Les délires de grossesse

Il n‘est pas exceptionnel que des femmes non enceintes croient à tort qu’elles sont enceintes. Ces fantasmes peuvent apparaître de manière récurrente, en particulier chez les femmes qui ont des conflits inconscients, une culpabilité et une ambivalence en rapport avec la grossesse. Dans certains cas encore plus rares, ces croyances se présentent comme de fausses idées qui ne peuvent être corrigées par le raisonnement et sont donc délirantes.

Des cas de délires de grossesse ont été décrits partout dans le monde, majoritairement en Europe et en Asie.

Ce délire a été signalé non seulement chez les femmes, mais aussi chez les hommes [1,2]. Il peut se manifester dans le cadre d’un autre trouble ou de manière isolée. Lorsqu’il se présente de manière indépendante, le délire de grossesse est inclus dans la catégorie « trouble délirant de type somatique dans le cadre du spectre de la schizophrénie et d’autres troubles psychotiques », selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, cinquième édition (DSM-5)[3].

Cependant, chez les femmes souffrant de psychose, une grossesse délirante devient de moins en moins rare depuis l’avènement des médicaments antipsychotiques qui, en inhibant la sécrétion de dopamine, augmentent les niveaux de prolactine pour produire une symptomatologie qui vient s’ajouter à l’expérience somatique de la grossesse [4]. Une distinction a été établie entre le pseudocyesis, communément appelé grossesse nerveuse, où des signes de grossesse sont manifestement présents (gonflement abdominal, troubles menstruels, spotting, sensibilité et engorgement des seins, prise de poids, galactorrhée) et le délire de grossesse, où il peut y avoir arrêt des règles et distension abdominale, mais pas d’autres signes extérieurs [5]. Le premier est considéré comme un trouble somatoforme tandis que le second est un symptôme de psychose [6].

FACTEURS PSYCHOPATHOLOGIQUES

La littérature sur les délires de grossesse en cas de schizophrénie ou autres psychoses est peu abondante. Une distinction a été faite entre le pseudocyesis et le délire de grossesse, mais la ligne de démarcation est floue. En effet, de nombreux postulats psychodynamiques et socioculturels proposés pour la grossesse nerveuse pourraient très bien servir de base à la compréhension d’un délire de grossesse chez une patiente psychotique [18,32].

Les facteurs en lien avec ce phénomène peuvent être divisés en facteurs neurobiologiques, psychosociaux et socioculturels.

Facteurs neurobiologiques

Le délire de grossesse est une forme particulière de délire, nosologiquement non spécifique, qui peut se manifester de manière indépendante ou se rencontrer dans d‘autres pathologies telles que la schizophrénie et les troubles schizo-affectifs [18], les troubles délirants [23], les troubles de l‘humeur [33] ainsi que dans l’épilepsie [6,34], la démence et les autres troubles neurologiques [32,35].

Il peut également apparaître dans le cadre d’affections médicales qui provoquent une distension abdominale comme les fibromes [36], la rétention urinaire [37], la polydipsie [38], le syndrome métabolique [39], le kyste tubaire [40] ou une douleur abdominale comme la cholécystite [12]. Les échographies ont détecté un certain nombre d’autres causes potentielles de distension abdominale qui peuvent accompagner ce syndrome, comme un néoplasme abdominal ou une hypertrophie du foie[41]. Des troubles endocriniens tels que l’hypothyroïdie peuvent se présenter sous forme de délire de grossesse ou de pseudocyesis [42]. Ce symptôme a également été associé au post-partum [33], à une ménopause prématurée [43] et à des taux de progestérone élevés [44]. Plus particulièrement, le délire de grossesse a été lié à l’hyperprolactinémie parce que des niveaux élevés de prolactine sont à l’origine de nombreux symptômes de la grossesse [4]. L’hyperprolactinémie peut résulter d’un stress psychologique, en particulier le stress qui accompagne un épisode psychotique, indépendamment des médicaments antipsychotiques [45]. Les niveaux de prolactine peuvent être augmentés par de nombreuses affections organiques et par la stimulation des mamelons ainsi que par des médicaments tels que les oestrogènes, les antidépresseurs, les antihypertenseurs, les inhibiteurs de protéase, les opiacés, les benzodiazépines, la cimétidine et les inhibiteurs de la dopamine [46]. Les antipsychotiques sont tous des inhibiteurs de la dopamine et augmentent tous le niveau de prolactine à un certain degré, certains plus que d’autres, en fonction de la dose [47]. Cela signifie que les femmes souffrant de psychose qui sont traitées avec ces médicaments perçoivent souvent des changements corporels qu’elles peuvent associer à la grossesse [4]. Cela a été signalé dans plusieurs cas publiés depuis 2000 .

Facteurs psychosociaux

Les interprétations psychanalytiques traditionnelles attribuent aux croyances erronées un rôle de protection et de réalisation des souhaits. La grossesse, qui établit une union ininterrompue entre la mère et son fœtus, est censée éliminer la solitude et l’impuissance d’une manière miraculeuse pouvant ainsi servir de base à la formation du délire .

De même, la perte de l’amour et la perte d’un objet aimé (ou de la fertilité), la grande solitude et la perte réelle/imaginée d’une relation pourraient donner naissance à un délire de grossesse qui répondrait ainsi au désir de combler ce vide engendré par cette perte [8]. Dans certains cas, une infertilité était associée à ce délire. L’infertilité ou la perte de la fertilité, qu’elle soit due à l’absence de partenaire, à la ménopause, à des troubles gynécologiques, à une stérilisation antérieure ou à une maladie concomitante, accroît le désir de grossesse, alors que son impossibilité même peut alimenter des fantasmes magiques [55]. Le moment de l’émergence du délire coïncide souvent avec les premiers stades de la ménopause , ce qui laisse supposer que l’infertilité joue un rôle déclencheur. Parfois, le timing suggère que la grossesse délirante sert à compenser non seulement la perte de fertilité, mais aussi la perte en général.

Dans le cas rapporté par Marusic, la patiente était venue à l’hôpital un an après la mort de son père, convaincue de façon délirante qu’elle était sur le point d’accoucher[52]. Dans celui de Grover [50], une femme de 46 ans a développé une psychose deux mois après la mort d’un fils unique. La psychose a été traitée avec des médicaments antipsychotiques, ce qui a entraîné une hyperprolactinémie et une prise de poids. Toujours sous traitement, lors du premier anniversaire de la mort de son fils, la patiente était convaincue qu’elle était enceinte, qu’elle sentait les mouvements du fœtus et que le nouveau bébé était un homme. Par ailleurs, à partir des résultats de leur série de cas, Rosch et al[8] concluent que la « fausse grossesse » peut être une stratégie adaptative inconsciente pour se prémunir contre la perte d’une relation étant donné que la grossesse confère certains avantages. A titre d‘exemple, dans la plupart des cultures musulmanes, un mari ne peut pas divorcer de sa femme pendant qu’elle est enceinte .

Selon Koic[56] et Ibekwe[55], la grossesse délirante se produit très souvent dans le contexte d’un désir et d’une peur simultanés de la grossesse, par exemple, un conflit émotionnel, un stress ou une ambivalence. Il convient de noter, par ailleurs, que l’anticipation et la crainte feront considérablement augmenter les niveaux de prolactine chez de nombreuses femmes, imitant ainsi les signes de grossesse [60]. Lorsqu’il y a une pression pour concevoir et une peur simultanée de la grossesse, les bases sont posées pour cette forme de délire. L’ambivalence peut surgir lorsqu’une grossesse, bien que non désirée, est considérée comme un moyen possible de retrouver un amant rebelle, comme l’illustre le cas de la jeune fille de 15 ans rapporté par Skrabic .

Pour les femmes qui vivent dans des sociétés où la féminité est définie par la maternité, comme le décrit Dafallah[62], la grossesse, même si les circonstances sont problématiques, peut toujours être souhaitée. Dans les sociétés où les femmes sont évaluées en fonction du nombre de leurs fils[63], une femme qui n’a que des filles poursuivra avec zèle sa grossesse, mais de manière ambivalente, craignant la naissance d’une autre fille. Simon [33] décrit le pseudocyesis chez les Roms dans la Hongrie rurale où il existe une forte pression sociale pour tomber enceinte le plus tôt possible après le mariage. En revanche, le taux de mortalité maternelle est élevé pendant le travail et l’accouchement, ce qui rend les femmes ambivalentes à propos de la grossesse. Pour certaines femmes, les difficultés d’identification avec leur mère peuvent être une source commune d’ambivalence par rapport au rôle de mère et une cause de sentiment d’abandon et d’impuissance en tant que nouvelle mère contribuant ainsi à la naissance de ce délire .

Ibekwe[55] a suggéré que la perception par les femmes de leur impuissance naturelle dans une société patriarcale conduit au développement du pseudocyesis ou de la grossesse délirante. Dans de nombreux pays en développement, les femmes ne peuvent pas compenser le manque d’enfants, comme le font les femmes en Occident, en réussissant dans une carrière, en gagnant de l’argent dans les affaires ou en partant à la guerre. Le fait d’être enceinte est leur seule source de pouvoir. En effet, du fait que la grossesse est un état très respecté et que les femmes sont particulièrement bien traitées pendant cette période par leur conjoint, leur belle famille et la société en général, il peut être psychologiquement difficile de renoncer à l’état de grossesse. Simon et al[33] décrivent deux cas où une grossesse délirante est survenue peu après l’accouchement, pendant la période du post-partum, et semblait être motivée par le souhait de continuer à être traitées comme si elles étaient enceintes.

Certains auteurs ont suggéré d’autres facteurs psychosociaux liés au délire de grossesse notamment l’isolement social, le bébé devenant ainsi le compagnon espéré[57], les fantasmes de renaissance [64], la privation parentale, la suridentification, la rivalité et la projection [24], une forte identification aux femmes enceintes [65], une dynamique familiale perturbée [66], une confusion au niveau de l’identité sexuelle [67] et les abus sexuels passés .

Facteurs socioculturels 

Le rôle des facteurs socioculturels dans le développement du délire de grossesse a été signalé chez les patients, ce qui suggère que les variables contextuelles peuvent exercer une influence, en particulier lorsque la grossesse confère un statut social plus valorisé [18,40]. La précarité sociale chronique [17,69], la pression sociétale excessive pour avoir des enfants[39,56] et la croyance en la capacité des divinités spirituelles ou d’un mauvais œil à provoquer une grossesse[53,58,69] ont été suggérées comme étant à l’origine du délire de grossesse.

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Table des matières

INTRODUCTION
REVUE DE LA LITTERATURE
I. DEFINITION ET CARACTERISTIQUES
II. CLASSIFICATION
III. HISTORIQUE
IV. FACTEURS PSYCHOPATHOLOGIQUES
IV.1. Facteurs neurobiologiques
IV.2. Facteurs psychosociaux
IV.3. Facteurs socioculturels
TRAVAIL PERSONNEL
I. METHODOLOGIE
I.1. Objectif général
I.2. Objectifs spécifiques
I.3. Cadre de l‘étude
I.4. Type de l‘étude
I.5. Recueil des données
I.6. Résultats de l‘étude
I.7. Aspects éthiques
II. OBSERVATION
III. COMMENTAIRES
III.1. Caractéristiques du délire
III.2. Modèles explicatifs et fonctions du délire
CONCLUSION
REFERENCES

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