
b) Châtiment et Initiation
3) METAMORPHOSES HUMAINES
a) Merlin et les limites de la métamorphose
b) Le paradoxe de l’humain monstrueux dans Yonec
4) RIRE ET METAMORPHOSE
a) Merlin polymorphe ou de la captation benevolentiae
b) Jaufré ou le matériau arthurien décousu
CONCLUSION GENERALE
ANNEXE N°1
ANNEXE N°2
BIBLIOGRAPHIE COMMENTEE
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