Les différentes facettes de l’EO : mise en perspective
Innovation, Entrepreneuriat, Entrepreneuriat organisationnel
Innovation et Entrepreneuriat
Les définitions, typologies et mesures de l’innovation font l’objet de débats. Il s’agit de relater les tendances qui traversent le champ de l’innovation, en particulier dans son lien avec l’entrepreneuriat. Nous présentons tout d’abord ces deux champs. En général, la définition de l’innovation s’appuie sur deux points d’intérêt : d’une part l’innovation en tant qu’événement, objet, résultat caractérisé par une nouveauté, et d’autre part l’innovation en tant que processus (ex. Cooper, 1998; Gopalakrishnan & Damanpour, 1997).
En tant que résultat, les travaux proposent diverses typologies des formes d’innovations : les innovations techniques et technologiques (produits et procédés) se distinguent des innovations administratives, ces dernières comprenant les innovations organisationnelles (Damanpour & Evan, 1984) ; ou pour Schumpeter (1934, p. 66), l’innovation se caractérise par « de nouvelles combinaisons ». Elle se décline alors en un nouveau produit ou l’amélioration de la qualité, une nouvelle méthode de production, l’exploration d’un nouveau marché, une nouvelle source d’offres de matières premières ou de produits finis, ou une nouvelle structure organisationnelle (Basso, 2004; Crossan & Apaydin, 2010). Comprise dans une vision large, l’innovation intègre « les nouveaux produits, processus, services (incluant les nouveaux usages des produits, processus et services existants), formes d’organisations, marchés, et le développement de nouvelles compétences et de capital humain » (Zhao, 2005, pp. 27-28). Le point commun de ces innovations est de parvenir à « faire les choses différemment » (Crossan & Apaydin, 2010). L’intensité du degré d’innovation varie aussi : les innovations de rupture se différencient des innovations incrémentales. Alors que les premières correspondent à des révolutions technologiques, ou non, qui modifient complètement les règles du jeu concurrentiel, les secondes se caractérisent au contraire par un ensemble de changements progressifs et élémentaires. Pour autant cette catégorisation binaire n’est pas partagée de tous, puisque Durand (1992) explique qu’il existe plutôt un continuum entre ces deux formes d’innovations technologiques extrêmes : il parle « d’innovations micro-radicales » dont l’intensité est intermédiaire.
En tant que processus, l’innovation se définit comme « le développement et l’implémentation d’idées nouvelles par des individus qui s’engagent dans des transactions avec d’autres individus au sein d’un cadre institutionnel » (Van de Ven, 1986, p. 590), ou encore comme l’implémentation réussie d’idées créatives (Woodman, Sawyer, & Griffin, 1993). Une distinction forte opère entre créativité et innovation : si la première se définit comme « la simple création d’idées nouvelles (différentes de ce qui existe) et appropriées (à un problème ou à une opportunité qui se présente) quel que soit le domaine d’activités (science, art, éducation, business, …) », la seconde s’apparente à « l’implémentation réussie des outputs d’une organisation » (Amabile, 1996). La créativité constitue ainsi la première étape du processus d’innovation ; elle en est la matière première, et présente un intérêt certain pour l’organisation car elle détermine le nombre d’options de développement possibles.
Gopalakrishnan & Damanpour (1997) considèrent l’innovation comme le processus par lequel quelque chose de nouveau est introduit et le décompose en deux phases, que nous rappelons :
– Génération de l’innovation, étape elle-même décomposée en 5 sous-étapes telles que la génération de l’idée, la définition du projet, la résolution des problèmes, le développement, et le marketing ou commercialisation. Les trois premières sous-étapes aboutissent à la définition d’une solution originale qui sera ensuite développée au sein de sous-unités organisationnelles, et enfin commercialisée.
– Processus d’adoption de l’innovation qui s’apparente à un processus de changement intégrant les modifications relatives aux systèmes techniques et sociaux, et assurant la diffusion et l’appropriation de la nouveauté.
Précisons que, compte tenu de la non-linéarité de l’innovation, de son caractère bancal, peu abouti, ou encore des hauts et bas que connait sa progression (Alter, 2005/2000; Quinn, 1979; Van de Ven, 1986), ces étapes, notamment celles qui constituent la première phase, se chevauchent et s’entremêlent pas moments. La segmentation de ce processus apparait certes artificielle, mais demeure aussi reconnue comme facilitant son investigation (Kanter, 1988).
Finalement les auteurs se rejoignent sur le fait qu’une innovation constitue un élément nouveau et se caractérise par son originalité vis-à-vis de l’existant ; tant que l’idée est perçue comme nouvelle par les individus en question, c’est une innovation. Sinon il s’agit simplement d’une imitation de ce qui existe déjà. De plus, par la mise sur le marché ou l’intégration dans un milieu social, elle constitue le moyen de transformer une idée novatrice en de nouvelles pratiques. Alter (2005/2000) avance à ce propos que l’innovation se traduit par l’interaction entre deux mondes, celui de l’invention et celui du marché : le premier se détache de considérations et de contraintes extérieures, alors que le second tient compte d’aspects économiques et financiers puisqu’il s’agit de mettre sur le marché une invention dans un souci de rentabilité économique.
Englobant à la fois un contenu large et une approche processuelle, nous retenons la définition proposée par Crossan & Apaydin (2010, p. 1155) selon laquelle l’innovation s’entend comme « la production ou l’adoption, l’assimilation et l’exploitation d’une nouveauté porteuse de valeur ajoutée pour les sphères économiques et sociales ; la revitalisation et l’élargissement des gammes de produits, services et marchés ; le développement de nouvelles méthodes de production ; et l’implémentation d’un nouveau système de management ».
Il existe dans la littérature plusieurs façons de concevoir l’entrepreneuriat (Brown, Davidsson, & Wiklund, 2001; Stevenson, 1983) : parfois considéré comme une culture (ex. Lounsbury & Glynn, 2001), ou comme une perspective cognitive (Krueger, 2000), l’entrepreneuriat est au départ envisagé comme une fonction économique et l’entrepreneur se caractérise par un ensemble de traits de caractère particuliers. En 1759, Richard Cantillon, reconnu comme le premier à employer le terme « entrepreneuriat » (Gündoğdu, 2012; Stevenson & Jarillo, 1990) décrit l’entrepreneur par sa capacité à prendre des risques, en particulier celui d’acheter un bien à un certain prix sans connaitre celui auquel il pourra le revendre. A travers la rupture, la « destruction créatrice » qu’il induit, Schumpeter (1942) considère l’entrepreneuriat comme le processus par lequel l’économie dans sa globalité progresse. Les travaux de Kirzner (ex. Kirzner, 1973) présentent en outre l’entrepreneur comme doté d’une capacité particulière, la « vigilance entrepreneuriale » (entrepreneurial alertness), qui lui permet de percevoir, détecter mieux que les autres, des opportunités à exploiter (Shane & Venkataraman, 2000).
Entrepreneuriat et Entrepreneuriat organisationnel
Dans une première approche et de façon générique, l’EO s’apparente à de l’entrepreneuriat d’entreprise, c’est à dire le fait pour un individu ou un groupe d’individus, au sein d’une organisation existante, d’initier, faire progresser, et concrétiser une idée émergeante. Guth & Ginsberg (1990) le définissent plus précisément comme englobant la création d’une nouvelle organisation (à travers le lancement d’une nouvelle activité en interne ou l’innovation), ou les activités de revitalisation stratégique.
Comme mentionné précédemment, les travaux de Stevenson et Jarillo participent d’un effort de synthétisation de l’ensemble des connaissances relatives à l’entrepreneuriat. Convaincus que, d’une façon générale, ces travaux permettent d’éclairer le champ de l’EO, ils proposent une définition de l’entrepreneuriat qui puisse s’adapter à la fois au contexte de la création d’une entité ex nihilo, et au contexte organisationnel. L’entrepreneuriat s’entend alors comme « le processus par lequel des individus, indépendamment ou au sein d’une organisation, poursuivent une opportunité sans tenir compte des ressources qu’ils maitrisent » (Stevenson & Jarillo, 1990, p. 23). De plus, ils soulignent que l’essence même de l’entrepreneuriat tient à la capacité de l’entrepreneur à « trouver un moyen » . Cette approche, que nous partageons, revendique le fait que l’entrepreneuriat, au sens de l’activité entrepreneuriale, indépendante ou au sein d’une organisation existante, réside dans la volonté de poursuivre une opportunité. Le terme « entrepreneur » convient alors tout autant à un entrepreneur indépendant, qu’à un employé dépendant d’une organisation (Schumpeter, 1934) .
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Table des matières
Introduction
PREMIERE PARTIE – Eléments théoriques
Chapitre 1 – Les différentes facettes de l’EO : mise en perspective
1. L’Entrepreneuriat organisationnel : un processus composé d’activités innovantes
2. L’entrepreneuriat organisationnel : proposition d’une lecture originale
Synthèse du chapitre 1
Chapitre 2 – Mise en œuvre de l’intrapreneuriat : approches spontanée et induite
1. Tension au cœur de la mise en œuvre de l’intrapreneuriat
2. Eléments organisationnels favorables à l’intrapreneuriat
3. Le temps en sciences de gestion
Synthèse du chapitre 2 et Problématisation
DEUXIEME PARTIE – Méthodologie de la recherche
Chapitre 3 – Design de la recherche
1. Fondements philosophiques interprétativistes
2. Méthodologie qualitative menée dans une logique abductive
3. L’étude de cas comme stratégie d’accès au réel
Chapitre 4 – Modalités de la recherche
1. Conduite générale de la recherche
2. Collecte des données
Chapitre 5 – Traitement et analyse du matériau collecté
1. Le codage comme méthode de traitement du matériau collecté
2. L’arborescence des codes comme un résultat préliminaire
Synthèse de la PARTIE 2
TROISIEME PARTIE – Résultats
Chapitre 6 – Proposition d’une typologie des formes de temps impliquées dans le processus intrapreneurial
1. Le processus intrapreneurial étudié dans un contexte temporel « contraint »
2. Proposition de typologie des formes de temps impliquées dans le processus intrapreneurial
3. Composantes du processus intrapreneurial et formes de temps
4. Au-delà d’un besoin de temps, une (re)quête pour davantage de disponibilité d’esprit
Synthèse du chapitre 6
Chapitre 7 – Proactivité des acteurs pour accéder aux ressources temps et mettre en œuvre des activités intrapreneuriales
1. Moyens organisationnels mis en œuvre pour soutenir l’activité intrapreneuriale
2. Proactivité du comportement intrapreneurial vis-à-vis des ressources temps
Synthèse du chapitre 7
Synthèse des résultats
Chapitre 8 – Contributions théoriques et implications managériales
1. Contributions à la littérature sur l’Entrepreneuriat organisationnel / l’intrapreneuriat
2. Contribution aux théories managériales
3. Contributions à la théorie du slack organisationnel : la notion de slack de temps et ses déclinaisons
4. Implications managériales
Synthèse du chapitre 8
Discussion
Conclusion générale