L ‘ERGOTHERAPEUTE : UN PROFESSIONNEL CENTRE SUR LE CLIENT
L’ergothérapie est l’art et la science de faciliter la participation à la vie quotidienne, et ce, à travers l’occupation ; l’habilitation des gens à effectuer les occupations qui favorisent la santé et le bien-être; et la promotion d’une société juste et n’excluant personne afin que tous puissent participer de leur plein potentiel aux activités quotidiennes de la vie. Cette profession, par une approche holistique et centrée sur le client, « [ … ] fait appel à l’évaluation et à l’intervention auprès de clients en vue de déterminer et de rehausser leur rendement occupationnel dans les sphères des soins personnels, du travail, des études des activités bénévoles et des loisirs ». Ces activités peuvent être regroupées sous le nom d ‘occupations. La conceptualisation de l’humain en tant qu’un être occupationnel est essentielle à la pratique de l’ergothérapie, [ … ] et pour qui l’occupation est un besoin fondamental. Par conséquent, l’ergothérapie perçoit la participation à l’occupation comme un besoin fondamental de l’être humain. [ .. . ] Donc, tout ce qui peut diminuer la capacité d’une personne dans sa participation à une occupation a le potentiel d’avoir un effet nuisible sur la santé et le bien être de l’individu, pouvant même générer la pathologie. Les ergothérapeutes tentent donc, par leurs interventions, de permettre aux personnes de participer aux occupations qu’elles considèrent importantes de la façon la plus autonome possible. L’ autonomie est donc un concept central pour la profession d’ergothérapeute; elle en constitue l’une des visées premières. Les buts ultimes de l’ergothérapie sont de favoriser l’autonomie des personnes, de permettre aux personnes de bénéficier d’une qualité de vie satisfaisante et de faciliter leur maintien dans leur milieu de vie et leur intégration dans la communautés. L’ ergothérapie s’intéresse aux liens qui existent entre l’ occupation et la santé. En ergothérapie, la conception de la santé dépasse largement l’ idée d’une simple absence de maladie. Les ergothérapeutes reconnaissent généralement que la santé des gens est influencée par ce qu’ils font quotidielmement. [ … ] L’occupation donne un sens à la vie. Elle devient significative pour une personne lorsqu’ elle lui permet d’ atteindre un but ou un objectif significatif sur le plan personnel ou culturel. La pratique des ergothérapeutes est fondée sur des faits scientifiques intégrés dans un raisonnement professionnel. Divers modèles conceptuels guident la pratique des ergothérapeutes, dont le Modèle Canadien du Rendement occupationnel et de la participation (MCRO-P), largement utilisé dans les divers milieux cliniques. L’un des postulats de ce modèle est de considérer la valeur que l’individu accorde à une occupation. « Notre préoccupation avec l’occupation humaine ne concerne pas seulement le rendement réel dans une occupation, mais aussi le degré d’importance qui lui est accordé ou le degré de satisfaction qu’il apporte à l’ individu ».
LA PERSONNE AGEE EN PERTE D’AUTONOMIE
« La perte d’autonomie constitue un des modes de présentation les plus fréquents des maladies chez la personne âgée. [Elle] recouvre une foule de diagnostics ». Au niveau fonctionnel, la personne en perte d’autonomie présente des difficultés dans la réalisation des activités de la vie quotidienne (se laver, s’habiller, se nourrir) et de la vie domestique (préparer les repas, faire les courses). « Être dépendant, c’est ne plus avoir la même autonomie qu’auparavant, ne plus pouvoir réaliser ce que l’on faisait autrefois et se retrouver à la merci du soutien des autres pour les activités de la vie quotidienne ». Cette dépendance fait en sorte que la personne a besoin d’aide pour compenser ses incapacités, d’intensité variable. D’ après la conception fonctionnelle de la santé, l’ autonomie repose sur un juste équilibre entre l’incapacité fonctionnelle du malade âgé et les ressources matérielles et sociales disponibles pour pallier cette incapacité. [ … ] La perte d’ autonomie est une conséquence directe d’ une rupture de cet équilibre souvent , . precaue. Plusieurs facteurs sont associés à la perte d’ autonomie comme l’âge et une diminution des capacités physiques : trouble d’équilibre, atteinte au niveau de la force musculaire, problèmes articulaires, etc. Dans le cadre de cette recherche sur l’utilisation des détecteurs de mobilité, nous mettons l’ accent sur les déficits cognitifs. Certes, l’utilisation de ces appareils vise à pallier la perte d’ autonomie physique en prévenant par exemple les chutes chez les personnes dont l’équilibre précaire est dû à des causes purement physiques; toutefois les enjeux éthiques rencontrés par les ergothérapeutes sont principalement liés à la perte d’autonomie du point de vue cognitif. En effet, ces appareils sont généralement utilisés avec des personnes présentant des atteintes cognitives, puisque celles-ci, selon Hubbart et coll, sont plus susceptibles, en raison d’une diminution du jugement, de surestimer leurs capacités à marcher de façon sécuritaire!!. C’est pourquoi la problématique que nous élaborons se concentre sur la prévention des accidents secondaires à une chute chez les personnes présentant des troubles cognitifs.
Troubles cognitifs, maladie d’Alzheimer et autres démences chez la personne âgée
Comme nous l’avons mentionné plus haut, le fait d’être atteint de troubles cognitifs constitue l’un des facteurs pouvant causer la perte d’autonomie chez l’aîné. Les troubles cognitifs sont les manifestations des différentes pathologies que l’on peut regrouper sous le terme « démences », la plus connue étant la maladie d’Alzheimer. D’ autres maladies, dont la démence vasculaire, la démence mixte et la démence frontale, sont également en cause. Évidemment, le tableau clinique pourra varier selon la maladie dont la personne est atteinte. Dans les sections qui suivent, le terme « démence » sera utilisé pour désigner les pathologies pouvant amener cette détérioration. Au-delà des pertes de mémoire caractérisant la plupart de ces maladies, la personne atteinte d’une démence présente divers symptômes dont l’intensité varie selon la nature de la maladie et son stade d’évolution. Selon le profil type, la personne présente une détérioration globale de ses fonctions cognitives notamment la capacité de jugement, la manière d’ être en relation avec les autres (aptitudes sociales) ou la gestion des émotions. Ces atteintes ont inévitablement un impact sur la réalisation des activités de la vie de tous les jours. À titre d’exemple, la personne ne saura plus comment effectuer ses soins d’hygiène car elle ne pourra plus organiser les différentes étapes qui sous-tendent cette activité, ou n’en prendra plus l’initiative sans stimulation externe. Ou alors, elle ne pourra plus réagir adéquatement face à une situation pratique imprévue (capacité de résolution de problème). Dans certains cas, la démence s’accompagne d’errance (besoin incontrôlable de marcher) ou même de risque de fugue. Inévitablement, la progression de la maladie va de pair avec l’augmentation du besoin d’aide par une tierce personne. De plus, au-delà des aspects physiques et fonctionnels de la démence, on doit aussi considérer l’aspect psychoaffectif de l’expérience vécue par la personne atteinte, dont on ne parle que trop peu souvent. Cette définition de Martine Lecoeur, de la Fédération québécoise des sociétés Alzheimer du Québec, nous apparaît tout à fait appropriée pour décrire le vécu subjectif de la personne atteinte d’une démence. Elle est donc amenée à vivre dans un monde qu’ elle ne comprend que partiellement et auquel, malgré tout, elle continue à appartenir. Un monde décousu qui oscille entre l’inconnu et le familier, l’étranger et l ‘habituel. Ses réactions vont dépendre de la façon dont elle le ressent et le perçoit, des capacités et des moyens dont elle va disposer pour s’ y adapter. Cette brève description des conditions induites par la perte d’ autonomie laisse entrevoir toute la complexité de l’intervention clinique qui vise à prévenir les chutes chez les personnes âgées atteintes des différentes formes de troubles cognitifs. L’ analyse des enjeux éthiques propres à cette intervention devra tenir compte de ces dimensions. Auparavant, il importe d’établir la pertinence de l’ objectif de prévention des chutes chez les personnes âgées.
Conséquences des chutes
Au Québec, la prévention des chutes chez les aînés constitue l’une des priorités nationales en matière de santé publique l8, en raison des conséquences pour les personnes et des coûts importants en soins de santé requis suite à une chute. Certes, toutes les chutes n’ entraînent pas de conséquences graves, puisque sur cent chutes, environ dix nécessitent l’intervention d’un médecin et parmi celles-ci, cinq causent une fracture dont une constitue la fracture la plus grave, la fracture de la hanche ; ces statistiques permettent de conclure à un impact économique important sur le réseau de la santé. En effet, cette problématique est à l’origine de cinquante mille consultations médicales et de treize mille hospitalisations annuellement, et ce, sans compter le coût des chirurgies pour les fractures, et tous les services professionnels requis, par exemple les traitements de physjothérapie. « Au Canada seulement, [ … ] le coût annuel des fractures de la hanche s’élèverait à environ 650 millions de dollars et il pourrait passer à 2,4 milliards de dollars d’ici 2041 »21. L’institutionnalisation des personnes présentant une perte de mobilité trop importante pour retourner vivre à domicile entraîne également des coûts non négligeables pour le réseau, puisque généralement les personnes victimes d’une fracture de hanche pourront devenir beaucoup plus dépendantes dans l’accomplissement de leurs activités quotidiennes. Au-delà des conséquences purement économiques se trouvent les conséquences d’ordre psychologique et affectif pour la personne âgée victime d’une chute. En effet, incident banal pour une personne plus jeune, la chute peut prendre une tournure tragique pour l’aîné. En plus des souffrances physiques éprouvées, la personne âgée développe souvent une crainte de chuter pouvant l’amener à limiter de plus en plus ses déplacements et ses activités quotidiennes. « De surcroît, la chute peut avoir des conséquences psychologiques importantes telle une peur de tomber, et un manque de confiance en ses capacités, entraînant à une limitation des activités fonctionnelles qui à son tour entraîne une perte d’autonomie » .
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Table des matières
REMERCIEMENTS
RÉSUMÉ
ABSTRACT
INTRODUCTION
PARTIE 1- ANALYSE DE LA PROBLEMATIQUE
Chapitre 1 : PROBLÉMATIQUE CLINIQUE DE LA PRÉVENTION DES CHUTES CHEZ LES PERSONNES EN PERTE D’AUTONOMIE
1.1 L’ergothérapeute : un professionnel centré sur le client
1.2 La personne âgée en perte d’autonomie
1.3 Les chutes chez les personnes âgées
1.4 Nouvelles orientations sur l’ hébergement des personnes âgées
1.5 Mise au rancart de la contention comme méthode de prévention des chutes
Chapitre 2 : LA TECHNOLOGIE COMME OUTIL DE PRÉVENTION DES CHUTES
2.1 Des actions multifactorielles pour diminuer les chutes tout en évitant l’utilisation de la contention
2.2 Les détecteurs de mobilité: une alternative à la contention
2.3 L’envers de la médaille: les impacts négatifs possibles
2.4 Dilemmes décisionnels sous-jacents à la problématique
2.5 L’autonomie, un concept à plusieurs dimensions
2.6 Les normativités au cœur de la problématique
PARTIE 2 – PRESENTATION DU PROJET DE RECHERCHE, RESULTATS ET ANAL YSE
CHAPITRE 3 : DESCRIPTION DU PROJET DE RECHERCHE
3.1 Objectif principal et objectifs spécifiques de la recherche
3.2 Méthodologie de la recherche terrain
CHAPITRE 4 : RÉSULTATS ET ANALYSE
4.1 Données obtenues dans les questionnaires destinés aux ergothérapeutes
4.2 Analyse des données recueillies
CHAPITRE 5 : DISCUSSION PAR RAPPORT AUX RÉSULTATS OBTENUS ET NOUVELLES PISTES DE RÉFLEXION ISSUES DU PROJET DE RECHERCHE
5.1 Les aidants naturels : le risque d’une sous-considération
5.2 Nécessité de poursuivre les enseignements en lien avec les contentions
5.3 Interrogations sur le sentiment de culpabilité des aidants et la crainte des Intervenants
5.4 Une orientation permettant d’actualiser le principe de bienfaisance?
5.5 Une grille d’analyse pour gérer des dilemmes bien réels
5.6 Questionner la culture du « risque zéro» en matière de prévention des risques
PARTIE 3 -UTILISATION DE L’APPROCHE DE GEORGES A. LEGAULT POUR RÉSOUDRE LE DILEMME
CHAPITRE 6: PRÉSENTATION DU MODÈLE DE LA DÉCISION DÉLIBÉRÉE DE GEORGES A. LEGAUL T
6.1 L’éthique appliquée comme chantier de l’éthique
6.2 Modèle de la décision délibérée de Georges A. Legault
CHAPITRE 7: APPLICATION DU MODÈLE DE LEGAULT À LA PROBLÉMATIQUE
CHAPITRE 8 : RETOUR CRITIQUE SUR L’UTILISATION DU MODÈLE DE LEGAULT
8.1 Pertinence du modèle
8.2 Limites du modèle pour la pratique clinique
8.3 Limites du projet de recherche
CONCLUSION
ANNEXES
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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