Territoires du diagrammeย
Le diagramme mรชle sous mille formes des sรฉries intelligibles que le geste de lโhomme organise avec ses propres ressources en laissant entrevoir lโoutil en lequel le territoire se mรฉtamorphose pour lui confรฉrer du sens. La signification suscitรฉe par le dรฉvoilement du geste revendique le cheminement qui lโa fait naรฎtre. Le dรฉnouement du sens est ร ce prix : reconstituer le geste dans le diagramme pour comprendre comment le sujet rencontre le sens.
Les diagrammes du mondeย
Innombrables sont les diagrammes du monde. Lโhistoire montre que la philosophie comme la science nโa cessรฉ de lire et de commenter des diagrammes. Du premier moteur mรป aux dรฉveloppements les plus rรฉcents de la thรฉorie des topoi, la multitude des diagrammes cherche localement une expression du monde. Non pas comme un substitut au langage, mais comme un complรฉment dans le logos dโune fonction langagiรจre pourvu dโune ouverture ontologique. Le diagramme se dรฉploie dans sa dimension linguistique, plastique, mais aussi psychique. Car le diagramme nโa pas nรฉcessairement de support matรฉriel. Il est fait dโรฉquilibres et de dรฉsรฉquilibres entre des territoires qui par intersection et combinaison de zones, dโaspects, de textures produit une consistance. La diffรฉrence, la tensivitรฉ, lโintuition, lโiconicitรฉ, la potentialisation, le machinique sont autant de composantes du diagramme. Et les passages dโun diagramme ร un autre sont des changements dโhorizon ou de territoire qui sโeffectuent aussi bien dans le sens dโune territorialisation, dโune normalisation que dโune dรฉterritorialisation ou dโune dรฉconstruction. Ce qui diffรฉrencie le diagramme dโun plan, dโune figure, dโun schรฉma, dโun croquis, dโun graphe, dโune courbe ou dโune structure nโest pas de nature simple.
Dans la mesure oรน il connecte un espace ร un autre, le diagramme ouvre la question dโune topologie de la suture. Une intuition intellectuelle opรจre dans les sciences. Cette intuition est partiellement reprรฉsentรฉe dans le diagramme, qui semble รฉnoncer plus de choses quโil nโy en a de figurรฉes. Cโest une caractรฉristique de la description diagrammatique, que chacun interprรจte selon sa propre histoire. Le sens circule dans le diagramme, mais de maniรจres trรจs diffรฉrentes entre les composantes de la figure. Lorsque le diagramme est crรฉรฉ, il sโactualise et partant donne au rรฉel une expression du virtuel qui enferme une part intuitive, une connotation dโun fragment de savoir qui nโest pas encore rรฉvรฉlรฉ et qui nโaspire quโร un dรฉvoilement de cette prรฉ-connaissance. Cette idรฉe accorde une portรฉe ontologique ร la libertรฉ crรฉative de lโhomme et engage son sens esthรฉtique.
Comme machine de sens, le diagramme est porteur dโune intuition topologique. La position des objets dans un diagramme nโest jamais neutre : lโorganisation et la disposition des systรจmes signifiants contraignent le sens du diagramme. Car lโespace abstrait ou physique est donateur de sens. Le chiffre zรฉro nโa le sens dโannihilation des quantitรฉs que parce quโil partage lโespace รฉgalement entre des quantitรฉs positives et des quantitรฉs nรฉgatives. Sa position centrale sur le plan de jonction entre deux mondes opposรฉs lui confรจre le sens quโil a, et le pouvoir de soustraire une quantitรฉ ร une autre, dโannihiler complรจtement le poids du nombre. Si le nombre positif a une signification physique, le nombre nรฉgatif nโa de signification que parce quโil mรชle un concept opรฉratoire (le soustractif) ร un nombre positif. Chaque nombre positif ou nรฉgatif porte en lui la possibilitรฉ dโanรฉantir un autre nombre de signe opposรฉ. Le rรฉsultat de cet antagonisme est le chiffre zรฉro qui nโa ni signe, ni poids. Sa position particuliรจre au sein des nombres lui assigne son sens. En somme, le sens naรฎt dโune bifurcation de lโespace.
Imago mundiย
Il nโest pas รฉtonnant que la rรฉvolution copernicienne nโait eu que si peu de consรฉquences sur lโordre diagrammatique, car dans les reprรฉsentations des orbes cรฉlestes, il suffit de remplacer la terre par le soleil pour quโun simple changement de lรฉgende bouleverse lโordre planรฉtaire. En ce sens, le modรจle cosmologique tient plus de la structure que du diagramme parce quโil est ร la fois imprรฉgnรฉ des mythes de la crรฉation et de sources religieuses, et parce quโil se construit sur un principe esthรฉtique unique qui conjugue lโordre cosmique, lโordre du beau et lโordre de la symรฉtrie en une seule unitรฉ.
Lโordonnance du modรจle cosmologique, sa symรฉtrie, est garante de son bienfondรฉ. La vรฉracitรฉ du modรจle repose sur lโidรฉe que lโordre du monde est parfaitement symรฉtrique, quโil ne saurait exister aucun manque de proportionnalitรฉ entre ses parties. Kepler pense que la forme sphรฉrique a รฉtรฉ choisie pour reprรฉsenter le contour du monde car parmi toutes les formes gรฉomรฉtriques, elle est celle qui a le plus grand volume et donc peut contenir lโensemble des astres. Elle est aussi lโexpression dโune symรฉtrie parfaite des planรจtes autour dโun centre absolu. Cette perfection dans lโagencement se retrouve dans les mouvements des corps cรฉlestes qui ne peuvent รชtre que circulaires uniformes ou composรฉs de mouvements circulaires uniformes. Cโest selon Tycho Brahรฉ le gรฉnie de Copernic de lโavoir considรฉrรฉe.
Lorsque pour expliquer lโabsence de parallaxe des รฉtoiles, Copernic dut repousser les limites du monde, de sorte que le volume du monde devint beaucoup plus grand, et que son apparence se trouva projetรฉe dans un vide gigantesque, Tycho Brahรฉ ne put admettre lโexistence de ce vide qui brisait la puretรฉ esthรฉtique du modรจle copernicien. Il soulignait un ordre asymรฉtrique qui nรฉcessairement sโopposait ร la belle symรฉtrie pensรฉe comme condition suffisante de lโordre planรฉtaire. Dans les modรจles hรฉliocentriques, la dissymรฉtrie est une source de dรฉsaccords entre les auteurs. On compte parfois neuf, dix ou onze orbes et lโordre des planรจtes varie dโun modรจle ร lโautre. Lorsque Kepler propose des ellipses en remplacement des cercles, il justifie sa dรฉcouverte en arguant du fait que le mouvement des corps cรฉlestes repose sur des facultรฉs naturelles et animales, et quโil est par consรฉquent impossible dโatteindre la perfection pleine et entiรจre.
Dans le Mystรจre cosmographique, il pose que lโordonnancement des astres est fondรฉ sur les polyรจdres rรฉguliers .
ยซ La Terre est le cercle qui mesure tous les autres. Circonscrislui un dodรฉcaรจdre : le cercle qui le comprend sera celui de Mars. Circonscris une pyramide ร Mars : le Cercle qui le comprend sera celui de Jupiter. Circonscris un cube ร Jupiter : le cercle qui le comprend sera celui de Saturne. Inscris maintenant un icosaรจdre dans le cercle de la Terre : le cercle qui sโy inscrit sera celui de Vรฉnus. Inscris un octaรจdre au cercle de Vรฉnus : le cercle qui sโy inscrit sera celui de Mercure. Voilร la raison du nombre des planรจtes. ยป (Kepler, GW, I, 13) .
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Table des matiรจres
Introduction
Prologue
Chapitre 1. Territoires du diagramme
Les diagrammes du monde
Imago mundi
Virtualitรฉs riemanniennes
Gestes et orientations diagrammatiques
Diagramme, schรจme et schรฉma
Diagramme et structure
Diagramme et diffรฉrence
Machines diagrammatiques
Les diagrammes de Dynkin
Les diagrammes de Zuber-Ocneanu
Chapitre 2. Objets et catรฉgories
Introduction aux catรฉgories
La concorde Platon-Aristote
Lโobjet et le lemme de Yoneda
Ontologie des catรฉgories
Le fonctoriel
Le foncteur des opposรฉs
Logiques du diagramme et diagrammes de la logique
Peirce et les diagrammes existentiels
Preuves diagrammatiques
Chapitre 3. Physique du virtuel
Les diagrammes de Feynman
Lโinten(s|t)ionnalitรฉ
La polarisation du vide
Renormalisation et localisation
Le tournant diagrammatique de la physique
Les diagrammes de Penrose et la question du formalisme
Les nลuds virtuels de Kauffman
Chapitre 4. Logiques des topoi
La notion de topos
Le thรฉorรจme de Diaconescu
Le concept de point
Les objets virtuels
Diagrammes et changement de base
Le langage interne des topoi
Diagrammes et fonctions de Belyi
Chapitre 5. Invariants et universaux
Universaux et prรฉdicaments
Lโuniversel en thรฉorie des catรฉgories
Les treillis du monde
Lโarbre et la roue
Figures du diagramme
Rhizome et diagramme
Tables de savoir
Chapitre 6. Diffรฉrence et dualitรฉ
Identitรฉ et dualitรฉ
Principe de dualitรฉ
Diagrammes et catรฉgories duals
Dualitรฉ et fonctorialitรฉ
Quantification et dรฉformation
Dualitรฉ des supercordes
Dualitรฉ et univocitรฉ
Conclusion
Bibliographie
Index