Les différentes finalités de sa promotion sociale

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les différentes finalités de sa promotion sociale

avoir le pouvoir

L’insistance sur la soif: « une soif chaude », « une soif de soir d’été » ( plus loin » la soif le torturait »); la soif obsédante qui provoque envie et colère devant le spectacle des Parisiens aux terrasses de café est aussi une soif d’argent, une soif de revanche sociale, une soif d’avoir le pouvoir qui pourrait aller jusqu’au meurtre. U homme « affamé d’argent et privé de conscience » ;
« une graine de gredin qui va pousser dans le terrain où il tombera, une crapule »: ce sont les termes qu’emploie Maupassant dans le Gil Blas51 du 7njuin 1885, pour définir son personnage, dont on voit qu’il est déjà contenu tout entier dans ce passage.
Employé aux bureaux de chemins de fer du nord, Georges Duroy ne gagne pas assez pour mener la vie de débauche dont il rêve. Un jour, il rencontre un ancien camarade de service militaire qui est devenu journaliste. Ce M. Forestier lui offre une place au journal, la vie française, et Georges commence sa carrière dans le journalisme. C’est le début de son ascension sociale. Lors d’un dîner chez les Forestier, Duroy fait la connaissance de Mme de Marelle et Mme Forestier. Cette dernière aide Georges à écrire ses premiers articles. Plein d’estime, Georges lui confesse qu’il la mariera au cas où elle serait jamais veuve.
Cependant, c’est avec Mme de Marelle qu’il commence une relation intime qui durera tout le long du roman. Bien qu’il soit emparé de Mme de Marelle comme maîtresse, il reste mécontent car Forestier ne le promeut pas mais lui confie des tâches monotones en lui accordant un salaire bas. Lorsque Forestier tombe malade, il occupe à la vie française une de plus en plus importante. Forestier doit se rendre à Cannes pour guérir sa maladie, ce qui donne à Georges une place de plus en plus grande dans la rédaction à la vie française (fin du chapitre VI de la première partie. Vers la fin du mois de février, Georges reçoit une lettre de Madeleine où celle-ci lui demande de venir à Cannes pour l’aider avec son mari mourant. (p.202). Forestier décède lors de la visite de Georges (p.216). Georges confesse à Madeleine qu’il espère l’épouser. Juste avant le départ de Georges, elle lui donne sa réponse: « comprenez-moi bien. Le mariage pour moi n’est pas une chaîne, mais une association. J’entends être libre, tout à fait libre de mes actes, de mes démarches, de mes sorties, toujours »52. En avril, Madeleine revient de Cannes. Elle confie à Georges qu’il lui manque le métier de journaliste. Georges propose qu’elle le reprenne sous le nom de Duroy (p.228). L’automne suivant, le couple décide d’annoncer le projet de leur mariage. Georges quitte le service et s’empare des fonctions de Forestier, c’est-à-dire de la rédaction politique. Georges devient le nouveau mari de Madeleine et devient le nouveau rédacteur en chef e la vie française. Il obtient enfin l’estime des autres et sera, pour la première fois, vraiment content de sa vie. En plus, il occupe la place de Forestier au journal: il devient rédacteur politique. Georges montre un désir continu de réussir dans le plan social et dans le plan professionnel.
Un des premiers soirs après son retour à Paris, Madeleine dit à Duroy qu’ils doivent écrire un article, car elle a obtenu une information précieuse d’un député nommé Laroche-Mathieu (p.257). Le couple continue à travailler ensemble et leurs articles de contenu politique connaissent un grand succès. Georges voit grandir son influence parmi les hommes politiques et voit accroître en même temps son pouvoir. A tout moment, Georges trouve dans son salon des connaissances de Madeleine: un député, un magistrat, un général, qui traitent Madeleine en vieille amie. Le nom Duroy, Du Roy de Cantel, Baron Du Roy de Cantel; le nom passe-partout de l’état civil est effacé. Bel-Ami croit lui-même à sa métamorphose: « il lui sembla qu’il venait de prendre une importance nouvelle. Il marchait plus crânement, le front plus haut, la moustache plus fière, comme doit marcher un gentilhomme »53.
Le pouvoir est représenté de manière explicite. Il est lié au monde journalistique et politique, car la presse a un lieu privilégié dans cette époque parce qu’il s’agit d’un milieu banal où les journalistes manipulent pour avoir des avantages économiques (la presse devient de plus en plus un outil économique et surtout un formidable moyen de pression politique). La politique constitue pour le personnage principal, le plus haut statut de puissance, puisque les politiques gagnent assez d’argent et ont un lieu privilégié dans la société bourgeoise. Le pouvoir peut être perçu dans la manière dont les personnages manipulent l’information, les influences, les sentiments et les faiblesses des autres. L’infidélité et l’hypocrisie résultent des mariages par convenance (sans amour); les femmes sont malheureuses et se sentent prisonnières et victimes de la solitude dans les palais qu’elles habitent. Lorsqu’elles ont l’occasion de connaître un homme jeune et beau, elles se montrent insatiables, obsédées, manipulatrices et possessives, ce qui peut mettre au risque leur position sociale, maritale et économique. Toute cette atmosphère favorise maintenant la quête du pouvoir de Duroy, qui a tous les atouts pour s’adapter à cette vie mondaine de l’époque.

parvenir au faîte des honneurs

Georges Duroy eut l’idée de séduire la femme de son patron. Là, il nous semble qu’il est plus ambitieux qu’on ne pouvait le penser et qu’il a envie d’avoir autre chose que le pouvoir: c’est-à-dire arriver au summum de la société. La suite, nous révèle que sa tentative de séduction a bien réussi et la femme de son patron tombe follement amoureuse de lui. Elle lui révèle que son mari fait partie d’une spéculation lucrative. Furieux qu’on lui ait caché cette opportunité, Georges veut à tout prix obtenir une partie de cette spéculation. Toujours dans sa quête permanente de profit, il ambitionne d’épouser la fille de son patron: Suzanne Walter. Après avoir surpris sa femme Madeleine en flagrant délit d’adultère, il obtient le divorce et réalise le mariage avec Suzanne Walter.
La différence entre l’état initial et l’état final du roman, est le voyage du succès qu’a fait Duroy. Voyons comment se manifeste ce nouvel état d’équilibre. Duroy devient rédacteur en chef à la vie française, et tous les gens importants ont l’intention d’aller à son mariage avec Suzanne Walter. Mme Walter est maintenant présentée comme une vieille femme avec les cheveux gris (p.364). Lors de la cérémonie, le prêtre parle de Georges dans des termes élogieux: il parle de son don d’enseigner et de conseiller du peuple. Georges éprouve qu’il « devenait un des maîtres de la terre, lui, le fils de deux pauvres paysans de Canteleu »54. À ce stade, nous apprenons que Georges entre dans un nouvel état de succès. Sa façon de se servir des autres gens pour atteindre le succès semble lui avoir été un concept avantageux. Georges finit comme un homme riche, d’une très bonne réputation. Il a un désir grandissant d’être quelqu’un, d’être une personne admirée avec une position élevée. Il est enfin venu à une sorte de réussite.
Il aurait effectué une carrière fulgurante, pas vraiment d’échec, à peine un moment de stagnation: le pied une fois mis à l’étrier, Duroy ne cesse de grimper l’échelle du succès. Il s’approche de son ultime but, les événements se sont passés plus rapidement. D’ailleurs, le journal où il était qu’un auxiliaire au début de sa carrière, devient en quelque temps sous son service au moment même où cette maison de presse devient plus puissante : Dans les premiers jours de septembre, la vie française annonça que le baron Duroy de Cantel devenait son rédacteur en chef […].Alors on s’adjoignit un bataillon de chroniqueurs, de rédacteurs politiques, de critiques d’art et de théâtre, enlevés à force d’argent aux grands journaux’ aux Vieux journaux puissants et posés.55
Cette ascension prodigieuse le mène en trois ans au sommet de la fortune et de la gloire: il est acclamé par tout Paris. La fin est un triomphe, une véritable apothéose. Non sans ironie, le narrateur souligne à chaque phrase la démesure de Duroy: « ivre d’orgueil »56, qui entend sans sourciller, vanter ses mérites: « vous que votre talent élève au-dessus des autres …, qui se prend pour  » un des maîtres de la terre « , un roi qu’un peuple venait acclamer » dans un aveuglement total sur lui-même. Le personnage est dans le même état d’insatiable avidité qu’au début du roman quand il se dirigeait vers la Madeleine. Il rêve du Palais-Bourbon et du lit de Mme de Marelle. Il a oublié la leçon de Norbert de Varenne devant ce même Palais-Bourbon: « la vie est une côte. Tant qu’on monte, on regarde le sommet, on se sent heureux; mais, lorsqu’on en arrive en haut, on aperçoit tout d’un coup la descente, et la fin, qui est la mort. Ça va lentement quand on monte, mais ça va vite quand on descend »57.
La fin ouverte ne peut masquer que dans cette éclatante réussite, tout est vanité, promis au néant comme les « deux figures illuminées au milieu des ténèbres » à la fin du chapitre 6 de la seconde partie, qui ont l’air de « fantômes apparus et prêts à s’évanouir dans la nuit ». Duroy, lui voit  » des millionnaires qui passent »58. Aveuglement et arrogance qui appellent le châtiment. Le jugement inspiré de François Mauriac ne dit pas autre chose:
Tout grand roman est poétique: Maupassant, à sa façon, est poète lui aussi. Les médiocres fauves qu’il décrit, qui mordent à même la vie et qui s’empiffrent, lu inspirent un dégout nulle part exprimé … et pour tant cette horreur nous prend à la gorge: aujourd’hui surtout, après ce que notre génération a subi, nous sommes attentifs à ce germe de mort, à ce ver lové au cœur morne du Paris de 1890 où Bel-Ami est parti en chasse. De ce livre « matérialiste » se dégage avec une irrésistible évidence la terreur biblique de la pluie de feu. Bel-Ami, dressé sur les marches de la Madeleine, dans l’apothéose du dernier chapitre, suscite l’ange exterminateur et annonce que les temps sont proches59.
Outre ce qui précède, constaterons ensemble dans ce qui suit, que Georges Duroy poursuit le désir sexuel, il est trempé d’opportunisme et est armé de séduction. Il est avide. Il est un courtisan répugnant.

l’aisance sociale

Son parcours va alors être chiffré selon l’évolution de ses finances. Après l’avoir vu errer dans les rues de Paris sans argent, Duroy, par chance, rencontre Forestier, ancien compagnon d’armée, qui l’aide en lui prêtant quarante francs. Au lieu d’économiser, Duroy dilapide cette somme en quelques jours et se retrouve à nouveau avec en poche six francs cinquante. C’est aussi grâce à Forestier qu’il connaît un nouveau milieu: le journal de la vie française, où il monte peu à peu en grade et gagne ainsi plus d’argent. Ce féroce désir de richesse est attisé par la vision du milieu dans lequel évoluent les riches de l’époque. Une ambiance qui s’apparente à ses yeux à un monde où les soucis financiers n’existent pas, pourvu de belles maisons, de belles femmes. Un monde caractérisé par une oisiveté des plus agréables et l’aisance sociale dont il aspire le plus. Mais, pour faire partie de ce monde, Duroy a conscience qu’il faut manœuvrer et ruser puisque la fortune et la gloire ne peuvent être acquises que par de précieux efforts. L’argent que lui rapporte son premier article, trois cents quarante francs, est aussitôt dépensé. Duroy ne semble pas réaliser que l’argent n’est pas éternel. D’ailleurs, son rapport avec l’argent est assez particulier. Contrairement à d’autres personnages tels que Julien dans Une Vie, Duroy aime l’argent pour ce qu’il représente, en tant que symbole de revanche sociale. À la différence de Julien, il n’accumule pas l’argent pareil à un avare pour le plaisir d’en posséder mais essentiellement pour jouir pleinement des plaisirs qu’offre Paris.
Duroy est promu reporter mais, sans argent, il vit au jour le jour en attendant de trouver d’autres moyens pour en acquérir. Mme de Marelle intervient alors dans sa quête d’argent. Ses louis d’or lui seront d’un précieux secours. C’est une grande honte pour le héros d’avouer à Clotilde qu’il manque de ressources (il invente d’ailleurs un mensonge pour justifier son indigence, prétextant avoir prêté de l’argent à ses parents). Sa première réaction est la colère lorsqu’il trouve le louis d’or qu’elle lui a glissé dans la poche, il en vient vite à le dépasser et laisse de côté sa fierté et ses scrupules. Dès lors, Duroy est prêt à faire preuve de toutes les bassesses pour recevoir argent et reconnaissance qui conduisent, dans le milieu où il vit à l’aisance sociale, comme si sa réputation d’homme à femme ne pouvait suffire à combler ses désirs de reconnaissance. Duroy vit désormais avec un salaire tout à fait décent.
Au fur et à mesure qu’évolue la narration, Duroy apparaît comme un homme accablé par les dettes, qui sait malgré tout s’en dépêtrer. Il est très vite insatisfait car son salaire ne lui permet pas de mener le train de vie qu’il souhaiterait. Quand on voit sue l’addition du Café Riche s’élève à cent trente francs pour quatre personnes (p.115), on comprend alors que les deux cent francs mensuels de Bel-Ami soient peu de chose. Sa liaison avec Mme de marelle lui fait dépenser beaucoup d’argent et, vivant au-dessus de ses moyens, il retombe très vite dans la misère. Ce rêve de richesse est attisé par son entourage: plus de problèmes d’argent bien sûr, de belles maisons, les femmes, plus ou moins de travail et une vie facile et oisive.
Cependant, l’affaire en bourse qui lui rapporte soixante-dix mille francs en fait gagner plus de quarante millions à son patron. Duroy reprend une place inférieure et son complexe d’infériorité le pousse à vouloir s’enrichir encore par tous les moyens. Sa course à la fortune prend des airs de revanche. C’est ainsi qu’il séduit Suzanne, la plus jeune, la plus jolie et la plus innocente, un bon parti qui lui assurera une dot de dix millions de francs, ce qui résigne M. Walter à dire de lui qu’il « est fort tout de même », et que sa femme et lui auraient pu trouver « beaucoup mieux comme position, mais pas comme intelligence et comme avenir. C’est un homme d’avenir. Il sera député et ministre ».66
Le lecteur peut supposer que même si Duroy a pris sa revanche sociale, même s’il est reconnu, il continuera à ruser tout au long de sa vie pour amasser de plus .en plus d’argent, aspirer à plus d’argent et embrasser une carrière politique. Maupassant montre à travers le personnage de Duroy, l’évolution d’un être dans un monde aisé. D’homme à femmes faciles des premières pages, il devient le » Bel-Ami « des dames de la haute société, du pauvre Duroy du début il devient le fortuné Georges Du Roy de Cantel vivant dans l’aisance sociale hors de ses soucis financiers naguère. L’espace dans Bel-Ami va au-delà d’une simple description les lieux. On nous décrit d’abord le quartier et l’immeuble où vit Duroy en ces termes qui suivent:
Il revient à grands pas, gagna le boulevard extérieur, et le suivit jusqu’à à la rue Boursault67 qu’il habitait. Sa maison, haute de six étages, qui peuplée par vingt petites ménages ouvriers et bourgeois, et il éprouva, en montant dans l’escalier, dont il éclairait avec des allumettes-bougies les marches sales où traînaient des bouts de papiers, des bouts de cigarettes, des épluchures de cuisine, une écœurante sensation de dégoût et une hâte de sortir de là, de loger comme les hommes riches, en des demeures propres, avec des tapis. Une odeur lourde de nourriture, de fosse d’aisance et d’humanité, une odeur stagnante de crasse et de vieille muraille, qu’aucun courant d’air pu chasser de ce logis, l’emplissait du haut en bas.68
Les espaces changent tout au long de l’histoire. C’est-à-dire que le personnage initialement pauvre, visite des lieux peu connus, moins aisés et peu exclusifs: Il se mit à descendre la rue Notre-Dame de Lorette […]. Il avançait dans la rue pleine de monde […]. Paris. La ville, chaude comme une étuve, paraissait suer dans la nuit étouffante. Les égouts soufflaient par leurs bouches de granit les haleines empestées; et les cuisines souterraines jetaient à la rue, par leurs fenêtres basses, les miasmes infâmes des eaux de vaisselle et des vieilles sauces.69
Dans un premier temps, l’auteur nous peint un espace désavantageux pour le personnage: un Paris obscur, triste et statique, une ville très grande et qui n’a pas de pitié pour les pauvres qui y habitent. Bref, Duroy vit dans un lieu malaisé au début du roman.
Lorsque Duroy commence à travailler au journal, la description des lieux change: […] Duroy entra, monta un escalier luxueux et sale que toute la rue voyait, parvient dans une antichambre, dont les deux garçons du bureau saluèrent son camarade, puis s’arrêta dans une sorte de salon d’entente poussiéreux fripé, tendu d’un faux velours vert pisseux, criblé de taches et rongé par endroits, comme si des souris l’eussent grignoté.70
Par la suite, quand la situation économique commence à s’améliorer, l’espace où se déroule l’histoire change complètement. Prenons un exemple: la première fois que Duroy visite le bureau du Monde Diplomatique en compagnie de son ami Forestier, on note des lieux qui ont une symbolique particulière: « Quand Georges parvint au boulevard, il s’arrêta encore, indécis sur ce qu’il allait faire. Il avait envie maintenant de gagner les Champs Élysées et l’avenue du Bois-de-Boulogne pour trouver un peu d’air frais, sous les arbres… ».71 Cet extrait, nous présente en effet le personnage principal comme un vagabond qui flâne sans savoir où il va, faute d’argent. Au début, il aime fréquenter les prostituées et les lieux où elles s’établissent: « il aimait cependant les lieux où grouillent les filles publiques, leurs bals, leurs cafés, leurs rues; il aimait les coudoyer, leur parler, les tutoyer, flairer leur parfums violents, se sentir près d’elles. C’étaient des femmes enfin, des femmes d’amour ».72 L’auteur fait de l’espace un élément essentiel dans son ouvrage pour illustrer les moments où le héros vivait dans l’incommodité sociale où il vivait dans l’aisance sociale.
Dans quelques pages, l’on observe une description des lieux de réussite du personnage principal, des lieux symboles de succès: « ils arrivèrent au boulevard Poissonnière, devant une grande porte vitrée … Au-dessus de la porte s’étalait comme un appel, en grandes lettres de feux dessinées par des flammes de gaz: La vie Française »73. Dans d’autres cas, quand le succès arrive, ces lieux changent selon la position économique du personnage. Ces lieux sont reliés à la société parisienne de ce moment, il y a une description très claire des types de gens qui y appartiennent et que désormais Duroy en fait partie.

les voies empruntées pour y parvenir

l’opportunisme

Le succès de Georges ne s’est pas fait sans conséquence. Dans cette étape, il blesse deux de ses maîtresses profondément. L’équilibre qui règne à la fin du roman est un succès immense quant au protagoniste. Au début, nous faisons la connaissance de Georges Duroy et de ses désirs d’être une personne importante, avec une femme à ses côtés et de grands biens. Cet ancien sous-officier flâne les rues de Paris, sans grands moyens. Avec son salaire modéré que le payent les chemins de fer du Nord., Georges doit choisir entre dîner ou déjeuner (p.45). Ce jeune homme a un constant désir d’une rencontre amoureuse, et il s’énerve de tous les hommes aisés qu’il voit dans la rue (p.47-48). Un soir, Georges croise un ancien camarade de service militaire. Ce M. Forestier est devenu rédacteur politique au journal parisien de la vie française. Georges lui confie sa situation plus que pauvre: « Je crève de faim, tout simplement. Une fois mon temps fini, j’ai voulu venir ici pour … pour faire fortune ou plutôt pour vivre à Paris; et voilà six mois que je suis employé aux bureaux de chemin de fer du Nord, à quinze cent francs par an, rien de plus »74. Georges ajoute qu’il ne connaît personne qui puisse l’aider à sortir de sa situation. Cependant, il souligne qu’il a la bonne volonté de réussir. Son opportunisme naturel se fait déjà sentir lors de sa première rencontre.
Forestier, qui veut offrir de l’aide à son ancien camarade, lui promet de parler au directeur du journal. Il est décidé que Georges viendra dîner chez forestier le lendemain (p.39). Au début du roman, Georges n’est pas content de sa situation, et il est prêt à tout pour l’améliorer. La rencontre avec son ancien camarade crée une nouvelle espérance chez le protagoniste de Bel-Ami. L’invitation au dîner est une escalade vers le prochain stade du roman, où des choses arrivent qui vont changer la situation initiale de Georges. Abordons ces changements dans la suite.
Lors du dîner chez forestier, Georges plaît à tous. Il y fait la connaissance de Madeleine Forestier, de Madame de Marelle et les Walter, le patron de la Vie Française et sa femme Virginie (pp.49-52). En écrivant son premier article, il a de grandes difficultés de composer l’article. Le lendemain, il reçoit l’aide de Madeleine. Le premier article est apprécié par M. Walter, et c’est là que Georges est employé par le journal (p.82). Dans cette partie, Georges chasse la réussite dans la vie sociale et professionnelle. Il commence son escalade vers un salaire plus grand et une bonne réputation.
La narration nous emmène d’espace en espace, là où le personnage trouve l’occasion de jouer de l’influence de ses connaissances et quand il a encore une position économique difficile. Il accède aux lieux fréquentés par les gens de société: ministres, politiques, journalistes et personnages de haut rang. L’auteur réussit à relier le temps de l’écrit avec ce que vit le personnage à Paris: « Les Folies-Bergère … Et ils pivotèrent leurs talons pour gagner la rue du Faubourg Montmartre… Une vapeur du tabac volait un peu, comme un très fin brouillard, les parties lointaines, la scène et l’autre côté du théâtre »75. Paris est perçu comme une ville où on s’abandonne aux plaisirs de la chair; c’est la ville où Duroy est toujours à l’affût d’une rencontre qui peut lui procurer de l’amour et surtout de faire fortune. Les maisons de femmes, les jardins sont des espaces intimes où Duroy séduit les femmes, où il ourdit ses stratagèmes pour s’emparer de leur argent, et en profite pour s’informer sur eux et sur les autres.
Peu à peu, il commence à connaître les hommes politiques et les coulisses de théâtre, étant devenu leur ami intéressé. Bientôt, il est un reporter estimé du journal. Cependant, il garde le même salaire, et comme la vie de restaurant lui coûte cher, il se trouve la plupart du temps sans un sou (pp.100.101). Georges est peiné par son manque de vie sociale: « Ce qui l’humiliait surtout, c’était de sentir fermées les portes du monde, de n’avoir pas de relations à traiter en égal, de ne pas entrer dans l’intimité des femmes… »76.
Cependant, il savait par expérience qu’il avait un certain succès avec les femmes, et il se rappelle que Mme de Marelle lui avait prié d’aller lui rendre visite. Il s’établit directement une certaine affection entre eux. Mme de Marelle l’invite à dîner avec elle et les Forestier le même samedi au restaurant. A la fin de la soirée en raccompagnant son hôte, il en profite par opportunisme pour la conquérir. Georges est très content de sa conquête: «il en tenait une, enfin, une femme mariée! Une femme du monde! Du vrai monde! Du monde parisien! Comme ça été facile et inattendu! »77. Forestier, maintenant malade et affaibli, ne cesse de confier des tâches ennuyeuses au journal à Georges. Sa maladie le rend irritable envers Georges, qui s’énerve beaucoup contre son persécuteur. Nous venons de voir que Georges est en train de faire une escalade vers le succès social et professionnel grâce à son opportunisme. Du côté professionnel, il devient un journal de plus en plus apprécié. Ce qui nous intéresse ici c’est son succès social lié à l’opportunisme et en particulier les objectifs de celui-ci. C’est dans un moment de frustration, causée par un manque de vie sociale, que Georges à l’idée de tirer avantage d’un rendez-vous avec Mme de Marelle. Ce rendez-vous aboutit à une relation dans laquelle, cette dernière viole le serment de fidélité conjugale. Grâce à cette amitié intime, Georges reprend le contact avec les Forestier. Un motif d’introduire une relation extraconjugale est donc, du côté de Georges, d’avoir une position de plus en plus élevée dans la vie sociale.
La mort de son ami Forestier fait passer Bel-Ami d’échotier à chef des échos, ce qui lui permet de recevoir mille deux cent francs par mois. Ensuite, son mariage avec Mme Forestier accroît sa fortune. En l’épousant c’est quarante mille francs de dot et un appartement meublé qu’il reçoit, ce qui conforte sans doute son aisance sociale. De plus, grâce elle, il fait en partie d’un monde différent de celui du journalisme, celui de la politique et de l’économie. Un nouveau milieu qui lui sera propice pour s’enrichir davantage. Lorsque Madeleine décide d’inviter quelques amis à dîner, Georges se charge volontiers d’en prévenir Mme Walter. Il l’amuse de voir si elle est intéressé par lui. Mme Walter « l’excitait par la difficulté de la conquête, et par cette nouveauté toujours désirée des hommes »78. Ils commencent une relation intime (fin chapitre IV de la deuxième partie). Mme Walter, a elle aussi contribuer à la croissance de sa fortune. C’est cette dernière qui lui fait part d’une affaire débourse tenue secrète, dans le but de l’enrichir, mais surtout afin de lui faire plaisir et de gagner un peu plus d’amour chez son amant, qui n’avait lui qu’une ambition, tiré profit de cette relation. Suivant les précieux conseils de sa maîtresse, Duroy se retrouve à la tête d’un pécule de soixante-dix mille francs. Dès lors, il est un homme riche et pense impressionner son patron, M Walter, qu’il voit comme un modèle de réussite mais aussi comme un rival. Sa richesse va encore augmenter.
Les sentiments de Duroy changent à travers le temps. Quand il se fait une place dans la société de ses rêves, il se conduit d’une façon différente. Il trouve sa place, il devient riche, et en conséquence, i, change ses habitudes. Il intègre les mœurs de son nouveau milieu social, il apprend comme agir avec les femmes, les journalistes et les gens du beau monde. Il cherche à agrandir ses nouvelles richesses, et est en quête perpétuelle de reconnaissance sociale et de confort. Duroy profite donc de ses rapports amoureux avec les femmes, et de son amitié avec des journalistes et des hommes politiques. Lorsque Duroy apprend par exemple, que son épouse lui est infidèle avec Vaudrec, même si celui-ci lui a donné la moitié de sa fortune, il refuse que sa femme et lui prennent cet héritage dans ces conditions, car il risque de perdre sa réputation. Duroy organise un stratagème afin de bénéficier d’une partie de cet argent: […] Il fallait qu’il m’en laissât la moitié ça arrangerait tout.79 […]. Recevoir cette fortune de cette façon ce serait avouer … avouer de ta part une liaison coupable, et de la mienne une complaisance infâme’ … […]. Oh! C’est bien simple. Tu pourras me laisser la moitié de l’héritage par donation entre vifs. Nous n’avons pas d’enfants, c’est donc possible. De cette façon, on fermerait la bouche à la malignité publique.80
À la mort du comte de Vaudrec en effet, Madeleine touche un million de francs en héritage, une somme dont il exige le partage. Le comte de Vaudrec décède en léguant l’entière de sa fortune à Madeleine. Georges demande qu’elle refuse d’accepter l’argent, car il a peur que l’entourage dise qu’il soit un homme cocu. Le couple partage l’argent pour donner l’impression que cet héritage soit à Georges et à Madeleine en qualité d’amis.
C’est assez clair pour comprendre qu’il a par opportunisme utilisé de faux prétextes pour exiger de sa femme le partage de son héritage laissé par le comte de Vaudrec, puisque malgré ce partage la vérité a été connue par son entourage. D’ailleurs, sa maîtresse, Clotilde de Marelle le lui révèle en ces termes: « Tais-toi donc, vaurien! Crois-tu que je ne sais pas comment tu as volé à Madeleine la moitié de l’héritage de Vaudrec? »81. Mais son ambition n’a pas de limites car lorsque Duroy se rend compte de la fortune que possèdent les Walter, il quitte Mme Walter, son autre maîtresse et commence à fréquenter Suzanne Walter. Il lui déclare son amour et l’interroge sur ses sentiments envers lui: Suzanne: « C’est dommage que vous soyez marié », et Duroy de lui interroger: « si j’étais libre, moi, m’épouserez-vous? »’ et Suzanne de répondre: « oui Bel-Ami … », et Duroy poursuit: «je vous adore. Je vous aime à en perdre la tête » et il obtient la réponse plus que évidente de Suzanne: « moi aussi Bel-Ami » (p.374). En plus sachant que Suzanne est amoureuse de lui, il cherche à se débarrassée de sa relation avec Mme Walter pour pouvoir épouser sa fille: « Depuis six semaines, il essayait de rompre avec elle sans parvenir à lasser son attachement acharné »82. Il se lasse bien vite de Virginie Walter, de son amour acharné et de ses câlineries puériles qui finissent par l’exaspérer et lui paraissent fort inappropriées et grotesques pour une femme de son âge. Au moment où elle cède enfin à ses avances, il est de son côté déjà rendu ailleurs.
Son nouveau projet est de marier Suzanne Walter pour obtenir sa fortune. Lors d’une soirée chez les Walter, en voyant sa femme causant au bras de Laroche-Mathieu, Georges se rend compte que sa femme a une relation intime avec le Georges (p.359). Par conséquence, Georges commence à la surveiller, pour pouvoir dévoiler ses soupçons qu’il a envers ces deux personnages. Enfin il trouve Madeleine et Laroche-Mathieu en flagrant délit d’adultère (p.378). Georges fait la demande en divorce le lendemain. d’l ne serait pas très judicieux de ne pas signaler qu’à ce moment du roman, Georges Du Roy n’attendait qu’une seule opportunité pour se libérer d’avec sa femme afin de pouvoir épouser la jeune Suzanne.
Duroy cherche à ce que M. Walter soit au courant des problèmes avec sa femme. Duroy dit alors à M. Walter: « …je viens de surprendre M. Laroche-Mathieu en flagrant délit d’adultère avec ma femme »83, et M. Walter de lui répondre « … Vous voulez divorcer?»84. Ces événements font preuve de changement chez Duroy. En effet, ses actes ne sont pas d’un homme guidé par ses émotions, mais par son ambition et son esprit malin. Il s’arrange pour que M. Walter soit son confident parce qu’il deviendrait son beau-père. Du Roy dit à M. Walter:
Me voici libre… J’ai une certaine fortune. Je me présenterai aux élections au renouvellement d’octobre, dans mon pays où je suis fort connu. Je ne pouvais pas me poser ni me faire respecter avec cette femme qui était suspecte à tout le monde. Elle m’avait pris comme un niais, elle m’avait enjôlé et capturé. Mais depuis que je savais son jeu, je la surveillais, la gredine. […]. C’est ce pauvre Forestier qui était cocu … cocu sans s’en douter, confiant et tranquille. Me voici débarrassé de la teigne qu’il m’avait laissée. J’ai les mains déliées. Maintenant, j’irais loin.85
Après ces déclarations, Duroy laisse entrevoir ses véritables objectifs: « être un homme de société et très riche avec des besoins de pouvoir politique ». En même temps, il veut montrer à M. Walter qu’il est l’homme parfait pour sa fille. Duroy est donc un homme ambitieux, manipulateur, séducteur et sans scrupules, qui sait quand il faut frapper fort.

COMPARAISON ET MÉTAPHORE AU SERVICE DE LA DESCRIPTION MERCANTILE ET ENVIEUX DE GEORGES DUROY

Un décalage se crée entre les préoccupations purement matérielles de Duroy, et ses grands espoirs amoureux. Dès leurs retrouvailles, Forestier l’aide financièrement en lui prêtant quarante francs (somme que Forestier ne récupérera jamais). Le quatrième paragraphe du chapitre I, est entièrement consacré aux pensées de Duroy concernant l’argent. Ce thème est essentiel dans le roman, puisque Duroy cherche sans cesse à faire fortune. L’argent, en effet est associé aux besoins et au plaisir: le compte minutieux de Duroy, transforme les quelques francs qui lui reste en poche en possibilités de repas ou en verres de bière. Au début du roman, le personnage est dans une relative misère. Mais par la suite, même lorsqu’il aura largement de quoi satisfaire ses besoins, il gardera cette de manie de compter, cette capacité à évaluer ses ressources financières en biens matériels, cette cupidité monumentale. Cependant, tout en comptant ses derniers francs en verres de bière et en saucisson, Georges rêve à une rencontre amoureuse, et se laisse envahir par les élans de lyrisme: « Comment se présenterait-elle? Il n’en savait rien » (.31). La présence de la modalité interrogative et le parallélisme « tous les jours, tous les soirs » (p.31), soulignent la vivacité de son espoir et de son émotion. Le décalage entre ses préoccupations matérielles et cette forme d’idéalisme amoureux révèle l’humour distancié du romancier, qui se moque de son personnage.
Ce passage du début du roman introduit le lecteur dans l’intimité de Duroy, et fait entendre sa voix. Le contraste est saisissant entre son extérieur avantageux, et le secret de ses pensées, dont se détache une anecdote à forte valeur symbolique. Ce souvenir de son passé de hussard fournit une des clés du personnage. Et l’interprétation de la focalisation interne permet de saisir la position du narrateur par rapport à son héros. C’est une des constantes du personnage qui se met en place dans cette page. L’apparence extérieure: « air crâne et gaillard », « se dandinant avec grâce »; un flâneur, concentré sur son « envie de boire », et qui semble se plaire au spectacle des buveurs attablés ( » il regardait… »). Sur la réalité intérieure, on entend la voix de Duroy. L’utilisation du discours indirect libre pour rendre le flux des pensées intimes amenées par le verbe « il pensait à
… ». D’abord, intégrées à la narration ( » adieu le maigre souper du lendemain »), puis formulées au style direct (il se dit: « il faut que je gagne …, » ; obsession de l’argent sous toutes ses formes: « de l’or, de la monnaie blanche, des sous ». Le paragraphe est encombré de chiffres et de calculs: « cent fois deux louis font quatre mille francs ».
Des traits de caractères comme la passion et le manque d’honnêteté, sont remarqués par l’écrivain dans la société, dont les mœurs, la manière de vivre et de voir le monde, se font dans l’unique but de s’amuser. Il donne une illusion complète et ordinaire des faits, à partir de son personnage. La cupidité de Georges l’amène jusqu’à perdre le sommeil quand sa femme lui révèle la dimension de la fortune du comte de Vaudrec: «Il n’avait plus envie de dormir. Il trouvait maigres maintenant les soixante-dix mille francs promis par Mme Walter »101. Et plus loin, il s’étonne même quand il croit que Vaudrec ne leur a rien légué: « Vraiment, c’est bien étonnant! […] Que Vaudrec ne nous ait rien laissé »102. C’est n’est pas tout, on constate aussi que Suzanne parle de l’héritage de Georges, celui-ci le déprécie tellement; il ne voit plus que l’argent des autres, et les envie sur la somme qu’ils ont de plus que lui: « il fut un  » oh! » de pitié:- Parlons-en. À peine vingt mille livres de rentes. Ce n’est pas lourd par le temps présent. […]. Nous ne pouvons même pas avoir une voiture à nous avec ça »103.

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Table des matières

PREMIERE PARTIE : L’ASCENSION SOCIALE DE GEORGES DUROY
Chapitre 1 : les options favorites selon Georges Duroy pour son ascension sociale 
1-1 les femmes
1-2 le journalisme
Chapitre 2 : les différentes finalités de sa promotion sociale
2-1 avoir le pouvoir
2-2 parvenir au faîte des honneurs
DEUXIEME PARTIE : LA VIE AMOUREUSES DE GEORGES DUROY
Chapitre 3 : les objectifs poursuivis émanant de sa vie amoureuse
3-1 le désir
3-2 l’aisance sociale
Chapitre 4 : les voies empruntées pour y parvenir
4-1 l’opportunisme
4-2 la séduction
TROISIEME PARTIE : L’ECRITURE ENTRE VENALITE ET OBSCENITE
Chapitre 5 : la description du caractère cupide de Georges Duroy
5-1 comparaison et métaphore au service de la description avide de Georges Duroy
5-2 l’ironie comme moyen pour discerner le caractère courtisan de Georges Duroy
Chapitre 6 : l’énonciation au service de la lascivité
6-1 un style permettant de relever la figure répugnante du héros
6-2 l’expression comme moyen pour comprendre l’adultère mondain du héros
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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