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Rappels anatomiques
Les os longs sont composés de différents tissus qui assurent des fonctions complémentaires: l’os spongieux, l’os compact et le périoste, qui sont organisés autour de la cavité médullaire. Aux extrémités se trouve le cartilage hyalin.
Contrairement aux cartilages, les structures osseuses sont très richement innervées et vascularisées par le biais des canaux de Volkmann et de Havers.
La cavité médullaire est riche en moelle osseuse, siège de l’hématopoïèse.
C’est dans le périoste que se trouvent les nerfs responsables de l’information de douleur lors des fractures.
En plus des informations nociceptives, ces fibres nerveuses sensitives sont capables de transmettre des informations sur les forces de tensions mécaniques exercées sur l’os.
Physiopathologie de la douleur
Localement, la destruction tissulaire va provoquer une libération massive d’éléments intracellulaires tels que le potassium, l’histamine, la sérotonine et la bradykinine, à l’origine d’une réponse inflammatoire majeure médiée par les prostaglandines et les leucotriènes, responsable d’une augmentation de la sensibilité des nocicepteurs aux substances algogènes. [41]
Le signal douloureux est alors transmis à la corne postérieure de la moelle épinière (transmission modulée par l’équilibre entre substances excitatrices et inhibitrices), puis au tronc cérébral via le faisceau spinothalamique, et enfin au cortex cérébral, siège de la perception de la douleur.
C’est au niveau du cortex que se produit une modulation de la douleur faisant intervenir la conscience. On parle de “psychologie perceptuelle”: la douleur ressentie sera moindre dans un environnement agréable. (c’est cet aspect qui est exploité dans les techniques d’hypnose). [33]
Définition de l’AIF
L’anesthésie intra-focale, appelée “Hematoma block” chez nos confrères anglo-saxons, est une technique d’analgésie utilisée dans la prise en charge des fractures fermées.
Quand un os se fracture, les fragments osseux peuvent se déplacer et perdre leur continuité. Il se crée alors un hématome dans l’espace ainsi créé, provenant des vaisseaux intra-osseux lésés.
C’est dans cet hématome qu’est injecté par voie percutanée un anesthésique local. Le produit se diffuse alors dans tout l’hématome, notamment au contact des nerfs sensitifs du périoste.
Elle a été principalement décrite dans la prise en charge des fractures fermées déplacées de l’extrémité inférieure du radius, de type “Pouteau-Colles”, bien que son utilisation ne se limite pas à cette seule indication.
Elle peut être pratiquée à la fois chez l’adulte et chez l’enfant. [5][20][25][45]
D’après le Dr J. Hodax [14], il faudrait que la fracture date de moins de 2 jours, mais ce délai n’a pas fait l’objet d’études.
L’AIF permet de:
– soulager rapidement la douleur de repos [4][5][16][18][21][49].
– éviter les douleurs provoquées par les mobilisations (examen, radios,…) [18].
– réduire les fractures dans des conditions d’antalgie satisfaisantes.
– permettre une antalgie post-réduction efficace [23][24][49].
– diminuer le temps de prise en charge médicale [4][18][24][25][26][49].
– réduire le coût de la prise en charge [4][26][27].
Le mécanisme d’action de l’AIF n’est pas tout à fait le même que celui des blocs nerveux, car dans le cas de l’AIF ce sont les petites fibres nerveuses démyélinisées du périoste et des tissus adjacents qui sont ciblées, afin d’inhiber la création et la conduction des signaux douloureux. [50] Dans certains cas, la douleur pourra être contrôlée par AIF seule, ou en association avec d’autres antalgiques couramment utilisés dans les situations d’urgences traumatologiques: antalgiques de palier 1 et 2, MEOPA, morphiniques, kétamine, autres hypnotiques,…
Dans leur revue de la littérature, présentée en 2015, C. Lagrange et T. Rocher [13], ont estimé que “L’anesthésie intra-focale est une technique d’analgésie efficace par rapport à la sédation IV et au protoxyde d’azote, mais elle est inférieure sur le contrôle de la douleur comparée au bloc du plexus brachial, à l’AIF + sédation IV et l’anesthésie générale pendant la réduction.”
Réalisation de l’AIF
Les différentes étapes de l’AIF et le matériel utilisé
L’anesthésie intra-focale se réalise dans des conditions d’asepsie strictes.
Les modalités de réalisation ainsi que le matériel utilisé n’ont pas encore fait l’objet d’un consensus et peuvent varier d’un praticien à l’autre. En attendant qu’une harmonisation des pratiques soit effectuée, nous vous présenterons ici les grandes lignes de réalisation d’une AIF, quel que soit le site choisi:
– désinfection 4 temps ou solution alcoolisée, gants (stériles ou non).
– seringue remplie avec 10ml de Lidocaïne 1% non adrénalinée.
– aiguille pouvant aller de 18 à 25 Gauge (intramusculaire étant la plus souvent décrite).
Le point de ponction se trouve en regard de la déformation ou légèrement plus proximal que le zone de fracture. L’aiguille doit être insérée biseau vers le bas. La présence d’un reflux sanguin permet de s’assurer que l’on est bien dans le foyer de fracture (sang sous pression dans l’hématome).
Injection d’un anesthésique local dans le foyer de fracture sans dépasser les doses toxiques.
Retrait de l’aiguille.
Les différents sites de ponction
Le poignet
L’indication d’AIF la plus largement répandue est la fracture fermée déplacée de l’extrémité distale du radius.
L’injection se fait sur la face dorsale de l’avant-bras, 2 centimètres environ au-dessus de la déformation.
L’aiguille est insérée avec une angulation d’environ 30°, biseau vers le bas.
Les fractures de type Pouteau-Colles étant souvent engrenées, certains auteurs recommandent d’associer une infiltration des tissus mous en regard de la fracture.
En cas de fracture associée de la styloïde ulnaire, il est intéressant d’effectuer une seconde injection dans le foyer de fracture de la styloïde.
Dans un article publié à Chicago en 2015 [55], des médecins expliquent la technique d’échoguidage utilisée dans leur service d’urgences dans le cas de recours à l’AIF pour prendre en charge des fractures fermées déplacées de l’extrémité distale du radius: sonde linéaire 5-10 MHz placée dans l’axe du radius afin de visualiser le trait de fracture au centre de l’image.
Dans des conditions d’asepsie stricte, aiguille de 20 ou 22 Gauge insérée de la partie proximale vers la partie distale, en ayant toujours l’aiguille à l’image pour suivre son trajet et la diriger vers le foyer de la fracture.
Un case report irlandais paru en l’an 2009 rapporte l’utilisation de l’échoguidage dans la réalisation de trois AIF pour la prise en charge de fractures fermées déplacées de l’extrémité distale du radius avant réduction. [51] Une sonde linéaire de 12 MHz a été utilisée en position longitudinale, dans des conditions d’asepsie stricte.
La clavicule
L’AIF n’a jamais été décrite dans la littérature internationale pour la prise en charge des fractures fermées de la clavicule.
Néanmoins, elle est couramment pratiquée par les médecins de montagne de France.
Le foyer de fracture étant très sous-cutané, il est visible et facile d’accès. Il est possible d’associer une anesthésie locale des tissus mous situés autour du foyer de fracture dans le même temps.
L’orientation de l’aiguille pour effectuer l’injection sera choisie selon la fracture.
La cheville
L’AIF dans la prise en charge des fractures de cheville est également décrite bien que moins répandue[19][20][26][50].
Le patient est placé avec le pied en supination.
Deux sites d’injection:
– antéro-médial: entre la veine saphène et le tendon du muscle tibial antérieur.
– antéro-latéral: entre le tendon du muscle long extenseur des orteils, le tendon du muscle troisième fibulaire, et le nerf fibulaire superficiel.
Les métacarpiens
Une étude nîmoise parue en 2001 dans le livre “Chirurgie de la main” aux éditions Elsevier [53] propose un nouveau traitement orthopédique dans la prise en charge des fractures fermées déplacées du col du 5ème métacarpien.
Vingt patients ont été inclus dans l’étude, et tous ont bénéficié d’une AIF complétée d’une anesthésie locale du rameau dorsal du nerf ulnaire avant réduction de la fracture par manoeuvre de Jahss, mais la procédure d’exécution de l’AIF n’est pas détaillée.
L’humérus
Un case report de 2015 [36] décrit la procédure utilisée par l’équipe du Dr E. Lovallo pour effectuer une AIF écho-guidée chez une patiente présentant une fracture intra-articulaire de la tête humérale hyperalgique, non soulagée par les traitements antalgiques IV dont palier 3.
La patiente de 79 ans a été placée en décubitus dorsal, avec une serviette sous l’épaule lésée afin d’obtenir une surélévation de l’épaule et supination du membre supérieur.
Le praticien a utilisé une sonde linéaire de 5-10 MHz en position transverse afin de visualiser la fracture et l’hématome en dessous de l’articulation glénohumérale, aiguille pour ponction lombaire, et 10ml de Bupivacaine 0,5%.
Le sternum
Un case report de 2010 [39] apparu dans “The Journal of Emergency Medicine” décrit la prise en charge antalgique d’une fracture du sternum par AIF.
Le bilan lésionnel trouvait chez un patient de 59 ans victime d’un AVP une fracture transversale légèrement déplacée de la partie moyenne du sternum, associée à une fracture de K6 et K7. Le patient étant très algique au niveau du sternum, une AIF a été réalisée sous échoguidage (sonde linéaire 7,5 MHz) avec 7ml de Bupivacaïne 0,5%.
Le col du fémur
Les Dr Mc Auliffe et Harmon, médecins irlandais, ont publié en 2009 un case report sur une AIF pour la prise en charge d’une fracture du col du fémur. [56]
La patiente âgée de 76 ans présentait une fracture fermée du col du fémur, algique à 7/10 au repos et 9/10 lors des mobilisations. Pour permettre une antalgie efficace dans l’attente de la chirurgie qui devait avoir lieu 12 heures plus tard, une AIF a été réalisée sous échoguidage.
Une sonde abdominale de 4-5 MHz a été utilisée en position longitudinale, afin de visualiser le trait de fracture.
Une aiguille 22 Gauge a permis d’atteindre l’hématome, et d’injecter 10ml de Levobupivacaïne à 0,5%.
L’AIF ainsi réalisée aurait permis de faire baisser les douleurs de repos et lors des mobilisations jusqu’à la chirurgie.
Les produits utilisés
Les anesthésiques locaux
Découverts au 19ème siècle, les anesthésiques locaux sont devenus pratique courante de nos jours, et pas seulement par les anesthésistes.
Les anesthésiques locaux se classent en deux familles distinctes, selon leur structure chimique: les aminoesters et les aminoamides (liaison située sur la chaîne intermédiaire, entre l’amine tertiaire et le groupe aromatique).
Les plus employés en médecine de nos jours sont les amides du fait du nombre moins important de complications rencontrées lors de leur utilisation.
Les six amides les plus utilisés sont: la lidocaïne, la bupivacaïne, la ropivacaïne, la lévobupivacaïne, la mépivacaïne et la prilocaïne.
La lidocaïne étant la molécule majoritairement utilisée pour les AIF nous ne décrirons que celle-là.
Propriétés pharmacologiques de la lidocaïne
Structure chimique
Le groupe aromatique (acide benzoïque) est le pôle lipophile de la molécule, responsable de la diffusion et de la fixation du produit, alors que l’amine tertiaire est le pôle hydrophile, responsable de la répartition sanguine, la diffusion, et l’ionisation.
Pharmacocinétique
La lidocaïne a un délai d’action rapide, entre 5 et 10 minutes, et une demi vie de 90 minutes. Après injection de lidocaïne à proximité d’un nerf, 99% de la substance sera absorbée dans la circulation générale [12] où elle sera métabolisée par le foie, qui la dégrade en glycine xylizide par désalkylation, un métabolite toujours actif qui conserve les propriétés cardiovasculaires et convulsivantes de la lidocaïne.
Les reins excrètent la glycine xylizide et environ 5% de la lidocaïne intacte. Une altération de la fonction rénale ne modifie donc pas la clairance de la lidocaïne en soi, mais peut entraîner une accumulation de la glycine xylizide avec apparition des effets secondaires.
Mécanismes d’action et effets indésirables
Les anesthésiques locaux ont un effet stabilisant de membrane [12] par blocage des canaux sodiques voltage dépendants présents dans les membranes cellulaires nerveuses, responsable de l’absence de transmission de l’information nociceptive par la propagation d’un potentiel d’action le long de cette membrane.
En effet, l’ouverture du canal sodique voltage dépendant permet l’entrée de sodium dans la cellule, à l’origine de la dépolarisation de la membrane avoisinante. Le potentiel d’action se propage alors de proche en proche, le long de la paroi nerveuse par ouverture en cascade des canaux sodiques de voisinage.
Une fois le potentiel d’action passé, on peut observer une période réfractaire durant laquelle les canaux sodiques ne sont plus stimulables, c’est une période d’inactivité qui empêche l’influx de revenir en arrière, l’information ne peut donc aller que dans un sens.
Les anesthésiques locaux augmentent le seuil d’excitabilité des fibres nerveuses en se fixant à l’intérieur du canal sodique, empêchant ainsi son ouverture. [12]
Leur action est réversible, et a lieu au niveau des fibres nerveuses près de leur zone d’injection. La durée d’action dépend donc de la quantité de produit injectée, de la myélinisation de la fibre nerveuse, et du produit utilisé.
L’action de la lidocaïne ne s’exerce pas qu’au niveau des cellules nerveuses, à l’origine d’effets secondaires, mineurs et majeurs:
– anti inflammatoire: inhibition des médiateurs de l’inflammation par inhibition de la libération des leucotriènes et de l’histamine, inhibition des interleukines, et diminution de la mobilité des neutrophiles [32]
– cardiovasculaire: antiarythmiques de la classe Ib, bradycardisants, inotropes négatifs, pouvant aller jusqu’à l’arrêt cardiocirculatoire [40]
– pulmonaire et respiratoire: bronchodilatateur [32]
– nerveux central: action analgésique centrale (inhibe les neurones
viscéro-moteurs médullaires ainsi que les récepteurs à la NMDA) [40], anticonvulsivant à de faibles doses, et en cas de toxicité par surdosage(blocage des faisceaux inhibiteurs du cortex cérébral): convulsions, dysesthésies péribuccales, acouphènes, troubles visuels, vertiges, pouvant aller jusqu’au coma, l’arrêt respiratoire et le décès.
On peut également mettre en évidence un des effets secondaires directs de la lidocaïne, au niveau du point d’injection: la toxicité nerveuse. Cette toxicité se rencontre lors de rachianesthésies ou lors de l’injection accidentelle de produit au sein même de la fibre nerveuse.
Règles d’utilisation de la lidocaïne
Afin d’éviter au maximum les possibles effets secondaires présentés par une injection intraveineuse de lidocaïne, la SFAR a édité des règles de bonne pratique lors d’une conférence d’experts en 2002 revue en 2004 [43]:
“injection lente et fractionnée, aspiration répétée pour s’assurer de l’absence de retour sanguin, contact verbal permanent avec le patient”.
Peu de médecins utilisent la lidocaïne IV de façon régulière, nous pouvons citer les cardiologues dans le traitement des arythmies ventriculaires, et les médecins anesthésistes-réanimateurs en association avec du propofol lors des inductions anesthésiques.
La lidocaïne est alors utilisée à des doses inférieures au seuil toxique qui est de 4,5mg/kg sans dépasser une dose totale de 300mg [57] pour obtenir un dosage plasmatique inférieur à 5,000 ng/ml. [42]
L’injection IV de lidocaïne est donc possible, sans dépasser le seuil toxique. Dans le cas des AIF, la dose utilisée se situe autour de 2,5mg/kg [31][42].
Selon une étude de 1988 réalisée sur neuf patients [31] le risque de passage systémique de la lidocaïne serait maximum au moment de la réduction de la fracture, mais ça n’a pas été retrouvé dans une autre étude réalisée en 1989 sur huit patients [42], où le pic plasmatique se situait entre 20 et 30 minutes après l’injection du produit, indépendamment du moment de la réduction.
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Table des matières
Généralités 8
1. Les différents intervenants
1.1 Les médecins généralistes de montagne
1.1.1 Contexte
1.1.1.1 Traumatologie des sports d’hiver (chiffres)
1.1.1.2 Éloignement, spécificités de la pratique en montagne
1.1.2 Association Médecins de Montagne
1.1.2.1 Historique et membres
1.1.2.2 Objectifs de l’association
1.2 Les médecins urgentistes
2. Définition de la douleur, spécificités de la douleur dans les fractures
2.1 Définition de la douleur
2.2 Rappels anatomiques
2.3 Physiopathologie de la douleur
3. Définition de l’AIF
4. Réalisation de l’AIF
4.1 Les différentes étapes de l’AIF et le matériel utilisé
4.2 Les différents sites de ponction
4.2.1 Le poignet
4.2.2 La clavicule
4.2.3 La cheville
4.2.4 Les métacarpiens
4.2.5 L’humérus
4.2.6 Le sternum
4.2.7 Le col du fémur
4.3 Les produits utilisés
4.3.1 Les anesthésiques locaux
4.3.2 Propriétés pharmacologiques de la lidocaïne
4.3.2.1 Structure chimique
4.3.2.2 Pharmacocinétique
4.3.2.3 Mécanismes d’action et effets indésirables
4.3.3 Règles d’utilisation de la lidocaïne
4.3.4 Contre-indications
4.4 Complications de l’AIF : données de la littérature
4.4.1 Les complications liées à la technique
4.4.1.1 Infectieuses
4.4.1.2 Compressions nerveuses et syndrome des loges
4.4.1.3 Autres
4.4.2 Les complications liées aux agents utilisés
Résultats
1. Population étudiée
2. Etude des pratiques
2.1 Ceux qui pratiquent
2.1.1 Les indications supposées des AIF
2.1.2 Les contre-indications supposées des AIF
2.1.3 Les co-analgésies
2.2 Ceux qui ne pratiquent pas
3. Facteurs encourageants et freins au développement de l’AIF
4. Moyens de formation disponibles à la réalisation des AIF
Discussion
Ouvertures
Conclusion
Références bibliographiques
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