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Buts du programme MUSORSTOM : le mythe originel de la recherche de Neoglyphea inopinata et l’établissement d’inventaires faunistiques
L’équipe scientifique de la première campagne est constituée de cinq chercheurs du MNHN et de l’ORSTOM et d’un universitaire des Philippines. Tous sont taxonomistes : trois chercheurs sont spécialistes des Crustacés, un est spécialiste des Mollusques et deux sont spécialistes des Poissons. Ils embarquent à bord du navire de recherche le Vauban. Pendant 10 jours, ils explorent les fonds de la mer des Philippines, en déployant des dragues et des chaluts, principalement au-delà de 100m.
Comme évoqué ci-dessus, l’histoire de la Neoglyphea inopinata commence avec un unique spécimen vivant remonté des mers des Philippines en 1908 lors de l’expédition de l’Albatross. Près de 70 ans plus tard, deux chercheurs du MNHN, spécialistes des Crustacés, Jacques Forest et Michèle de Saint Laurent, découvrent ce spécimen et font le rapprochement avec les fossiles de la lignée des Glyphéides. Jacques Forest est le chef de mission de cette première campagne à laquelle Michèle de Saint Laurent participe également. L’objectif affiché de cette première campagne est de trouver de nouveaux spécimens en bon état, mâles et femelles, afin de compléter la description de cette espèce mais aussi de clarifier l’histoire évolutive des crustacés Décapodes. Cependant, même si la recherche de spécimens de ce “fossile-vivant” est une motivation scientifique majeure, non seulement pour la première campagne mais encore pour les deux suivantes, l’inventaire des organismes résidant dans les fonds marins des Philippines est un objectif tout aussi central :
En fait, contrairement à une opinion trop répandue, en particulier chez ceux qui ont la responsabilité de l’orientation de la recherche, les faunes et les flores, spécialement celles des océans, sont loin d’être complètement inventoriées. p44 (Forest 1981)
Effectivement, en 1976, les fonds marins de la région des Philippines – comme dans beaucoup d’autres zones du monde – sont quasi-vierges de toute exploration, ce dont Jacques Forest fait le reproche aux responsables de la politique scientifique de l’époque.
Dans ce compte-rendu, Jacques Forest présente une stratégie pour explorer ces fonds marins méconnus. Cette stratégie repose sur une approche taxonomique et une méthode d’échantillonnage précises. Pour illustrer l’importance de la stratégie d’échantillonnage, Jacques Forest évalue le nombre d’espèces de crabes communs récoltées pendant la campagne MUSORSTOM en les comparant à ceux récoltés lors d’une campagne historique (la campagne Siboga qui a lieu entre 1899 et 1900 dans les eaux indonésiennes).
Près de 80 ans après leur récolte, 37 espèces de crabes communs de la famille des Goneplacidae avaient été identifiées à partir de spécimens recueillis en un an d’expédition de la Siboga, alors que 25 espèces ont été trouvées en moins de 10 jours par la campagne MUSORSTOM, et identifiées seulement 5 ans après leur récolte. Selon Jacques Forest, l’efficacité des récoltes durant la campagne MUSORSTOM n’est pas l’effet de la différence de richesse des crabes communs entre les deux zones échantillonnées mais plutôt de différences dans les méthodes d’échantillonnage. Le nombre élevé d’opérations par jour sur une aire géographique plus restreinte pendant la campagne MUSORSTOM permet un échantillonnage plus complet des habitats et donc de la faune résidant dans cette zone. Le compte rendu est rédigé comme une prospective scientifique et renvoie à des perspectives d’exploration à plus long terme : Compte tenu des capacités actuelles de la recherche océanographique, l’un des moyens les plus efficaces pour progresser dans l’inventaire des fonds marins paraît être l’organisation d’expéditions géographiquement localisées, visant à explorer méthodiquement et successivement les divers biotopes que peut faire reconnaître une prospection préliminaire. p44 (Forest 1981)
Jacques Forest place ainsi l’exploration naturaliste dans la perspective d’une politique globale de la recherche en océanographie. Selon lui, les enjeux scientifiques de l’expédition océanographique à la fin du 20e siècle se jouent dans la mise en place d’une méthode d’échantillonnage efficace pour inventorier la faune.
Le discours prospectif de Forest se réalise dans les quarante années suivantes, avec une série de plus de 80 campagnes organisées dans la zone intertropicale, principalement de l’Indo-Ouest Pacifique. Toutes ces campagnes se caractérisent par la même stratégie d’échantillonnage qui multiplie les opérations de dragage et de chalutage sur une zone géographique réduite. En 1990, quatorze ans après le lancement de la première campagne MUSORSTOM, Alain Crosnier parle de l’émergence du programme océanographique MUSORSTOM comme étant le résultat de la conjonction d’intérêts politiques, scientifiques et logistiques : L’intérêt grandissant et l’originalité des récoltes faites lors de chaque campagne devait conduire à la mise en place d’un véritable programme de recherche dans la région indo-malaise, qui est depuis longtemps reconnue comme étant vraisemblablement le principal centre de différenciation et de dissémination des espèces de l’indo-ouest pacifique. Pour des raisons diverses (scientifiques, logistiques, parfois politiques), les campagnes n’ont plus été cantonnées aux Philippines mais ont eu lieu également en Indonésie, puis à partir de 1985, exclusivement dans la ZEE de la Nouvelle-Calédonie (NC, îles Chesterfield, bancs Fairway-Landsdowne, îles Loyauté). (Crosnier, 1990)
Le volume regroupant les résultats de la première campagne MUSORSTOM révèle un autre élément marquant de ce programme scientifique : d’importants efforts sont déployés pour que le matériel récolté soit identifié et décrit par des spécialistes. Effectivement, moins de 5 ans après leur récolte, près de 600 espèces et sous-espèces sont d’ores et déjà identifiées et font l’objet de publications. Les volumes suivant de la série publiés dans les Mémoires du Muséum National d’Histoire Naturelle mettent en évidence la mise en place progressive d’un réseau de taxonomistes qui prennent en charge l’analyse des récoltes réalisées lors de des campagnes MUSORSTOM-TDSB.
Les découvertes du programme MUSORSTOM-TDSB : Inscription dans la tradition des grandes explorations naturalistes du 19e siècle
Comme on l’a vu, dès le compte rendu de la première campagne, l’identité du projet s’est construite autour de l’exploration naturaliste, même si, en 1976, une exploration à « but strictement zoologique » ne semble guère « être à la mode » dans la communauté océanographique. C’est pourtant cette identité inscrite dans la tradition des grandes expéditions naturalistes du XIXe siècle qui est mise en avant au fil des campagnes :
The global “Challenger” Expedition (Henderson 1885, 1888) sampled in deep waters, and contributed to discovery of only a few additional species to the genus. The last few decades have seen a burgeoning of species added to the Galathea thanks, in large part, to numerous French expeditions conducted in the coastal, continental shelf and slope waters of the Indian and Pacific Oceans, from Madagascar to French Polynesia (Macpherson et Robainas-Barcia 2015)
Dans cet article, dont l’objet est une révision taxonomique du genre Galathea (Crustacés Décapodes) de la zone Indo-Pacifique, Macpherson et Robainas-Barcia 2015 décrivent 92 espèces nouvelles dont 39 espèces pour lesquelles le spécimen de référence (l’holotype) a été récolté lors d’une campagne du programme TDSB.
Les articles de synthèse sur le programme et les documents de demande de campagne, ainsi que les comptes-rendus, reprennent encore aujourd’hui l’affirmation selon laquelle le temps des découvertes de nouveaux taxons et des structures non cartographiées ne s’est pas arrêté avec les grandes expéditions naturalistes du 19e siècle. Ainsi, dans sa demande pour la campagne « Benthaus », soumise à la Commission nationale de la Flotte hauturière en 2001 pour explorer les archipels les plus au sud de la Polynésie française, Bertrand Richer de Forges souligne que l’état des connaissances sur la faune marine de l’Indo-Pacifique – zone couvrant près de 100 millions de Km2 – a peu progressé depuis les quelques stations échantillonnées à l’occasion des expéditions du 19e siècle.
L’état de l’art au début du 21ème siècle est essentiellement inchangé par rapport à la fin du 19ème siècle qui avait été marqué par les campagnes de la Siboga (1896) en Indonésie, de l’Albatross (1909-1913) aux Philippines, et de l’Investigator (1890-1905) dans le Golfe du Bengale. (…) En 1990, la faune de profondeur de l’archipel fidjien n’était toujours connue que par le résultat des quatre stations réalisées par le Challenger en… 1874 ! Même les régions couvertes par les grandes campagnes historiques ne l’ont été que très superficiellement : la fameuse campagne de la Siboga en Indonésie n’a réalisé que 91 stations de prélèvement de benthos à des profondeurs supérieures à 100 mètres, pour une ZEE s’étendant sur près de 5,5 millions de km².(Richer de Forges 2001) De même, dans l’article de synthèse introduisant le volume de la série Tropical Deep-Sea Benthos publié en 2008, Philippe Bouchet, chef de mission de nombreuses campagnes, et ses co-auteurs insistent sur les découvertes taxonomiques, mais aussi sur les découvertes des reliefs des fonds marins de la zone économique exclusive de Nouvelle-Calédonie.
These were truly pioneering years, when cruises discovered not only new species of animals but also new topographic features: the Antigonia, Stylaster and Eponge banks, for instance, now featured on Navy charts of the Norfolk Ridge, were discovered and named by the MUSORSTOM expeditions as a by-product of biological exploration. p12 (Bouchet et al. 2008)
Dans les documents justifiant ou relatant les campagnes et leurs résultats, le nombre de nouveaux taxons découverts est placé au centre du discours scientifique (voir par exemple Bouchet et al. 2002 ; Bouchet 2006 ; Bouchet et al. 2008; Richer de Forges et al. 2013). Rendre compte du nombre d’espèces décrites permet de les ajouter à la liste de ceux qu’on connaît et ainsi de compléter l’inventaire du vivant. Si la métrique du nombre d’espèces occupe une place importante dans la littérature scientifique (May 1988; Gaston 1991; Mora et al. 2011; Costello, Wilson, et Houlding 2012; Costello, May, et Stork 2013b; Costello et al. 2013a), c’est parce que c’est un moyen efficace de prendre la mesure de ce qu’on connaît et de ce qu’on ne connaît pas de la vie dans les océans (Appeltans et al. 2012). Elle impose des limites strictes aux conclusions qu’on peut tirer des analyses de la composition faunistique relativement aux actions de conservation.
L’héritage des grandes expéditions naturalistes du 19e siècle se retrouve également dans les techniques de récolte (dragage et chalutage) mises en œuvre lors des campagnes du programme MUSORSTOM-TDSB, même si ces techniques se transforment peu à peu. Près de deux tiers des campagnes de ce programme ont eu lieu à bord du navire de recherche Alis qui appartient à l’IRD. L’équipe de marins qui à bord manie les engins de pêche contribue au perfectionnement de leur l’utilisation à ces profondeurs moyennes. A partir de la campagne MUSORSTOM 4 en 1985, un nouveau modèle de drague dite “drague Warèn” est utilisé pour échantillonner la faune résidant sur les fonds durs. Ce modèle de drague a été élaboré une dizaine d’années auparavant par Anders Warèn, qui fait partie des chercheurs participant encore aujourd’hui régulièrement aux campagnes et à la valorisation scientifique du matériel récolté.
Le chalut à perche de 4 m utilisé pendant toutes les campagnes du programme est un chalut très efficace pour récolter la faune résidant sur les fonds meubles par raport à d’autres chaluts comme, une étude quantitative l’a démontré pour les crustacés décapodes (Tsai et al. 2009). L’ajustement de ce chalut aux besoins de l’échantillonnage est largement assuré par l’équipage de l’Alis et notamment son capitaine actuel Jean-François Barazer. Ces techniques de récolte, même perfectionnées par leurs utilisateurs, sont traditionnelles par rapport à d’autres techniques disponibles. Les seules campagnes du programme qui ont utilisé d’autres moyens que les engins de pêches traditionnels sont la campagne CALSUB en 1989, durant laquelle un submersible (la soucoupe CYANA) a fourni des images des fonds de Nouvelle-Calédonie, puis en 2014 et 2016, les campagnes MADEEP en Papouasie Nouvelle Guinée, et BIOMAGLO au large de Mayotte, qui ont fourni des images des fonds grâce au déploiement de la caméra tractée SCAMPI. Cela contraste avec le déploiement de technologies sophistiquées caractéristique d’autres programmes d’océanographie biologique contemporain du programme Musorstom-TDSB (Woods Hole Oceanographic Institution (WHOI),2018). La principale avancée technologique arrive en 2001 quand l’IRD équipe son navire Alis d’un sondeur multifaisceaux (DTSI, 2009).
Bien que les engins de récoltes utilisés dans le programme Musorstom-TDSB soient comparables à ceux des expéditions historiques, l’efficacité de l’échantillonnage réalisé est bien plus importante. Comme évoqué dans les citations ci-dessus, l’une des plus grandes expéditions océanograhiques du 19e siècle est l’expédition du Challenger. Elle a marqué l’histoire de l’exploration naturaliste par l’étendue parcourue (127 000 Km), sa durée (4 ans), l’importance de son équipage (243 marins et scientifiques) et les connaissances faunistiques et physico-chimiques sur les océans (Burstyn 1972, Emig 2010) qu’elle a permis d’établir. Pendant ces quatre ans, des spécimens ont été récoltés lors de 362 stations. A partir de ces échantillons, des milliers d’espèces marines ont été décrites dans les 50 volumes publiés entre 1877 et 1895 du « the Report Of The Scientific Results of the Exploring Voyage of H.M.S. Challenger during the years 1873-76 ». Au total, 4700 espèces marines et terrestres ont été décrites (Woods Hole Oceanographic Institution (WHOI), 2018).
Le nombre de stations échantillonnées lors du programme MUSORSTOM/TDSB pendant 40 ans d’expéditions s’élève à plus de 7200. Si on compare à l’expédition du Challenger, en moyenne sur un an, deux fois plus de stations ont été échantillonnées. Comme Jacques Forest l’a souligné dans le compte rendu de la première campagne (Forest 1981), contrairement aux expéditions historiques, la stratégie d’échantillonnage de ce programme consiste à cibler des petites surfaces géographiques et à systématiser l’inventaire de la faune. La surface échantillonnée est équivalente en taille à celle qu’un navire de pêche commerciale aurait parcourue en à peine un mois. Comme on le verra au chapitre 2, environ 3628 espèces nouvelles ont été décrites à partir du matériel type1 (holotype ou paratypes) récolté pendant les campagnes du programme.
La place des fossiles vivants dans les connaissances naturalistes de la faune des profondeurs et la découverte de « nouveaux » taxons
C’est dans un contexte d’exploration marqué par de nombreuses découvertes de taxons que les principaux chefs de mission du programme TDSB/MUSORSTOM ont mis en avant la recherche de « fossiles-vivants » dans les profondeurs. La recherche de « fossile-vivant » n’est pas spécifique aux taxonomistes de ce programme mais occupe une place particulière dans les connaissances naturalistes des fonds marins. Elle révèle quelles hypothèses sous-tendent les descriptions des fonds marins. Comme Gage et Tyler le soulignent dans leur ouvrage de synthèse sur la biologie marine des profondeurs, certaines opinions scientifiques sur les fonds marins se sont maintenues plus longtemps qu’il n’était justifié en raison de la rareté des données : « In deep-sea biology, because data are sparse, opinions sometimes may be maintained and cherished longer than justified » (Gage et Tyler 1991, p12). On peut supposer que la place importante qu’occupe les fossiles vivants dans les connaissances naturalistes des fonds marins est liée au peu de connaissances dont on dispose à leur propos.
La thématique des fossiles-vivants est récurrente dans les études sur la faune des profondeurs (Menzie et Imbrie 1958). C’est d’ailleurs ce que souligne et met en avant Philippe Bouchet dans les années 1990, alors déjà participant actif du programme MUSORSTOM-TDSB, dans un article de La Recherche intitulé « Abysses, fossiles vivants et zoologistes: histoire d’un ménage à trois » en parlant des liens qui unissent la recherche océanographique dans les profondeurs des océans, les zoologistes et les fossiles vivants:
Pendant tout le XIXe siècle, domina l’idée d’une faune abyssale archaïque constituée de « fossiles vivants » rescapés des temps géologiques, tous plus bizarres et spectaculaires les uns que les autres. Même si des progrès spectaculaires réalisés dans le domaine de la technologie sous-marine nous permettent aujourd’hui d’observer directement les grands fonds, la découverte de fossiles vivants reste l’une des motivations profondes des océanographes. (Bouchet, 1993) Effectivement, dès les balbutiements de l’exploration des grands fonds marins au XIXe siècle, les zoologistes font l’hypothèse selon laquelle des « fossiles-vivants » sont à découvrir dans les fonds marins. De nombreux naturalistes du XIXe siècle s’approprient ainsi une notion fraîchement développée par Charles Darwin pour fournir une explication, dans le cadre de la théorie de l’évolution qu’il propose, à des exemples d’organismes qui présentent, à l’instar des formes fossiles, une apparence intermédiaire située entre des organismes actuellement très éloignés.
We find some of the most anomalous forms now known in the world, as the Ornithorhynchus and Lepidosiren, which, like fossils, connect to a certain extent orders now widely separated in the natural scale. These anomalous forms may almost be called living fossils; they have endured to the present day, from having inhabited a confined area, and from having thus been exposed to less severe competition (Darwin 1859)
C’est le contraste entre les conditions de vie régnant en surface ou dans les petites profondeurs et celles des moyennes et grandes profondeurs qui amène les naturalistes à émettre l’hypothèse selon laquelle ces conditions sont peu propices à la diversification des espèces. Ce sont les arguments que Moseley, naturaliste botanique du XIXe siècle, développe tout en se référant directement aux travaux de Charles Darwin lors de l’analyse des spécimens récoltés par le Challenger : The excessively wide area of the floors of the oceans in the matter of production of species contrats markedly with wide areas upon the land surface, which are, as has been shown by Mr Darwin, specially favorable to the development of variations and the production of new forms. (Moseley 1892)
Lors d’explorations menées par les naturalistes Georg O. Sars et son fils le long des côtes norvégiennes, une espèce de crinoïde pédonculé Rhizocrinus lofotensis, Sars 1868 est récoltée à 550 mètres en 1864. Cette description suscite beaucoup d’intérêt dans la communauté car l’espèce s’apparente à un fossile qu’on pensait éteint (Gage et Tyler 1991), ce qui conduit Sars à le considérer comme un « fossile vivant ».
I found to my great surprise at enormous depth – not, as might presumed according to Forbes’ hypothesis – a poor and oppressed Fauna, but on the contrary a richly and varied animal life observed at the depths of 200-300 fathoms. (…) The number of new forms of animal life was therefore also very considerable ; and some of these were of peculiar interest, as more or less evidentlly carryong us back to former telluric periods, especially the Fauna of the Cretaceous period. (Sars et Sars 1872)
La recherche de « fossiles vivants » anime les naturalistes comme Wyville Thomson et Carpenter, à l’initiative des grandes expéditions de l’époque (dont l’expédition du Challenger), comme le souligne cet extrait écrit par deux naturalistes océanographes dont l’un, John Murray, a participé à l’expédition du Challenger : Thus in 1868 Wyville Thomson and W.B. Carpenter carried out oceanographical work on board H.M.S. « Lightning » taking dredgings in depths down to 650 fathoms, and showing beyond question that animal life is there varied and abundant, represented by all the invertebrates groups, a large proportion of the species hitherto unknown, others being specially identical with tertiary fossils hitherto believed to be extinct, or illustrating extinct groups of the fauna of more remote periods. (Murray et Hjort 1912) p10
Même si de nombreuses nouvelles espèces ont été décrites d’après les spécimens récoltés pendant les expéditions du XIXe siècle, Charles Wyville Thomson constate qu’aucun plan d’organisation nouveau n’est découvert, ce qui conforte l’hypothèse selon laquelle le milieu des profondeurs est davantage un refuge pour les lignées anciennes qu’un centre de diversification des taxons.
It seems probable for several reasons, the most obvious of these being that no Classes nor Orders, but few Families and Genera, are met with in the abyssal regions which do not likewise occur in shallower water, that the original direction of the migration of marine animals is from the shore seawards. (Thomson 1880)
Thomson conclut que l’analyse de la faune des profondeurs offre l’opportunité de d’étudier une faune « d’une extrême antiquité », susceptible d’apporter des faits à la doctrine de l’évolution (Thomson 1880, p50).
Près de cent ans après, en 1991, dans un ouvrage de synthèse sur la biologie de la faune vivant dans les profondeurs, Gage et Tyler reviennent sur cette hypothèse qui lie les conditions de vie de la faune et le rôle de refuge pour des formes archaïques : « How do these forms of life survive in what seems to us perhaps the most hostile of environments ? What forms of life are they – is deep sea a refuge for archaic forms of life, long vanished elsewhere?” (Gage et Tyler 1991). Ce que suggèrent les zoologistes océanographes lorsqu’ils assignent des organismes à cette catégorie de fossile vivant, c’est que les profondeurs seraient un refuge dans lequel ces « rescapés des temps géologiques » auraient pu subsister sans évolution majeure. Sous cette hypothèse, les zoologistes font le pari que l’exploration des grands fonds permettra de découvrir des organismes de lignées qui auraient peu ou pas évolué depuis ces temps géologiques anciens. L’usage de l’expression « fossile vivant » illustre donc l’ancrage de l’exploration naturaliste dans le cadre théorique de la biologique du 19e siècle. L’utilisation de la notion de fossile vivant renvoie d’une part à la théorie de l’évolution, mais aussi à l’état d’avancement de l’exploration de la faune vivant dans les grands fonds marins. En effet, il s’agit d’une entreprise récente, comparée à celle du milieu terrestre, puisqu’elle commence qu’au début du 19e siècle. Une des principales raisons est que les profondeurs des océans sont difficilement accessibles à l’homme. Aujourd’hui encore, moins de 5% des fonds marins ont été explorés (NOAA, 2017). Ainsi, le registre fossile terrestre est mieux connu que la faune qui vit dans les profondeurs des océans. On peut donc se demander si le recours à la notion de fossile vivant n’est pas un effet du faible état d’avancement de l’exploration des profondeurs plutôt qu’une prise de parti en faveur d’une hypothèse évolutionniste audacieuse. En effet, si les zoologistes avaient trouvé les représentants d’une lignée d’organismes dans un milieu actuel avant ses représentants dans le registre fossile, ils n’utiliseraient probablement pas l’expression de « fossile vivant » pour les qualifier.
Par exemple, les pleurotomaires sont des mollusques gastéropodes bien connus dans le registre fossile où elles sont très diversifiées au jurassique et au crétacé et ne sont actuellement représentées que par quelques dizaines d’espèces actuelles restreintes aux substrats durs de la zone bathyale entre 100 et 1000m (Lebrun et al. 2013). La première pleurotomaire actuelle récoltée est une coquille vide décrite sous le nom de Perotrochus quoyanus (FISCHER & BERNARDI 1856) remontée en 1855 d’un casier posé à 250 mètres de profondeur (Lebrun et al. 2013). Elle fait partie des premiers « fossiles vivants » récoltés dans les profondeurs. Dès la fin du 19e siècle, le conchyologiste Crosse souligne que les pleurotomaires n’étaient pas « aussi complètement en voie d’extinction que la rareté des spécimens connus dans les collections pourrait le faire supposer » et « qu’il reste encore à découvrir un certain nombre d’espèces nouvelles de Pleurotomaires appartenant à l’époque actuelle et que l’heure de l’extinction définitive du genre n’est pas encore près de sonner » (Crosse 1882)
Le plus faible échantillonnage de la faune des profondeurs des océans par rapport à celui de la faune terrestre est en partie une conséquence des moyens à mettre en place pour explorer. Contrairement à l’exploration naturaliste en milieu terrestre, qui peut être réalisée par des individus isolés et peu de moyens logistiques, l’exploration des profondeurs dépend d’un arsenal d’outils onéreux (navires de recherche) et d’une logistique importante (comme l’aide d’une équipe de marins à bord pour déployer les engins de pêches). Cela implique de ce fait qu’une expédition océanographique nécessite une équipe de scientifiques plutôt que des individus isolés. On rappelle souvent dans l’histoire de l’acquisition des connaissances sur les grands fonds marins le rôle qu’a joué la pose de câbles télégraphiques trans-océaniques à la fin du XIXe siècle (Maienschein 1988). Ces développements industriels reposaient sur une entreprise cartographique préalable, ce qui a justifié le déploiement de moyens à la mer (voir par exemple le livre de l’ingénieur Hédouin à la fin du XIXe siècle (Hédouin 1870)). Ainsi la dynamique des explorations des fonds marins est-ce influencée par celle du développement industriel. Au XXe siècle cette dépendance perdure en raison de la nécessité de découvrir de nouvelles ressources pour la pêche, face à la chute des stocks de poissons le long des côtes, dont le constat remonte aux années 1960 (voir par exemple (Grandperrin et Richer de Forges 1999) et (Cléach 2008)) ou encore avec la recherche de nouvelles ressources minérales, avec notamment la découverte de nodules riches en métaux (cuivre, fer, zinc, manganèse, cobalt) intéressants pour une exploitation économique (Mero 1962).
Pendant les années 1960, c’est cette conjonction d’intérêts sociétaux et industriels, combinés aux motivations scientifiques, qui favorisent la mise à disposition de moyens pour explorer les fonds marins. La motivation scientifique majeure des géologues pendant cette période est la recherche de zones qui émettent des températures anormalement élevées sous l’eau. Selon l’hypothèse de la tectonique des plaques, la croûte océanique est produite dans ces zones ((Elder 1965) ; (Ballard 1977)). Elles contiennent en effet des sources hydrothermales, volcans sous-marins à partir desquels se constitue la croûte océanique. C’est d’ailleurs l’objectif du projet américano-français FAMOUS, qui a lieu entre 1973 et 1974, que d’explorer à l’aide de submersibles la dorsale médio-Atlantique au Sud-Ouest des Açores dans une zone d’accrétion où se forme la croûte, entre la plaque Afrique et la plaque Amérique, en vue de trouver les sources hydrothermales. Mais les premières sources hydrothermales trouvées, révélées grâce à la détection de températures très élevées sous l’eau, sont photographiées en 1976 sur le rift des Galapagos. Elles apportent une preuve indubitable au modèle de la tectonique des plaques, qui a été proposé dans les années 1960 (à partir des hypothèses de dérive des continents et d’expansion océanique d’abord avancées par Wegener). Ce modèle est identifié aujourd’hui comme l’hypothèse qui unifie les différentes disciplines des sciences de la Terre, en plus d’avoir provoqué l’abandon définitif, de la part de la communauté des géologues, des positions fixistes et l’adoption du concept de « mobilisme crustal » (Pomerol, Lagabrielle, et Renard 2000).
En plus de révéler le dynamisme tectonique, et de manière totalement inattendue pour les zoologistes, dans des conditions qui paraissent incompatibles avec la vie (très forte pression, température pouvant aller jusqu’à 350° C, atmosphère chargée en métaux lourds toxiques), une faune très abondante est découverte (Corliss et al. 1979). Effectivement, l’exploration à bord de l’Alvin d’une source hydrothermales sur le rift des Galapagos en 1977 révèle une faune tellement abondante que les sources hydrothermales sont qualifiées d’« oasis de vie », par contraste avec l’impression quasi-désertique que provoque la faune qui vit dans les fonds alentours, comme Gage et Tyler le soulignent dans la citation suivante :
The out-of-this-word appearance and rich concentration of biomass, reaching 8.5 kg weight m-2 at lower temperature vents, but only avearing 2-4 kg wet weight m-2 at the hottest vents (200-360 °C) on the East Pacific Rise (Fustec, Desbruyères, et Laubier 1988), at these « oases » of life provide submersible observers with a stark contrast with the remative barrenness of adjacent hard substrata in the deep ocean.(Gage et Tyler 1991)
Ces « oasis de vie » sont d’autant plus bouleversantes pour les scientifiques qu’elles remettent en cause radicalement le paradigme selon lequel une vie foisonnante ne peut se développer en l’absence de lumière (Laubier 1990; Laubier 1993). La curiosité scientifique que suscite cette faune aux adaptations atypiques est un moteur décisif pour le lancement d’explorations des sources hydrothermales (Hammond, Embley, et Baker 2015). Certaines espèces ont des dimensions extravagantes, comme la moule Bathymodiolus thermophilus Kenk & B. R. Wilson 1985, qui peut atteindre 20 cm de long ; d’autres espèces présentent des adaptations atypiques comme l’emblématique ver géant (Riftia pachyptila, Jones 1981) qui grouille abondamment autour de ces sources, et qui a la particularité d’être sans appareil digestif (ni bouche, ni anus, ni intestin) et peut atteindre 1,5 mètre de long et 5 cm de diamètre. La mise au jour de cette faune spectaculaire a eu un impact très important sur la communauté scientifique, comme en témoigne la citation suivante : It is surprising that, as far as we know, science fiction writers did not turn their attention to geochemically supported complex forms of life until such forms were actually discovered in the deep sea. (Jannasch et Mottl 1985)
Si ces motivations scientifiques occupent une place importante dans les objectifs généraux de l’exploration des sources hydrothermales, il ne faut pas négliger l’influence du potentiel minier des roches qu’elles contiennent (Ramirez-Llodra et al. 2010) pour en justifier l’intérêt (voir par exemple le « Rapport annuel du CNEXO » 1980). La richesse en métaux de base (cuivre, zinc, plomb), en métaux précieux (argent et or) mais également parfois en éléments rares (indium, sélénium, germanium…) place les sulfures hydrothermaux parmi les plus prometteurs du milieu marin pour l’exploitation minière. (Dyment et al. 2014) Ce potentiel minier a une incidence sur l’orientation des programmes de recherche car l’exploration de certains milieux (les plus prometteurs sur le plan de l’exploitation) est favorisée par rapport à d’autres (alors que leur intérêt scientifique est comparable). La conjonction des intérêts scientifiques et industriels pour l’étude des sources hydrothermales a eu pour conséquence la sur-représentation de ce milieu particulier dans le champ de la connaissance de la faune des fonds marins. Aujourd’hui encore, cette différence de traitement est encore sensible, avec environ 10 % des sources hydrothermales qui ont été échantillonnées alors que moins de 0,0001% des fonds marins ont été explorés (Ramirez-Llodra et al. 2010).
Parce que les zoologistes percevaient la faune des sources hydrothermales comme extrêmement originale, on a fait l’hypothèse selon laquelle elle est en partie constituée de taxons endémiques des sources hydrothermales – c’est-à-dire qu’on ne les trouverait pas dans d’autres milieux. L’article de Castelin et coauteurs de 2011 souligne la confusion qui existe dans la littérature scientifique dans l’utilisation du terme d’endémisme. Cette confusion consiste à mélanger le fait qu’un organisme soit spécialisé vis-à-vis d’un habitat particulier, pour lequel il faudrait parler de spécialisation écologique et non d’endémisme, avec le fait qu’un organisme est restreint à une zone géographique et donc endémique. Cette confusion est particulièrement présente dans la littérature qui traite des sources hydrothermales, dans lesquelles les organismes présentent des adaptations très spécialisées :
For example, species specialized to hydrothermal vents or cold seeps are often regarded as endemic even if they have a large but fragmented range (e.g., Akiko et al. 2009 ; Won et al., 2003). In such cases, the term ‘ecological specialization’ may be more appropriate than ‘endemism’. Thus, the different uses of the world ‘endemism ‘ are probably a source of confusion in the litterature. (…) Distinguishing between geographic endemism and ecological specializaion is impeded by the fact that only a tiny fraction of the deep ocean floor has ever been sampled (Castelin et al. 2011)
Etant donné le peu de connaissances sur les autres milieux, avec le recul du temps, les différences observées avec les autres environnements ne se sont pas révélées si déterminantes : de nombreux taxons ont été finalement trouvés dans d’autres milieux.
(…), we note the steady trend of decreasing degrees (percentage of species) and rank (taxonomic level) of vent endemism. It seems to be connected to the fact that hydrothermal vent areas are attracting the attention of scientists and are now better investigated than some background deep sea areas. (Galkin et Sagalevich 2017)
Catégorie 2 – Participants secondaires
Françoise Gaill
Françoise Gaill est biologiste, biochimiste et biophysicienne, et spécialisée dans l’étude des symbioses dans les environnements chimiosynthétiques.
Elle a écrit une thèse au MNHN de Paris sous la direction de Claude Lévi au laboratoire BIM sur la biologie et la taxonomie des tuniciers-ascidies entre 1975-1981.
Elle travaille ensuite au CNRS au centre de biologie cellulaire (Ivry-sur-seine) sur les cristaux liquides et les analogues biologiques de 1982 à 1992. Puis, elle travaille sur les biopolymères présents dans les organismes vivant dans les sources hydrothermales, à la station marine biologique de Roscoff de 1993 et 1998. Elle dirige l’équipe de recherche CNRS/Ifremer de biologie et d’écologie profonde de 1998 à 2001.
Elle monte et dirige le laboratoire AMEX de 1988 à 2008, « adaptations et évolution des environnements extrêmes ». Elle est titulaire de la chaire du groupe de recherche européen DIWOOD (2006-2009) d’étude des environnements chimiosynthétiques.
Elle devient directrice du CNRS-INEE de 2009 à 2013. Depuis 2013, elle est rattachée au laboratoire de BOREA (Biologie des organismes et des écosystèmes aquatiques).
Françoise Gaill a été impliquée dans la coordination de différents groupes de recherche à l’échelle internationale (InterRidge, Census of marine life…)
Elle devient présidente du Comité d’Orientation Stratégique et Scientifique (COSS) de la commission de la flotte océanographique française de 2011 à 2014.
Expérience en campagnes océanographiques
Elle participe aux campagnes océanographiques du programme de Lucien Laubier BIOGAS et à des campagnes océanographiques d’exploration des sources hydrothermales (notamment la campagne américaine OASIS en 1982)
Elle a participé à la campagne BOA 0 (2004) du programme MUSORSTOM-TDSB.
C’est non seulement en raison de sa participation à cette campagne que Françoise Gaill a été interrogée assez tôt dans le travail de thèse, mais aussi parce que son activité illustre les liens entre le programme MUSORSTOM-TDSB et l’exploration des sources hydrothermales. En effet, ce sont dans ces dernières que les premiers écosystèmes marins basés sur des processus chimiosynthétiques sont découverts, comme on l’a vu dans l’Introduction générale. Ce processus permet aux organismes de disposer de molécules carbonées produites par énergie chimique et non lumineuse. D’autres organismes marins chimiosynthétiques avaient été récoltés dès la fin du 19e siècle (expédition du Challenger, à savoir ceux résidant sur des substrats organiques (bois coulés et carcasses de baleine), mais ils étaient restés de l’ordre de la curiosité taxonomique. A partir de 2004, le programme MUSORSTOM-TDSB lance la série de campagnes BOA pour étudier ces écosystèmes particuliers. Françoise Gaill embarque dans l’une de ces campagnes. Cette participation reflète les liens, dont on détaillera quelques étapes, entre l’étude des bois coulés et celle des sources hydrothermales et des suintements froids.
Michel Roux
Michel Roux a une formation de géologue.
Il écrit une thèse d’état entre 1971 et 1978 intitulée « Ontogenèse et évolution des Crinoïdes pédonculés depuis le Trias. Implications océanographiques ».
Il est recruté par des biologistes au CNEXO au Centre Océanologique de Brest (COB) par Lucien Laubier au laboratoire d’écologie abyssale de 1979 à 1981. Il est professeur à l’université de Lyon I de 1981 à 1988 puis professeur à l’université de Reims de 1988 à 2005. Il dirige le laboratoire des Sciences de la Terre à l’université de Reims de 1989 à 2002. Depuis 2005, il est attaché honoraire au Muséum national d’Histoire naturelle.
Expérience en campagnes océanographiques
Il participe à des campagnes océanographiques d’exploration de l’environnement profond comme Biogas et des sources hydrothermales (OASIS en 1982 et BIOCYARISE en 1984).
Il participe à la campagne MUSORSTOM-TDSB CALSUB en 1989 en tant que chef de mission. Cette campagne fait partie aussi du programme ENVIMARGES qui englobe aussi les campagnes Biocal (1985) et Biogéocal (1987). Ce programme, soutenu par Total, de prospection des sédiments et de la faune des lagons de Nouvelle-Calédonie comprend un volet géologique dont un des objectifs est de caractériser des réservoirs à hydrocarbures.
Catégorie 3 – Les personnes qui n’ont pas participé aux campagnes MUSORSTOM-TDSB.
Anne-Marie Alayse
Biochimiste, océanographe qui a développé des outils scientifiques notamment pour le véhicule téléguidé (ROV : Remotely Operated Vehicule) Victor 6000.
Elle a fait une thèse en virologie et devient titulaire d’un doctorat en 1978.
Elle est chercheur au CNEXO puis à IFREMER dans l’équipe de Biologie abyssale jusqu’en 2015.
Depuis 2003, elle est secrétaire de la Commission nationale « Flotte et engins ».
Expérience en campagnes océanographiques
Chef de mission de quatre campagnes océanographiques d’exploration des sources hydrothermales entre 1989 et 1998. Elle a réalisé beaucoup de plongées en submersible profond.
Daniel Desbruyères
Océanographe, taxonomiste spécialiste des annélides polychètes des sources hydrothermales.
Il est titulaire de deux DEA en zoologie et en océanographie.
Entre 1970 et 1975, il travaille avec Alain Guille à la station marine de Banyuls et étudie et explore la faune benthique, notamment des polychètes, du plateau des îles des Kerguelen.
Il rédige une thèse au MNHN sur l’écologie des polychètes pendant laquelle il collabore avec Lucien Laubier.
À partir de 1976, il intègre l’équipe de biologie abyssale du CNEXO de Brest, alors sous la direction de Lucien Laubier, spécialiste des annélides polychètes aussi.
Puis il sera rattaché au département des études des écosystèmes profonds d’IFREMER.
Expérience en campagnes océanographiques
Entre 1977 et 1985, il a dirigé de nombreuses campagnes océanographiques dédiées à l’étude du bassin abyssal du golfe de Gascogne. Il a développé une méthode expérimentale permettant l’étude de l’impact des perturbations en grande profondeur.
Depuis 1982 (campagne BIOCYATHERM) il a participé et dirigé de nombreuses campagnes et plongées à bord des submersibles la Cyana et le Nautile d’exploration des sources hydrothermales profondes du Pacifique oriental et occidental et au niveau des Açores.
Nadine Le Bris
Nadine Le Bris est océanographe écologue, spécialisée dans l’étude des environnements chimiosynthétiques (sources hydrothermales, suintements froids, bois coulés et carcasses de baleine).
Elle a rédigé une thèse en physico-chimie de l’atmosphère à Paris 7. Elle intègre Ifremer de 1999 à 2009, où elle travaille au développement de capteurs et d’analyseurs chimiques in situ au sein du laboratoire Instrumentation Océanographique, puis aux interactions entre organismes et environnement chimique en milieu extrême au sein du laboratoire Environnement Profond, en utilisant ces outils à partir de submersibles habités et inhabités. Elle obtient une habilitation à diriger des recherches en chimie marine et biogéochimie en 2005. Elle est professeur à l’université Paris 6 depuis 2009 et depuis 2010 elle est directrice du laboratoire d’Ecogéochimie des Environnements Benthiques (LECOB), rattaché à la station marine de Banyuls. Elle est titulaire de la Chaire Total « environnement marin extrême, biodiversité et changement global ».
Elle a coordonné en 2004 un groupe de recherche sur les intéractions biogéochimiques aux sources hydrothermales pendant InterRidge.
Contexte scientifique, technique et institutionnel du programme
MUSORSTOM-TDSB
Cette section a pour but de présenter les principaux éléments techniques, scientifiques et institutionnels qui prévalaient au début du programme MUSORSTOM-TDSB afin de mettre au jour les principales transformations de ces trois domaines qui l’ont affecté au cours des quarante dernières années.
Voir les fonds : cartographie et observation
Lors de la première campagne MUSORSTOM en 1976, les récoltes se font quasi à l’aveugle. On ne dispose pas de carte bathymétrique précise des fonds, on connaît mal le relief. Une étape marquante des années 1980 est l’acquisition du sondeur multifaisceaux sur les navires de recherche français et l’utilisation de l’altimétrie satellitaire qui améliorent considérablement la précision des données bathymétriques. Le sondeur multifaisceaux est un système sonar qui permet de cartographier les fonds marins avec une haute résolution et précision, sur une large bande de part et d’autre de la route du navire (fauchée d’environ 4 fois la hauteur d’eau) (LGO, s.d.). Le sondeur émet une onde acoustique qui se propage dans la colonne d’eau, se réfléchit sur le fond et retourne au sondeur. Les sondeurs multifaisceaux sont des sondeurs bathymétriques ayant en complément une fonction imagerie qui permet d’acquérir simultanément l’information sur la profondeur et la nature du fond (SHOM, s.d.). La démonstration de sa performance est mise en avant lors d’une expédition de 1971. Le CNEXO (voir ci-dessous) et la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) ont en effet lancé un programme franco-américain FAMOUS (French American Under Sea Study) entre 1971 et 1974, qui a pour principal objectif d’identifer les phénomènes géologiques qui se produisent sur la marge d’une plaque en voie de formation, vers 3000 m de profondeur. Les submersibles utilisés sont l’Alvin du côté américain, la soucoupe Cyana et le bathscaphe l’Archimède du côté français. L’objectif est de cartographier une zone sur 100 km, moitié par les Américains, moitié par les Français. Ce travail fut réalisé en une journée par les Américains, équipés à bord d’un sondeur multifaisceaux, là où les Français mirent un mois. Non seulement les données de ce programmme confirment la théorie de dérive des continents, mais en plus les performances du sondeur multifaisceaux furent sans appel (Laubier, 1992) . Le Jean Charcot fut le premier navire de recherche français à être équipé du sondeur multifaisceaux à partir de 1985 (Figure ChapI-1) et la campagne BIOCAL du programme MUSORSTOM-TDSB qui se déroula la même année en a bénéficié. La maîtrise de cet outil implique aussi celle du logiciel de traitement des données associé (Doumenge, 1990). Si le Jean Charcot est équipé d’un sondeur multifaisceaux en 1985, ce n’est qu’en 2001 qu’il équipe le navire de recherche Alis fréquemment utilisé pendant le programme TDSB (DTSI, 2009). Avant, les marins de l’Alis se débrouillent avec les quelques données satellites et les cartes peu précises, on ne disposait alors pas d’information sur la nature du fond. Beaucoup de monts-sous-marins ont été découverts pendant les campagnes en Nouvelle-Calédonie (Bouchet, Héros, Lozouet, & Maestrati, 2008a). Comme le passage ci-dessous extrait de l’entretien avec Michel Roux en témoigne, c’est la combinaison des deux types de données – par le satellite et par le sondeur multifaisceaux – qui permet d’avoir des cartes bathymétriques précises. Il a fallu attendre les années 1990 pour que la couverture des satellites soit suffisante et assurer un repère fiable pour étalonner les cartes reconstruites à partir des données du sondeur multifaisceaux Sea-Beam dont le Navire Jean-Charcot était équipé. « Les deux avancées marquantes au 20e siècle sont le sondeur multifaisceaux et les satellites. Mais avant que l’un comme l’autre soit assez précis, il a fallu attendre un peu. Effectivement, l’arrivée des satellites de communication se fait dans les années 70 mais avant qu’il y ait assez de satellites pour être efficace – surtout dans les zones pas peuplées, comme au milieu de la mer – il a fallu attendre. Pendant la campagne CALSUB en 1989, on disposait de cartes seabeam faites au sondeur multifaisceaux faites par le Jean Charcot mais pour descendre en soucoupe à un site particulier, ça restait pas évident. Pour être précis, on utilisait un pinger, bâton qui émet des ondes acoustiques et on peut retrouver le site grâce aux ondes. Ce procédé était très souvent utilisé pour retrouver les sites des sources hydrothermales. Le problème est que le pinger était très cher et que souvent on cherchait à les récupérer, ce qui pouvait être très long et gaspiller notre temps bateau. Les cartes seabeam utilisées pendant la campagne CALSUB se calaient d’après des cartes marines. Or, pendant cette campagne, on a vraiment eu la chance de pouvoir bénéficier d’un point impeccable donné par les satellites, un coup de bol ! Les cartes seabeam nous indiquait une information incohérente : au milieu de la mer, la carte nous positionnait sur la terre. On n’était pas très loin de la côte non plus, mais cela voulait dire que ces cartes étaient décalées, même si les mesures étaient finalement bonnes mais décalées. Pour utiliser le sondeur multifaisceaux bien, il faut bien le caler. Dans les années 90, la multiplication des satellites de communications a permis une progression importante. Plus besoin de pinger pour retrouver les sites. Il y a vraiment eu un bon en avant grâce aux satellites de télécommunications. » (Entretien Michel Roux)
En plus d’outils qui permettent de faire des cartes bathymétriques précises, la possibilité d’observer la faune marine des profondeurs, comme au cours de la campagne CALSUB avec la soucoupe CYANA, modifie profondément le rapport à la faune y résidant. Effectivement, ces images vont permettre de donner des informations inaccessibles jusque là sur l’habitat et la manière dont la faune vit. Mais au-delà de l’intérêt scientifique, biologique et géologique que permettait une telle avancée technique, c’est aussi une course à la performance technique pour conquérir les profondeurs qui s’engage. Les bathyscaphes sont des submersibles conçus pour que des hommes puissent aller explorer au plus profond. Depuis le premier bathyscaphe – baptisé FNRS II – réalisé par Auguste Piccard en 1939, dont la première mise à l’eau en 1948 se fait avec Théodore Monod à bord et permettra d’atteindre 25 mètres de profondeur, on ateindra en 1960 les 10 916m de profondeur (Figure ChapI-1).
Suite à la première mise à l’eau du FNRS II, le commandant Jean-Yves Cousteau et Philippe Tailliez entreprirent d’améliorer la conception du bathyscaphe en construisant le FNRS III, avec le soutien du FNRS (Fond national de la recherche scientifique belge), de la Marine national Française et du CNRS.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
I – LA CAMPAGNE MUSORSTOM : ORIGINE D’UN PROGRAMME D’EXPLORATION NATURALISTE
II – BUTS DU PROGRAMME MUSORSTOM : LE MYTHE ORIGINEL DE LA RECHERCHE DE NEOGLYPHEA INOPINATA ET L’ETABLISSEMENT D’INVENTAIRES FAUNISTIQUES
III – LES DECOUVERTES DU PROGRAMME MUSORSTOM-TDSB : INSCRIPTION DANS LA TRADITION DES GRANDES EXPLORATIONS NATURALISTES DU 19E SIECLE
IV – LA PLACE DES FOSSILES VIVANTS DANS LES CONNAISSANCES NATURALISTES DE LA FAUNE DES PROFONDEURS ET LA DECOUVERTE DE « NOUVEAUX » TAXONS
CHAPITRE 1 : LE PROGRAMME MUSORSTOM-TDSB : ACTEURS ET CONTEXTE
INTRODUCTION
I – ENTRETIENS AVEC LES ACTEURS DE LA RECHERCHE OCEANOGRAPHIQUE FRANÇAISE
II – CONTEXTE SCIENTIFIQUE, TECHNIQUE ET INSTITUTIONNEL DU PROGRAMME MUSORSTOM-TDSB
III – EVOLUTION DES AXES DE RECHERCHE DANS LA LITTERATURE GRISE : DOCUMENTS DE DEMANDES DE CAMPAGNES ET DES COMPTES RENDUS
IV – CONCLUSION
CHAPITRE 2 : CONSTITUTION DES CORPUS DE DONNEES ISSUS DU PROGRAMME MUSORSTOM-TDSB
INTRODUCTION
I – SOURCES DES DONNEES ET INTEGRATION AU SYSTEME D’INFORMATION DU MNHN
II – EVOLUTION DE LA VALORISATION SCIENTIFIQUE DES CAMPAGNES MUSORSTOM-TDSB
III – ANALYSE EXPLORATOIRE DE LA PRODUCTION SCIENTIFIQUE ET DES COMMUNAUTES DE CHERCHEURS
IV – CONCLUSION
CHAPITRE 3 : LA PRODUCTION SCIENTIFIQUE DU PROGRAMME MUSORSTOM-TDSB ET SES AUTEURS
INTRODUCTION GENERALE
I – PARTIE 1 : CARACTERISATION DE LA COMMUNAUTE DES AUTEURS QUI VALORISENT LES RECOLTES DES CAMPAGNES TDSB
II – PARTIE 2 : ANALYSE DE LA COMMUNAUTE DES AUTEURS QUI VALORISENT LES RECOLTES DE MOLLUSQUES DES CAMPAGNES TDSB
III – CONCLUSION GENERALE DU CHAPITRE 3
CHAPITRE 4 – CONCLUSION ET PERSEPCTIVES
I – LA PLACE DES FOSSILES VIVANTS DANS LA PRODUCTION SCIENTIFIQUE DU PROGRAMME MUSORSTOM-TDSB
II – EVOLUTION DES CONNAISSANCES TAXONOMIQUES AU TRAVERS DU CORPUS : MEMES HYPOTHESES, AUTRES METHODES ET AUTRES CARACTERES
III – CONSERVATION DE LA BIODIVERSITE ET INCIDENCE SUR LE PROGRAMME NATURALISTE MUSORSTOM-TDSB
ANNEXE CHAPITRE 1
ANNEXES CHAPITRE 2
ANNEXE 1-CHAPITRE 2 – TUTORIEL BASEXP
ANNEXE 2-CHAPITRE 2 – LISTE DES CAMPAGNES DU PROGRAMME MUSORSTOMTDSB
ANNEXE 3-CHAPITRE 2 – LISTE DES PARTICIPANTS OCCASIONNELS
CHAPITRE 2 – ANNEXE METHODOLOGIQUE
ANNEXE 5-CHAPITRE 2 – GRAPHIQUES
ANNEXES CHAPITRE 3
ANNEXE 1 –CHAPITRE 3 –TABLEAU RECAPITULATIF DE L’IMPLICATION AUX CAMPAGNES DES AUTEURS DU GRAPHE AUTEURS-ARTICLES 2-3
ANNEXE 2 –CHAPITRE 3 – LISTE DES ESPECES DECRITES (JUSQU’A 2014) DE MOLLUSQUE MARIN D’APRES DES CARACTERES MOLECULAIRES ET DONT UN TYPE EST CONSERVE AU MNHN DE PARIS
ANNEXE 3 –CHAPITRE 3 – TABLEAU DES REFERENCES ARTICLES SCIENTIFIQUES DU CORPUS ET LEUR CATEGORIE DISCIPLINAIRE
ANNEXE CONCLUSION & PERSPECTIVES
ANNEXES PUBLICATIONS ET EXPOSITION
ARTICLE 1 – IDEAL AND ACTUAL INVENTORIES OF BIODIVERSITY
ARTICLE 2 – HOW MANY SPECIES OF MOLLUSCS ARE THERE IN THE WORLD’S OCEANS, AND WHO IS GOING TO DESCRIBE THEM ?
ARTICLE 3 – BI-PATTERN MINING OF TWO MODE AND DIRECTED NETWORKS
ARTICLE 4 – LE ROLE DES HYPOTHESES ININTERROGEES DANS L’ETUDE SCIENTIFIQUE DE LA BIODIVERSITE DES FONDS MARINS
ARTICLE 5- BIODIVERSITY DATABANKS : THEIR ROLE IN DEVELOPMENT KNOWLEDGE DEVELOPMENT
ARTICLE 6 – CONFERENCE PAPER: HABITAT CARACTERIZATION OF NEW CALEDONIA DEEP-SEA ECOSYSTEMS : A COLLABORATIVE FRENCH NATIONAL MUSEUM PROJECT PANNEAUX EXPOSITION « AU FOND DES OCEANS », AQUARIUM DE LA PORTE DOREE JANVIER-SEPTEMBRE 2017
BIBLIOGRAPHIE
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