Les déchets dans les prismes scientifiques et sociaux

Les déchets dans les prismes scientifiques et sociaux

Les êtres vivants et particulièrement l’Homme exploitent leur environnement par le prélèvement, la transformation, la consommation et le rejet permanent de la matière. De ce fait, l’Homme est par essence un producteur de déchets. Pendant longtemps, les déchets produits par l’humain ont été résorbés par la nature. Au fur et à mesure que les hommes s’aggloméraient dans un lieu, la quantité des déchets produits devenait progressivement incommodante et l’équilibre du milieu se rompait. Pour des questions d’esthétisme et de salubrité, le souci de bien gérer son cadre de vie était devenu une nécessité. Nous constatons que les sujets relatifs aux déchets ont fait couler beaucoup d’encre dans l’histoire et restent d’actualité au 21e siècle dans toutes sociétés. Cependant, les déchets, en particulier ménagers, n’ont pas été facilement acceptés comme sujet de recherche ou de discussion de haut niveau en sciences sociales. Sur le plan social, la représentation des déchets et tout ce qui tourne autour varie largement d’une société à une autre. Les connotations sur les déchets entraînent des appréhensions sur ce sujet et le rendent encore plus complexe. Les rebuts ne font-ils pas partie intégrante de notre existence ? Par déchet faut-il encore penser à une matière sans valeur ? Quelle place le déchet a-t-il aujourd’hui dans les débats scientifiques ? Pour apporter des éléments de réponse à ces questionnements, nous analysons dans ce chapitre les différentes perceptions du déchet et l’évolution de leur traitement dans les agglomérations. Les observations sur le terrain, les entretiens avec les personnes issues de différentes couches sociales dans la ville de Yaoundé et la revue de la littérature ont permis de traiter la problématique des déchets.

Débat scientifique sur le déchet en tant qu’objet d’étude en sciences sociales 

Déchet : un concept polysémique 

Le concept de déchet est polysémique et sa définition a connu une évolution temporelle, selon les disciplines, les perceptions sociales collectives ou individuelles. Etymologiquement, il dérive du bas latin déchié, forme régulière du participe passé du verbe déchoir (cadere en latin, c’est-à-dire ce qui tombe) qui traduit la réduction de valeur d’une matière, d’un objet, jusqu’au point où il devient inutilisable en un temps et en un lieu donné (Pichat P., 1996). Pour mieux appréhender ce concept, il sera défini selon plusieurs approches.

Approche juridique du déchet
La législation française définit le déchet comme « tout résidu d’un processus de production, de transformation ou d’utilisation, toute substance, matériau, produit ou plus généralement tout bien meuble abandonné ou que son détenteur destine à l’abandon » (Code de l’environnement, art. L.541-1 ; Graindorge J., 2000).

Selon le Code de l’environnement du Burundi, « un déchet est tout résidu résultant d’un processus d’extraction, d’exploitation, de transformation, de production, de consommation, d’utilisation, de contrôle ou de traitement dont la qualité ne permet pas de le réutiliser dans le cadre d’un procédé dont il est issu ou, plus généralement tout bien, tout meuble, abandonné ou que son détenteur destine à l’abandon ». (Code de l’environnement du Burundi du 30 juin 2000). La loi n°01-19 du 12 Décembre 2001 relative à la gestion, au contrôle et l’élimination des déchets en Algérie définit le déchet comme « tout résidu d’un processus de production, de transformation ou d’utilisation, et plus généralement toute substance, ou tout produit et tout bien meuble dont le propriétaire ou le détenteur se défait, projette de se défaire, ou dont il a l’obligation de se défaire ou d’éliminer » (Naghel M., 2003).

Pour l’article 66 de la loi n°98-030 du 12 février 1999 portant Loi cadre de l’environnement en République du Bénin, le déchet est « tout résidu d’un processus de production, de transformation ou d’utilisation, ou tout bien meuble abandonné ou destiné à l’abandon » (Eyebiyi E. P., 2010). Au Cameroun, la loi n°96/12 du 05 août 1996 portant Loi Cadre relative à la gestion de l’environnement définit le déchet comme « tout résidu d’un processus de production, de transformation ou d’utilisation, toute substance ou tout matériau produit ou, plus généralement, tout bien meuble ou immeuble abandonné ou destiné à l’abandon. On entend par abandon, tout acte tendant, sous le couvert d’une cession à titre gratuit ou onéreux, à soustraire son acteur aux prescriptions législatives et réglementaires ».

Approche économique du déchet
L’OMS définit le déchet comme quelque chose que son propriétaire ne veut plus et qui n’a pas de valeur commerciale courante ou perçue (Lhuilier D., 1999). Dans la même lancée, Bertolini définit le déchet comme un produit dont la valeur d’usage et la valeur d’échange sont nulles pour son détenteur ou son propriétaire. Ces deux définitions ne donnent aucune valeur économique au déchet. Toutefois, l’amélioration de stratégies de gestion des déchets, l’avancée des recherches et des techniques de traitement, l’évolution des sociétés ont pu  changer la vision négative du déchet. Les déchets, dans ce millénaire, sont de plus en plus valorisés dans toutes sociétés. La valeur économique d’un déchet dans une expression plus simple peut être définie par trois critères. Le lieu qui, au départ, peut être un emplacement initial sans valeur ou un emplacement valorisant. Le temps qui influence sur la durabilité de la valeur du bien car tous les objets ne gardent pas la même valeur dans le temps. La quantité qui met en exergue le volume pour que le bien soit exploitable ou non. Maystre L. Y. et al. (1994) illustrent clairement ce raisonnement par l’exemple suivant. Un objet débarrassé d’un vieux grenier peut devenir objet de brocante, puis une antiquité. Quelques vieux papiers dans une poubelle sont un déchet alors qu’un ballot de vieux papiers imprimés dans un conteneur est une matière première secondaire.

Approche du déchet adoptée dans le travail
Ekouma Ebo’o (1999) considère comme déchets ménagers les déchets solides provenant de la vie des ménages (cuisine, renouvellement des biens, jardinage, loisir, etc.) et ceux des activités des commerces qui y concourent. S’y ajoutent les déchets de même nature de l’administration, des cantines et ceux du nettoiement des rues. Quant à Sane (2002), il assimile les déchets ménagers aux ordures ménagères qui sont les déchets produits quotidiennement par les ménages pour le besoin de la vie. Ceci inclut les ordures ménagères proprement dites, les débris de verre et vaisselle, les feuilles mortes, les balayures, les cendres, les mâchefers, les carcasses d’animaux, les ordures en provenance des écoles, etc. Les définitions qui précèdent se rapprochent de celle qui sera adoptée dans ce travail et seront complétées par une définition propre au contexte camerounais. Dans la ville de Yaoundé et dans toutes les villes camerounaises en général, le déchet solide ménager est encore appelé ordure ménagère. Le déchet est l’ensemble des résidus provenant de la préparation des aliments et du nettoyage normal des habitations, débris de verre ou de vaisselle, cendres éteintes, feuilles, chiffons, balayures et résidus divers déposés même indûment aux heures de collecte dans les récipients individuels ou collectifs placés devant les immeubles ou à l’entrée des voies inaccessibles par les camions. Cette définition s’étend sur les résidus provenant des voies publiques, trottoirs, marchés, casernes, écoles ou autres collectivités, groupés sur les emplacements déterminés et dans les récipients réglementaires fournis par HYSACAM (Cahier des charges de HYSACAM, 2007-2011). Cependant, la définition des DSM ou OM ne prend pas en compte les débris provenant des travaux publics et d’une exploitation industrielle ou commerciale ; les déchets anatomiques ou infectieux provenant des hôpitaux ou cliniques ; les déchets en provenance d’abattoirs et les déchets industriels. Le concept de déchet ayant été défini, il serait également important de définir le concept de gestion qui est étroitement lié au déchet dans ce travail.

Difficile acceptation de la rudologie dans le milieu scientifique

Les déchets pris comme source de pollution, de maladie et de mort ont été longtemps considérés comme indignes et exclus de tout débat savant. Freud, cité par Bertolini, dit que « quiconque étudie de telles choses se voit considérer comme à peine moins inconvenant que celui qui fait réellement des choses inconvenantes ». Le procès fait aux sciences sociales par rapport à leur absence dans l’étude des déchets devrait être relativisé. Chaque période de l’évolution humaine a été contrainte à certaines réalités. Pour être en conformité avec le social, il fallait éviter la production de certaines éruditions pour ne pas s’éloigner de « l’éthique communautaire » . Pendant des siècles, la censure sociale a été rigide envers tout ce qui tournait autour des déchets. Ainsi, il n’a pas été facile pour les hommes de sciences , étant parfois le flambeau social, de s’occuper d’un sujet banni et condamné par l’homme. Hormis les questions d’hygiène mises en avant pour éloigner les gens du déchet, les débats abordés étaient essentiellement limités aux aspects techniques, c’est-à-dire les modes de collecte et d’élimination des déchets. L’éloignement de la science des thématiques du déchet n’a pas permis aux scientifiques de découvrir à temps les impacts sociaux, économiques et environnementaux que pouvaient engendrer les déchets. Toutefois, à la fin du XIXe siècle, les débats sur les déchets se sont répandus grâce aux nouvelles préoccupations socioéconomiques, environnementales et scientifiques dans les sociétés. A partir du XXe siècle, les recherches sur le sujet se sont développées. Il est vrai que jusqu’à la première moitié du XXe siècle, on note encore peu d’études sur les déchets en sciences sociales mais la tendance a fortement évolué au XXIe siècle. Les écrits et les premières données sur les ordures ménagères ont très tôt été réalisés par les historiens qui ont fortement attiré l’attention sur la problématique des déchets. Parmi ceux-ci on peut citer les travaux de Laporte D. (1978) : Histoire de la merde ; Silguy C. (1996) : Histoire des hommes et leurs ordures du Moyen Age à nos jours ; Guerrand R-H. (2009) : Les lieux. L’histoire des commodités ; etc. Mais dans les prochaines lignes, nous nous pencherons plus sur les travaux sociologiques, économistes, environnementalistes et géographiques des déchets.

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Table des matières

Introduction générale
Partie 1: Positionnement théorique et gouvernance du service public des déchets
Chapitre 1 : Les déchets dans les prismes scientifiques et sociaux
1.1. Débat scientifique sur le déchet en tant qu’objet d’étude en sciences sociales
1.2. Premières techniques de la gestion des déchets
1.3. Urbanisation et déchet en Afrique : un défi permanent pour les Etats
1.4. Regard social sur des déchets au Cameroun
Chapitre 2 : Mécanismes juridiques et institutionnels de la gestion des déchets solides ménagers à Yaoundé
2.1. Cadre juridique de gestion des déchets au Cameroun
2.2. Acteurs aux rôles divers mais difficiles à cerner
Chapitre 3 : Modes de gestion des déchets ménagers à Yaoundé
3.1. Evolution des modes de gestion des déchets ménagers à Yaoundé ?
3.2. Gestion des déchets ménagers dans un système centralisé
3.3. Planification de la gestion linéaire des déchets solides ménagers à Yaoundé
Chapitre 4 : Gestion des déchets rendue complexe par les disparités socio-spatiales et socioéconomiques
4 .1. Comment différencier l’habitat à Yaoundé ?
4.2. Habitat à Yaoundé : une traduction des ségrégations socio-spatiales, d’hygiène et de salubrité
4.3. Fragmentation des classes socio-économiques à Yaoundé : une accentuation des inégalités urbaines
Conclusion de la partie 1
Partie 2 : Contraintes et héritages des insuffisances de la gestion linéaire des déchets à Yaoundé
Chapitre 5 : Système de gestion des déchets vulnérable
5.1. Formation et transformation urbaine: Yaoundé vers une bidonvilisation ?
5.2. Impacts du contrat de prestation et des comportements des Yaoundéens sur la gestion du déchet
5.3. Gestion des déchets face aux contraintes naturelles à Yaoundé
Chapitre 6 : Liens entre la gestion des déchets ménagers et les inégalités environnementales à Yaoundé
6.1. Détermination des indicateurs d’inégalités environnementales à Yaoundé
6.2. Réception différenciée d’aménités environnementales à Yaoundé
6.3. Contribution des populations dans l’évacuation des ordures et leur perception du service public des déchets
Conclusion de la partie 2
Partie 3 : Vers la structuration d’une économie circulaire à Yaoundé
Chapitre 7 : Les gisements des matières secondaires pour la construction de l’économie circulaire
7.1. Quantification de la matière secondaire à Yaoundé
7.2. Caractérisation des gisements de déchets dans les différents types d’habitat
7.3. Economie circulaire : un modèle économique réparateur ?
Chapitre 8 : Bases de l’économie circulaire à Yaoundé : entre l’informel et le formel
8.1. Acteurs de l’émergence des filières de l’économie circulaire à Yaoundé
8.2. Construction d’une économie circulaire à Yaoundé : les filières informelles comme levier d’implémentation ?
8.3. Mise en place des filières formelles de l’économie circulaire à Yaoundé : un processus fragilisé par l’absence de l’implication des pouvoirs publics
8.4. Contraintes de la construction de l’économie circulaire à Yaoundé
Chapitre 9 : Stimuler le « changement social » pour construire l’économie circulaire à Yaoundé
9.1. Comment appréhender le changement social ?
9.2. Exploiter l’existant pour impulser le changement social : s’appuyer sur la précollecte
9.3. Innover pour inciter les populations à changer et à cheminer vers la construction de l’économie circulaire à Yaoundé
Conclusion de la partie 3
Conclusion générale
Références bibliographiques

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