Télécharger le fichier pdf d’un mémoire de fin d’études
Choix du système réactionnel
Lors de l’élaboration du verre en creuset froid, le bain de verre est alimenté de manière continue en calcinat et de façon discontinue en fritte de verre. Ceci favorise naturellement la prépondérance des interactions calcinat-bain de verre. Il est tout de même judicieux de souligner que les interactions verre-fritte de verre et verre calcinat peuvent également être présentes. Au vu des techniques d’analyses disponibles, la caractérisation du mécanisme réactionnel s’appuiera sur l’étude du système chimique constitué d’un mélange de fritte de verre et de calcinat. L’étude du calcinat seul en température n’est pas représentative car les études de Monteiro [3] ont montré que la présence de précurseurs vitreux (la fritte de verre) peut également jouer un rôle dans le mécanisme de décomposition du calcinat.
Contrairement aux travaux présentés dans la revue bibliographique sur les verres UOx 1, où les systèmes réactionnels étudiés sont souvent simplifiés, dans cette étude, les compositions chimique et massique complexes (tableau 2.1) représentatives des verres élaborés à l’échelle industrielle sont utilisées. L’objectif est de décrire au mieux les phénomènes ayant lieu du point de vue du procédé. Les compositions chimique et massique du calcinat sont indiquées en équivalent oxyde.
Il est important de souligner qu’à la sortie du calcinateur (comme on le verra dans la section 2.3), certaines phases sont toujours présentes sous forme nitrates. La fritte de verre utilisée pour l’étude a été fabriquée dans les fours verriers classiques. Elle se présente sous forme de paillettes de l’ordre du centimètre.
Préparation de l’échantillon
Les études de réactivité présentées dans ce chapitre ont été réalisées avec un mélange de granulométrie inférieure à 63 μm. Ce choix expérimental permet d’une part de faciliter le mélange et son homogénéité et d’autre part de favoriser la présence de sites réactionnels fritte de verre et calcinat.
L’effet de la granulométrie est discuté par la suite.
Pour la préparation de l’échantillon (figure 2.1) et afin de sélectionner une gamme granulométrique précise, la fritte de verre est broyée à l’aide d’un vibro-broyeur et tamisée par la suite. Dans un second temps, le calcinat est tamisé à son tour. Les poudres sont ensuite intimement mélangées dans un mélangeur dynamique tridimensionnel (communément désigné par Turbula) avec un ratio calcinat/fritte de verre permettant l’obtention rapport F/V (fritte de verre/verre final) cible, qui est ici de 0,76.
FIGURE 2.1 – Illustration des différentes étapes de préparation du mélange de fritte de verre et de calcinat en vue des études de réactivité.
Traitement thermique imposé
Les approches de caractérisation et d’identification des réactions chimiques mises en oeuvre reposent sur de multiples techniques de caractérisation ex-situ et in-situ en température dans une gamme de température allant jusqu’à 1200°C (température nominale d’élaboration du verre en creuset froid). Elles sont réalisées dans des conditions anisothermes à vitesse de chauffe constante.
Ce choix découle du fait que lors de l’élaboration en creuset froid, les précurseurs arrivent à la surface du bain de verre à une température inférieure à celle de ce dernier et sont donc soumis à une rampe de montée en température dépendante de la température initiale de la zone d’arrivée et de la vitesse de brassage. De plus, comparativement aux analyses isothermes, les analyses anisothermes présentent un certains nombre d’avantages. Elles permettent de :
— Étudier et modéliser la réaction dans une gamme de température étendue et à partir d’un seul échantillon ; par rapport aux conditions isothermes où de nombreuses expérimentations auraient été nécessaires pour balayer la même gamme de température. Ceci permet de résoudre en partie les problèmes de répétabilité avec des échantillons fortement hétérogènes.
— Éviter la problématique qui existe en conditions isothermes pour amener l’échantillon à la température cible.
Évolution thermique et massique des précurseurs
L’évolution thermique et massique du mélange de précurseurs lors d’un traitement thermique est dans un premier temps étudiée au travers de la technique d’analyses thermiques thermogravimétrique et différentielle (ATG/ATD). Cette technique permet de déterminer les domaines de température associés aux effets thermiques et massiques qui se produisent au cours du mécanisme réactionnel lors d’un traitement thermique.
Dispositif expérimental
Les mesures ont été réalisées sur le dispositif TAG 2400 de la marque SETARAM équipé de creuset en alumine. Ce dispositif (figure 2.2) met en jeu deux fours identiques permettant ainsi de compenser l’effet de la poussée d’Archimède 2 lors du chauffage. La canne de mesure ATD est suspendue côté four « Mesure » et une canne-tare sans capteur est suspendue côté four « Référence ».
Les analyses ont été réalisées avec une masse d’environ 50 mg de mélange à une vitesse de 10°C/min.
(a) Image du dispositif (b) Représentation schématique de la configuration globale
(c) Photo des creusets en alumine d’un volume de 100 μL
Méthode «run rerun»
La réponse thermique du système chimique dans des conditions expérimentales isobares dépend à
la fois de sa capacité thermique à pression constante mais également des effets physico-chimiques exothermiques ou endothermiques dont il est le siège. Caractériser uniquement les effets thermiques liés aux réactions chimiques, comme envisagé dans cette étude, nécessite de dissocier ces deux origines. La méthode dite «run rerun» utilisée dans les travaux de Chun et al. [25] permet d’isoler le flux de chaleur induit par les réactions ayant lieu. La procédure consiste à soumettre le même échantillon à deux rampes de montée en température successives, séparées par une phase de refroidissement. La différence entre les flux de chaleur mesurés durant les deux montées en température correspond au flux de chaleur net associés aux réactions chimiques. La validité de cette démarche repose sur deux hypothèses fondamentales :
— La quasi-totalité des réactions chimiques ont lieu durant la première phase de montée en température.
— La différence de variation de la capacité calorifique intrinsèque à pression constante de l’échantillon lors des deux montées en température est supposée négligeable devant la variation de l’enthalpie.
La figure 2.3 illustre le profil du traitement thermique utilisé dans cette étude. Une première chauffe suivie d’un palier isotherme est réalisée de la température ambiante jusqu’à 200°C pour éliminer les évènements thermiques associés à l’évaporation d’humidité accumulée lors du stockage des précurseurs. La phase « run » de 200°C à 1200°C est ensuite réalisée à une vitesse de chauffe () constante. Après une phase de stabilisation à 1200°C, un cycle de refroidissement est réalisé. À l’issue de cette dernière, une nouvelle montée en température identique à la précédente est réalisée. C’est la phase «rerun». Plusieurs essais ont été réalisés sur l’échantillon afin de définir les temps nécessaires pour stabiliser la température à la valeur cible des plateaux isothermes et ainsi limiter ainsi l’effet des «over-shoot» de température. Cette méthode a été appliquée au mélange de fritte de verre et de calcinat à une vitesse de montée en température de 10°C/min.
FIGURE 2.3 – Illustration du profil du traitement thermique adopté et basé sur la méthode «run rerun». La notation Tamb désigne la température ambiante et la vitesse de chauffe.
Résultats
La figure 2.4 illustre le profil des courbes brutes extraites du logiciel constructeur associé au dispositif.
FIGURE 2.4 – Profils des signaux bruts extraits du dispositif ATD/ATG lors de la procédure run/rerun à 10 °C/min sur un mélange de fritte de verre et de calcinat.
Les figures 2.5-a et 2.5-b illustrent l’évolution du flux de chaleur massique et de la masse relative du mélange de précurseurs entre 200°C et 1200°C lors du traitement thermique à 10°C/min lors des phases run et rerun.
Durant la phase «run», le mécanisme réactionnel est caractérisé par une perte de masse essentiellement localisée (à environ 90%) sur la plage de température allant de 200°C à 650°C. Cette perte de masse est accompagnée d’effets thermiques essentiellement endothermiques avec un pic majeur situé autour de 600°C. À plus haute température, une perte de masse de faible intensité est également observée accompagnée de fluctuations de faible intensité du flux de chaleur.
On peut observer sur les profils correspondant à la phase «rerun» qu’aucun pic n’est détecté et que la masse reste globalement constante. Il faut toutefois souligner une perte de masse de faible amplitude (<1%) observée vers 800°C pouvant être associée à la volatilité des alcalins de la matrice vitreuse 3. Ces observations permettent de valider une des hypothèses de la méthode «run rerun» selon laquelle toutes les réactions chimiques associées à des effets thermiques détectables ont lieu durant la première montée en température.
La différence de flux de chaleur massique entre les deux phases correspond au flux de chaleur massique net (figure 2.5-c) associée aux réactions chimiques. Comme on peut le constater, le mécanisme présente un profil thermique complexe avec différents pics et épaulements, caractéristiques de multiples réactions superposées. Deux types de phénomènes se distinguent :
— entre 200°C et 800°C, le signal présente un comportement endothermique avec un pic majeur situé autour de 600 °C. Ce qui signifie que sur cette plage les réactions chimiques qui ont lieu tendent à absorber de l’énergie au milieu environnant
— Au delà de 800°C, le comportement du signal s’inverse et devient exothermique, traduisant ainsi le déroulement d’évènements cédant de l’énergie.
Avant de passer à la caractérisation d’un point de cinétique et enthalpique du mécanisme réactionnel, nous nous sommes intéressés à l’identification des réactions chimiques associées à ces effets thermiques.
Essais d’identification des réactions chimiques
Cette section présente l’ensemble des études réalisées dans le but d’identifier des réactions chimiques associées aux pics endothermiques et exothermiques mis en évidence par les analyses thermiques ATD/ATG. Les démarches mises en oeuvre reposent sur l’analyse le long du mécanisme réactionnel :
— des gaz émis,
— de l’évolution microstructurale,
— des phases cristallines en présence.
Analyses des gaz émis
La première approche mise en oeuvre consiste à analyser les gaz émis au cours du mécanisme réactionnel. La méthode utilisée repose sur le couplage des techniques de thermogravimétrie et de spectrométrie de masse. Les mesures ont été réalisées au laboratoire du groupe KEP TECHNOLOGIES.
Il s’agit là de la première analyse de ce type réalisée dans le cadre des études du mécanisme réactionnel de l’élaboration de verres UOx.
Description du dispositif
Le dispositif (figure 2.6) est constitué d’un appareil de mesure thermogravimétrique (SETSYSTGA) couplé à un spectromètre de masse (MS-Supersonic). L’échantillon est placé dans un creuset d’alumine chauffé de la température ambiante à 1200°C à 30°C/min. Les gaz dégagés sont recueillis dans la chambre ATG à travers un orifice situé en dessous des creusets. Grâce à un système de vide primaire et secondaire, les gaz sont aspirés et presque instantanément transmis à la source d’ionisation du spectromètre de masse. Cette technique de double dépressurisation permet d’atteindre une vitesse de transmission élevée, limitant ainsi toute condensation ou recombinaison et permettant de fait la détection des espèces de masse élevée (au-dessus de 500 uma 4).
Résultats
La figure 2.7-a montre l’évolution de la perte de masse et sa dérivée en fonction de la température sur la plage allant de 200°C à 1200°C. Comme observé dans la section précédente, la majeure partie de la perte de masse constatée se déroule entre 200°C et 650°C, gamme de température des effets endothermiques. L’analyse des données de spectroscopie de masse (figure 2.7-b) révèle que cette perte de masse est essentiellement associée à la détection des molécules de H2O, OH, NO2, O2, CO2. En dessous de 400°C, Il s’agit essentiellement des pics de H2O, OH, CO2. La perte de masse associée à l’émanation de ces gaz est relativement faible (inférieure à 10% de la perte de masse totale). D’un point de vue chimique, ces gaz peuvent être libérés par des réactions de décomposition des hydroxydes ou des hydrates encore présents dans le calcinat. Le dégagement de CO2 observé peut être lié à la présence de résidus de carbone :
— dans la fritte de verre, présence liée au procédé de fabrication de cette dernière dans des fours à gaz,
— dans le calcinat, présence liée au sucre utilisé comme adjuvant dans le procédé de calcination. La majorité de la perte de masse a lieu entre 400°C et 650°C et est associée à l’émanation du NO2 et du O2. Il s’agit des processus de décomposition des nitrates toujours présents dans le calcinat à l’issue de la calcination (voir section 2.3.3).
|
Table des matières
Introduction générale
1 Contexte et état de l’art
1.1 Les déchets nucléaires de haute activité : Généralités
1.1.1 Composition des déchets
1.1.2 Matrice vitreuse et principe du confinement
1.1.3 Le procédé continu de calcination – vitrification
1.2 La vitrification en creuset froid
1.2.1 Conception et principe de fonctionnement
1.2.2 Élaboration du verre
1.2.3 Déroulement
1.3 Développement des outils de simulation de l’élaboration du verre en creuset froid
1.3.1 Historique des actions menées à ce jour
1.3.2 Objectifs de cette étude
1.4 Intégration des aspects chimiques dans les outils CFD de l’élaboration des verres : État de l’art
1.4.1 Notions de base
1.4.2 Travaux réalisés dans le cadre des verres UOx
1.4.3 Approches développées par les équipes de PNNL
1.4.4 Autres approches
1.4.5 Bilan de l’étude bibliographique et méthodologie adoptée
2 Étude de la phénoménologie de l’élaboration des verres UOx
2.1 Choix du système réactionnel
2.2 Évolution thermique et massique des précurseurs
2.2.1 Dispositif expérimental
2.2.2 Méthode «run rerun»
2.2.3 Résultats
2.3 Essais d’identification des réactions chimiques
2.3.1 Analyses des gaz émis
2.3.2 Évolution microstructurale
2.3.3 Nature des phases en présence le long du mécanisme réactionnel
2.3.4 Bilan des observations
2.4 Étude de l’influence de la granulométrie
2.5 Conclusion
3 Caractérisation et modélisation du mécanisme réactionnel d’un point de vue cinétique et enthalpique
3.1 Caractérisation cinétique et enthalpique du mécanisme réactionnel
3.1.1 Dispositif expérimental et méthodologie
3.1.2 Résultats
3.1.3 Construction de la cinétique chimique en vue de la modélisation
3.2 Modélisation mathématique
3.2.1 Hypothèses et formulation du modèle
3.2.2 Identification des paramètres cinétiques apparents
3.3 Conclusion
4 Modélisation de l’élaboration du verre et approche d’implémentation du modèle chimique
4.1 Phénomènes physiques mis en jeu dans le procédé de vitrification
4.1.1 Propriétés physiques du verre
4.1.2 Phénomènes électromagnétiques
4.1.3 Phénomènes thermo-hydrodynamiques
4.1.4 Les particules en suspension
4.1.5 En résumé
4.2 Le modèle magnéto-thermo-hydraulique MTH
4.3 Implémentation du modèle chimique dans le modélisation MTH
4.3.1 Notion de zones réactionnelles et approche de modélisation
4.3.2 Résolution des équations chimiques
4.3.3 Propriétés physiques du verre en cours de réaction
4.4 Conclusion
5 Validation de la démarche d’implémentation du modèle chimique dans les outils CFD de l’élaboration du verre
5.1 Description des essais d’élaboration
5.1.1 Présentation du dispositif utilisé
5.1.2 Conditions opératoires et procédure
5.1.3 Résultats
5.1.4 Bilan
5.2 Simulation numérique
5.2.1 Géométrie et stratégie adoptée pour la simulation complète
5.2.2 Phénomènes modélisés
5.2.3 Formulation des conditions aux limites
5.2.4 Résolution de l’état pseudo-stationnaire (Avant ajout des précurseurs)
5.2.5 Modélisation et résolution de l’ajout des précurseurs
5.3 Conclusion
6 Application à l’élaboration en creuset froid
6.1 Description du déroulement de l’élaboration du verre
6.2 Résolution couplée des aspects chimiques et magnéto-thermo-hydrauliques
6.2.1 Configuration étudiée
6.2.2 Paramètres numériques et stratégie de calcul
6.2.3 Conditions aux limites
6.2.4 Résultats de l’état stationnaire sans alimentation
6.2.5 État stationnaire en régime permanent d’alimentation
6.2.6 Effet du niveau de verre et des paramètres procédé
6.2.7 Bilan
6.3 Estimation des temps d’homogénéisation et de séjour de la matière dans le four
6.4 Conclusion
Conclusion générale
Bibliographie
Table des figures
Liste des tableaux
Télécharger le rapport complet