Le système de prix
Les échanges dans les sociétés primitives étaient basés sur le système de troc, c’est à dire d’échanges d’objets sans intermédiaire sur accord mutuel des échangeurs. Ce système présente trois défaillances majeures, justifiant a posteriori l’apparition de la monnaie. D’après Aristote dans « Ethique à Nicomaque », les fonctions de la monnaie — venant suppléer aux défaillances du système de troc —- sont les suivantes :
– (1) La préservation de la valeur.
– (2) L’établissement de comptes.
– (3) L’universalité des échanges.
Nous commentons maintenant individuellement ces fonctions. Le point (1) renvoie à la préservation de valeur des biens périssables dans le cadre d’un marché imparfait comprenant des frictions, c’est à dire tel que la mise en contact d’un acheteur et d’un vendeur soit coûteuse. On pense par exemple aux secteurs de l’extraction d’énergie ou à la conservation des denrées alimentaires (en particulier, avant la généralisation des techniques de conservation comme la réfrigération ou la salaison dans une moindre mesure). Le point (2) concerne la standardisation de l’évaluation des biens et la division de la valeur. Dans l’économie detroc, l’échange entre deux biens infiniment divisibles est rare : il y a quasi-systématiquement dans cette mesure un écart à l’optimum théorique dans les quantités échangées. L’introduction de la monnaie est alors justifiée du point de vue de l’efficacité des transactions. Plus trivialement, la monnaie, par le système de prix, permet de construire un ordre sur les valeurs d’échange des biens, qui ne recoupe pas nécessairement les évaluations personnelles des individus (ces dernières pouvant être fortement divergentes en fonction des préférences). Elle substitue une valeur objective (le prix) à un ensemble de valeurs personnelles (l’ensemble des valorisations liées aux fonctions d’utilité personnelles). Le point (3) renvoie à la valeur universelle de la monnaie. En effet, la condition sine qua none du troc est la double coïncidence des désirs : il est nécessaire que chacune des parties valorise plus ce que possède l’autre partie que ce qu’elle possède elle-même. Cette dernière condition n’a plus cours : tous les agents sont censés désirer la monnaie. Notons pour être complet que certains auteurs considèrent que la capacité de la monnaie d’éteindre les dettes ou les obligations, c’est dire son pouvoir libératoire, constitue une quatrième fonction. La monnaie permet également la centralisation de l’offre et de la demande, ainsi que l’élimination des frictions. Bien que les travaux de Kyotaki et Moore (notamment dans le cadre de l’article de 2002 « Evil is the root of money ») montrent que cette condition n’est pas incontournable, le système de prix centralise l’offre et la demande, et permet en partie de remplir la fonction du crieur Walrasien, c’est dire d’égaliser l’offre et la demande sur les marchés. Par conséquent, l’apparition de la monnaie nécessite l’apparition d’objets sur lesquels se cristallise cette valeur divisible en bijection avec l’ensemble des réels : c’est ce rôle que vient remplir la monnaie, et en particulier les espèces (elles constituent le premier instrument de paiement ; leur valeur faciale, c’est dire leur valeur d’échange étant supérieure à la valeur intrinsèque du matériau à partir duquel elles sont construites). La généralisation de la monnaie nécessite une masse critique de personnes l’acceptant en échange de biens ou de services, ou du moins la masse critique de personnes ayant confiance dans la persistance de son acceptation universelle. On parle de monnaie fiduciaire, du latin « fide » foi ou confiance, parce que l’acceptation est sujette à la croyance de la persistance de la convention qui lui donne sa valeur, c’est à dire dans la capacité du détenteur de monnaie fiduciaire à l’échanger contre des biens ou contre d’autres types de monnaie. La valeur de la monnaie est en grande partie définie par des conventions ; ainsi, une personne ne partageant pas ces dernières s’interrogerait légitimement sur son fondement. On pense par exemple à la Lettre XXIV des lettres persanes de Montesquieu, dans laquelle Rica écrit à Ibben : « [le roi de France] est un grand magicien : il exerce son empire sur l’esprit même de ses sujets ; il les fait penser comme il veut. S’il n’a qu’un million d’écus dans son trésor et qu’il en ait besoin de deux, il n’a qu’à leur persuader qu’un écu en vaut deux, et ils le croient. S’il a une guerre difficile à soutenir, et qu’il n’ait point d’argent, il n’a qu’à leur mettre dans la tête qu’un morceau de papier est de l’argent, et ils en sont aussitôt convaincus. » C’est à Athènes, pendant l’antiquité, qu’apparaît le premier système monétaire complet. La monnaie athénienne est une Nomisma, c’est à dire une règle, au même titre que la loi : elle exprime la puissance de la cité, et représente ses idéaux civilisationnels. C’est un des premiers systèmes dans lequel la valeur d’échange de la monnaie n’est pas indexée sur sa valeur intrinsèque, sa valeur non conventionnelle. Elle a cours légal et peut permettre au citoyen de payer ses impôts aussi bien que les indemnités fixées par les juges. Ce mode de paiement, plus efficace, permet de limiter les cessions de terre et les pensions en nature. Les travaux de Kyotaki et Moore montrent que la circulation de dettes privées peut annuler le besoin de monnaie pour peu que les dettes privées circulent suffisamment, c’est à dire qu’elle soient échangeables multilatéralement (l’échange bilatéral ne suffit pas) et qu’il n’y ait pas de contrainte de revente, c’est à dire que la dette privée entre deux individus soit parfaitement liquide (tous les agents ont confiance dans la signature du débiteur, et évaluent la dette au même montant).
La monnaie
Depuis la haute antiquité, l’Humanité a souhaité donner aux biens des valeurs abstraites, indépendantes des prix relatifs définis par les marchés et donc fortement variables. La complexité de l’évaluation des marchandises en prix relatifs rend nécessaire la généralisation de points de références communs à toutes les évaluations. Les biens utilisés comme intermédiaires des échanges — c’est à dire qui remplissaient partiellement la fonction de monnaie, désignés dans la suite de cette introduction comme objet-monnaie — devaient avoir deux caractéristiques :
– ils devaient être difficilement reproductibles.
– ils devaient avoir une valeur intrinsèque relativement faible, en dehors de leur valeur d’échange.
La première condition assure que les agents ne peuvent se procurer l’objet-monnaie sans participer aux échanges (si l’objet-monnaie est disponible en abondance il n’est pas nécessaire d’échanger pour l’obtenir). La deuxième condition assure que l’emploi de l’objet-monnaie comme intermédiaire des échanges est efficace (au sens où le coût d’opportunité de cette utilisation est faible). Ces deux conditions confirment que la valeur de la monnaie est conventionnelle, puisque les théories économiques de formation de la valeur ne s’appliquent pas à la monnaie qui est son étalon. En effet, la théorie de la valeur-rareté impliquerait une valeur importante compte tenu de la première condition, ce qui viendrait en opposition directe avec la deuxième. La théorie de la valeur-travail d’Adam Smith est également prise en défaut, parce que la première condition impliquerait un rôle du travail au mieux secondaire dans le processus de fabrication de cette dernière. Même à considérer, comme John Hicks, que la rareté et le travail incorporé sont comme les deux lames du ciseau, contribuant toutes deux à la création de la valeur, on ne parvient pas à considérer que ces théories s’appliquent aux objets-monnaie. Néanmoins, en un certain sens, la rareté de la monnaie contribue à la valeur d’une unité monétaire. Cette intuition est développée dans le cadre de la théorie quantitative de la monnaie, proposée pour la première fois par Jean Bodin (1568). L’auteur soutient que la montée du prix au XVIieme ` siècle est une conséquence de la découverte du Nouveau Monde, et de l’afflux de métaux précieux qui en résulte. La théorie est exposée dans l’ouvrage « Réponse au paradoxe de M. de Malestroict touchant l’enchérissement de toutes choses, et le moyen d’y remédier » . Cette théorie est résumée par l’équation de conservation de la quantité de monnaie échangée dans l’ensemble des transactions proposée par John Hicks. Le produit de la vitesse de circulation de la monnaie (V) et de la quantité de monnaie en circulation (M) est égal au produit du niveau général des prix (P) et du revenu de la nation (Y), MV = PY. Les définitions des quantités mises en relation sont intuitives exceptée peut-être la définition de la vitesse de circulation de monnaie qui correspond au nombre moyen de transactions réglées à l’aide d’une unité de monnaie dans la période considérée. Irving Fisher (1911) étudie une version vectorisée de cette égalité, puisqu’il retient deux types de monnaie. La quantité de monnaie en circulation est donc une fonction croissante du revenu réel (c’est à dire du Produit Intérieur Brut réel) et du niveau général des prix, ainsi qu’une fonction décroissante de la vitesse de circulation de la monnaie. Les économistes antérieurs aux physiocrates, comme les mercantilistes (et en particulier les bullionnistes) voyaient dans la monnaie l’essence même de la richesse. Un pays serait d’autant plus riche que la monnaie serait abondante. Les physiocrates ainsi que les premiers économistes classiques réservent l’appellation de richesse aux seuls biens réels, et insistent sur le caractères d’intermédiaire des échanges de la monnaie. La loi des débouchés proposés par Jean-Baptiste Say va renforcer cette position, ce dernier allant jusqu’à parler de « monnaie voile » . Dans le traité d’économie politique, Say résume ainsi la loi des débouchés « Il est bon de remarquer qu’un produit terminé offre, dès cet instant, un débouché à d’autres produits pour tout le montant de sa valeur. En effet, lorsque le dernier producteur a terminé un produit, son plus grand désir est de le vendre, pour que la valeur de ce produit ne chôme pas entre ses mains. Mais il n’est pas moins empressé de se défaire de l’argent que lui procure sa vente, pour que la valeur de l’argent ne chôme pas non plus. Or, on ne peut se défaire de son argent qu’en demandant à acheter un produit quelconque. On voit donc que le fait seul de la formation d’un produit ouvre, dès l’instant même, un débouché à d’autres produits » . Dans le processus décrit par Say, la monnaie n’a que le rôle d’intermédiaire, et n’est jamais désirée pour elle même, puisque « les produits s’échangent contre les produits » . La monnaie est évacuée du champ théorique, considérée comme un faux problème masquant les réalités des problèmes économiques (Karl Marx, considéré comme un économiste classique en particulier dans ces conceptions de la monnaie, dira que cette dernière « masque la réalité des rapports de production »). Il faut attendre les économistes de l’Ecole de Cambridge (Alfred Marshall, Arthur Cecil Pigou, et plus tard John Maynard Keynes) pour voir apparaître une théorie de la demande de monnaie. Ces économistes proposent une théorie selon laquelle le niveau d’encaisses réelles (c’est à dire la demande de monnaie) est proportionnelle au produit du niveau général des prix et du revenu total de l’économie (ce qu’on interprète comme le produit intérieur brut). La théorie sous-jacente suppose que les agents désirent maintenir la valeur de leurs avoirs monétaires dans le temps pour faire face à un éventuel choc adverse, ce qui est particulièrement rationnel dans le monde radicalement incertain qui retiendra l’intérêt de Keynes.
Variables de crime
D’abord, les paiements par carte bancaire sont très sécurisés comparativement aux paiements en espèces, ces derniers étant les plus courants pour les transactions de faible montant (cf. par exemple Federal Reserve Bulletin, 2005). Il existe de nombreuses politiques d’assurance contre la fraude, selon le types de carte et les banques émettrices. De plus, une caisse est exposée aux vols — commis par des employés ou bien par des personnes extérieures — alors que les paiements par carte dispensent de stockage. Dans la mesure où ils n’ont intérêt à disposer d’un terminal que si les porteurs de carte sont suffisamment nombreux, les commerçants internalisent partiellement les risques encourus par les consommateurs. En effet, si les consommateurs craignaient de s’exposer à des risques d’agression par la détention d’espèces, la proportion de porteurs de carte augmenterait, et l’incitation des commerçants à accepter la carte bancaire se renforcerait. Nous nous attendons par conséquent à ce qu’une variable représentant à la fois l’exposition au vol des commerçants et des consommateurs (notée T) renforce la probabilité d’acceptation de la carte bancaire i.e. f’(T)> 0 (hypothèse (i)). Les paiement par carte bancaire génèrent un fichier stocké sur un serveur distant, comprenant les coordonnées des comptes débités et crédités, ainsi que la date, l’heure et le montant de la transaction. Par conséquent, l’évasion fiscale est difficile, voire impossible. Dans le même esprit, les paiements par carte bancaire diminuent le stock d’espèces à disposition immédiate, et rendent par conséquent le travail dissimulé (travail « au noir ») plus difficile. Nous nous attendons à ce qu’une variable contrôlant pour la « propension à la fraude financière », notée S, influence négativement la probabilité d’acceptation de la carte bancaire, i.e f’(S)< 0 (hypothèse (ii) ). Cet article vise à mesurer l’impact du crime comme facteur environnemental. Par conséquent, les variables pertinentes doivent être agrégées. Le niveau d’agrégation optimal serait sans doute celui de l’arrondissement ou de la ville, mais les données ne sont disponibles qu’au niveau du département. Nous avons donc fusionné les indicateurs de crime avec les variables de niveau individuel selon le département du magasin. Nous avons construit un indicateur de « Vol d’ensemble »— désigné ainsi dans la suite du texte — comme étant égal à la somme de trois variables de crime : « Vol à la Roulotte », « Vol à Main Armée » et « Vol au Préjudice d’Etablissements Publics ou Privés ». La première variable correspond à une forme de vol concernant exclusivement le consommateur, alors que la seconde et la troisième représentent respectivement le vol violent et non-violent dirigés contre les commerçants. Cet indicateur contrôle à la fois pour le risque direct encouru par les commerçants et pour leur internalisation partielle du risque encouru par les consommateurs. Le risque direct inclut à la fois le dommage potentiel à l’intégrité physique et la perte financière potentielle en cas de vol. Nous avons retenu également un indicateur de fraude financière (Fraude et Abus de Confiance). Nous avons pour objectif de vérifier que cet indicateur issu de l’Etat 4001 agrégé au niveau départemental, est bien compatible avec les données issues de l’enquête, de niveau individuel, en particulier avec la fréquence estimée de paiement en fausse monnaie. Nous avons calculé la fréquence estimée moyenne de paiement en fausse monnaie pour chaque département, puis nous avons calculé la corrélation entre cette variable et l’indicateur de criminalité financière issu de l’Etat 4001 (Fraude et Abus de confiance). Nous avons également examiné l’indépendance de ces deux variables au moyen d’un test du Chi-2. La probabilité d’indépendance estimée est inférieure à un pour dix mille, et comme on pouvait s’y attendre, plus la criminalité financière est importante dans le département, plus la fréquence moyenne estimée de paiement en fausse monnaie est importante. Les zones gravement touchées par la pauvreté sont plus exposées à toutes les formes de crime (voir par exemple Devine et al, 1988, LaFree et Drass, 1996, Lafree, 1999 pour des discussions théoriques et pour des illustrations empiriques). Les théories sociologiques expliquant ce point ont en commun de considérer que la pauvreté tend à détruire la légitimité de l’ordre social et à affaiblir les liens sociaux. En effet, le crime s’auto-entretient, en créant un environnement plus propice. La littérature économique considère que ce sont plus directement les conditions macroéconomiques qui provoquent l’apparition combinée de nombreuses formes de crime (cf par exemple Becker, 1968 et Brenner, 1976). La plupart des variables de crimes donne la même information d’un certain point de vue. C’est pourquoi nous avons veillé à retenir des variables de crime environnementales aussi peu corrélées que possible.
Conclusion générale
Notre thèse s’est donnée pour but d’analyser la formation de la demande pour les instruments de paiement. Nous tentons de cerner les déterminants du choix entre les espèces, la carte bancaire et dans une moindre mesure le chèque. Dans cette conclusion, nous synthétisons les principaux résultats des essais qui la composent, puis nous traçons des pistes de recherche future.
Synthèse Le premier chapitre examine le lien entre la demande pour les espèces et les coûts de retraits dans des distributeurs automatiques de billets extérieurs au réseau de la banque. En effet, depuis juillet 2002, la quasi-totalité des banques françaises impose la tarification des retraits déplacés en réaction à la mise en place de la réglementation européenne le premier juillet 2002. Cette réglementation impose l’harmonisation des tarifications de retraits à l’intérieur de la zone Euro. Nous proposons un cadre théorique adapté à l’analyse, c’est à dire tenant compte à la fois de l’hétérogénéité des consommateurs, et de l’ensemble des options disponibles. Nous considérons un continuum de consommateurs à deux dimensions. La première dimension correspond à la pénibilité à se déplacer jusqu’à un distributeur membre du réseau de sa banque (de manière à échapper à la tarification des retraits déplacés). La deuxième dimension correspond au bénéfice algébrique à payer en espèces plutôt qu’en carte bancaire. Selon sa position sur le rectangle, un consommateur préférera retirer des espèces à un distributeur à l’extérieur de son réseau bancaire (il devra payer à sa banque le prix d’un retrait déplacé que l’on appelle la surcharge), retirer des espèces à un distributeur appartenant au réseau de sa banque, ou payer avec un instrument alternatif (identifié à la carte bancaire). Nous montrons que la demande d’espèces globale décroit avec le niveau des surcharges. Le nombre agrégé de retraits déplacés décroit également, alors que le montant agrégé des transactions réglées par carte bancaire augmente, à condition que les surcharges ne soient pas trop élevées relativement aux valeurs extrêmes de pénibilité et de bénéfices d’utilisation des instruments de paiement. Nous exploitons une base de données unique, issue de la chambre de compensation française pour tester nos propositions théoriques. Cette base de données comprend le nombre de retraits déplacés, ainsi que les sommes retirées correspondantes en France mensuellement entre juillet 2001 et décembre 2006. Nous disposons également des transactions compensées réglées par carte bancaire. Nous exploitons le caractère d’expérience naturelle de la mise en place de la tarification des retraits déplacés : cette dernière a été décidée par la quasi-totalité des banques françaises, et s’est mise en place en moins d’un mois. Nous estimons un modèle de séries temporelles interrompues (Interrupted Time Series Design) et nous confirmons l’ensemble des prédictions du modèle théorique. En particulier, la tarification des retraits déplacés entraîne une diminution du nombre de ces retraits, et une substitution des paiements en espèces vers les paiements en carte. Le deuxième chapitre analyse une stratégie pouvant être appliquée par les marchands pour inciter les consommateurs à payer en espèce plutôt qu’en carte bancaire. Les paiements en espèces occasionnent des coûts de stockage, et exposent au risque de perte ou de vol. En revanche, ils n’occasionnent pas de coût monétaire direct et sont donc perçus comme moins coûteux (Bearing Point, 2009). La stratégie consistant à refuser les instruments de paiement alternatifs est coûteuse, parce qu’elle aboutit à dévier une partie de la demande potentielle. Nous examinons la possibilité pour les marchands en compétition imparfaite d’ajuster leurs prix afin de faciliter les paiements en espèces. En effet, il est nécessaire de représenter un prix comme combinaison linéaire des valeurs faciales des pièces et billets disponibles pour payer directement, ou bien de porter les pièces et billets rendus en monnaie. En d’autres termes, il existe un coût cognitif à la division du prix en pièces et billets, ainsi qu’un coût lié à l’encombrement des rendus de monnaie. Ces coûts sont croissants avec le nombre minimum de pièces et billets nécessaires pour payer. Ils peuvent être ajustés par les marchands, en faisant varier les prix de manière négligeable en valeur absolue. Par exemple, un prix de 99.67 euros est beaucoup moins pratique à payer qu’un prix de 100 euros, alors que la variation de prix ne représente que 23 centimes, soit 0.23% du prix final. Nous proposons un modèle théorique s’appuyant sur ces idées. Nous montrons en particulier deux propositions : toutes choses égales par ailleurs, 1) un prix est d’autant plus fréquemment choisi par un marchand qu’il mobilise moins de pièces et billets, et 2) Un prix est d’autant plus fréquemment payé en espèces qu’il mobilise moins de pièces et billets. Nous avons collecté une base de données par une étude de terrain dans plusieurs magasins en concurrence imparfaite. Nous avons noté le prix payé et l’instrument de paiement utilisé (espèces ou chèque) pour 411 transactions. Nous avons veillé à ce que les prix ne soient pas trop élevés de manière à ce que l’arbitrage entre les espèces et la carte soit pertinent. Nous avons également veillé à ce que les achats soient constitués d’un nombre limité d’articles, ou bien d’un article unique, de manière à ce que les marchands conservent un contrôle sur le prix payé. En accord avec nos prédictions théoriques, nous constatons que plus un prix est pratique à payer en espèces, plus il est fréquemment choisi par les vendeurs et plus il est fréquemment payé en espèces par les acheteurs. Nous proposons diverses mesures du caractère pratique du paiement en espèces, et nos résultats sont stables quelle que soit la mesure envisagée. Le troisième chapitre étudie l’impact du crime comme facteur environnemental sur les marchands. Ces derniers ne décident pas l’instrument de paiement utilisé pour chaque transaction, et la littérature académique les néglige souvent pour cette raison. Ils décident pourtant s’ils acceptent les instruments de paiement alternatifs, et fixent les prix. Ce chapitre prend le parti inverse. Nous utilisons une base de données unique, constituée d’un échantillon de 4601 marchands représentatifs de la France en taille, secteur et implantation géographique. Nous associons à chaque marchand le niveau des indicateurs de criminalité de son département. Nous nous basons sur l’État 4001, un document publié annuellement par le Ministère de l’Intérieur fournissant le nombre de plaintes déposées dans les commissariats et gendarmeries pour chacun des crimes et délits définis par le droit français. Nous avons retenu un indicateur de criminalité financière, et nous avons construit un indicateur composite de criminalité violente, composé de variables de criminalité. L’indicateur de criminalité est construit comme somme de variables intéressant prioritairement les consommateurs. Nous montrons que plus la criminalité financière est importante au niveau du département, plus les espèces sont appréciées par les marchands. Nous montrons également que plus la criminalité violente est importante, plus les marchands acceptent la carte bancaire. L’impact de la criminalité financière est un effet de sélection adverse. Les espèces permettent en effet de payer des salariés non déclarés, ou de mener des transactions sans traces écrites. C’est l’instrument de paiement privilégié pour la fraude fiscale. Nous interprétons l’impact de la criminalité violente comme une internalisation partielle du risque subi par les consommateurs. En effet, nous avons construit l’indicateur de criminalité violente comme la somme de variables de criminalité concernant les consommateurs (comme le vol à la roulotte) et des variables concernant les marchands (comme le vol à main armée). Le cinquième chapitre étudie l’impact du crime comme facteur environnemental sur les consommateurs. Nous utilisons une base de données originale constituée d’un échantillon de 1392 consommateurs représentatifs de la société française en origine géographique et catégorie socioprofessionnelle. Nous associons à chaque consommateur le niveau de criminalité de son département, de la même manière qu’au chapitre 3. Nous concluons qu’un niveau élevé de délinquance sur la voie publique entraine une augmentation des sommes en espèces retirées hebdomadairement ainsi qu’une diminution de la fréquence de possession d’une carte de paiement. Nous concluons également que plus la criminalité financière est importante, moins le montant hebdomadaire retiré en espèces est important et plus la fréquence de possession des cartes est importante. Ces deux effets sont contre-intuitifs. On s’attendrait a priori à ce que la criminalité violente dissuade de l’utilisation d’espèces et que la criminalité financière fragilise les incitations à posséder une carte bancaire. Ce serait une extrapolation plausible à partir de nos conclusions que nous avions tirées au troisième chapitre, concernant les marchands. Nous proposons les interprétations suivantes. Nous interprétons l’impact de la criminalité violente comme une conséquence de la non-linéarité des retraits aux distributeurs automatiques de billets. Ces derniers proposent typiquement des retraits multiples de 10 ou 20 euros, parce qu’ils sont alimentés exclusivement en billets. Le moment du retrait étant particulièrement risqué dans la mesure où les retraits sont visibles et qu’ils ont lieu en des points précis connus des agresseurs potentiels, le consommateur souhaitant minimiser les risques d’agression va diminuer le nombre de retraits, quitte à augmenter la somme moyenne retirée. Il n’est pas possible de choisir la somme retirée à l’euro près, et une diminution du nombre de retraits peut conduire à une augmentation de la somme totale retirée, même si l’objectif du consommateur est simplement de maintenir au moins les sommes retirées. Nous interprétons l’impact de la criminalité financières comme un effet de sélection adverse. En effet, le niveau d’expertise moyen concernant les risques associés aux instruments de paiements est plus élevé chez les personnes pratiquant la fraude financière que dans le reste de la population. Le risque de perte ou de vol associé à la détention d’espèces en est plus sensible, comme la protection apportée par les assurances associées au paiement par carte bancaire. Les incitations à détenir la carte bancaire sont renforcées . Le sixième chapitre aborde les déterminants psychologiques du choix d’un instrument de paiement. Nous exploitons les modèles de risque perçu proposés par Jacoby et Kaplan (1972) et Roselius (1971) en les appliquant aux différents instruments de paiement. Nous exploitons une base de données recueillie à l’aide d’un questionnaire en ligne auto-administré. Nous avons recueilli 393 questionnaires correctement remplis. Nous étudions la fréquence de détention et d’utilisation des instruments de paiement principaux (espèces, carte bancaire et chèque). Dans la mesure où l’utilisation d’un instrument de paiement nécessite de l’avoir sur soi, nous avons considéré que les déterminants de l’utilisation devaient être modélisés conjointement. Nous avons estimé des probits ordonnées bivariés pour chacun des instruments de paiements. Pour la carte bancaire et le chèque, nous avons retenu uniquement les individus possédant un chéquier (la totalité de l’échantillon original possède la carte bancaire, et nous nous sommes restreints aux 358 individus possédant un chéquier sur les 391 individus de la base de données pour les estimations relatives au chèque). Conformément à notre intuition, nous montrons que les équations de détention et d’utilisation sont liées, au sens où les résidus estimés pour ces deux équations sont corrélés. Nous confirmons que la carte bancaire et les espèces sont des substituts proches, puisque les principaux effets croisés des risques perçus concernent ces deux instruments de paiement. Nous montrons enfin que le risque de manque à l’influence la plus transversale, suivi du risque associé à la perte de temps.
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Table des matières
Introduction générale 1
0.1 Processus d’apparition des instruments de paiement
0.2 Modèles de compétition entre instruments de paiement
0.3 Organisation de la thèse
1 Does The Cost Of Cash Withdrawal Matter? Theory And Evidence
1.1 Introduction
1.2 Model
1.3 Data
1.4 Methodology and Results
1.5 Discussion
1.6 Conclusion
Appendix: Proofs
2 Do Sellers Adjust Prices to Be Paid Cash?
2.1 Introduction
2.2 Measures of Convenience
2.3 Model
2.4 Data
2.5 Empirical Results
2.6 Conclusion
Appendices for Chapter 2
3 Does Crime Impact the Preference for Cash of Merchants?
Introduction
Data
Econometric Strategy
Results
Conclusion
4 La criminalité favorise-t-elle l’acception de la carte bancaire ?
Introduction
Base de données
Stratégie économétrique
Résultats
Discussion
Conclusion
5 Does Crime Influence the Payment Decisions of Consumers?
Introduction
Data
Econometric Strategy
Results
Conclusion
6 The Role of Perceived Risk in Holding and Using Payment Instruments
Introduction
Literature
Econometric Strategy
Data
Results
Conclusion
Appendix
Conclusion générale
Synthèse
Perspectives
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