Échec universitaire au 1er cycle
Dans leur article15, Sophie Morlaix et Bruno Suchaut tentent de voir le rapport entre les différents facteurs sociaux, scolaires et cognitifs qui agissent sur la réussite des étudiants au terme de la première année à l’université. Ils partent du constat d’après lequel un étudiant sur trois quitte la filière à laquelle il s’était inscrit avant la fin de la première ou deuxième année face à l’objectif d’accès de 50 % d’une classe d’âge à un diplôme de l’enseignement supérieur. En janvier, à l’issu des tests et des partiels, 32% de l’échantillon ont au moins eu 10/20 et ont donc validé le semestre. Cela amène les auteurs à conclure que les capacités cognitives et la situation sociale (boursier ou non) ont un faible impact (respectivement 2,1% et 2,7%) sur les résultats du premier semestre. Par contre l’échec au premier semestre est dû pour :
– 5,1% aux performances académiques ;
– 3,8% au choix de l’orientation : c’est notamment le cas des choix d’orientation après le bac ;
– 86,3% au passé scolaire (réussite des études secondaires, cas de redoublement ou de retard scolaire, série et mention au bac) : la série scientifique est associée aux résultats les meilleurs, suivie de la série ES et de la série L.
A l’issu du second semestre, il y’a les résultats du premier semestre qui influent sur le second semestre car sur l’ensemble de l’échantillon, 69 étudiants (ayant eu une moyenne de 5,4/20) avaient abandonné après les partiels de janvier. Il y’a aussi l’influence de l’investissement personnel en temps de travail, les motivations ainsi que la série au bac, la mention et l’âge de l’étudiant. Cependant, le choix de l’orientation n’a pas d’effet sur les résultats du second semestre. Le passé scolaire a un impact mais assez modéré. Ainsi, en première année, la réussite dépend du passé scolaire (série et mention au bac, retard scolaire, redoublement), du choix de la filière sur la base d’un projet personnel mais aussi il y’a l’influence du niveau de compétence en compréhension de l’écrit, toutes filières confondues. Les capacités cognitives influent surtout à partir de la troisième année de licence et de la première année du master. De cette recherche, nous prendrons en compte le passé scolaire des étudiants de la FSJP pour identifier les nouveaux bacheliers qui y sont orientés pour avoir un aperçu de la qualité de la sélection mais surtout connaître leurs performances en Terminale et au Bac et répertorier les redoublements antérieurs (primaire et secondaire). On s’intéressera au soutien financier des étudiants (bourse ou autre type de soutien) et aussi aux motivations sur le choix de la filière. Une attention sera également portée sur l’organisation du travail personnel pour voir comment l’étudiant en Droit s’approprie ses cours et répartit son temps de travail même si l’article ne nous renseigne pas beaucoup sur les étudiants de l’échantillonnage à ce propos. Les performances académiques ne seront prises en compte que pour connaître le nombre et la nature des matières non validées (matière à ou sans TD, matière orale) au cours de l’échec car les notes des étudiants sont confidentielles au niveau de l’administration et nombreuses (24 pour les deux semestres en L1 par exemple). En dehors de cela, nous ne ferons pas de différenciation entre les semestres vu que les notes seront difficilement accessibles. Nous ferons aussi abstraction des déterminants cognitifs mesurés à travers des tests de raisonnement logique et de compréhension de l’écrit et avec les dimensions cognitives (la mémoire de travail, la vitesse de traitement et de raisonnement). Cela s’explique par le fait qu’ils n’ont pas trop été explicités dans l’article, qu’ils ont un faible impact mais aussi parce que nous ne disposons pas des moyens et de l’expertise nécessaire pour effectuer et apprécier ces dimensions cognitives. Le même document nous renseigne que le Centre d’Étude et de Recherche sur les Qualifications (CEREQ) et l’Observatoire de la Vie Étudiante (OVE) arrivent à la conclusion que plus le travail rémunéré prend plus de six mois par an et qu’il est éloigné du domaine des études, plus le risque d’échec augmente. Nous prendrons de ce fait les activités extra-universitaires (travail rémunéré, formation, sport…) en compte puisque le fait de suivre une formation parallèle augmente les charges pédagogiques (plus de cours à maitriser, un double emploi du temps…). Un travail rémunéré peut aussi offrir une stabilité financière comme elle peut détourner l’étudiant de ses études. Les auteurs ont donc montré qu’au terme de la première ou de la deuxième année beaucoup d’étudiants abandonnaient la filière à laquelle ils s’étaient inscrits. Nous avons vu et apprécié les déterminants scolaires et sociaux. Nous tenterons, dans les lignes qui suivent, de les approfondir de par les caractéristiques de l’étudiant et de ses conditions socioéconomiques. Mais avant, il s’agira d’abord de s’intéresser au profil du désistant.
Échec universitaire et caractéristiques de l’étudiant
Selon Babacar Diop, « être étudiant à Dakar, c’est vivre un traumatisme sans fin. L’université est le creuset d’une injustice sociale. Elle fonctionne comme un goulot d’étranglement qui élimine et écrase injustement 80% de ses effectifs sans pour autant leur proposer une autre perspective ». En effet, l’université est un nouvel univers avec des rigueurs, règles, normes et nécessités novelles et différentes. Il y’a un problème d’adaptation. En effet, les nouveaux bacheliers arrivent dans un nouvel univers où le mode d’organisation et les règlements du secondaire sont différents de ceux du supérieur. Les cours magistraux ne sont pas obligatoires à l’exception des TD et TP. La prise de note remplace la dictée. Il ne suffit plus d’apprendre par cœur mais aussi il faut comprendre les cours. Face à de nouvelles exigences, les nouveaux bacheliers manquent de repères sur les réalités de l’institution universitaire. Par exemple, dans son mémoire, Mame Seynabou Sène nous rapporte les témoignages d’anciens internes de la Maison d’Éducation Mariama Ba et du Prytanée Militaire : Je viens de Mariama Ba, un lycée où l’on sélectionne les meilleures filles de CM2. Après le Baccalauréat, j’ai opté pour le département d’anglais mais les conditions étaient tellement dures que j’ai mis du temps avant de m’adapter. On allait de faculté en faculté pour suivre un cours dans des conditions d’études insoutenables. Ce qui a fait que je n’ai pas pu réussir ma première année. Je viens du prytanée militaire mais bien que le niveau soit là, je ne pense pas être en mesure de franchir le cap du premier cycle. Avec de telles conditions, je n’ai plus la volonté de continuer dans cette université. Il y’a ainsi un problème d’adaptation et un déficit de communication. D’ailleurs, sur un échantillon de 100 personnes, 49% ont affirmé que leur difficulté se situait à ce manque d’information. Il existe certes des amicales et associations mais leur aide ne se limite parfois qu’aux procédures d’inscriptions. Aussi, l’étudiant devient plus libre intellectuellement, il s’organise et doit faire des recherches supplémentaires. Il n’est plus un réceptacle passif mais devient un autodidacte et doit se renseigner sur ses professeurs (s’il préfère qu’on lui restitue le cours ou non, par exemple). Dès lors, ses pré-acquis constituent une base, un socle sur lequel il doit s’appuyer pour faire face à son nouveau métier d’étudiant. Pour la première caractéristique, c’est-à-dire le passé scolaire, les éléments prédictifs sont importants à savoir l’âge, la mention, la série, les notes, l’établissement d’origine (école d’excellence ou pas car ici il y a une sélection rigoureuse à l’entrée). « Les pays qui disposent d’épreuves externes à la fin du secondaire, comme le baccalauréat en France, l’Abitur en Allemagne et le Général Certificate Education en Angleterre, observent que les critères scolaires du secondaire ont un certain pouvoir de prédiction sur la réussite à l’université (Chapman, 1996 ; Rapport de la commission Attali, 1998…) ». Mais son impact est moindre pour les disciplines universitaires qui « partent de zéro » autrement dit, qui ont peu ou pas de rapport avec celles du secondaire. Pour la seconde, on a le projet personnel de l’étudiant. L’orientation dans une filière non choisie ou à titre d’essai peut être source d’échec (Galley et Droz, 1999). De ce fait, le choix et la solidité du projet personnel demeurent importants car sera une source de motivation. Le choix d’une filière peut reposer sur le projet professionnel, le projet de formation ou l’intérêt intellectuel de l’étudiant (Windolf 1995, Galland 1996, Erlich 1998). Cependant, l’importance est que le choix soit fondé et qu’il soit de manière préférable en continuité avec ses études secondaires. Néanmoins, le choix de la filière est souvent indépendant de l’étudiant car son orientation dépend de ses notes obtenues au Bac et en Terminale mais aussi de la commission d’orientation. « L’écart peut être important entre les souhaits de l’étudiant et la filière qui lui est ouverte. Du point de vue de la motivation, ce système produit des effets pervers…Ainsi des étudiants brillants répugnent à s’inscrire dans des filières qui n’exigent pas des notes élevées à l’entrée, même si elles correspondent davantage à leurs goûts et à leurs intérêts (Mora 1996». Ce même choix peut être aussi le fait de la pression familiale, de l’influence du groupe des pairs, d’amis, de ses enseignants… « Ainsi, les étudiants qui abandonnent ont souvent opéré un choix de filière sous l’influence de camarades ou d’enseignants du secondaire sans référence à la culture d’une discipline scientifique (Galley et Droz, 1999) ». Ce qui nous pousse à d’ailleurs nous intéresser aux motivations des étudiants par rapport au choix de leur filière dans le cadre de nos entretiens avec les étudiants cibles. Il faudra également questionner l’administration et la Direction Générale de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche sur les critères de sélection à l’entrée surtout avec la nouvelle plateforme Campusen. La troisième caractéristique concerne le métier d’étudiant. Ici, il s’organise et s’approprie les règles de son nouvel environnement. Le temps de travail personnel a un impact mais c’est plutôt le type d’opérations intellectuelles mises en œuvre qui compte. L’étudiant développe des stratégies métacognitives, d’organisation du travail personnel et de compréhension en profondeur. Cependant, il n’existe pas une formule magique dans la manière d’apprendre pour un succès mais plutôt une organisation, des méthodes et stratégies qui constituent une continuité des bonnes habitudes scolaires. Nous ne pouvons donc que louer les intéressants et instructifs éclaircissements de Romainville par rapport aux déterminants internes de l’échec notamment le passé scolaire (redoublements antérieurs, série au Bac, mention, session de passage) de l’étudiant. Nous ajouterons cependant à ces éléments les notes obtenues aux matières de sélection à savoir le Français, la Philosophie et les Mathématiques. Nous chercherons également à découvrir les raisons qui expliquent le choix de ces matières pour voir, suite à une quantification de ces données, si les étudiants en échec ont réellement le mérite ou le profil pour suivre des études juridiques. A cela, nous ajouterons le projet personnel pour savoir si le choix de cette filière fut l’œuvre d’un projet mûrement réfléchi, d’une influence ou simplement d’une orientation indésirée, trois possibilités qui pourraient plus ou moins être source de motivation, de paresse ou de désintérêt. Nous comptons également investiguer l’appropriation du métier d’étudiant c’est-à-dire comment il organise son emploi du temps, comment il s’approprie ses cours (mémorisation, compréhension ou résumé…), comment il s’adapte aux exigences et rigueurs de l’université… Toutefois, il ne faudrait pas oublier qu’il existe bien des causes externes qui échappent au contrôle de l’étudiant en échec, des éléments qui lui sont extérieurs à savoir les conditions socio-économiques et les dispositifs pédagogiques (que nous verrons plus loin).
Échec universitaire et dispositifs pédagogiques
Sous la Troisième et la Quatrième Républiques, l’enseignement supérieur constituait un laboratoire unique d’observation des relations entre les élites et le fait colonial et d’analyse des conditions de production et de circulation des savoirs coloniaux. Dans les années 1880- 1900, la conjonction entre le développement de l’enseignement supérieur et la relance de l’expansion coloniale se traduisit par la création de l’enseignement supérieur colonial. Cette catégorie était utilisée par les universitaires de la Troisième République pour désigner l’ensemble des cours dits coloniaux des universités et grandes écoles françaises. Parallèlement, s’était développé un enseignement supérieur dans les colonies. Les colonisateurs avaient d’abord ouvert des écoles de médecine et des écoles normales, puis de véritables centres universitaires à Alger, Hanoi, Tunis et Dakar. Les administrations coloniales avaient, en outre, favorisé la création de nombreux instituts afin d’encourager les universitaires métropolitains à effectuer des recherches in situ. Le champ éducatif africain, à l’instar des systèmes éducatifs des pays du Nord comme de ceux de l’ensemble des pays du Sud, est atteint par les politiques de mondialisation qui ont occasionné un nouvel ordre scolaire mondial (imposition de politiques) avec les années 1990. L’École africaine est la juxtaposition d’un système de type européen à un système de type arabo-musulman. L’évolution de ses systèmes éducatifs est marquée par des rencontres successives d’abord provoquées par les conquêtes arabo-musulmanes, puis par les conquêtes coloniales européennes. Le développement de l’École africaine est encore très dépendant de ces rencontres qui l’ont fait naître : l’organisation des cycles d’enseignement, des contenus, des modalités de sélection et le choix de la langue d’enseignement découlent de cette histoire singulière. En dépit de quelques progrès, il faut attendre les indépendances pour assister au développement très rapide des systèmes scolaires africains : les années 1960-1980 constituent une période d’euphorie et d’« explosion» des effectifs des différents degrés d’enseignement. Cependant, la crise financière du début des années 1980 et la mise en place des Programmes d’Ajustements Structurels (PAS) ont eu des conséquences néfastes sur le développement de la scolarisation : plusieurs centaines de milliers d’enfants ou de jeunes Africains ont ainsi été exclus de toute éducation scolaire ou ont interrompu précocement leurs études. Les politiques imposées dans le cadre de ces PAS ont une lourde responsabilité dans l’apparition des phénomènes de déscolarisation. Par ailleurs, elles sonnent le glas de l’influence des organisations onusiennes dans le champ éducatif au profit de la Banque Mondiale. Rappelons que c’est à partir des programmes de la dimension sociale des PAS que la Banque Mondiale commence à intervenir dans l’éducation des pays africains. Cette intervention se poursuit et s’accroît par le biais des plans décennaux de l’éducation ou des programmes de lutte contre la pauvreté. Caractérisées par l’afflux des financements extérieurs, les années 1990 marquent une nouvelle étape définie par un essor de la scolarisation en Afrique (à l’exception des pays touchés par les guerres civiles). D’une part, les effectifs scolaires enregistrent une hausse importante dans certains pays (Mali, Sénégal, Togo…), d’autre part, un nombre important de réformes est imposé par le biais de ces financements extérieurs. La Conférence mondiale sur l’éducation pour tous (Jomtien, mars 1990) a ainsi suscité de nombreuses initiatives, tant de la part des pays du Sud que des bailleurs de fonds (institutions multilatérales, coopérations bilatérales, organisations non gouvernementales). Elle a également influencé les politiques d’éducation mises en place ces dernières années. Aujourd’hui, le système LMD en constitue le point d’aboutissement. Pour ce qui est de l’Université Cheikh Anta Diop, ce système est le processus de large concertation et l’approbation de l’ensemble de ses conseils, d’adopter un nouveau système à la rentrée 2004/2005, comme une vingtaine d’autres universités africaines francophones.
|
Table des matières
INTRODUCTION
PREMIÉRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE
DEUXIÈME PARTIE : CADRE MÉTHODOLOGIQUE
TROISIÈME PARTIE : ANALYSE ET INTERPRETATION DES DONNÉES
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
Télécharger le rapport complet